Contenu du sommaire : Transmettre
Revue | Terrain |
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Numéro | no 55, septembre 2010 |
Titre du numéro | Transmettre |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Revue de presse du numéro 55
Transmettre
- Anthropologie et transmission - David Berliner p. 4-19 La transmission est une question très chère au cœur des anthropologues. Pourtant, rares sont les études qui prennent le transmettre comme point de départ, comme un objet d'étude « en lui-même et pour lui-même ». Dans cet article, je montre combien la transmission hante les fondements de notre discipline et comment elle continue d'animer la plupart des débats anthropologiques contemporains, notamment via le succès de notions comme « mémoire », « réinvention » ou « persistance ». Enfin, je me demande comment approcher ethnographiquement cette réalité insaisissable qu'est le transmettre.Anthropology and transmission Transmission is a topic of crucial importance for anthropologists. However few are the studies which make transmission their focal point, a subject for and in itself. In this paper I show how cases of transmission haunt the very foundations of our discipline and how they lie at the back of such notions as memory, re-invention and continuity. I conclude by asking how we can study ethnographically the fleeting reality that is the act of transmission.
- Pourquoi les enfants ont-ils des traditions ? - Olivier Morin p. 20-39 Les traditions durables que l'on trouve dans les cultures enfantines ont suscité l'étonnement des anthropologues au moins depuis Edward B. Tylor. Cet article résume les preuves de l'existence de traditions pluriséculaires transmises pour l'essentiel d'enfant à enfant. Les populations enfantines subissant un renouvellement rapide, une tradition que l'on se transmet à l'intérieur d'un groupe d'enfants doit être transmise suffisamment fréquemment pour compenser ces changements démographiques. Malgré cela, cet article montre que les traditions enfantines survivent en moyenne aussi bien que des traditions adultes similaires, étudiées avec des données similaires. Il présente une hypothèse qui pourrait expliquer l'énigme des traditions enfantines. Les jeux et les comptines qui ont du succès ne sont pas particulièrement bien mémorisés, ou transmis de façon particulièrement fidèle, mais ils sont sélectionnés pour leur capacité à susciter et à supporter des répétitions et des transmissions fréquentes. Cette sélection est si drastique qu'elle permet aux jeux et aux comptines qui y survivent de prospérer dans l'espace laissé libre.Why do children have traditions? The long-standing traditions of children's peer cultures have puzzled anthropologists at least since the days of Edward B. Tylor. This paper summarises the evidence speaking in favour of the existence of traditions spanning several centuries and passed on mostly from child to child. Populations of children being rapidly replaced (as a child does not stay a child for long), a tradition transmitted inside the peer culture has to be transmitted frequently enough to keep up with demographic changes. Yet children's traditions, as argued in this paper, do no worse on average than similar adult traditions studied with similar data. We present a hypothesis that may go some way towards explaining the riddle of children's traditions. Successful children's rhymes and games are not particularly well retained or faithfully transmitted. Rather, they are selected on the basis of their capacity to elicit and endure frequent repetition and transmission. The selection for successful rhymes and games is so drastic that it leaves ample room for surviving traditions to thrive
- « Chez nous, le sang règne ! » - Arnaud Halloy p. 40-53 La quête de l'Afrique apparaît comme une constante depuis la formation des premières grandes maisons de candomblé, les religions d'origine africaine au Brésil, à la fin du xixe siècle. Assimilé à un retour aux sources de nature « mystique » par ses leaders religieux,ce mouvement est également de nature politique dans la mesure où il contribue à la construction d'un discours – non sans l'aide des anthropologues – menant à la hiérarchisation de modèles de la « tradition » fondés sur la proximité présumée avec les « racines » africaines. Je m'efforcerai de nuancer cette analyse en montrant que l'élaboration d'un savoir dit traditionnel dans le culte Xangô de Recife passe avant tout par la valorisation d'un savoir-faire rituel qui trouve sa légitimité dans ses propres conditions de transmission. En d'autres termes, perpétuer ou inventer une tradition consiste d'abord à apprendre à transmettre traditionnellement. Cet article cherche à décrire les propriétés de ce « transmettre » traditionnel à partir d'une analyse du discours des membres du culte sur la « tradition » ainsi que des pratiques qui l'actualisent.« Among us, blood is everything! » Religious apprenticeship in the Xangô cult of Recif (Brazil) The quest for Africa is a constant element since the foundations of the great candomble houses, at the end of the nineteenth century. Candomble is a Brazilian religion with African roots. Although spoken of by its religious leaders as a mystical quest, the movement is equally political in nature in that it contributes, with the help of anthropologists, to the creation of a narrative which ranks “traditions” in terms of their assumed closeness to their African roots. My purpose here is to qualify this theory by showing that the elaboration of so called traditional knowledge in the Xangô cult of Recif is in fact based much more on ritual practises which find their legitimation in the way they have been transmitted. In other words, maintaining or inventing a tradition is above all a matter of learning how to transmit it in a traditional way. This paper attempts to describe the properties of what characterises such traditional transmission on the basis of what members of the cult have to say about “tradition” and the practises which give it life.
- Transmettre l'amour du chant ? - Laurent Legrain p. 54-71 Les voyageurs, chroniqueurs et chercheurs ont souvent souligné le lien affectif qui attache les Mongols au chant. Faut-il voir dans cet amour pour le chant un trait culturel pérenne ? Si c'est le cas, quels sont les processus qui président à sa transmission ? Dans cet article, je montre que la redécouverte et la reconstruction à chaque génération d'un amour pour le chant s'ancre dans des séquences de la vie quotidienne dans lesquelles les adultes attirent l'attention des enfants sur les potentialités de la voix humaine. M'appuyant sur les travaux de James J. Gibson et de Tim Ingold, l'» éducation de l'attention » est au centre de mes préoccupations. Cette approche propose une alternative à l'habituelle dichotomie existante entre éducation et appropriation. Elle me permet également de mettre l'accent sur les liens qui unissent le chant et une tonalité affective très présente dans les bassins ruraux de Mongolie.The transmission of the love of singing Cries, oratory and complaints in an ordinary Mongolian family Travelers, authors and scholars have often noted Mongolians' love of singing. Is this an enduring cultural feature? If this is the case, how is it passed on from generation to generation?. In this paper I show how the rediscovery and reconstruction of the love of song by each new generation is anchored in sequences of daily life in which adults draw the attention of children to the potential of the human voice. I base my analysis on the work of James J. Gibson and Tim Ingold on the education of attention. Such an approach avoids the common opposition between education and imitation. It enables me to show the link that exists between song and the emotional coloring so characteristic of rural Mongolia.
- Le vieil homme et le livre - Vlad Naumescu p. 72-89 En dépit de critiques récentes, l'anthropologie n'a pas encore admis que ses conceptions de la transmission culturelle sont dominées par des ontologies temporelles, par le « continuisme » qui domine notre discipline. Cet article montre que les ethnographies de la transmission culturelle devraient systématiquement prendre en compte sa temporalité et son historicité. J'y explique comment les vieux-croyants (une branche schismatique de l'orthodoxie russe) cultivent un millénarisme quotidien où se mêlent des temporalités distinctes. Issus d'une tradition orthodoxe qui met en valeur sa propre continuité, les vieux-croyants ont appris à percevoir concrètement la finitude de ce monde et l'imminence de l'Apocalypse. Réagissant aux circonstances historiques, ils ont adopté une conception kénotique de la vie chrétienne, que l'on retrouve dans les modalités particulières de la transmission religieuse.The Old Man and the Book. Old Believers' crisis of transmission (Romania) In spite of recent critique, anthropology has yet to acknowledge the temporal ontologies that mark its conceptions of cultural transmission, the “continuity thinking” that dominates anthropological investigations. Arguing that any ethnography of cultural transmission should engage systematically with issues of temporality and historicity, I show in this paper how Old Believers, a schismatic Russian Orthodox movement, cultivates an everyday millenarianism informed by distinct temporalities. Stemming from an Orthodox tradition which affirms continuity, Old Believers developed a concrete perception of the finitude of this world and awareness of the apocalyptic moment. In response to historical circumstances they embraced a kenotic conception of Christian life which is embedded in particular modalities of religious transmission.
- Perdre l'esprit du lieu - David Berliner p. 90-105 Luang Prabang est une ancienne ville royale du Laos qui figure sur la Liste du patrimoine mondial de l'humanité depuis 1995. Du fait de ses moines en tunique orange, ses temples bouddhistes et la mystique religieuse qu'elle respirerait, mais aussi de par la trame des architectures traditionnelles et coloniales qu'elle donne à voir, elle jouit d'une réputation internationale et attire un nombre grandissant de touristes. L'objectif de l'Unesco y est « de pérenniser l'authenticité et la valeur du site » par une série d'actions comme l'inventaire du patrimoine, la restauration des temples bouddhistes et des maisons coloniales, des régulations sur la restauration imposées aux habitants ou encore des cours de sculpture destinés aux moines. Ainsi listée, Luang Prabang est une ville où la préservation se fait désormais obligation morale et politique. Pourtant, un tel impératif à préserver et à transmettre ne semble pas correspondre aux préoccupations de la plupart des habitants du centre-ville qui aspirent à la modernité. On voit toutefois poindre l'éveil contraint et forcé d'une conscience patrimoniale, surtout orientée par les recettes du tourisme. À cet égard, l'exemple de Luang Prabang est fascinant en ce qu'il révèle les conflits d'interprétation qui existent entre les discours et les pratiques des experts en conservation et ceux des acteurs locaux. Tandis que les premiers voient la possibilité de sauver cette ville en la transformant en un écomusée avec son âme, les seconds, qui, certes, veulent se souvenir, ne désirent pas continuer à vivre dans des mondes révolus.Losing one's culture The politics of Unesco at Luang Prabang (Lao pdr) Luang Prabang is an ancient Laotian royal city which figures on the list of World Heritage sites since 1995. Because of its saffron clad monks, because of its Buddhist temples and because of its supposed mystical religious aura, as well as because of the network of traditional and colonial architecture it displays it has gained international renown and draws ever more tourists. Unesco's stated aim is “to maintain the authenticity and value of the site” by making an inventory of buildings, restoring Buddhist temples and colonial houses by means of regulations imposed on the inhabitants and the teaching of sculpture to the monks. Thanks to this listing, conservation has become a moral and a political duty. However this is not the concern of most of the inhabitants of the centre of town who seem more concerned with becoming modern although the beginning of a heritage consciousness can be discerned, concerned above all with the encouragement of the tourist industry. Because of this the case of Luang Prabang is particularly fascinating in that that it highlights the conflicting interpretations of the heritage experts and locals. While the former see the possibility of keeping the spirit of the town through the creation of a kind of eco-museum, the latter, while concerned with not obliterating the memory of the past, do not want to live in a by-gone world.
- L'esprit de patrimoine - Jean-Louis Tornatore p. 106-127 « Esprit objectif » (Paul Veyne), le patrimoine est de ces institutions de production de significations qui instituent une sorte de familière étrangeté, nécessaire, toujours disponible et jamais épuisée. Aujourd'hui il traverse l'art, l'architecture, l'histoire, la mémoire, la culture, la nature, met en jeu tout à la fois les droits à la mémoire, au temps, à la culture comme un devoir de gestion négociée de la nature et se concrétise dans autant de topiques qui coexistent sans forcément s'accorder. On en parcourt ici quatre : le monument, le lieu, la culture et le vivant, en suivant le fil de la pédagogie : « À quoi ça conduit ? », « comment ça agit ? » De l'examen de quelques « objets », se dessine une constante : une pluralité d'acteurs faisant valoir à divers titres une autorité et donnant à leur engagement une dimension politique nouvelle et potentiellement débordante : peut-être l'exploration fragile d'une démocratie de participation. Ainsi l'esprit de patrimoine serait l'expression politique d'interrogations et de tâtonnements propres à chaque génération, rendus aujourd'hui foisonnants devant un monde incertain.The spirit of “heritage” “The objectification of a spirit” is the way Paul Veyne describes the heritage industry. It is one of these intuitions which create a distanced familiarity which is believed to be necessary, available yet never complete. Nowadays, heritage concerns art, architecture, history, culture and nature. It simultaneously makes the right to memory, time, and culture a shared duty to administer the world in a variety of ways which are not necessarily coherent. I concentrate on the topics of place, culture, and lived practice and I ask “What is involved?” and “What does it do? ” Certain features seem to recur. A variety of actors exercise their varied right to authority and on that basis create a type of political action that potentially goes beyond its original declared purpose. Such an enterprise may well be the outline for a new type of participatory democracy. In this way the heritage industry is perhaps the expression of the multiplicity and disorder of the questionings and explorations of every new generation in an uncertain world.
- Anthropologie et transmission - David Berliner p. 4-19
Repères
- Des Savoyards à Paris : les cols rouges de l'Hôtel Drouot - Stéphane Arpin p. 128-145 Les « cols rouges », à travers leur monopole de métier au sein de l'hôtel des ventes Drouot, sont un objet ethnologique et sociologique privilégié pour comprendre comment les provinciaux de Paris ont pu accéder à une intégration économique et culturelle via la constitution de communautés de travail à partir du xixe siècle. « Gens de bras », selon l'expression en usage alors pour désigner ces journaliers qui vendaient leur force de travail, les cent dix commissionnaires de l'Hôtel Drouot, appelés familièrement « cols rouges » en raison de leur uniforme, gèrent une communauté de travail dont l'origine remonte à 1832 : l'Union des commissionnaires de l'hôtel des ventes (uchv). Fondée sur la tradition, la parenté et le secret, cette communauté de travail a constitué une réponse à la question sociale affectant les indigents Savoyards de Paris par la création et la défense d'un monopole de métier au cœur du marché de l'art français. Or, à partir de décembre 2009, placée au centre d'une affaire de vols et trafic d'œuvres d'art par la mise en examen de huit commissionnaires pour « vols en bande organisée », l'uchv traverse la pire crise de son existence. Institution d'un autre siècle, elle tente de se réformer, non sans réticences et nostalgie, pour s'adapter à la modernité du xxie siècle, et maintenir une existence aujourd'hui menacée.Savoyards in Paris: the red collars of the Hôtel Drouot The flowering and disgrace of a closed shop The closed shop operated by the “red collars” of the Hôtel Drouot salerooms is a prime sociological and ethnological subject for understanding how, in the nineteenth century, communities from the provinces succeeded in integrating themselves economically and culturally in Paris by means of their communal monopolies over certain trades. Such workers employed by the day were in the nineteenth century called “gens de bras”: people who worked with their arms. Among them the hundred and ten commissionaires of the Hôtel Drouot, known informally as the red collars because of their uniform, constituted themselves in 1832 into a “work community” called Union des commissionnaires de l'hôtel des ventes (uchv). Based on tradition, secrecy, kinship, this community of work was able to help the poor Savoyards in Paris through their closed shop operating at the very heart of the Parisian art market. However, in 2009 eight commissionaires are accused of organised theft and as a result the uchv goes through the worst crisis in its history, finding itself at the centre of a most serious affair concerning theft and the trafficking of art works. In spite of a certain amount of nostalgia and resistance the uchv attempts to reform itself from a nineteenth century institution into a twenty first century body and to continue in the face of threats to its very existence.
- Des Savoyards à Paris : les cols rouges de l'Hôtel Drouot - Stéphane Arpin p. 128-145