Contenu du sommaire : Virus
Revue | Terrain |
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Numéro | no 64, mars 2015 |
Titre du numéro | Virus |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Virus
- Virus - Nicolas Auray, Frédéric Keck p. 4-13 Ce dossier de Terrain compare la gestion des virus dans les systèmes biologiques et informatiques. Le virus étant défini comme un morceau d'information qui mute en se répliquant, il révèle les vulnérabilités des systèmes qu'il parasite. Les articles de ce dossier proposent donc une ethnographie des virus entre phénoménologie de la vigilance et écologie des infrastructures matérielles. Par-delà la fascination pour la contagion ou le poison, il s'agit de décrire ce que signifie vivre avec les virus.This issue of Terrain compares the management of viruses in biological and computational systems. A virus being defined as a piece of information that mutates while replicating, it reveals the vulnerabilities of the systems it parasites. The articles in this volume propose an ethnography of viruses between a phenomenology of vigilance and an ecology of material infrastructures. Beyond the fascination for contagion or poison, it asks what it means to live with viruses.
- Dr Popp et la disquette Sida - Antonio A. Casilli p. 14-31 En 1989 éclate l'affaire de la « disquette Sida », l'un des premiers scandales internationaux dans l'histoire du piratage informatique. En s'appuyant sur une enquête qui sollicite les protagonistes de l'affaire et restitue autant la réaction médiatique que la scène de l'activisme technologique de l'époque, ce texte explore les liens entre imaginaires du corps, savoirs médicaux et conflictualité politique – et montre dans quelle mesure notre compréhension actuelle du rôle socialisant des technologies numériques a été façonnée par la notion de viralité élaborée à la fin du XXe siècle.In 1989 the affair of the “Aids floppy disk” came to the fore. It is one of the first cases of an international scandal in the history of cyber piracy. Basing itself on interviews of the participants in the affair, on reconstructions of media reaction as well as on the the context of technological activism of the time, the paper explores the links between the imagination of the body, medical knowledge and political conflicts. It shows how much of our contemporary understanding of computer technologies is coloured by ideas of viral infection which took form at the end of the twentieth century.
- L'invisible et le clandestin - Nicolas Auray p. 32-49 L'article étudie les êtres spécifiques de l'écologie virale du monde numérique (vers géants, virus et « machines zombies ») en insistant sur deux caractéristiques. D'une part, le fait que les vers informatiques, entités de taille aujourd'hui titanesque, sont un mixte d'émergence par pression sélective dans le milieu et de « contrôle intentionnel planifié », par des êtres humains organisés. D'autre part, le fait que leur propagation repose sur l'exploitation de la curiosité des internautes. L'insécurité liée à la menace qu'ils font planer sur le réseau se nourrit ainsi des failles d'un agir exploratoire à la direction forcément imprédictible. De ce point de vue, l'article documente une fragilité au centre de la « société de l'information ». L'enquête ethnographique étudie les méthodes de chasse et d'endiguement mises en place par les industriels informa- tiques pour amoindrir cette vulnérabilité.The paper examines two aspects of the specific beings which inhabit the viral ecology of the computer world (giant worms, viruses and “zombie machines”). The first is the fact that computer worms (entities which by now are huge) emerge as a result of selective pressures occurring from within that world of “intentional planned control” created by organised human beings. The second is the fact that their propagation is the result of the curiosity of the internauts themselves. The insecurity which these entities causes feeds on unpredictable exploratory activity. The paper documents the fragility which exists at the very heart of the “information society”. This ethnographic study examines the methods created by the industrial producers of information technology for hunting out and limiting damage in order to lessen the vulnerability of their systems.
- L'alarme d'Antigone - Frédéric Keck p. 3-19 Cet article retrace la controverse qui eut lieu en 2011-2013 autour de la mutation du virus de grippe H5N1, le rendant transmissible entre mammifères. Cette controverse portait sur des questions de biosécurité, en invoquant la possibilité d'un usage terroriste ou d'une échappée accidentelle du virus mutant. En suivant la perspective d'un de ses acteurs principaux, Ron Fouchier, professeur de virologie au centre médical Érasme de Rotterdam, l'article montre qu'il s'agit pour les virologues d'anticiper en laboratoire les mutations des virus dans la nature, et interroge les critiques internes au monde des « chasseurs de virus » au sujet de leurs stratégies de communication.This article traces the controversy that took place in 2011-2013 around the mutation of the h5n1 influenza virus, which made it transmissible between mammals. This controversy raised issues of biosecurity, particularly questions of “dual use” or accidental release of the mutant virus. The article takes the perspective of one of its main actors, Ron Fouchier, virology professor at the Erasmus Medical Centre in Rotterdam. It shows how virologists anticipate in the lab viral mutations occurring in nature, and interrogates how this “virus hunting” strategy can be criticized from within the world of virologists.
- Bricoler le vivant dans des garages - Morgan Meyer p. 68-83 La « biologie de garage » suscite des interprétations variées. D'un côté, on s'inquiète face aux risques potentiels (bioterrorisme, contamination, fabrication de virus). De l'autre, elle permettrait de rendre la science plus démocratique et citoyenne. La comparaison fréquente avec Steve Jobs suggère même un fort potentiel économique. Le garage symbolise donc la liberté de penser de façon non conventionnelle, en dehors de contraintes économiques, politiques, académiques et institutionnelles. En même temps, un garage qui n'est pas surveillé, sécurisé ni contrôlé est vu comme un lieu propice au bioterrorisme. La comparaison entre le bioterroriste fabriquant un virus et le génie innovant nous permet de distinguer deux types de viralité : une viralité due à des « petits êtres » difficiles à confiner et à rendre visibles, et une viralité produisant des « grands êtres » singularisés et très visibles. La différence entre ces deux types de viralité est d'ordre sémantique, ontologique et institutionnel.“Garage biology” provokes varied reactions. On the one hand, there is concern regarding potential risks (bioterrorism, contamination, fabrication of viruses). On the other hand, it could render science more democratic and open to citizens. The frequent comparison with Steve Jobs even suggests a strong economic potential. The garage comes to symbolize the freedom to think in a non-conventional way, outside of economic, political, academic and institutional constraints. At the same time, a garage that is not monitored, secured and controlled is seen as an ideal haven for bioterrorism. The comparison between the bioterrorist manufacturing a virus and the genius creating innovation will allow me to distinguish two types of virality: a virality due to “small beings” difficult to contain and render visible and a virality producing “grand beings”, singled out and very visible. The difference between these two types of virality is semantic, ontological and institutional.
- Réimaginer des communautés ? - Charlotte Brives, Frédéric Le Marcis p. 84-103 En 1990, l'introduction des antirétroviraux (ARV) a constitué un changement majeur dans la lutte contre l'épidémie de VIH sur le continent africain, modifiant les rapports entre les individus et le virus dont ils étaient porteurs. Si les individus séropositifs se vivaient ou étaient perçus comme victimes de la pandémie ou des violences structurelles, la médicalisation de la prévention depuis 2008 apparaît comme une autre évolution importante car elle implique la mise sous traitement précoce de patients pourtant asymptomatiques. Cette configuration nouvelle, productrice de relations inédites entre le corps, le virus, soi et les autres n'est dans l'immédiat observable que dans le cadre précis des essais cliniques. Cet article, en prenant pour objet l'analyse des conditions et des conséquences de la participation de sujets d'un pays du Sud, infectés par le VIH, à un essai portant sur la mise sous traitement précoce, permet de réinterroger à nouveaux frais la question de la vie avec le virus, et de documenter les conséquences globales d'un changement biotechnologique majeur dans les relations entre les humains et les virus.The introduction of anti retrovirus drugs in the 1990 caused a major change in the fight against the epidemic of the HIV virus on the African continent. This modified relations between individual people and their relation to the virus they were carrying. If previously seropositive individuals saw themselves, or were seen by others, as victims of the pandemic or of structural violence, the medicalisation of prevention from 2008 onwards brought about a major change since it implies the giving of early treatment to apparently a-symptomatic patients. This new situation which causes new relations between the body, the virus, the self and others is, at first, only visible within the narrow framework of clinical trials. This paper focuses on the analysis of the conditions and consequences of participation by carriers of the virus in a country of the South to a trial of a form of early treatment. This study enables the re-examination of questions concerning what life with the virus is like and enables documenting the global consequences of a major biotechnological shift in the relations of humans and the virus.
- Vade retro virus - Thierry Bardini p. 104-121 Avec l'aide de récents résultats de la virologie, le présent article se concentre sur les virus en tant que participants d'une possible redéfinition de la frontière inférieure de la vie, en tant que vie minimale. À l'heure du triomphe de la viralité dans la cyberculture contemporaine, l'auteur avance que l'on devrait considérer les virus comme les premières formes d'entités convergentes, c'est-à-dire existant par-delà la division du monde en deux phases distinctes et incompatibles, numérique et analogique. En considérant les virus comme des agents fondamentaux de l'évolution du vivant, il insiste sur le fait qu'il est grand temps de dépasser une conception purement négative de ces formes de vie, jusqu'à il y a peu uniquement regardées en tant que parasites ou agents infectieux.With the help of recent findings in virology, the present paper focuses on viruses as crucial participants in a possible redefinition of the lower boundary of life, as minimal life. At the time of the triumph of virality in contemporary cyberculture, the author argues that we ought to consider viruses as the first kind of convergent entities, that is to say entities that exist beyond the division of the world in two distinct and incompatible phases, digital and analogic. In considering viruses as fundamental agents in the evolution of life, he insists that it is high time to overcome a purely negative conception of these forms of life, until recently only considered as parasites or infectious agents
- Virus - Nicolas Auray, Frédéric Keck p. 4-13
Repères
- D'un mirage, l'autre - Jean-Pierre Piniès p. 3-9 Ultime étape dans la volonté de reproduction du réel, la photographie est longtemps apparue comme un instrument privilégié de l'ethnographie tant elle prétendait réduire la distance à l'imaginaire pour sacrifier au fait. Des générations de praticiens, de Walker Evans à Henri Cartier-Bresson ont mis fin à ce leurre en montrant que, art avant tout, la photographie ne saurait se laisser enfermer dans un tel carcan. À son tour, Sylvie Goussopoulos s'essaie à l'exploration de ce territoire où le témoignage sait laisser toute sa place à la vision personnelle. Photographiant les femmes au travail, pêcheuses de coquillages de l'étang de Thau ou femmes des mers du Sud de la Chine, elle ouvre ainsi un large champ à une réflexion sur le travail et l'imaginaire que ces femmes mettent en place tout en montrant l'impossible sécabilité, pour le photographe, entre son désir de dire le cœur du monde et celui d'exalter la création esthétique.As a final stage in the attempt to reproduce the real, photography has long seemed a privileged tool for ethnography since it claimed to abolish the distance created by imagination on the altar of facts. However generations of practitioners, from Walker Evans to Henri Cartier-Bresson, have laid such an illusion to rest by showing that art, especially photography, could not be limited to such a framework. Thus Sylvie Goussopoulos explores the territory created by the interval between testimony and the room needed for a personal vision. In her photographs of women at work, fishing for shell fish in the Étang de Thau or of women from the South China Sea, she opens up the necessary space for a reflection on work and the imagination which these women create. She shows thus how impossible it is for the photographer to abolish her desire to tell about the heart in the world and of the exaltation of artistic creativity.
- La muse de l'anthropologie américaine - Amalia Dragani p. 130-143 Cet article porte sur la pratique poétique des anthropologues américains, à la fois révélatrice d'enjeux institutionnels majeurs et catalyseur d'une densité relationnelle conséquente. Il met en évidence trois occurrences successives dans l'histoire de l'anthropologie américaine, où les chercheurs ont montré un intérêt prononcé pour la poésie, soit parce qu'ils en produisaient eux-mêmes, soit parce qu'ils trouvaient un intérêt particulier à l'étudier. Une première période coïncide avec les années de la fondation de la discipline (1920-1930) et c'est l'activité poétique d'Edward Sapir et de Ruth F. Benedict qui est examinée, surtout sous l'angle des hésitations qu'ont pu connaître l'un et l'autre représentant de l'école « culture et personnalité » dans le choix entre des carrières de poète ou d'anthropologue. Une deuxième période montre le lien entre les poètes de la beat generation et les ethno-poètes fondateurs de la revue Alcheringa Ethnopoetics (1960-1970). Une dernière période prend en compte les années du poetic turn et du post-modernisme (à partir de 1980) qui coïncident avec des publications individuelles et collectives de field poetry (poésie anthropologique) et l'instauration d'institutions telles que les concours et les prix de poésie anthropologique.This paper deals with the poetical practice of American anthropologists which both reveal important institutional issues and the intensity of relationships which this caused. It illustrates three consecutive periods during the history of American anthropology when researchers have shown a heightened interest for poetry, either because they themselves wrote some or because they were particularly interested in studying it. The first period corresponds to the foundational period of the discipline (1920-1930). For this the work of Edward Sapir and Ruth F. Benedict is examined. More particularly the paper focusses on the hesitation of these two representatives of the “culture and personality” school between a career in anthropology and poetry. The second period shows the link between the poets of the Beat Generation and the ethno-poets who founded the journal Alcheringa Ethno-poetics (1960-1970). The last period studied concerns the “poetic turn” and post-mod- ernism (from the1980) which coincides with individual and collective publications of “field poetry” (anthropological poetry). This period corresponds to the setting up of institutions such as competitions and prizes for anthropological poetry.
- Traverser sur un fil - Charlotte Pescayre p. 3-15 La maroma (corde épaisse utilisée par les marins) a donné son nom à une expression spectaculaire, rituelle et festive pratiquée par des groupes d'artistes-paysans indigènes et métis dans les régions rurales du Sud du Mexique. Le « spectacle » inclut des acrobates, danseurs de corde, clowns, trapézistes, musiciens, et s'effectue à l'occasion de festivités communautaires. Actuellement, les collectifs de maromeros sont à la fois pris dans des processus de patrimonialisation et de « cirquisation ». Ce dernier s'instaure à partir de l'autodéfinition des collectifs de maromeros en tant que « cirque indigène » et de la revendication de cette tradition indigène par des cirques classiques qui souhaitent asseoir leur réputation. Cet article examine ces différents processus ainsi que les transformations esthétiques, sociales et culturelles qu'ils engendrent au niveau local.The maroma (a thick rope used by sailors) is the name that has been given to a form of spectacular ritual celebration practiced by groups of indigenous or mestizo artist/ peasants from rural areas of southern Mexico. The “shows” which involve acrobats, rope dancers, clowns, trapeze artists and musicians occur as part of communal celebrations. Recently maromeros collectives have been caught up in a dual process which renders them at the same time ever more heritage and circus like. This latter process is caused by the self-definition of maromeros collectives who present themselves as members of “indigenous circuses” as well as by the claim of classical circuses to being part of the tradition. The paper examines these processes and the aesthetic, social and cultural transformations which the processes bring about at the local level.
- D'un mirage, l'autre - Jean-Pierre Piniès p. 3-9