Contenu du sommaire : Méfiance

Revue Tracés Mir@bel
Numéro no 31, 2016/3
Titre du numéro Méfiance
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • De l'art de se méfier - Olivier Allard, Matthew Carey, Rachel Renault p. 7-20 accès libre
  • Articles

    • Méfiance et enquête de réalité. Ce que les étrangers en situation irrégulière savent de l'État - Stefan Le Courant p. 23-41 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La politique de lutte contre l'immigration irrégulière instaure une menace quotidienne d'expulsion pour les sans-papiers présents sur le territoire. Afin de garantir leur séjour, ils doivent sans cesse questionner leur environnement, sonder leurs relations afin d'essayer d'anticiper tout ce qui serait susceptible de les mettre en danger. Il revient à chacun de savoir jusqu'où mener ces enquêtes de réalité. Appliquées à l'État, ces enquêtes en révèlent les ambiguïtés et les ambivalences puisque la protection – précaire – offerte par le droit au séjour est sollicitée auprès du même État qui suscite la méfiance. Au cours de leurs quêtes de papiers, l'État, tour à tour, apparaîtra sous les traits d'une bureaucratie rationnelle, s'incarnera dans l'arbitraire de ses agents et sera perçu comme une entité dotée de pouvoir de type magique.
      Policies designed to limit unauthorized migration mean that undocumented migrants in France live with the daily threat of deportation. To avoid this eventuality, they have to continually call their environment and their social relations into question and so preempt any potential dangers. This raises the question of how far to take these inquiries into the nature of things. As regards the state, these inquiries reveal its ambiguities and ambivalences, since the (limited) protections afforded by residency are granted by the very same state that inspires migrants' mistrust. Whilst these people go about their quest for “papers”, the state alternately appears as a rational bureaucracy, an institution embodied in the arbitrary will of its agents, and an entity endowed with magical powers.
    • Enquêteur ou espion ? Une organisation de recherche aux prises avec la défiance (le Mass Observation, 1939-1945) - Ariane Mak p. 43-66 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Comment enquêter en temps de guerre quand la figure de l'espion hante les esprits ? L'article se penche sur un point aveugle de l'histoire du Mass Observation – à savoir la manière dont cette organisation britannique de sciences sociales a dû faire face à une suspicion généralisée durant la Seconde Guerre mondiale. Des enquêteurs de terrain devenus objets d'enquête pour une population aux aguets ou emmenés au poste pour soupçon d'espionnage : le Mass Observation se voit obligé d'inventer de nouveaux outils afin de dissiper la méfiance. Sur quoi repose le malentendu et sur quel fond la rumeur prend-elle forme ? Comment la figure de l'espion, tapie dans les consciences populaires, se matérialise-t-elle dans le face-à-face entre les enquêteurs et les enquêtés ? Dans un cadre ouvert à hauteur des échanges interpersonnels et selon une perspective pragmatiste, nous nous proposons de contribuer à une anthropologie historique de la suspicion.
      This article shows how social research investigators from Mass Observation experienced first-hand the acute suspicion that swept Britain during the Second World War. These were times when governmental propaganda insisted that “careless talk costs lives”, when the general public was acutely spy-wary, when the fear of Fifth columnists was widespread. In this context, the mere sight of a stranger asking questions of people in the streets, while scribbling in a notebook, was cause for suspicion. This article analyzes several accounts of investigators being mistaken for spies, and the inquiries undertaken by the police and citizens alike. Little scholarly attention has been paid to Mass Observation's fieldwork difficulties during wartime and to the new methods the organization devised to avoid popular suspicion. By studying the grounded mechanisms of misinterpretation through a pragmatist approach we also hope to contribute to a historical anthropology of suspicion.
    • La méfiance dans l'Italie des « années de plomb », entre peur et vigilance démocratique (1969-1981) - Grégoire Le Quang p. 67-85 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'image de l'Italie des années 1970 reste attachée à celle des « années de plomb », du terrorisme d'extrême-droite aux homicides perpétrés par la lutte armée d'inspiration marxiste-léniniste. Ces violences politiques génèrent des réactions de méfiance à plus d'un titre : méfiance comme réponse affective, corollaire de la peur, aux lendemains d'attentats spectaculaires ; méfiance proche de la défiance envers un État accusé d'inertie face aux violences, voire d'y contribuer activement ; méfiance comme support d'un militantisme critique. La méfiance apparaît comme un objet hybride pour l'historien, à la croisée de l'étude des cultures politiques et de celle des émotions dites « collectives », avec la prudence méthodologique que cette approche impose. Objet palpable dans les sources et clé de lecture essentielle, la méfiance caractérise ce moment historique et perdure en Italie à l'égard du système politique, partisan et médiatique.
      The image of Italy in the 1970s is tied up with the expression “years of lead” (anni di piombo), a reference to the frequency of extreme-right bombings during this period, as well as to the assassinations carried out by Marxist-Leninist organizations. Political violence generated mistrust in more ways than one : mistrust as an emotional response produced by devastating terrorist incidents ; mistrust as a sedimented suspicion of the State, which was accused of responding too slowly to the violence, and even of having actively contributed to it ; and mistrust as the scaffold of critical militancy. Mistrust appears as a hybrid historical object, at the crossroads of the fields of political cultures and “collective emotions”. It is both evident in the historical sources and essential to understanding a period characterized by a distrust of the political and media system which continues in Italy today.
    • La crainte des Roms. Pratiques romanès de la défiance - Lise Foisneau p. 87-108 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      « La crainte des Roms », est-ce celle que les Roms inspirent aux gadjé ou celle que les gadjé éveillent chez les Roms ? Cet article procède d'observations issues d'un terrain partagé avec les Roms dits « Hongrois » dont les ascendants sont arrivés en France à la fin du xix e siècle. Il explore l'insistance de ces collectifs à se défier de tout. La défiance n'est pas seulement pour eux une tactique de résistance, mais aussi une pratique relationnelle constitutive des relations internes au collectif qu'ils forment. Loin d'être la source d'un immobilisme social, la méfiance constitue ainsi le socle d'une disposition politique à réinventer les relations sociales, qui trouve son origine dans des pratiques singulières, dont celle du « vrai-mensonge ». Se défier des apparences va ainsi de pair, chez ces Roms, avec une capacité à créer de nouvelles configurations du monde humain.
      “The fear of Roma.” Is this the fear that Roma evoke in non-Roma (gadje) or conversely the fear that gadje provoke in Roma ? This article builds on ethnographic fieldwork amongst so-called “Hungarian” Roma whose ancestors came to France at the end of 19th century. It explores the inclination of these groups to distrust everything and everybody. Such distrust, it contends, is not merely a tactic of resistance, but also a relational practice constitutive of intra-group relations. Far from being a cause of social inaction, distrust forms the basis for a political disposition to ceaselessly reinvent social relations through a series of practices including “true-lies”. This distrust of appearances thus goes hand in glove with a capacity ceaselessly to reconfigure the human world.
    • Devenir un informateur : le soupçon dans le diagnostic par l'entremise d'autrui - Laurence Tessier p. 109-128 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article explore la façon dont les cliniciens sondent, déchiffrent et se méfient de la parole des proches des patients dans une clinique américaine spécialisée dans le diagnostic de la démence. À partir de l'observation de réunions de l'équipe médicale, je décris comment la confiance habituellement accordée à ces « informateurs » est remise en question, transformant celui qui est perçu d'ordinaire comme un moyen de diagnostic en sujet d'un diagnostic. Cet article montre comment la méfiance envers l'informateur s'avère être une ressource, plutôt qu'un obstacle, pour le travail clinique. Face à un informateur soupçonné d'être « mauvais », les cliniciens utilisent ce qu'ils comprennent de sa « subjectivité » et des relations concrètes que le patient et le proche ont ensemble pour faire le diagnostic des troubles du patient ; cette étude montre alors que le diagnostic de la démence comprend une dimension relationnelle qui n'est donnée à voir que lorsqu'elle pose problème.
      This article explores how clinicians in a U.
      S. specialist center for the diagnosis of dementia probe, interpret and mistrust the “loved ones” who accompany patients during their consultation. Drawing on observations of clinical consultations and team meetings, I ask how trust in these “informants” is challenged. The informant is thus sometimes transformed from being a routine means of gathering information about the patient into an object of diagnosis. The article shows how mistrust towards the informant is actually a tool, rather than an obstacle, for the making of clinical knowledge. Faced with a “bad informant”, rather than merely bracketing or discounting what the informant says, clinicians use what they understand of the affective relationships between the patient and the “bad informant” in order to make a diagnosis. The diagnosis of dementia in an individual is thus shown to draw on and inquire into “relational dimensions” in the patient's life, made visible and enunciable only when they pose a problem.
    • La prudence et le réseau. Permanence et rôle de la méfiance dans le fonctionnement de la régie Garavaque et Cusson de Smyrne (1759-1772) - Sébastien Lupo p. 129-148 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Au xviii e siècle, le commerce avec le Levant confronte les négociants marseillais à un environnement marqué par les incertitudes climatiques et politiques. En 1759, la riche maison Roux établit à Smyrne, la principale Échelle de l'Empire ottoman, une commandite à laquelle elle associe deux jeunes régisseurs familiers, conformément aux traditions. Au cours des douze années d'existence de la société, les relations entre commanditaires et complimentaires se distinguent par leur conflictualité et par une méfiance aussi manifeste que durable : l'ancienneté comme les bénéfices dégagés n'y changent rien. Cette attitude paradoxale se révèle particulièrement délétère en 1768. Le manque de confiance des Roux à propos d'une opération de grande envergure pour ravitailler Malte conduit la commandite au bord de la faillite. Saisir la logique de ce comportement mêlant paradoxalement soupçon et poursuite de la collaboration nécessite d'envisager autrement les rapports entre méfiance et confiance. Au lieu de contraires qui s'excluent, on peut les assimiler, avec Niklas Luhmann, à des équivalents fonctionnels qui permettent aux acteurs d'appréhender la complexité du réel. Cette approche, dans le cadre d'un réseau marchand, redéfinit ces agissements comme la manifestation de la prudence des négociants. Cette dernière subsume la confiance relative des majeurs pour leurs envoyés et leur méfiance à l'égard d'opérations qu'ils ne contrôlent pas directement. Cette prudence conventionnelle justifie, par son encastrement dans un jeu de relations sociales complexes, la coprésence pérenne, qui confine à la complémentarité, de la méfiance et de la confiance.
      In the eighteenth century, trade with the Levant plunged merchants from Marseilles into an environment distinguished by climatic and political uncertainties. In 1759, the rich Roux company established a firm in Smyrna (Izmir), the principal “factory” of the Ottoman Empire, setting two young intimates at its head, according to the tradition. During the twelve years of the firm's existence, conflicts and an obvious lasting mistrust characterized the relationship between the different partners : neither the length of their association nor the profits generated altered this. This paradoxical attitude proved to be particularly deleterious in 1768. The Roux's lack of trust concerning a large-scale operation to resupply Malta led the firm to the edge of bankruptcy. To grasp the logic of this behavior, which paradoxically combines suspicion and ongoing collaboration, we need to consider differently the relationship between trust and distrust. Instead of seeing them as mutually exclusive opposites, we should follow Niklas Luhmann in viewing them as functional equivalents that enable businessmen to understand the complexity of reality. This approach, in the context of trade networks, redefines these actions as the manifestation of traders' prudence or caution. The latter includes the Roux company's relative trust in its subordinates as well as its distrust of operations that it didn't control directly. This conventional caution justifies, by its embeddedness in a set of complex social relations, the lasting co-presence of mistrust and trust, which verges on complementarity.
  • Note

    • L'expérience ordinaire de la méfiance - Sébastien Schehr p. 151-167 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article propose une analyse de la méfiance centrée sur la question de ses sources et de ses éléments constitutifs dans la vie quotidienne. Nous précisons tout d'abord quels sont les principaux facteurs qui alimentent cette attitude et en facilitent l'émergence. Nous montrons ainsi que la méfiance trouve souvent sa source dans des expériences ordinaires voire familières. Il s'agit ensuite de caractériser la méfiance sur le plan sociologique et psychologique : nous insistons sur le fait que la méfiance peut être envisagée comme une compétence permettant l'ajustement à certaines situations sociales et que l'on ne peut seulement la définir comme le négatif de la confiance. Enfin, nous nous intéressons aux effets cognitifs et sociaux de la méfiance et interrogeons l'idée selon laquelle elle serait intrinsèquement délétère.
      This article offers an analysis of mistrust that looks for its origins and constituent elements in everyday life. It begins by outlining the principal factors that facilitate and feed into an attitude of mistrust, arguing that it is everyday and even familiar experiences that typically give rise to mistrust. It then proceeds to explore the sociological and psychological aspects of the phenomenon, suggesting that mistrust can be seen as a competency that allows people to adapt to particular social situations and that it cannot be seen as a mere negative inversion of trust. Finally, it looks at the cognitive and social impact of mistrust and examines the contention that it is intrinsically harmful.
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