Contenu du sommaire : Ouvrières, ouvriers

Revue Clio : Histoires, femmes et société Mir@bel
Numéro no 38, 2013
Titre du numéro Ouvrières, ouvriers
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Éditorial - Xavier Vigna, Michelle Zancarini-Fournel p. 7-17 accès libre
  • Le genre des bris de machines : violence et mécanisation à l'aube de l'ère industrielle (Angleterre-France, 1750-1850) - François Jarrige p. 17-40 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Les bris de machines constituent un type de violence récurrent en Angleterre et en France au début de l'ère industrielle. Ce type de violence contestataire a été peint essentiellement sous les traits d'une pratique masculine, impliquant le triomphe d'une conception virile des rapports sociaux et des conflits du travail. Loin d'être marginales ou invisibles, les femmes sont pourtant bien présentes dans ces conflits, à la fois comme auxiliaires des hommes mais aussi comme actrices de plein droit insurgées contre les machines qui portent atteinte à la production domestique et à leur mode de vie. En examinant le genre des bris de machines, il s'agit à la fois de suivre comment les machines requalifient en termes sexués le travail, avec des différences importantes selon les secteurs et les régions, mais aussi comment interviennent les identités de genre dans le façonnement des protestations populaires au début de l'âge industriel.
    Machine-breaking was a form of recurring violence in England and France at the beginning of the industrial era. Historians have mainly depicted this kind of protest as a male practice involving the triumph of a masculine conception of social relations and labor disputes. Yet, far from being marginal or invisible, women were well represented in these conflicts, both as auxiliaries to men but also as participants fighting the machines that affected their domestic production and their lifestyle. In considering the gender of machine-breaking, the aim of this paper is twofold: first, to study how machines reconstruct work in gendered terms, with significant differences across sectors and regions; secondly, it seeks to examine how gender identities shaped popular protests at the start of the industrial age.
  • Genre, conventions collectives et qualifications dans l'industrie française du premier XXe siècle - Laure machu p. 41-59 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    L'extension de la négociation collective pendant la première moitié du XXe siècle accompagne la généralisation des grilles de salaires suivant la qualification du travail. Ces dernières représentent un acquis ambigu pour les ouvrières. L'élaboration des grilles rend visible la variété et la qualification des tâches exécutées par les femmes. Elle coïncide avec une politique de revalorisation salariale qui permet de réduire l'écart avec les salaires masculins. Mais elle entérine également les frontières sexuelles de la division du travail. L'examen des négociations entreprises laisse voir le jeu complexe des stratégies déployées par les acteurs impliqués dans la définition et l'évaluation de la qualification. L'État et les syndicats ouvriers ne s'engagent que tardivement dans la promotion de la qualification féminine.
    The development of collective bargaining during the first half of the twentieth century led to the generalization of wage grids based on the qualification of work. This represented an equivocal gain for women. The elaboration of grids revealed the diversity and the value of jobs occupied by women. They coincided with an economic policy focused on raising low wages, which led to a reduced wage differential with men. But classification grids also institutionalized job segregation by gender. Close examination of the negotiations reveals the complex strategies developed by actors involved in the definition and the evaluation of skill. The state and the unions provided tardy support to the recognition of women's skills.
  • La revanche du soutien-gorge.Le corps des ouvrières de la lingerie (1968-2012) - Fanny Gallot p. 61-78 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    De 1968 à 2012, le corps des ouvrières de la lingerie en France constitue un lieu d'observation heuristique en articulant plusieurs niveaux d'analyse et de temporalités. Comme productrices et comme consommatrices potentielles, les ouvrières se situent au croisement d'un double mouvement : d'un côté leurs corps à l'ouvrage déconstruisent la nature intime du produit et, de l'autre, elles se trouvent quotidiennement confrontées aux images véhiculées par la marque qu'elles finissent par incorporer. En effet, le corps des ouvrières est valorisé par l'entreprise à travers sa presse interne, ou par sa politique qui les met souvent à contribution dans la conception des produits ou dans leur appréciation comme consommatrices. Le caractère intime du produit fabriqué peut permettre d'expliquer l'attention que les ouvrières portent à leur propre corps, certaines ayant parfois recours à la chirurgie esthétique. Dans la mobilisation contre les fermetures d'usines, elles se livrent à une défétichisation du soutien-gorge, en rendant visible publiquement le produit de leur travail.
    The body of female lingerie workers in France between 1968 and 2012 offers a heuristic vantage point to address several levels of analysis and temporalities. As producers as well as potential consumers, these women workers are at the heart of a double movement: on the one hand, their bodies at work deconstruct the intimate nature of the bra; on the other hand, they are exposed on a daily level to the brand image, which they eventually incorporate. Indeed, the internal press as well as business strategies vaunt the bodies of female workers and often use them in the conception of products, as well as using their feedback as potential consumers. The intimate nature of the object produced may explain the attention female workers pay to their bodies, some even turn to plastic surgery. Nevertheless, in the protests against industrial plant closures, women workers sought to reduce fetishism surrounding bras through actions that involved rending visible the products of their work.
  • Figures filmiques d'ouvrières : travail, genre et dignité, variations sur une trilogie classique (1962-2011) - Nicolas hatzfeld p. 79-96 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    L'article étudie les représentations des ouvrières dans des films réalisés au cours des cinquante dernières années, dont la plupart sont l'œuvre de réalisatrices. La diversité de cet ensemble traduit les évolutions du monde du cinéma et les variations de point de vue entre régions du monde. Cependant ces films montrent, souvent, la pénibilité singulière des travaux attribués aux ouvrières, dans certaines branches industrielles. Une partie d'entre eux se concentrent sur les luttes menées contre la dureté et les contraintes du travail, et, en Europe de l'Ouest, contre les fermetures d'entreprises. Les inégalités ou contradictions de genre sont abordées aussi bien au travail que dans les autres aspects de la vie de ces femmes, parfois dans le cœur même des luttes. Enfin, la dignité des ouvrières est une préoccupation présente dans la majeure partie des films.
    The article studies representations of female workers in movies, directed for the most part by women, over the past fifty years. The diversity of these films reflects evolutions in cinematic production and differences between countries and areas of the world. Most of these films show the peculiar painfulness of the work carried out by female workers in certain industrial sectors. Some of them concentrate on the struggles against the difficulties and constraints of work, and, in Western Europe, depict struggles relating to plant closures. These movies depict gender inequalities or contradictions both at work or in other facets of life; these are portrayed at times as being at the heart of the struggles. Lastly, the dignity of female workers is a concern present in most of these movies.
  • Masculinités ouvrières dans l'Italie du second XXe siècle - Andrea Sangiovanni p. 97-121 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    L'article analyse la représentation des ouvriers durant la seconde moitié du XXe siècle, et notamment de leur masculinité : il pointe la superposition des deux images de l'ouvrier et de l'homme, dans la mesure où la représentation du travailleur en tant qu'homme naît de la conviction que le travail est le principal outil de définition de la masculinité. Ces deux représentations sont étudiées en confrontant les images des espaces de travail et des travailleurs avec leurs propres autoreprésentations, à travers les films, les photographies, les romans et les récits autobiographiques. L'article fait l'hypothèse d'une connexion entre la fin de la centralité du travail industriel depuis les années 1970 et les transformations de la masculinité, sous l'influence, tant du féminisme, que du changement des valeurs sociales, d'une manière plus générale. Pendant cette période, l'identité masculine se redéfinit : celle-ci n'est plus construite à partir du travail, mais plutôt, d'une nouvelle conscience de soi fondée sur le corps.
    The article analyzes the representation of industrial workers in Italy during the second half of the xxth century, with a specific focus on their masculinity. It highlights two overlapping public images, that of the man and the industrial worker, because the representation of the industrial worker as a man derives from the belief that work is what defined manhood. Both representations are studied comparing the public images of factories and industrial workers with their self-representations in movies, photographs, novels, and autobiographic stories. The essay explores the connection between the decline of industrial work from the 1970s and the transformation of manliness in the same period, under the influence both of feminism and, more generally, changing social values. During this period male identity was redefined: it no longer stems from work but from a new body-centered self-awareness.
  • Des « hommes nouveaux » : mémoires de travailleurs du rail et coopération sino-africaine - Jamie Monson p. 123-149 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    En Zambie et en Tanzanie, une génération de travailleurs est en train d'atteindre l'âge de la retraite : il s'agit de ceux qui, aux côtés de leurs collègues chinois, ont construit dans les années 1970 le chemin de fer TAZARA, reliant le bassin minier (Copperbelt) zambien à l'océan Indien. Façonnés dans leur jeunesse, ces « nouveaux ouvriers » ont souscrit à la promesse et à l'édification de nations socialistes en Afrique de l'Est, avec l'espoir d'une retraite qui assurerait leurs vieux jours et soutiendrait leurs familles. Mais, prenant leur retraite en pleine époque de néolibéralisme économique, ils expriment leur frustration et leur déception, estimant que l'Etat ne reconnaît pas leur contribution passée à un grand projet. Confrontés à des licenciements ou à des retards dans le versement de leurs pensions, les travailleurs du TAZARA se mobilisent, et mobilisent leurs souvenirs individuels et collectifs, pour obtenir à la fois une reconnaissance et une meilleure sécurité matérielle.
    In Zambia and Tanzania, a generation of railwaymen is retiring. They are the workers who constructed the TAZARA railway, who labored alongside their Chinese counterparts in the 1970s to build a link from the landlocked Zambian Copperbelt to the Indian Ocean. In their youth they formed a cohort of “new industrial men,” who shared not only the promise of East African socialist nation-building but also the expectation of providing for families into their old age. As they now retire in the era of economic liberalism, they express feelings of loss and alienation as the state has failed to recognize their contributions. In the face of layoffs and pension payment delays, TAZARA workers mobilize individual and collective memories of railway building to seek both recognition and material security.
  • Regards complémentaires

    • Les bizutages dans le monde ouvrier en France à l'époque contemporaine - Xavier Vigna p. 152-161 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans le monde ouvrier, des pratiques informelles de bizutage se repèrent, accomplies par des hommes comme par des femmes sur les jeunes jusque vers les années 1970 environ, pour accompagner leur entrée dans les usines. Elles fonctionnent à la fois comme rites de passage, manifestations brutales de domination voire de violence, et blague dont il convient de rire. Mais, parce qu'elles revêtent une dimension sexuelle manifeste, elles participent de l'identification des masculinités ouvrières à la virilité.
      Up until the 1970s in the working classes, informal practices of ragging existed among both male and female workers to celebrate young people's entry into factories. They served a variety of functions: as rites of passage, as brutal manifestations of domination or violence, or as pranks intended to make others laugh. Because of their obvious sexual dimension, they contributed to the association of workers' masculinities with manhood.
    • Ouvrier malgré soi : réfugié-e-s « reconnu-e-s » en France et en Bulgarie (début XXIe siècle) - Albena Tcholakova p. 163-179 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À partir d'une recherche sociologique portant sur la quête de travail des réfugiés dits « reconnus » en France et en Bulgarie, cet article se propose d'ouvrir le chantier de l'étude de la dimension genrée de leur rapport au travail. Les femmes et les hommes réfugiés devenus ouvriers vivent généralement cette nouvelle condition comme un déclassement social et professionnel, sous le mode de la perte de statut et de la fragilisation identitaire, ce qui amplifie l'expérience, propre à l'exil, des ruptures avec le monde habituel. Nous examinons comment ces ruptures peuvent s'accompagner de différents types de transformation de l'identification genrée (de la déstabilisation au renforcement des stéréotypes « virils » ou « féminins »), et comment les normes de genre peuvent offrir différentes ressources, et rendre possibles différentes stratégies, pour faire avec une nouvelle condition généralement considérée comme peu enviable.
      Drawing on a sociological study concerning “recognized” refugees in France and Bulgaria and their search for work, this article aims at opening a research field about the gender dimension of their relationship to work. The refugees who become workers generally experience this transformation as a loss of social and professional status that destabilizes their identity and amplifies the rupture with their habitual world that exile entails. The paper shows that these experiences of loss coincide with transformation in gender identifications (either destabilization or strengthening of “virile” or “feminine” stereotypes). At the same time gender norms can offer resources and enable strategies that allow individuals to adjust to a new condition generally considered unenviable.
  • Actualités de la recherche

  • Documents

    • Des « ouvrières » de la laine et du sexe à Athènes (ive siècle avant J.-C.) - Violaine Sebillotte Cuchet p. 225-233 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le bâtiment Z3 du quartier du Céramique à Athènes offre un bon exemple des questions que se posent aujourd'hui les spécialistes concernant le travail des femmes au ive siècle avant J.-C. (hors du domaine privé de la maison). L'agencement des pièces et le mobilier trouvé sur place attestent la fonction du bâtiment : une fabrique de textile qui pourrait, en plus, avoir tenu lieu de lieu de prostitution. Le document, sans apporter de réponse certaine sur l'organisation du travail dans le quartier des artisans d'Athènes, permet de souligner des traits spécifiques : le caractère systématique du travail imposé aux esclaves, l'absence de distinction entre habitat et lieu de travail, la polyvalence des tâches imposées, y compris les services sexuels.
      The building Z3 of the Kerameikos in Athens offers a very good example of the questions arising when studying women at work in the ivth century BC (and outside the private context of the household). The disposition of the rooms and the material excavated lead to the identification of building Z3 as a textile fabric and, perhaps, a place for prostitution. Without offering answers to all questions about the organization of labor in the well-known Athenian workshops area, the document highlights some important features: the systematic use of slave-labor, the confusion between housing and working place, the versatility of activities, including sexual tasks.
    • La Pire des Aventures : le chevalier Yvain et les tisseuses de soie - Sophie Cassagnes-Brouquet p. 235-240 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le mot ouvrier apparaît pour la première fois au milieu du XIIe siècle pour désigner celui qui travaille de ses mains moyennant salaire. C'est dans un roman de chevalerie, écrit par Chrétien de Troyes entre 1176 et 1181, Yvain, le chevalier au lion, qu'est offerte l'une des premières descriptions d'ouvrières salariées du Moyen Âge. La brutale confrontation entre le preux chevalier et la réalité du travail féminin y donne naissance à l'une des pages les plus fortes de la littérature médiévale. Elle témoigne d'une nouvelle réalité, celle du travail, de l'argent et de la condition ouvrière au cœur de la féérie arthurienne.
      The term « worker » appears for the first time in France in the middle of the xiith century to designate the person, man or woman, who worked manually for a salary. The chivalric novel written by Chrétien de Troyes between 1176 and 1181, Yvain, le chevalier au lion, offers one of the earliest descriptions of salaried workers of the Middle Ages. The valiant knight's brutal encounter with the realities of a female workshop constitutes among the most powerful pages of medieval literature. His descriptions testify to a new reality where work, money and poverty appeared at the heart of the arthurian legend.
    • Épouses, mères et propriétaires : artisanes à Turin à l'époque moderne - Beatrice Zucca Micheletto p. 241-252 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article analyse une supplique adressée par une artisane turinoise au roi dans le but d'être admise dans la corporation des fabricants de boutons en bénéficiant d'une importante réduction des frais pour le chef d'œuvre. Le texte suggère la complexité et l'ambiguïté de l'identité des travailleuses de l'artisanat ; celle-ci est le résultat d'une stratification de facteurs culturels et économiques. La supplique montre que les femmes peuvent (et savent) négocier leur place dans le monde du travail. D'un côté, la suppliante s'appuie sur des argumentations qui évoquent explicitement sa place dans l'économie familiale et font appel aux stéréotypes sur son sexe (et notamment à son rôle d'épouse et mère soucieuse d'assurer le bien-être de sa famille). De l'autre côté, en rappelant qu'elle a investi sa dot dans l'activité artisanale, elle évoque le risque d'en rester dépourvue (et devenant ainsi “indotata”) et la chute sociale et économique conséquente.
      This article focuses on a petition presented by a Turinese artisan to the king asking to be admitted to the guild of button-makers and to take advantage of reduced fees for the mastership. The text shows that the identity of female artisans was entangled and ambiguous and was the result of a stratification of cultural and economic factors. Women were able to negotiate their place in the labor market. On the one hand, the petitioner supported her requests with arguments that explicitly evoked her economic role in the household and made use of typical stereotypes of her sex (namely her role as wife and mother concerned about the well-being of her family). On the other hand, she explained that she invested her dowry in her workshop; therefore she alluded to the risk of wasting her dowry and of becoming “indotata” with the consequent social and economic loss.
  • Témoignage

  • Portrait

  • Varia

    • Genre et culture de l'écrit en Angleterre à la fin du Moyen Âge - Aude Mairey p. 273-298 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Nombre d'analyses et de réflexions d'Anglo-Saxons (mais aussi de Scandinaves et de Néerlandais) sur les interactions entre genre et culture écrite en Angleterre à la fin du Moyen Âge ont été, ces dernières années, d'une grande richesse. Elles méritent d'être appréhendées dans toute leur complexité et d'être confrontées aux récents questionnements de l'historiographie française. Une grande partie de ces travaux s'est inscrite dans le cadre d'une analyse renouvelée du triptyque « literacy/orality/ aurality » et insiste sur la complexité des contenus et des formes de savoirs féminins et de leurs transmissions à tous les niveaux. Ces études soulignent la multiplicité des situations et des modèles selon les contextes sociaux, politiques et religieux. Elles élargissent et problématisent la notion de literacy ainsi que les rapports de domination hommes/femmes qui en résultent, dessinant un paysage culturel toujours plus dense.
      In recent years many English-speaking (but also Dutch and Scandinavian) scholars have fruitfully explored the interactions between gender and written culture in late medieval England. These studies merit consideration and comparison with recent developments in French historiography. Many of these works can be placed within the framework of studies on « literacy/orality/aurality » and pay particular attention to the complexities of the content and forms of women's knowledge and their transmission at all levels. These studies emphasize the multiplicity of situations and models according to social, political and religious contexts. They enlarge and question the notion of literacy as well as the relations of domination between men and women and the resulting tensions and negotiations. As such, they map a far more complex cultural landscape.
  • Clio a lu

  • Compléments en ligne : Clio a lu

  • Clio a reçu