Contenu du sommaire : L'imaginaire écologique
Revue | Terrain |
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Numéro | no 60, mars 2013 |
Titre du numéro | L'imaginaire écologique |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Revue de presse du numéro 60
L'imaginaire écologique
- L'imaginaire écologique - Vanessa Manceron, Marie Roué p. 4-19 Ce numéro de Terrain rassemble les contributions d'auteurs qui s'intéressent à la manière dont les mouvements et les groupes qui se réclament ou s'inspirent de l'écologisme œuvrent aujourd'hui comme force de contestation et de proposition politique et sociale. Les rêves libertaires de contre-société se sont éloignés et l'écologisation de nos sociétés est en marche. Peut-on pour autant parler de la fin des grandes espérances ? C'est l'une des questions que pose ce numéro, en s'attachant à décrire comment les rapports aux lieux, aux milieux et au vivant sont mobilisés çà et là, et ouvrent toujours des horizons d'action et de transformation. L'écologisme apparaît à présent comme un monde échevelé et diversifié, particulièrement conflictuel, mais qui permet aussi de multiples formes d'arrangements avec le réel et qui de fait le transforme, en accommodant des mondes que l'on pensait irréconciliables.This issue of Terrain concerns the ways in which ecologically minded movements and groups have today become social pressure groups and sources of political and social proposals. The utopian dreams of alternative types of society have faded and instead our societies are becoming more ecological in a practical way. Does this change mark the end of grand hopes of transformation? This issue of Terrain attempts to answer this question by looking at how local and social contexts are used to create new horizons for present action and in the future. The ecological movement seems today highly diversified, going every which way, highly confrontational but nonetheless able to deal with real situations and thereby creating a multiplicity of ways in bringing together worlds which seemed at first incompatible.
- L'Église catholique et la cause de l'environnement - Isacco Turina p. 20-35 Depuis les années 1970, le magistère des papes a pris en compte la critique écologique et en a proposé une version compatible avec la tradition catholique. À ces déclarations, le Vatican n'a guère donné suite par un engagement efficace et cohérent. En Amérique latine cependant, où l'écologie et la cause des pauvres sont étroitement liées, la théologie de la libération et les « communautés de base » ont sérieusement abordé les problèmes environnementaux.Since the 1970s the teaching of popes has taken into account ecological critiques and reformulated these pronouncements so as to make them compatible with catholic tradition. In spite of such declared positions the Vatican has not followed through with effective or coherent programmes. In Latin America, however, where the fight against poverty and ecology have been closely linked , liberation theology and “base communities” have taken on the matter of the problems of the environment matter more seriously.
- L'alternative écologique - Geneviève Pruvost p. 36-55 Cet article se fonde sur une soixantaine de récits de vie ayant pour thème « vivre et travailler autrement », autrement dit les « alternatives écologiques au quotidien ». Les entretiens révèlent qu'emprunter les chemins de traverse permettant de vivre de telles alternatives en zone rurale relève de tâtonnements et d'une conquête perpétuelle, très réfléchie, que l'on soit ou non issu d'une famille déjà engagée dans cette démarche ou vivant à la campagne. À rebours de l'utopie communautaire des années 1970, on fait par ailleurs le constat d'un mode de vie en réseau organisé à partir d'une vie de couple dans des maisons individuelles. La conversion du travail en art de vivre et en action collective visant le « bien vivre ensemble » constitue la trame de témoignages qui se présentent comme des expériences à portée de main, à partir du moment où saute l'obstacle (présenté comme idéologique, non seulement matériel) de l'accès à l'autoproduction. Cet article entend mettre en évidence le continuum entre travail domestique, labeur, oeuvre, activité professionnelle et militance, qui caractérise ces formes d'engagement écologique contemporaines.This paper is based on approximately sixty life stories concerned with ways of living and working which are intended to be ecologically sound. These accounts show that these alternative paths, situated in rural environments, reveal a variety of tentative attempts or achievements. This is so whether those concerned be newcomers or people already living in the countryside. Instead of the communal utopian ideals of the 1970s we now find people favouring networks of couples living in separate homes. The theme of making work a kind of art of living and collective action recurs. This is seen as accessible when the ideologically motivated idea of autoproduction has been abandoned. This paper shows how establishing continuities between housework, labour, professional activity and militancy characterises these modern forms of the ecological movement.
- Hymnes à la vie ? - Sergio Dalla Bernardina p. 56-73 Les animaux taxidermisés sont revenus à la mode. Les raisons de cet engouement sont multiples, allant de l'amour pour les sciences naturelles à la passion pour le « vintage ». En toile de fond, l'idéalisation du rapport à la nature (tout ce qui est naturel est beau, sain et moral) et la nostalgie pour un monde féerique où les bêtes et les hommes auraient vécu en harmonie. Si l'animal mort nous intéresse, c'est qu'il renvoie au vivant. Mais il nous intéresse aussi, et peut-être davantage, en tant que mort : un mort multifonctionnel qui, grâce aux avancées de l'éthologie, s'apparente de plus en plus à un être humain.Stuffed animals are in fashion again. The reasons for this are several ranging from enthusiasm for natural science to the love of vintage objects. Behind all this is an idealisation of a link to nature (that is all is natural, beautiful, healthy and moral) and nostalgia for a fairy tale world when animals and people lived in harmony. What interests in dead animals is that they suggest the live ones. However, these stuffed animals also interest us for what is perhaps an even greater reason, because they have died of a multifunctional death which because of advances in ethology seems ever closer to human death.
- « Il y a un autre monde, mais il est dans celui-ci. » - Peter Collins p. 74-91 L'écologie, l'idée que nous devons protéger l'environnement contre nous-mêmes, n'est certes pas un mouvement récent. Cet article montre que les membres de la Société religieuse des Amis (ou quakers) de Grande- Bretagne font preuve depuis le milieu du xviie siècle, dans leurs croyances et leurs pratiques, d'une écologie avant la lettre. La première génération de quakers est une secte protestante très unie qui croit en un Dieu intérieur. Très critique à l'égard de la « mondanité » de l'Église et de l'État, elle instaure certaines pratiques qui privilégient et exemplifient un mode de vie simple. En adoptant cette façon de vivre, les quakers ont développé une foi et une pratique religieuses qui les a toujours obligés à prendre sérieusement en considération les tenants et aboutissants de la consommation, pensée comme une menace contre le monde naturel. Depuis quelques décennies, cette tendance s'intègre de plus en plus à une approche ouvertement politique des questions écologiques.Environmentalism, as an understanding that we need to protect the environment from ourselves, is hardly a new movement. This paper describes the ways in which those belonging to the Religious Society of Friends (Quakers) in Britain have demonstrated in their beliefs and practices a prototypical environmentalism since the mid-seventeenth century. A close-knit, Protestant sect, the first generation of Friends, believing in an inward God, were critical of the “worldliness” of both the Church and State and established number of practices privileging and exemplifying a simple life-style. In adopting a plain manner of living Quakers have developed a faith and practice that has always necessitated serious consideration of the means and ends of consumption, understood as a potential threat to the natural world. In recent decades this tendency has increasingly meshed with a more overtly political approach to environmental issues.
- Utopies universalistes - Sophie Houdart p. 92-107 Comment donne-t-on corps à une utopie ? La préparation de l'Exposition universelle qui s'est tenue au Japon, dans la banlieue de Nagoya, en 2005, est l'occasion de suivre le lent travail, à la fois conceptuel et matériel, au moyen duquel émerge une forme inédite de relations entre l'homme et la nature. Donnant la « redécouverte de la sagesse de la nature » comme nouveau métronome universel, les concepteurs de l'Expo 2005 et les architectes appelés à œuvrer au projet devaient entre autres sortir leur proposition de l'étau local dans lequel elle avait vu le jour, pour la porter à une autre échelle en la transformant en véritable alternative de développement pour les sociétés technicisées. C'est cet épineux parcours qui est suivi dans cet article, qui se concentre plus particulièrement sur les propositions architecturales destinées à faire de cette Expo 2005 la première Exposition universelle non moderne.How can one donate one's body to a utopia? The preparations of the universal exposition which was held in Japan in a suburb of Nagoya in 2005 offers the opportunity to follow the conceptual and material work which enabled the emergence of a new type of relation between humans and nature. The Expo 2005 adopted the theme of the “rediscovery of the wisdom of nature” which was to be a new universal metronome. The organisers and the architects working on the Expo were asked to free their proposals from the local stranglehold where it had been conceived so as to achieve a universal scale which was to be a veritable alternative for the future of technicised societies. This paper follows this difficult journey and pays special attention to the architectural proposals which were to make Expo 2005 the first non-modern universal exposition.
- Les éoliennes : vertes et vertueuses ? - Christine Hugh-Jones p. 108-131 Les turbines éoliennes, qui sont devenues un élément industriel caractéristique des campagnes européennes, sont de plus en plus controversées. D'âpres batailles ont lieu localement au sujet de projets de parcs éoliens, et des alliances se nouent autour de cet enjeu entre des particuliers et des groupes, qui, bien que se référant à des systèmes de valeurs radicalement différents – pro et antiéoliens –, n'en appellent pas moins aux mêmes notions de « communauté locale » et de justice sociale. Cet article s'appuie sur des exemples britanniques pour montrer comment un secteur industriel de plus en plus riche et puissant est parvenu à manipuler le concept « vert » pour convaincre des partis politiques, le mouvement écologiste traditionnel et des organisations de sauvegarde de la nature que l'énergie éolienne était un impératif moral. Cette présomption a eu pour conséquence une politique d'aménagement du territoire encourageant la construction de turbines éoliennes, et étouffant le débat au niveau national.Wind turbines are an increasingly controversial industrial feature of the European countryside. In the bitter local battles over individual wind farm proposals, single-issue alliances are made between individuals and groups with radically different sets of values with both pro- and anti-wind farm campaigners appealing to “the local community” and social justice. This paper uses British examples to show how an increasingly rich and powerful wind energy sector has manipulated the concept of “green” to convince political parties, the traditional green movement and conservation organisations that wind energy is a moral imperative. This presumption has resulted in a planning structure with an inbuilt positive feedback mechanism accelerating the rate of positive planning decisions and has effectively stifled national debate.
- Slow versus fast - Valeria Siniscalchi p. 132-147 En s'appuyant sur le travail ethnographique mené par l'auteur depuis 2006 sur le fonctionnement et les dynamiques politiques et économiques de Slow Food (en France d'abord et dans le quartier général en Italie ensuite), l'analyse porte sur l'articulation entre la dimension politique du mouvement, sa philosophie et ses actions dans le champ de l'écologie. Créé en Italie au milieu des années 1980, Slow Food est devenu en moins de vingt ans un mouvement international qui regroupe près de cent mille membres dans divers pays du monde. Au fil de son évolution, ses champs d'action et d'intervention se sont élargis et des nouvelles philosophies ont été élaborées. À partir de la dichotomie slow / fast, et en suivant ses transformations au fil du temps, le texte analyse les différents registres du temps mobilisés par Slow Food, leurs connexions avec le plan politique et économique ainsi que les imbrications et les tensions qui existent entre économie et écologie à l'intérieur du mouvement.This paper is based on ethnographic research carried out by the author since 2006, first of all in France and then at the headquarters of in Italy. It concerns the functioning and the economic and political dynamics of Slow Food. The analysis examines the articulation between the political dimension of the movement and its “philosophy” and actions in the field of ecology. Slow Food was created in Italy in 1980s and in less than twenty years it has become an international movement to which nearly hundred thousand members belong worldwide. As it has evolved, its field of action and intervention has widened and new “philosophies” have been elaborated. The text follows the way the slow / fast dichotomy has, through time, been used in a variety of ways and examines different registers used by Slow Food, its political and economic connections and interactions as well as the tensions created within the movement by the relation of economy to ecology.
- L'imaginaire écologique - Vanessa Manceron, Marie Roué p. 4-19
Repères
- Isac Chiva, ethnologie et politique patrimoniale - Noël Barbe p. 148-163 La Mission du patrimoine ethnologique du ministère de la Culture naît, au début des années 1980, d'une opportunité partagée entre une politique et une discipline. La discipline, l'ethnologie de la France, manque à ce moment-là de lieux propres, dans les établissements d'enseignement supérieur comme dans ceux de recherche. Son objet, le « proche », fait par ailleurs discuter sa légitimité scientifique. La politique, installée à la direction du Patrimoine du ministère, entend quant à elle réguler des activités patrimoniales amateures, qui foisonnent alors. C'est à ce point de rencontre entre science et politique que se constitue le patrimoine ethnologique théorisé par Isac Chiva (1925- 2012), qui s'attache à le construire comme une notion. Chiva pratiqua pour ce faire une série d'opérations intellectuelles : rupture, dans son esprit sans doute épistémologique, avec les usages idéologiques du mot « patrimoine » ; insertion dans l'histoire de la discipline ; emprunts à d'autres disciplines telle la génétique des populations ; définition positive de la notion qu'il lie étroitement à la recherche. Du côté de la politique, ce projet disciplinaire servira de point d'appui contre une ethnologie dite « sauvage ».The Mission du patrimoine ethnologique (the sub-department for ethnological heritage) of the French Ministry of Culture was created in early 1980s because of an opportunity to create a link between a policy and a discipline. At the time the study of the ethnology of France lacked a home in higher education or research institutions. The fact that it concerned the familiar made its academic legitimacy suspect. On the political side, the creation of a sub-department was intended to regulate amateur heritage activities which were very numerous at this time. It was then, in the wake of this coming together between science and a government institution, that Isac Chiva (1925-2012) set out to transform the idea of “ethnological heritage” into a theoretical entity. From the political point of view this disciplinary project was a lever against an ethnology said to be “uncontrolled”.
- Isac Chiva, ethnologie et politique patrimoniale - Noël Barbe p. 148-163