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Revue | Revue historique |
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Numéro | no 676, octobre 2015 |
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- Philosophie et politique à la fin de la République romaine : les exemples de Lucrèce et Atticus - Laurent Anglade p. 739-770 L'auteur invite à revenir sur les relations entre l'épicurisme et la politique à la fin de la République romaine. Depuis un demi-siècle, le débat tourne autour du « républicanisme » ou du « monarchisme » supposé des Épicuriens. Toutefois, l'auteur propose de sortir de ce déterminisme pour étudier ces relations en fonction de l'opposition entre les Populares et les Optimates, à travers deux Épicuriens romains, Atticus et Lucrèce. Atticus est décrit comme Optimas par Cicéron et Cornélius Népos, alors que Lucrèce, dans ses introductions du De Natura Rerum, utilise un vocabulaire popularis. Les Épicuriens ne sont donc pas ni hors de la cité, ni en avance : ils sont intégrés au cœur des débats politiques contemporains.The author proposes to reconsider the relationship between Epicureanism and politics at the end of the Roman Republic. Since half-century, the debate revolves around the “republicanism” or the “monarchism” of the Epicureans. However, the author proposes to leave this determinism, and study these relationships around the opposition between the Populares and Optimates through two Roman Epicureans: Atticus and Lucretius. Atticus is described as Optimas by Cornelius Nepos and Cicero, while Lucretius, in his De Natura Rerum's introductions, uses a popularis vocabulary. The Epicureans are not or outside the city or in advance: they are embedded in the heart of contemporary political debates.
- « Ainsi doit-il être puni… » Le roi, le chevalier et le châtiment dans le Royaume latin de Jérusalem - Florian Besson p. 771-792 Au Moyen Âge, la justice est l'un des fondements du pouvoir : gouverner, c'est toujours, au moins en partie, punir les criminels, et, ce faisant, maintenir le monde en ordre. En sorte que travailler sur la façon dont, dans une société donnée, les châtiments et les méfaits s'articulent les uns aux autres, c'est pénétrer au cœur de la façon dont cette société pense, organise et vit le pouvoir. C'est ce que propose cet article à travers une relecture du Livre au Roi, recueil de lois féodales du Royaume latin de Jérusalem, compilé au tout début du xiiie siècle pour servir les ambitions du roi Amaury II de Jérusalem. Comportant de nombreux chapitres qui déroulent les différents crimes et les châtiments par lesquels il convient de les punir, le Livre au Roi offre l'image d'une société féodale en pleine recomposition, traversée des dyna- miques contradictoires que sont la réaffirmation d'une monarchie forte et l'émergence de puissants lignages seigneuriaux. Les châtiments contribuent dès lors autant à construire un ordre social idéal, dans lequel les chevaliers sont systématiquement placés au-dessus des bourgeois, qu'à redessiner un édifice politique dominé par la figure royale.The Livre au Roi is a juridical text compiled in the very first years of the twelfth century, probably to support the ambitions of king Amalric II of Lusignan. He ruled over the Latin Kingdom of Jerusalem between 1197 and 1205, thanks to his marriage with the queen Isabella, and tried to re-establish a strong monarchy. Reproducing assizes and customs of the Kingdom of Jerusalem, the author devotes several chapters to justice and punishments. As it has been demonstrated by Michel Foucault, there is a consubstantial link between justice, power, and the image that a society gives of itself: through the Livre au Roi, we try to understand how this link is re-forged in the feudal society of the Latin East. First of all, the question of justice reveals a lot about medieval minds and practices: the absence of the inquisitional procedure, the role of witnesses, the place of the justicial ordeal... We also aim to understand how the Livre au Roi, in itself, strengthens the social order: indeed, the text reaffirms constantly the superiority of the knights upon the burgesses. In particular, the knights were less harshly punished than the burgesses when they commited violent aggressions: the Livre au Roi imposed the bellatores as the only agents of legitimate violence. Finally, we try to show how the text reflected Amalric's will to re-impose the monarchy above the barons: by deliberately using anachronistic assizes and vocabulary, by claiming the right to judge, the king wanted to show himself as the direct successor of the powerful kings of the past. The Livre au Roi is at the very heart of Amalric's political program, but a fair number of chapters shows that this is only an ideal: the monarchy was forced to compose with a very powerful seigniorial class. The Livre au Roi must then be read anthropologically: it partook of the feudal conception of power and politic. It reveals a society which always prefer the circulation of power, if only symbolic, rather than the concentration of power.
- De la France à Barcelone. Une version catalane de « l'ordonnance perdue » de Charles VII sur les gens d'armes (1445) - Stéphane Péquignot p. 793-830 Le 3 avril 1445, les consuls de Perpignan adressent aux conseillers de Barcelone la copie de plusieurs lettres contenant des informations remarquablement précises sur la situation en France. Ils joignent la copie en catalan d'une ordonnance de Charles VII sur « les gens d'armes que le roi veut tenir et loger en son royaume » (éditée en annexes). Les raisons et les modalités complexes de la transmission de cette pièce justificative exceptionnelle font l'objet d'une première partie de l'enquête. La « copie de l'ordonnance » est ensuite examinée d'un point de vue formel, puis confrontée aux autres dispositions législatives contemporaines sur les gens de guerre en France et aux témoignages des chroniques. À l'issue de ce travail d'identification, la copie de Barcelone s'avère une version catalane de la fameuse « ordonnance perdue » sur les gens de guerre de Charles VII, une étape décisive dans le processus de création des compagnies d'ordonnance. La découverte permet notamment de préciser les listes des capitaines et les entités géographiques alors retenues pour le logement des gens d'armes. Elle conduit aussi à nuancer le caractère fondateur prêté à l'ordonnance. Il s'agit certes d'un projet de réforme générale et de contrôle des gens d'armes conçu pour l'ensemble des territoires sous domination royale, à l'exception du Languedoc, mais de nombreuses questions importantes sont laissées en suspens, une place est ménagée pour les adaptations et les négociations ultérieures sur le terrain, ce qui rendra ensuite nécessaire la confection d'autres ordonnances.On April the 3rd of 1445 the consuls of Perpignan sent to the consellers of Barcelona copies of various letters they had just received from France, which contained remarkably precise information about the situation in the neighbouring country. They also joined a Catalan copy of an ordonnance of Charles VII of France on “the men-at-arms that the king wants to keep and whom he wants to provide accommodation in his kingdom” (published in appendix). The reasons behind and the complex modalities of the transmission of this exceptional documentary evidence are the subject of the first part of this article. Subsequently, the “copy of the ordonnance” is examined under a formal point of view and then compared with other contemporary legal provisions concerning the men-at-arms in Valois France, as well as with the key testimonies of the chroniclers. At the end of this identification process, the copy of Barcelona turns out to be a Catalan version of the famous “lost ordonnance” of Charles VII concerning the men-at-arms, the issuing of which was a decisive step in the process of creation of the compagnies d'ordonnance. This discovery allows in particular to reassess the lists of the captains and of the geographical entities that were chosen for the accommodation of the men-at-arms. Finally, this article puts in a new light the foundational nature traditionally attributed to this lost ordonnance. It was indeed a project of general reform and of control of the men-at-arms that concerned the whole territory under royal domination, with the notable exception of Languedoc. Still, despite this document, many practical problems remained unresolved, and space was left for future adaptations and negotiations in the field, a situation that would result in the necessity of issuing other ordonnances in the following time.
- Profits, malversations, restitutions. Les bénéfices des financiers durant la guerre de la Ligue d'Augsbourg et la taxe de Chamillart - Joël Félix p. 831-874 Cet article étudie les relations entre le gouvernement, la société française et les financiers. Il commence par une analyse des discours du temps et des travaux des historiens concernant les financiers. Il poursuit par une présentation des divers groupes de financiers et de leurs fonctions. L'article étudie ensuite successivement les contrats passés entre le roi et les traitants d'affaires extraordinaires durant la guerre de la Ligue d'Augsbourg, ainsi que leurs opérations et bénéfices. Il montre que les contrôles exercés par le gouvernement étaient efficaces et que les traitants, dans le cadre des contraintes propres à l'Ancien Régime, offraient des services essentiels mais trop coûteux pour être viables.The aim of this article is to revisit the question of the financiers in Old Regime France. It starts with an analysis of the discourses about the financiers under the Absolute monarchy that underlines the complexity of their relationship with the government and the public. It then reviews the secondary literature and highlights the existence of competing historical interpretations (functional, political, utilitarian), which raise the question of their overall capacity to account for the role and impact of the financiers at different times. On this ground, the article focuses on a specific group of financiers, the so-called traitants d'affaires extraordinaires, during the Nine Years War. Further to a description of the specific role and scope of the activities of the various financiers responsible for helping the monarchy to raise the funds it needed to pay for its peace and wartime expenditure, the article examines the conditions and profits granted by the king in his contracts with the traitants whose services were hired for the purpose of selling royal offices in the public and advancing the revenue to the Treasury. It also explores the contractual arrangements of the companies established by the financiers to manage their operations as well as the rights and the responsibilities of their various stakeholders. These bases being laid, the article relies on the administrative correspondence relating to the traités during the Nine Years War to address a range of issues, in particular the extent to which these contracts, and other control procedures, were robust enough to deter fraud. The accounts of two traitants' companies offer an opportunity to analyse and compare the structure of their income and expenditure (including the volume and cost of the promissory notes sold in the public to finance their payments to the Treasury), to explore the strategies of the contractors, to calculate their net profits and further discuss the problem of embezzlement. The article ends with the study of the context and debates which led to the introduction by finance minister Michel Chamillart, in 1700, of a shortfall tax on the financial profits of the gens d'affaires or traitants, the method used to determine its rate (50 % of the net benefits), its distribution among the various stakeholders (including the bailleurs de fonds or backers), and the related procedures. In total, the article argues that the relationship between the monarchy, society and the financiers under the Ancien Regime was not static and, therefore, suggests that the broad question of control and fraud must be examined against changing circumstances. With regard specifically to the Nine Years War, the article concludes that within the constraints of the Absolute monarchy, contractors offered valuable services by raising capital for the benefit of a king who ruled over a country which, at the time, was by far the wealthiest in Europe, and where ministers failed to foresee long wars of attrition and whose financial strategy was limited by the very existence of privilege. Overall, the traités were too costly to be a viable system of war financing. In these conditions, the substantial fortunes made by a handful of very successful traitants suffice to explain that the government easily gave in to public criticism against the wealth of the financiers and felt compelled, when peace resumed, to cancel the advantageous conditions offered in the treaties by taxing financial profits.
- La politique de formation idéologique de la SS (1933-1945). Une étude sur la transmission de la normativité nazie - David Gallo p. 875-898 Le présent article retrace l'histoire de la politique de « formation » ou « éducation idéologique » (weltanchauliche Schulung ou weltanschauliche Erziehung) mise en œuvre entre 1933 et 1945 par la SS (Schutzstaffel), organisation qui se voulait l'élite du nazisme. Il s'agit ce faisant d'apporter, à travers l'étude empirique d'un cas paradigmatique des efforts déployés par le régime nazi pour transmettre son système de valeurs à ses hommes, un éclairage complémentaire aux travaux qui analysent l'univers normatif du national-socialisme sous l'angle de l'histoire des idées, et à ceux qui tentent de comprendre les motivations des acteurs du régime hitlérien. La présente contribution croise l'histoire du réseau des institutions chargées de l'élaboration et de l'application de cette politique, une enquête prosopographique sur le personnel de cadres qui anima ces institutions et l'étude des pratiques éducatives et des discours idéologiques élaborés au sein de celles-ci et l'analyse de l'impact de ces politiques. Après avoir abordé successivement les deux principales phases du développement de la politique de formation idéologique, qui a d'abord visé à la création d'une élite civile militante du régime nazi (1933-1939), avant de se recentrer sur les unités militaires et policières de la SS (1939-1945), l'on propose une évaluation de l'empreinte que le système normatif ainsi transmis a pu laisser sur la masse des militants et soldats et policiers de la SS, qui montre que celle-ci, quoique réelle, a été extrêmement inégale, et est demeurée nettement inférieure aux ambitions initiales des idéologues de la SS.The following article traces the history of the policy of « ideological training » (weltanschauliche Schulung or weltanschauliche Erziehung) developed between 1933 and 1945 by the SS (Schutzstaffel), the organization that considered itself the elite of Nazism. Its radicalism and its scope make the SS's efforts in the field of political indoctrination a paradigmatic example of the Nazi regime's attempts at transmitting its new system of values to its rank and file. An empirical case study of such a policy can thus allow the historian to shed new light on the problem of nazi normativity and help bring a new perspective to the understanding of the mentalities of the men who committed to the cause of the « Third Reich » and fought and murdered in its name – two issues that are central to the recent historiography of National-Socialism. This article combines four complementary methodological approaches: an institutional history of the network of organizations tasked with elaborating and implementing the SS's training program, at the centre of which stood the SS-Schulungsamt (educational office), that oversaw the work an « educational organization » (Schulungsapparat) of more than a thousand instructors present at all levels; a prosopographical profile of the specific group of Nazi perpetrators who operated at various levels of the « educational organization »; an analysis of the ideological discourses and teaching methods elaborated by these institutions; and an evaluation of the way the SS's own brand of education impacted the hundreds of thousands of men who served in its civil, military or police branches. The first two parts of the article analyse the two main chronological phases of the history of the « educational organization » and its changing priorities, as the program of ideological training, that initially aimed at forging the civil elite of the nazi regime through a process of long-term reeducation (1933-1939), increasingly transformed into an instrument of morale-boosting for the SS's fighting troops (1939-1945). The third and last part of the article tries to assess the results of ideological training and the extend to which Nazi norms penetrated the SS's various units. It reaches the conclusion that, although ideological penetration should not be underestimated, it varied greatly and remained generally far below the utopian expectations of SS ideologists.
- De la dénazification à la sanction des communistes : le devoir de fidélité des fonctionnaires ouest-allemands à l'épreuve - Marie-Bénédicte Vincent p. 899-924 Cet article a pour objet l'étude de l'épuration anticommuniste dans la fonction publique ouest-allemande des années 1950 et 1960. Fondé sur le dépouillement de procédures disciplinaires, il analyse ce que l'institution entend par « devoir de fidélité » des fonctionnaires envers l'ordre démocratique constitutionnel de la RFA. Pour ce faire, l'article envisage la longue durée de la « fonction publique professionnelle » depuis le XIXe siècle et la manière dont le « devoir de fidélité » a été formulé sous divers régimes (la monarchie prussienne, la République de Weimar, le régime national-socialiste), afin de comprendre où se situe le renouvellement après la Seconde Guerre mondiale. La thèse défendue ici est que le renouvellement normatif forgé pour tirer un trait sur le nazisme, principalement dans la Loi fondamentale de 1949 et la loi fédérale sur les fonctionnaires de 1953, a été utilisé à l'encontre d'une autre population cible, les communistes, non seulement dans le contexte géopolitique de guerre froide, mais aussi dans celui de la réintégration massive des anciens fonctionnaires du régime nazi, qui défendent leurs positions professionnelles et leurs carrières face aux individus recrutés ou revenus après le 8 mai 1945. La sanction disciplinaire de l'adhésion aux partis KPD ou SED et plus généralement du militantisme communiste offre un contrepoint peu connu à la répression pénale des communistes en RFA et permet de s'interroger sur l'arrière-plan social des pratiques anticommunistes de la fonction publique à l'échelle individuelle.This paper focuses on the study of the internal purges against communists in the West German Civil Service during the 1950s and 1960s. Based on the exploration of several disciplinary procedures, it analyses the way in which the institution understands the “duty of loyalty” of its civil servants since the establishment of the democratic order. The article considers first the long duration of the “professional civil service” since the 19th century and the way in which this “duty of loyalty” has been elaborated and formulated in different regimes, including the Prussian Monarchy, the Weimar Republic and the Nazi Regime, in order to understand the changes at work after the Second World War. The thesis defended here is that the normative change observed in the Constitution of 1949 and the federal Law of the civil service of July 1953 has been used to purge a population different from former Nazis: namely the communists. Our hypothesis is that this internal purge of the civil service in the 1950s and the 1960s took place not only because of the Cold War, but also because the former Nazi civil servants had been reintegrated in the public administrations thanks to the generous policy of amnesty and rehabilitation implemented in West Germany, so that they wanted to defend their positions and their professional interests against the antifascists who had joined the civil service after the 8 May 1945. The disciplinary sanction against communist activism and KPD or SED membership in the civil service offers an interesting mirror of the now well known penal lawsuits against communists in West Germany. It allows us to reflect on the social background of anticommunist practices at the individual level.
- Comptes rendus - p. 925-1010