Contenu du sommaire : La déflexivité
Revue | Langages |
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Numéro | no 178, juin 2010 |
Titre du numéro | La déflexivité |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Introduction - Didier Bottineau p. 3-10
- Gustave Guillaume : une vie, une œuvre - Guy Cornillac p. 11-20
- La déflexivité romane et la personne dans les écrits publiés de Gustave Guillaume (domaine nominal) - Francis Tollis p. 21-42 Chez G. Guillaume, le processus responsable de la déflexité fait qu'un mot en lui-même viable se voit confier une mission non lexicale et un rôle d'adjuvant : il devient « grammaticalisé ». Tout spécialement identifiée dans l'article antéposé, mais également dans les prépositions, la déflexité est évidemment à mettre en rapport avec la déclinaison. G. Guillaume l'a abondamment reliée au statut de la personne, car c'est là ce qui régit son mode de fonctionnement et son associabilité. En termes généraux, la déflexivisation aboutit à démettre l'endomorphologie d'un mot de fonctions qu'elle ne peut plus assumer seule – même si elle les affiche toujours – et à les confier, cumulativement ou compensatoirement, en dehors de lui et en syntaxe, à un terme additionnel adjoint mais impératif. On n'abordera guère ici que la facette nominale du phénomène.Deflexivity and the "person" in Romance languages : an overview of the nominal domain in Gustave Guillaume's published work For G. Guillaume, the process that triggers deflexivity results in the fact that words that are lexical entities endorse a non lexical, auxiliary function : they are “grammaticalized”. Examplified by preposed articles and prepositions, deflexivity should be related to declension. All through his work G. Guillaume explicitely related deflexivity to the status of the person, for that is what controls its functioning and associating modes. In general terms, the result of deflexivisation is that the inner structure of the affected word is deprived of functions it can no longer assume alone –even if it still signals them– and those functions have to be taken over syntactically by an additionnal adjunct, whether on a cumulative or compensatory basis. Only the nominal aspect of the phenomenon will be dealt with here.
- La déflexivité dans la théorie de l'évolution langagière chez Aleksandr Potebnja (1832-1891) - Elena Simonato p. 43-51 La dimension syntaxique de la déflexivité et son rôle systémique en diachronie étaient dans “l'air du temps” : l'étude d'Elena Simonato propose une analyse des faits morphologiques de déflexivité en russe à la lumière de la théorie de l'évolution de la structure syntaxique de la proposition selon Alexandr Potebnja. Cette contribution participe de la construction épistémologique du concept et de son inscription dans le contexte de son développement tout en réalisant une application à une langue autre que romane. Cette étude apporte une première ouverture au dépassement de la dimension lexicale de la déflexivité et à son inscription dans une lecture syntaxique du fait linguistique.The paper relates the approach to deflexivity developed by Alexandr Potebnja, a Russian and Ukranian scholar. For him, deflexivity must be seen as one of the most significative phenomena in the evolution of Slavic languages. So, his regard is almost syntactical and no semantic. A. Potebnja worked on enormous corpus of data from all Slavic languages, mostly of Russian, Ukrainian and Polish, but also from Sanscrit and ancient Greek. He thought out this phenomena also in modern Russian language, particularly its dialectal varieties.
- De la matière à la forme : la déflexivité ou la naissance du mot - Sylvianne Rémi-Giraud p. 53-66 Cet article tente de définir d'un point de vue morpho-sémantique le statut – mot ou morphème – de l'article défini et du pronom clitique sujet en français moderne. À partir des notions de matière et de forme inspirées de la théorie guillaumienne, l'auteur décrit les processus de déperdition sémantique qui caractérisent les mots grammaticaux par rapport aux mots lexicaux. Plus précisément, l'article défini et le pronom clitique sujet possèdent le sémantisme des morphèmes grammaticaux (marques du nom, désinences personnelles du verbe) avec lesquels ils sont en co-occurrence. Dans ces unités, la matière et la forme, qui sont toutes deux de nature grammaticale, se différencient à peine l'une de l'autre. On peut dire que, si ces unités ne sont plus des morphèmes, elles se situent tout juste « à la naissance du mot ». Plus largement, cette étude permet de replacer le phénomène de déflexivité dans le cadre d'un processus de dématérialisation des unités linguistiques, qui conduit de l'expression des données de l'expérience jusqu'à l'abstraction du système formel.The goal of this paper is to determine whether the definite article and the subject clitic pronoun in modern French should be considered as words or morphemes from a morphosemantic point a view. On the basis of the notions of matter and form introduced by the guillaumean theory, the author describes the processes of semantic bleaching that characterize grammatical words in relation to lexical ones. More precisely, the definite article and the subject clitic pronoun have the meanings of the grammatical morphemes (nominal endings, verbal inflections of person) with which they co-occur. In those units, matter and form, both grammatical in nature, can hardly be differentiated. Those markers cannot be regarded as morphemes any more as they are captured at the very “birth” of the word. More generally, this study relocates the phenomenon of deflexivity in the context of a process of dematerialization of linguistic units that spans from the expression of experiencial data to the abstraction of the formal system.
- La déflexivité, du latin aux langues romanes : quels mécanismes systémiques sous-tendent cette évolution ? - Louis Begioni, Alvaro Rocchetti p. 67-87 Plusieurs phénomènes concernant l'évolution du latin aux langues romanes – et, plus largement, de l'indo-européen aux langues romanes – reçoivent une nouvelle interprétation lorsqu'ils sont observés sous l'angle de la déflexivité. En élargissant la conception de la déflexivité proposée par la psychomécanique du langage, les auteurs analysent des cas de déflexivité régressive, par antéposition de particules (articles, pronoms, diminutifs et augmentatifs, particule de gérondif, futur analytique, particules de subordination) et des cas de déflexivité progressive, par post-position (négation française et des dialectes de l'Italie du nord, complément de nom, place des subordonnées relatives et conjonctives). Ils s'interrogent sur les causes d'une restructuration aussi vaste et aussi diversifiée. Ils montrent qu'elle est liée au changement de catégorie typologique des langues : on est passé d'une langue agglutinante (l'indo-européen) à une langue flexionnelle (le latin), puis à des langues de plus en plus proches du type isolant (les langues romanes). L'élément moteur de toute cette évolution est à voir dans le déplacement syntaxique du verbe qui, de la position finale dans la phrase propre aux langues agglutinantes, s'est anticipé et a ainsi ouvert la voie à la phrase complexe pluri-propositionnelle.Deflexivity, from Latin to Romance languages : on the systemic mechanisms driving this evolution Several mechanisms concerning the evolution from Latin to Romance languages – and, more generally, from Indo-European to Romance languages– receive a new interpretation once they are scrutinized in the light of deflexivity. On the basis of an enlargement of the notion of deflexivity such as it was originally elaborated in the frame of guillaumean psychomechanics, the authors analyze some instances of regressive deflexivity, such as the forefronting of particles (articles, pronouns, diminutives and augmentatives, subordination particles) and of progressive deflexivity by post-position (negation in French and in the dialects of northern Italy ; complement of the noun ; position of adjectival and nominal clauses). They investigate into the causes of such a sizeable and diversified restructuring, and show that it is driven by a change of typological category affecting the languages, from the agglutinative type (Indo-European) through the flectional type (Latin) to types that are increasingly similar to the isolating one (Romance languages). The key element originating this evolution is the syntactic displacement of the verb, which leaves the final position characterizing agglutinative languages and is forefronted, paving the way for complex, multi-propositional sentences.
- Typologie de la déflexivité - Didier Bottineau p. 89-113 Cette étude propose une esquisse de la variation morphosyntaxique de la déflexivité dans le cadre d'une systématique de la parole définie comme un ensemble d'actions motrices (mots, morphèmes, enchaînements syntaxiques) dont la perception, par l'allocutaire aussi bien que par le locuteur lui-même (endophasie réflexive, endophasie), dirigent la genèse du sens selon une procédure régulée. Dans ce cadre, on oppose les déflexifs créatifs (qui réalisent une opération morphosémantique auparavant implicite) et les déflexifs translatifs (qui délocalisent un paramètre grammatical hors du lexique) ; et on différencie la déflexivité progressive (qui retarde le marquage grammatical) et la déflexivité régressive (qui l'anticipe). Les exemples sont tirés de diverses langues romanes, germaniques, du basque, du breton et du japonais.Towards a typology of deflexivity This study sketches an outline of the morphosyntactic variation of deflexive markers in the light of a theory of human speech defined as a set of motoric actions (words, morphemes, syntactic sequences) whose perception, both by the hearer and by the speaker (in the case of reflexive thinking), guides the elaboration of meaning following a regulated procedure. In this perspective, one can distinguish creative deflexives (which carry out a formerly implicit morphosemantic process) and translative deflexives (which relocate the marking of some grammatical parameter out of the lexical unit it concerns) ; and one can oppose progressive deflexivity (which delays grammatical specifications) and regressive deflexivity (which anticipates them). Examples are drawn from various romance and germanic languages, along with Basque, Breton and Japanese.
- Déflexivité et décondensation dans le dialogue oral en français : marqueurs grammaticaux, intonation, regard et geste - Mary-Annick Morel p. 115-131 L'article présente trois éclairages sur la structure du français oral, qui relèvent d'un même processus dynamique, que l'on peut rapprocher de la déflexivité. Ils concernent successivement le rôle des marqueurs grammaticaux issus de la déflexivité (déterminants, prépositions et pronoms personnels) dans la construction des syntagmes et dans la gestion de la formulation (hésitations), le phénomène de décondensation propre à la structure interne des paragraphes intonatifs, et l'anticipation du mouvement des yeux et des gestes des mains par rapport à ce que dit le parleur. La démarcation finale des syntagmes se réalise de façon régulière par une variation de la mélodie sur la syllabe finale. Il en va de même pour le paragraphe intonatif, dont la frontière finale est toutefois régulièrement annoncée de façon anticipée par le retour du regard du parleur en direction de l'écouteur avant la fin du rhème. C'est la démarcation initiale qui est le plus clairement concernée par les phénomènes d'anticipation, et donc de déflexivité, du fait de l'antéposition des marqueurs grammaticaux, de l'antéposition des constituants du préambule (cadrage coénonciatif, modal et référentiel), et du départ du regard du parleur avant la production du début du préambule.Deflexivity and decondensation in French spoken dialogue : grammatical markers, intonation, eye movements and gestures In this paper, we examine the structure of spoken French from three different angles that can all be said to be related to the same kind of dynamic process, that of deflexivity. First, we deal with the role of deflexive grammatical markers (determiners, prepositions, personal pronouns) in the construction of phrases and the management of formulation (hesitations), then investigate the type of decondensation that is typical of the internal structure of oral paragraphs, and finally explore the anticipatory nature of the speaker's eye movements and hand gestures. The final boundary of phrases is regularly marked by pitch movement on the last syllable. The same is true of intonative paragraphs, although their final boundary is often anticipated by the fact that the speaker looks back towards the hearer just before (s) he reaches the end of the rhema. It is in fact the ‘intitial' boundaries that are most clearly related to anticipation phenomena, and therefore deflexivity, since both grammatical markers and the constituents of the preambula are fronted and the speaker looks away from the hearer before the beginning of the preambule.