Contenu du sommaire : La psychiatrie à l'épreuve de la génétique
Revue | Sciences Sociales et Santé |
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Numéro | vol. 24, no 1, mars 2006 |
Titre du numéro | La psychiatrie à l'épreuve de la génétique |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- In memoriam - Claudine Herzlich p. 5-6
- Pratiques et ontologies en psychiatrie génétique - Vololona Rabeharisoa p. 7-20
- La « molécularisation » de l'esprit et la recherche sur la démence naissante - Margaret Lock, Guenièvre Callon p. 21-56 Résumé. Il est aujourd'hui largement admis que, si un médicament contre la maladie d'Alzheimer devait être trouvé un jour, il est peu probable qu'il puisse réparer les lésions neurologiques importantes provoquées par la maladie. On s'attend, au mieux, à ce qu'un tel médicament ralentisse le processus de dégénération. C'est la raison pour laquelle les chercheurs et les cliniciens concentrent leurs efforts sur la prévention de la maladie. À cet égard, pouvoir différencier les signes du vieillissement « normal » des signes pré-symptomatiques d'une démence constitue un enjeu important. Des travaux de recherche de plus en plus nombreux se consacrent ainsi à l'identification de « phénotypes intermédiaires » (des « biomarqueurs ») qui apparaîtraient des décennies avant que la maladie ne se déclare. Cet article s'intéresse à la découverte, au début des années quatre-vingt-dix, du « déficit cognitif léger » et des aménagements dont il a fait l'objet du fait des théories en pleine évolution sur l'épigénétique et des recherches sur les biomarqueurs. Dans la discussion, on montrera comment cette découverte transforme les concepts et les débats autour de la « généticisation ».The molecularized mind and the search for incipient dementia It is now widely recognized that effective medication for Alzheimer's disease, should it be found, is unlikely to reverse advanced neurological damage but simply slow down the process of degeneration. With that in mind the attention of clinicians and researchers is focused ever more intently on prevention of dementia. To this end, being able to distinguish between « normal » aging and pre-symptomatic signs of dementia is considered essential, and increasingly research is designed to detect « intermediate phenotypes » (biomarkers) that may be evident decades before outward signs of dementia become manifest. This paper will focus on the « discovery » of mild cognitive impairment in the early 1990s, and how it is currently undergoing revision as a resuit of evolving theories about epigenetics and investigation of biomarkers. Discussion will include a critical review of how this shift affects concepts of geneticization, the prudential public, and the somatized self.
- La maladie d'Alzheimer, les spécialistes et les débats éthiques sur les tests génétiques - Adam Hedgecoe, Guenièvre Callon p. 57-82 Résumé. La découverte, au milieu des années quatre-vingt-dix, de l'association entre l'allèle ApoEɛ4 et un risque accru de développer la forme tardive de la maladie d'Alzheimer, a été annoncée à l'époque, à la fois dans la presse scientifique et dans les médias, comme un résultat significatif. Pourtant, ceux qui traitent la maladie d'Alzheimer considèrent que cette découverte scientifique est sans intérêt au plan clinique. Cet article montre comment la communauté des spécialistes de la maladie d'Alzheimer en est arrivée à cette conclusion, en analysant le développement d'un consensus contre les tests cliniques de dépistage de l'ApoEɛ4. L'argument principal de l'article est que, bien que cette opposition soit formulée en termes techniques, il s'agit d'une prise de position éthique qui, en tant que telle, soulève la question des rapports entre experts scientifiques, d'un côté, et bioéthiciens de l'autre.A useless phenomenon: Alzheimer's disease, professionals and ethical debates around genetic testing The discovery in the mid-1990 that the ApoEɛ4 allele is associated with increased risk of developing late onset Alzheimer's disease was heralded at the time, in both scientific and lay press, as a significant resuit. Yet this scientific phenomenon is regarded by those who treat Alzheimer's disease as clinically useless. This paper shows how this situation came, how the professional community around Alzheimer developed a consensus against clinical ApoEɛ4 testing. The main contention is that although this reluctance to test is couched in technical terms, it is an ethical stance, and as such raises questions about the need for scientific experts to get ethical advice from bioethicists and ethical experts.
- Vers une nouvelle forme de travail médical ? Le cas d'une consultation en psychiatrie génétique de l'autisme - Vololona Rabeharisoa p. 83-116 Résumé. Cet article analyse une série de consultations et de staffs menés conjointement par des pédopsychiatres et des pédiatres-généticiens pour des adolescents et des jeunes adultes qui ont été diagnostiqués autistes dans leur enfance. Ces consultations et ces staffs ont pour objectif de revenir sur le diagnostic de ces patients. L'article montre que, au travers de ce protocole, se met en place un travail médical original qui consiste à suspendre le jugement, au moins momentanément, pour porter le regard sur le corps du malade ou, plus précisément, sur ses manifestations sensibles dont il est a priori difficile de dire si elles relèvent de la psyché ou du soma. Cela conduit les professionnels impliqués dans ce dispositif clinique à s'interroger sur le niveau de pertinence qui peut et qui doit être accordé au fait biologique dans son articulation avec le fait psychiatrique. Concrètement, cette interrogation se traduit, dans la pratique clinique, par une attention forte aux investigations qu'il s'agit d'effectuer pour conclure ou au contraire aller plus avant dans l'exploration de la situation du patient. On montre, en conclusion, que cette forme de travail médical, qu'on propose d'appeler « médecine d'exploration », se situe autant à distance d'une version réductionniste de la génétique que d'une version relativiste du « bio-psycho-social ».Towards a new form of medical work in psychiatry gene tics: the case of autism This articles draws on ethnographie observations of a series of medical consultations and staffs which gather child psychiatrists and paediatric-geneticists. Its objective is to take over the diagnostic work for adolescents and young adults who had been diagnosed with « autism » in their childhood. The author shows that an original medical work is taking shape. It consists of inquiring about the patient' s body troubles, whose psychiatrie versus organic origins are not easy to pin down. Child psychiatrists and paediatric-geneticists are thus forced to question the articulation between biological and psychiatrie facts, and the very nature of investigations that should be planned to highligth each patient's situation. The author's contention is that this form of medical investigation stands as far from genetic reductionism, as from « bio-psycho-social » relativism.
- La psychiatrie à la recherche d'un esprit post-génomique - Allan Young, Guenièvre Callon p. 117-146 Résumé. La publication du DSM-III (Manuel diagnostique de Y American Psychiatrie Association, troisième édition, 1980) a été à l'origine d'une révolution dans la psychiatrie américaine. Sa cible la plus évidente était la psychiatrie psychodynamique et le concept de psychonévrose. Cette révolution a déplacé le regard clinique qui s'est détourné de l'étiologie, des mécanismes et des processus mentaux pour se porter sur les symptômes manifestes. Elle a également redéfini ces symptômes, non plus comme des adaptations polymorphes mais comme des indicateurs de catégories de la classification. La révolution a été entretenue par les succès de la psychiatrie biologique, la popularité grandissante des explications réductionnistes et l'accès à des technologies permettant de remonter des symptômes comportementaux et des états mentaux, tels qu'ils sont décrits par les patients, jusqu'à leurs sources biologiques. Cet article se concentre sur une deuxième révolution, initiée par les développements de la génétique moléculaire et l'accessibilité à la technologie de l'imagerie cérébrale fonctionnelle. À première vue, ces développements semblent prolonger la tendance précédente en conduisant le réductionnisme jusqu'à son niveau biologique le plus fondamental, ce qu'on a appelé le « grand plan moléculaire de la vie » (molecular blueprint of life) ; en outre, ils mettent en cause l'utilité de l'« esprit » comme catégorie construite pour la compréhension et l'explication des troubles psychiatriques. La seconde révolution est en réalité l'occasion de réinventer l'esprit selon des perspectives évolutionnistes.Psychiatry's search for a post-genomic mind The publication of DSM-III (Diagnostic Manual of the American Psychiatrie Association, third edition, 1980) promoted a revolution in American psychiatry. Its most visible target was psychodynamic psychiatry and the concept of psychoneurosis. The revolution shifted the clinical gaze away from mental etiology, mechanism and process onto manifest symptoms, and redefined these symptoms as signifiers of classification rather than polymorphous adaptations. The revolution was fed by the successes of biological psychiatry, the increasing popularity of explanatory reductionism, and access to technologies that could track behavioural symptoms and self-reported mental states to their biological sources. This paper focuses on a second revolution, initiated by developments in molecular genetics and the accessibility of functional neuroimaging technology. At first glance, these developments seem to complete the earlier trend by moving explanatory reductionism to the most basic biological level, the molecular « blueprints of life », further undermining the usefulness of « mind » as a construct for understanding and explaining psychiatrie disorders. In reality, the second révolution is an occasion for re-inventing the mind along evolutionary lines.
- La rédaction a reçu - p. 147
- Comité de lecture des articles soumis à la revue en 2005 - p. 148