Contenu du sommaire : Dossier : Chamanisme et art rupestre
Revue | Afrique & histoire : revue internationale |
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Numéro | vol. 6, no 2, 2006 |
Titre du numéro | Dossier : Chamanisme et art rupestre |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
- Éditorial - Jean-Loïc Le Quellec p. 7-11
Dossier : Chamanisme et art rupestre
- L'idée de « contact direct avec des esprits » et ses contraintes d'après l'exemple de sociétés sibériennes - Roberte N. Hamayon p. 13-39 Cet article propose une réflexion sur l'idée que le chamane est, durant l'action rituelle, « en contact direct avec des esprits ». Cette idée est considérée comme le principe fondateur du chamanisme et occupe, à ce titre, une place centrale (mais de sens et de portée variables) dans la plupart des définitions existantes. L'analyse de données provenant de sociétés sibériennes à l'époque pré-soviétique permet de mettre en évidence plusieurs formes de « contact direct », correspondant à des types d'action différents à l'égard de types d'esprits différents. Les esprits, étant par définition invisibles et n'ayant d'existence que dans la pensée des intéressés, il s'agit, pour le chamane, de se conduire en sorte de « représenter » au sens de « rendre (symboliquement) présents » les esprits et les rapports qu'il est supposé avoir avec eux : ébats, combats, incorporation etc. Les exemples produits montrent que le « contact direct avec des esprits » est l'expression d'un système symbolique et non d'une disposition psychique comme le donnent à penser certaines formulations, telles celles en termes de « transe » ou d'« extase ».This paper aims at analyzing the idea that shamans get “into direct contact with spirits” through ritual processes. This notion is currently held to be the principle core of shamanism; therefore it is given, with variations in meaning and significance, a central place in the majority of existing definitions on the subject. Analysis of ethnographical data from Siberian societies collected prior to the soviet era allows new light on several forms of “direct contact” corresponding to different types of actions directed at different kinds of spirits. The spirits being by definition invisible, it is the shaman's task to make the audience understand that the spirits are “present” in the ritual; on this account, the shaman concretely mimes the actions the spirit is expected to undertake: mating, fighting, impersonating. The examples given in this paper show that the notion of “direct contact with spirits” is an expression of a symbolic system rather than that of a psychic state as some formulations such as those in terms of “trance” or “ecstasy” would suggest.
- L'extension du domaine du chamanisme à l'art rupestre sud-africain - Jean-Loïc Le Quellec p. 41-75 L'interprétation chamanique des images rupestres du monde entier constitue désormais une vulgate systématiquement entonnée tant par les médias que par les spécialistes en mal de grille de lecture. Cette interprétation, qui croise aussi bien l'intérêt du public pour l'art des grottes que la mode actuelle du néo-chamanisme, résulte de la généralisation au monde entier d'une théorie qui avait été établie à l'origine pour comprendre les arts rupestres d'Afrique du Sud. Quelque vingt-cinq ans après son élaboration, on examine ici les bases ethnographiques et méthodologiques d'une façon de voir qui s'avère être d'une grande fragilité dans le domaine africain auquel elle est supposée s'appliquer en premier. Il en résulte que son élargissement à d'autres zones ne devrait plus être de saison.The shamanic interpretation of rock paintings is today used by the media as well as by many specialists world wide. The public's interest for cave art meets today's fashion on neo-shamanism. The theory was elaborated originally to explain South African rock art and then extended to the rest of the world. The ethnographical and methodological basis of this approach is examined here 25 years after its elaboration. This paper reveals the very fragile construction of the evidence in the area it was meant for in the first place (Africa). In consequence the application to other zones appears quite out of place.
- Roots and revolutions: a critical overview of early and late San rock art research - Anne Solomon p. 77-110 Si l'art rupestre des chasseurs-collecteurs d'Afrique australe est très connu, c'est peut-être moins pour lui-même que pour l'approche « neuropsychologique » qu'il a inspirée à des chercheurs d'autres régions. Pourtant, un bref survol historique montre que les vues de George Stow, le fondateur des recherches sur cet art (ou cette ensemble de séquences artistiques) au XIXe siècle a définitivement déterminé les approches ultérieures. Certains pensent que les directions de recherches prises depuis les années 1980, reliant les arts des San à des rituels chamaniques et au fonctionnement neuronal de tous les humains modernes, ont révolutionné notre compréhension de l'art rupestre d'Afrique du Sud. Dans cet article, j'expose que ce changement d'explication est un produit du temps. Le retour à la façon de voir de Stow, étonnante bien que limitée, permet d'alimenter un retour des recherches en art rupestre vers une compréhension plus large, interdisciplinaire, des arts visuels des San et de leurs prédécesseurs préhistoriques.The rock art of southern African hunter-gatherers is widely known, though perhaps less for itself than for a « neuropsychological » approach to it that has been emulated by rock art researchers elsewhere. However, a brief historical overview of southern African rock art shows that the insights of George Stow, the founder of research into this art (or suite of arts) in the late nineteenth century has permanently shaped the contours of subsequent work. Some believe that research directions in South African rock art research since the 1980s, relating San arts to shamanic rituals and the neurological functioning of all modern humans, have revolutionized our understanding. In this paper I propose that this alleged explanatory revolution is a product of its time. Revisiting the astonishing, if circumscribed, vision of Stow has the potential to fuel a return of rock art research to a more wide-ranging, expansive and interdisciplinary understanding of the visual arts of the San and their predecessors in prehistory.
- Archéologie ou mythologie ? Le modèle des « trois stades de la transe » et l'art rupestre d'Afrique du Sud - Patricia A. Helvenston, Paul Bahn p. 111-147 Cet article oppose une série de contradictions au modèle neuropsychologique dit des Trois Stades de la Transe (TST) proposé par Lewis-Williams et Dowson, modèle dont la popularité excède de loin la solidité de ses fondations empiriques. Lewis-Williams et Dowson ont écrit comme si le modèle TST avait été vérifié en Afrique du Sud, mais ce n'est pas le cas, ainsi que nous le montrons par un grand nombre d'objections documentées. De plus, comme ce modèle se base sur un type d'hallucination hautement spécifique ne pouvant être éprouvé qu'après l'ingestion de LSD, de mescaline ou de psilocybine, trois substances qui ne sont pas disponibles en Afrique du Sud, les San n'ont certainement pas expérimenté cette forme particulière de la transe (état altéré de conscience) au cours de leurs « danses de guérison », ainsi que les tenants du modèle TST l'ont proclamé. Comme ce modèle ne s'applique même pas à l'Afrique du Sud, on ne peut certainement pas dire qu'il s'applique à l'art Paléolithique des grottes européennes. D'un autre côté, Lewis-Williams et Dowson ont négligé l'existence de nombreuses substances psychoactives indigènes historiquement documentées, qui ont été utilisées par les San d'Afrique australe. Ces composés, susceptibles d'avoir influencé le comportement et l'expérience subjective d'états altérés de conscience, sont examinés dans cet article. Après la discussion des contradictions empiriques auxquels se heurte le modèle TST, nous concluons qu'il ne s'agit pas réellement d'une hypothèse archéologique, mais plutôt d'un mythe. Nous décrivons plusieurs cas précis dans lesquels une application naïve de ce modèle a fait beaucoup de dégâts dans le champ de l'archéologie, et nous concluons par la critique d'un travail excellent, mais lourdement grevé par le fait qu'on a voulu y plier les données factuelles pour les conformer au modèle TST, alors que les faits concrets étaient bien plus en accord avec d'autres interprétations, plus simples.This paper presents a number of challenges to the Three Stages of Trance (TST) or the neuropsychological model proposed by Lewis-Williams and Dowson, a model whose popularity far exceeds its empirical foundations. Lewis-Williams and Dowson have written as if the TST model had been accepted as fact throughout South Africa but this is not the case as we document with numerous critical objections. Furthermore, since the model is based upon a highly specific hallucinatory pattern that is only experienced following the ingestion of LSD, mescaline or psilocybin, none of which was available in South Africa, the San certainly didn't experience this particular form of trance (altered state of consciousness) in their “healing dances”, as proponents of the TST model have claimed. Moreover, as the model does not even apply to South Africa, it certainly cannot be said to apply to Palaeolithic cave art in Europe. On the other hand, Lewis-Williams and Dowson ignored many indigenous psychoactive substances that were historically documented to have been used by the San of South Africa and these compounds, as they may have influenced the behavioral and subjective experience of altered states of consciousness, are considered in this paper. Following this discussion of empirical challenges to the TST model, we conclude that it is not an archaeological hypothesis but rather a myth. We describe a number of specific instances in which the naive application of this model has done great harm to the field of archaeology and conclude with a discussion of an excellent study that was seriously flawed because the factual data were made to conform to the TST model when the empirical evidence was much more consistent with other, more parsimonious interpretations.
- Comportement animal, magie cynégétique et art rupestre de l'Afrique australe - John Francis Thackeray p. 149-160 En Afrique australe, l'art préhistorique comprend des images liées au concept de contrôle des animaux. La plus grande partie de cet art a été associée au chamanisme et à l'accès à un pouvoir surnaturel acquis au travers de la transe. Les théranthropes (mi-hommes, mi-animaux) ont souvent été interprétés en terme d'imagerie des états de conscience altérés. Pourtant, au moins quelques concepts de contrôle ont pu en partie être développés à partir de la capacité des chasseurs à prendre avantage du comportement de curiosité du gibier en utilisant des peaux pour se déguiser. De plus, il existe en Afrique du Sud des indications de l'emploi rituel de telles peaux. On suggère ici que certains de ces rituels auraient pu utiliser le principe de la magie sympathique pour la chasse. Le chasseur aurait pris la forme d'un animal, et aurait été symboliquement blessé, dans l'idée que cela aurait contribué au succès de la chasse à venir. Le principe du contrôle sympathique ne devrait pas être rejeté, en tant que facteur ayant contribué au développement des concepts exprimés dans l'art rupestre d'Afrique australe.Prehistoric rock art in southern Africa includes images associated with concepts of control over animals. Much of this art has been related to shamanism and access to power through trance. Therianthropes (part animal, part human) have often been interpreted in terms of imagery associated with altered states of consciousness. However, at least some concepts of control may have developed in part from the ability of hunters to take advantage of animals curiosity behaviour when hunters used animal skins as disguises. Furthermore, there is evidence from southern Africa for the use of animal skins in rituals. It is suggested that some rituals may have incorporated the principle of sympathetic hunting magic. A hunter would take on the form of an animal, and would be symbolically wounded in the belief that this would contribute to success in a forthcoming hunt. The principle of sympathetic control should not be dismissed as a factor that contributed to the development of concepts expressed in southern African rock art.
- L'idée de « contact direct avec des esprits » et ses contraintes d'après l'exemple de sociétés sibériennes - Roberte N. Hamayon p. 13-39
Varia
- Les chemins de fer de Madagascar (1901-1936) : Une modernisation manquée - Jean Frémigacci p. 161-191 Durant le premier tiers du XXe siècle, un embryon de réseau ferré voit le jour à Madagascar, reliant les Hautes-Terres à la côte. Répondant à une volonté politique fondée sur les projections des colons et de l'administration, cette entreprise révèle, de sa conception à sa réalisation, une profonde indifférence à l'égard des logiques économiques et des impératifs techniques. Cette faillite s'accompagne en outre, de profondes répercussions sociales, dues au recours massif, quoique dissimulé, au travail forcé.During the first third of the XXth century, an embryonic railway network was built in Madagascar, linking the Highlands to the coast. Responding only to a political will based on projections emanating from the settlers and the administration, this enterprise gave little heed to either economical logic or to technical constraints. Because of massive, though hidden, use of forced labour, this misconceived project led to deep social consequences.
- Les chemins de fer de Madagascar (1901-1936) : Une modernisation manquée - Jean Frémigacci p. 161-191
Atelier
- Archives Khoisan : l'histoire comme champ de la musique - Emmanuelle Olivier p. 195-224
- Du nouveau sur l'ancêtre de Pouchkine - Henry Tourneux p. 225-234
Questions
- L'écriture de l'histoire de la colonisation en France depuis 1960 - Sophie Dulucq, Catherine Coquery-Vidrovitch, Jean Frémigacci, Emmanuelle Sibeud, Jean-Louis Triaud p. 235-276
Bulletin critique
- Bulletin critique - p. 277-314