Contenu du sommaire : Du Far West au Louvre : le musée indien de George Catlin
Revue | Gradhiva : revue d'anthropologie et de muséologie |
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Numéro | no 3, 2006 |
Titre du numéro | Du Far West au Louvre : le musée indien de George Catlin |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier : Le Musée indien de George Catlin
- Présentation : Catlin vu d'Europe - Daniel Fabre p. 5-15
- Genèse d'une arche américaine pour les Indiens - Claude Macherel p. 17-37 George Catlin, « peintre américain » ? Sans doute, mais en quels sens ? De son temps (1796-1872), deux sortes mutuellement exclusives d'Américains vivaient sur le continent : les Indiens natifs et des colons d'origine européenne. Dès l'enfance, Catlin s'est trouvé au confluent des deux courants. Yankee par filiation, éducation, tempérament, il reçut très tôt l'apport décisif des sources indiennes. Le garçon ne se laissait pas partager. Son histoire et celle des siens, nouées à l'enfantement sanglant de la nation américaine, le mirent donc au défi de concilier des contraires. Catlin releva le défi, l'âge d'homme venu, tenant le pari fou de tout réconcilier dans une création issue de sa tête et de ses mains : « son » Indian Gallery. L'œuvre réalisée, il la fera vivre à se ruiner, identifié à elle jusqu'à son dernier souffle. Le contenant est occidental ; c'est une arche de mémoire. L'Indian Gallery remodélise l'arche mythique de la Genèse, pour sauver de la plus fatale des disparitions, l'oubli, son précieux contenu : de grands pans de cultures indiennes, des milliers d'Indiens en images, autant d'objets, des visages et des usages que la déferlante conquérante de l'Ouest allait engloutir peu après. Mais la peinture ne dépeint pas cet homme tout entier. Indépendant et volontaire, avide de renommée mais piètre commerçant, Catlin était aussi chasseur, navigateur, ethnographe, écrivain, muséographe, metteur en scène de tableaux vivants, des vivants amérindiens, naturellement.George Catlin, “American painter” ? Certainly, but in what sense exactly ? During his life (1796-1872), two mutually exclusive types of Americans inhabited the continent: the native Indians and the colonists of European origin. From his earliest childhood, Catlin found himself caught between the two. Yankee by birth, education and temperament, he was decisively influenced very early on by Indian cultures. The boy refused to be divided. His history and that of his family, bound up with the bloody birth of the American nation, set him the challenge of reconciling opposites. The adult Catlin took up the challenge, making the mad gamble of attempting to reconcile everything in a single creation, his own brainchild and the work of his own hands – his Indian Gallery. Once it was completed, he ruined himself to keep it alive, identified with it to his very last breath. The contents were western ; it was an ark of memories. The Indian Gallery was a recreation of the mythical ark of Genesis, built in order to save its precious contents from that most final of disappearances, forgetfulness: the great vistas of Indian cultures, thousands of Indians captured in paint, as many artefacts, faces and customs that the relentless conquerors of the West were soon to engulf. But the paintings are not the whole man. Independent and headstrong, eager for fame but a poor businessman, Catlin was also hunter, sailor, ethnographer, writer and director of tableaux vivants – with Amerindians in the starring roles, naturally enough.
- Catlin, la peinture et l'« industrie du musée » - Patricia Falguières p. 39-53 Et si Catlin était en effet avant toute autre chose, comme il l'affirma lui-même à plusieurs reprises, un peintre d'histoire ? Et un peintre d'histoire européen ? Car le spectacle s'est imposé aux artistes anglo-saxons vers 1800 comme une exigence intrinsèque à la pratique de l'art dans une conjoncture très particulière autant qu'oubliée : la décomposition des structures académiques qui régissaient jusqu'alors l'exercice et la réception de l'art. Deux voies simultanément s'offrent alors aux praticiens de l'art : celle des déploiements spectaculaires et inédits de la peinture qu'illustrent transparents, tableaux mouvants, panoramas, dioramas, etc. Celle du show business, encore appelé museum industry : l'industrie de l'exposition, une aire culturelle interlope, où théâtre, attractions et « musées » réactivent, dans le contexte des métropoles modernes, l'antique économie des Wunderkammern de la Renaissance. Une phase de l'histoire culturelle de l'Europe dont nous ne voulons plus rien savoir.What if Catlin was above all else a historical painter, as he declared on more than one occasion ? And a painter of European history ? For, around 1800, spectacle became a requisite intrinsic to the practice of art in the Anglo-Saxon world, in very specific though now largely forgotten circumstances: the decomposition of academic structures which had up until then governed the way art was practised and received. Two paths then opened up to practitioners of art: firstly, the production of novel and spectacular types of paintings such as openwork motifs, “tableaux mouvants”, panoramas, and dioramas ; secondly, “show business”, still known as the “museum industry” – the exhibition industry, a somewhat disreputable cultural domain where theatre, special attractions and “museums” reactivated for the entertainment of modern city-dwellers, the bygone “Wunderkammers” of the Renaissance. A phase in European cultural history that we no longer wish to hear anything of.
- L'effet Catlin - Daniel Fabre p. 55-75 La présentation à Paris du Musée indien de George Catlin, de mai à septembre 1845, puis, en mars 1846, de deux de ses portraits d'Indiens au Salon annuel, ne déclencha pas seulement la curiosité générale, elle eut un effet immédiat sur la jeune génération des artistes. Ils trouvèrent dans ce musée-spectacle et dans cette peinture un aliment inattendu pour construire une esthétique nouvelle dans laquelle « l'autre de l'art », soit toutes les formes de création a priori exclues du champ académique, tenait un rôle majeur. L'article compare les réactions de Théophile Gautier, George Sand, Gérard de Nerval, Champfleury et Baudelaire, visiteurs attentifs du Musée. Tout en reconnaissant l'apport de Catlin, ils s'opposent sur le sens de la « sauvagerie » qu'ils découvrent : relève-t-elle du primitif, du primordial ou de l'essence de l'art ?The presentation of George Catlin's Indian Gallery in Paris, from May to September 1845, then of two of his Indian portraits at the annual Salon in March 1846, did more than simply arouse public curiosity, but had an immediate effect upon the new generation of artists, for whom the museum-show and paintings provided unexpected inspiration for construction of a new aesthetic in which “the other in art”, i.e. all forms of creation a priori excluded from academic consideration, played a major role. The article compares the reactions of Théophile Gautier, George Sand, Gérard de Nerval, Champfleury and Baudelaire, all of whom were highly attentive visitors to the museum. While recognising Catlin's contribution, they disagreed on the meaning of the “savagery” they discovered there: did it spring from the primitive, from the primordial or from the essence of art ?
- Impressions d'Europe - Gaetano Ciarcia p. 77-87 Durant la période 1839-1848, dans quelques-unes des principales villes européennes, un « musée » itinérant formé d'objets ethnographiques et de tableaux, récoltés et réalisés par le peintre américain George Catlin, est mis en scène. Animée par la présence de plusieurs troupes de « Peaux-Rouges », cette galerie s'inscrit dans la logique de la sujétion coloniale se déclinant selon un style où la production d'une authenticité sauvage est déjà le produit d'une adaptation en marche. Les acteurs indiens sont montrés par Catlin comme des témoins exotiques des mœurs « civilisées ». Leur adhésion explicite ou inconsciente au spectacle de la domination de l'homme blanc en Amérique imprègne leurs postures morales – théâtrales et muséales – représentant le thème du choc culturel. En même temps, dans cette « réserve indienne » mobile et perméable, l'exposition de la « tradition » est à la fois une source ancienne et une ressource économique et symbolique moderne sur laquelle les Indiens investissent. Le dynamisme des individus acculturés occupés dans cette entreprise commerciale explique la nécessité de se donner à voir comme entité folklorique.Between 1839 and 1848, a travelling “museum” comprising ethnographic artefacts and paintings collected or created by the American painter George Catlin, was on show in a number of major European cities. The gallery, brought to life by the presence of several bands of Redskins, was very much in line with the thinking behind colonial domination, and its style of presenting “savage” authenticity was a product of ongoing adaptation. Catlin presented his Indian actors as exotic witnesses to “civilised” manners. Their explicit or unconscious support of the spectacle of the White Man's domination in America affected the ways, theatrical and museal alike, in which the “culture shock” theme was represented. At the same time, “tradition” as exhibited in this mobile and receptive “Indian reserve” was both an age-old cultural wellspring and a modern symbolic and economic resource in which the Indians were investing. The active participation of occupied acculturated individuals in this commercial enterprise explains their need to be viewed as characters out of folklore.
- Des Indiens de papier - Frédéric Maguet p. 89-103 La présentation, en 1845, du musée itinérant de George Catlin et du spectacle donné par les Iowas sont immédiatement relayés par le magazine L'Illustration, puis, avec quelque délai, par l'imagerie d'Épinal. En un siècle qui connaît l'avènement de l'image pour tous, ces deux vecteurs entraînent un bouleversement total de la représentation des Amérindiens au sein du public français. Déjà entamé avec la visite des Osages en 1827, le processus consiste en une mutation profonde du mode de formation des stéréotypes visuels. Une image à prétention réaliste, puisque incluant des traits réellement observés, va entrer dans un jeu de coexistence et de substitution avec l'image allégorique classique du « sauvage d'Amérique ». Se donnant comme un témoignage direct, l'imagerie de l'Indien d'après Catlin résulte en fait d'une opération de recomposition de traits, de motifs et de situations ayant pour effet de produire une représentation assimilable par le public, encore largement active aujourd'hui.In 1845, the presentation of George Catlin's travelling museum and the accompanying show put on by the Iowa Indians were immediately depicted in “L'Illustration” magazine and, not long after, in Épinal prints. In a century where pictorial images were becoming available to all, these two mediums led to a complete turnaround in the way that the French public pictured Amerindians. The process had already begun in 1827 with the visit of the Osage Indians, and consisted in a deep-seated change in the way that visual stereotypes came to be formed. An image laying claims to realism, incorporating actually observed characteristics, began to coexist with then replace for the classic allegorical image of the “American savage”. Presented as eyewitness evidence, Catlin's depiction of the Indian in fact resulted from a reconstruction of characteristics, motifs and situations, and gave rise to a representation easily assimilated by the public, and which still has wide currency today.
Entretien
- Quand Delacroix croqua-t-il des Ojibwas ? - Arlette Sérullaz, Claude Macherel p. 105-109
Documents et matériaux
- Le Musée de l'Humanité* - George Catlin p. 111-114
- Compte rendu des Indiens chippewas qui ont voyagé parmi les Blancs - Maungwudaus
- Journal, 1852 - George Catlin p. 123-127