Contenu du sommaire : Collections mixtes
Revue | Gradhiva : revue d'anthropologie et de muséologie |
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Numéro | no 23, 2016 |
Titre du numéro | Collections mixtes |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- In memoriam. Monsieur Fabre n'est jamais là - Giordana Charuty, Michèle Coquet, Jean Jamin p. 2-25
Dossier Collections mixtes
- Collectionner par-delà nature et culture - Julien Bondaz, Nélia Dias, Dominique Jarrassé p. 28-49
- Coquilles et médailles. Naturalia et artificialia dans les collections de province autour de la Révolution - Pierre-Yves Lacour p. 50-67 Dans le moment révolutionnaire, tout particulièrement lors des grandes (re)fondations des années 1793-1795, les collections parisiennes tendent à se spécialiser rapidement dans l'un ou l'autre des quatre grands domaines d'objets matériels : la nature, les antiquités, les techniques et les beaux-arts. Autour de 1800, les collections qui rejettent ce modèle de spécialisation et associent naturalia et artificialia sont démonétisées, à l'image des cabinets provinciaux, qu'ils soient particuliers ou institutionnels. Si, vers 1810, les collections provinciales mêlent encore des objets naturels et artificiels, ces derniers ne sont plus les mêmes que dans les années 1780, les artefacts exotiques étant tantôt rendus invisibles tantôt ordonnés dans une histoire de l'industrie humaine. Le couplage coquilles (ou minéraux) et médailles (ou antiquités) est alors la règle. Il conviendrait de ne pas lire dans ces mélanges d'objets hétéroclites l'incarnation d'un projet intellectuel de mise en rapport des savoirs mais d'y voir, plus prosaïquement, des rassemblements contingents liés à l'histoire même des collections.Around the time of the French Revolution, and more particularly during the major (re)organisations of 1793–1795, Parisian collections were rapidly beginning to specialise in one of the four main areas of physical objects, namely nature, antiquities, technology and fine arts. By around 1800, collections that were rejecting this specialisation model and combining naturalia and artificialia had come to be devalued in the same way that private and institutional provincial collections were. Although the provincial collections were still combining natural and artificial objects by around 1810, the latter were different from those exhibited in the 1780s. The exotic artefacts had either become invisible, or they had been organised into a history of human industry. The pairing of shells (or minerals) and medals (or antiquities) had therefore become the norm. This mixing of heterogenous objects should not be interpreted as the manifestation of an intellectual project that formed connections between different areas of knowledge but rather, somewhat more prosaically, as contingent assemblages that were linked to the very history of collections itself.
- Insectes, armes et parures. Les enjeux de la collection d'Achille Raffray (Nouvelle-Guinée, 1877) - Philippe Peltier p. 68-95 Lors de sa mission en 1876 sur la côte nord de Nouvelle-Guinée, l'entomologiste Achille Raffray constitua trois collections. La première est consacrée, sans surprise, aux insectes et aux oiseaux, la deuxième, plus inattendue, aux objets ethnographiques et la troisième aux crânes humains. À son retour de mission, toutes ces collections furent achetées par l'État, les objets intégrant le musée d'Ethnographie du Trocadéro. Jusqu'à nos jours, ce dernier ensemble d'une centaine de pièces n'a pas attiré l'attention des chercheurs. Il est cependant pour l'époque un exemple remarquable de collecte et le récit de voyage que Raffray publia dans Le Tour du monde permet de comprendre comment celle-ci fut menée, au regard des débats qui agitaient alors le milieu anthropologique sur la question de l'art et de l'esthétique.During his mission in 1876 on the northern coast of New Guinea, the entomologist Achille Raffray compiled three collections. The first was, unsurprisingly, dedicated to insects and birds. Somewhat more surprisingly though, the second was dedicated to ethnographic objects and the third, to human skulls. On his return to France, the three collections were purchased by the state, and the items were deposited in the Musée du Trocadéro. To date, this latter collection of around one hundred pieces has received no attention from researchers. However, it is a remarkable example of a collection for its time. Raffray's account of his travels, published in Le Tour du Monde, affords us an understanding of how he compiled the collection in light of the debates in the world of anthropology at the time on the question of art and aesthetics.
- Discipliner la science de l'homme. Les collections suisses d'outre-mer (1890-1940) - Serge Reubi p. 96-121 Se fondant sur trois cas d'étude puisés dans l'histoire de l'ethnographie suisse du premier tiers du XXe siècle, cet article met en cause la validité d'une chronologie suggérée par une partie de l'historiographie qui laisse penser que la disciplinarisation a permis la disparition des pratiques de collecte mixte et leur remplacement par des collectes disciplinaires. Il interroge également la validité du concept de « pratiques mixtes ». Sont d'abord identifiés les processus disciplinaires sur lesquels se fonde l'historiographie pour expliquer la transformation des pratiques. Trois expéditions mixtes sont ensuite présentées, intervenant à des moments différents de la disciplinarisation de l'ethnographie : au début de celle-ci, à Sulawesi (Célèbes), entre 1893 et 1896 ; au moment où elle se développe, aux Nouvelles-Hébrides, entre 1910 et 1912 ; à son terme, en Angola, en 1933. Faisant le constat d'une perpétuation des pratiques mixtes, la troisième partie explore les motifs locaux et institutionnels de cette persistance.Based on three case studies drawn from the history of Swiss ethnography in the first three decades of the 20th century, this article calls into question the validity of a chronology that is suggested by a section of historiography, which implies that the establishment of ethnography as a discipline led to the disappearance of mixed collection practices and their replacement with discipline-based collections. The article also questions the validity of the concept of mixed practices. In the first section, the discipline-based processes underpinning the historiographical explanation of the transformation of practices are identified. This is followed in the second section by a presentation of three mixed expeditions, which took place at different times during the development of ethnography as a discipline. The first expedition occurred at the beginning of the process in Sulawesi (Celebes) between 1893 and 1896. The second took place in the New Hebrides, between 1910 and 1912, when the development of ethnography as a discipline was well underway, and the third came at the end of the process in Angola in 1933. Noting a perpetuation of mixed practices, the final section explores the local and institutional motives for this persistence.
- Art nouveau ou art congolais à Tervuren ? Le musée colonial comme synthèse des arts - Dominique Jarrassé p. 122-145 Lors de l'Exposition universelle de Bruxelles en 1897, le roi Léopold II installe une section congolaise à Tervuren dans un bâtiment qui deviendra le musée colonial. Aménagée par des architectes Art nouveau, comme Paul Hankar ou Henry van de Velde, elle regroupait des collections ethnographiques, des produits d'importation et d'exportation, des animaux vivants, mais aussi un salon d'honneur présentant des statuettes d'ivoire produites par des artistes belges. L'ivoire s'y trouvait décliné sous toutes les formes, « œuvres d'art » belges, « objets ethnographiques » congolais, défenses animales à l'état naturel intégrées au décor et à des mises en scène des peuples congolais. Véritable œuvre d'art totale, l'exposition devait sa cohérence au lien profond entre l'Art nouveau, qualifié de « style Congo » pour son usage vitaliste de matériaux exotiques et de formes primitivistes, et l'idéologie coloniale des commanditaires.During the Brussels World's Fair in 1897, King Leopold II set up a Congolese section in Tervuren in a building that was to become the colonial museum. Fitted out by Art Nouveau architects, like Paul Hankar and Henry van de Velde, it brought together ethnographic collections, imported and exported products and live animals. It also had a reception room housing ivory statuettes produced by Belgian artists. Ivory was displayed in all its forms at the exhibition, including the Belgian ivory artworks, Congolese ethnographic objects and even tusks and teeth incorporated into both the decor and the staged Congolese scenes involving real Congolese people. A true total work of art, the exhibition owed its coherence to a profound connection between Art Nouveau – referred to as ‘Congo style' for its vitalistic use of exotic materials and primitivistic forms – and the sponsors' colonial ideology.
- Les collections d'art contemporain à l'épreuve du vivant à travers quelques cas remarquables - Cyrille Bret p. 146-167 L'œuvre d'art européocentrée s'est historiquement définie en tant qu'objet visuel unique. Or, à partir des années 1960, des artistes ont fait éclater ce modèle en artifiant le vivant et en révélant la portée artistique des clivages entre nature et culture, humain et non-humain. Dès lors qu'elles rentrent dans une collection, que deviennent ces œuvres mixtes mêlant le vivant à l'objet ? À travers quatre études de cas récentes comprenant de la moisissure, des insectes, des animaux ou encore des corps humains, cet article vise à comprendre comment les chargés de conservation font exister ces entités composites dans une collection, et dans quelle mesure leur caractère vivant peut être préservé. Relevant les paradoxes de l'objectualisation de l'art et ses conséquences, il s'attarde sur le rôle de la durée d'exposition ou du protocole dans le bricolage des ontologies pluralistes et provisoires de ces œuvres.Eurocentric works of art are historically defined as unique visual objects. From the 1960s onwards, however, this model was shattered by artists who were turning living things into art and revealing the artistic significance of the nature and culture or human and nonhuman dichotomies. What do these mixed media works that combine living things with objects become the moment they enter a collection? Drawing on four recent case studies comprising mould, insects, animals and even human bodies, this article aims to understand how conservators maintain these mixed media entities in a collection and to what extent their liveness can be preserved. With reference to the paradoxes of the objectualisation of art and its consequences, it considers the roles of exhibition duration and protocol in the bricolage of these works' provisional, pluralist ontologies.
- Ramasser le monde. Ce que les œuvres de la nature et de la culture font aux collectionneurs contemporains - Brigitte Derlon, Monique Jeudy-Ballini p. 168-193 Collectionner à la fois l'art primitif et les spécimens naturels engage à ces deux types d'objets, des relations moins dissemblables qu'on pourrait le supposer. De fait, l'approche ethnographique rend sensible aux continuités discursives, physiques et conceptuelles que les collectionneurs établissent entre les éléments de ces catégories au-delà de leur disparité. Représentations de la collecte, préférences esthétiques, disposition spatiale des pièces, analogisme, projections fusionnelles ou encore réflexions sur le fragment, la sélection et le temps : ces différents aspects, ici mis en perspective, relèvent d'un même regard intégrateur. Ils dessinent un imaginaire tout à la fois intime et cosmologique qui participe de la construction d'un rapport subjectif et donc forcément singulier au monde.Collecting both primitive art and natural specimens establishes relationships with these two types of objects that are more similar than might be supposed. The ethnographic approach goes beyond the objects' disparities to uncover the discursive, physical and conceptual continuities that collectors establish between the different elements in these categories. These are evident in the ways collectors show their collections as well as in their aesthetic preferences, the spatial arrangements of their pieces, their analogisms, their fusional projections and even in their reflections on the fragment, selection and time. All these different aspects, which are put into perspective here, fall under the same inclusive gaze. They portray an imagination that is both intimate and cosmological, which pertains to the construction of a subjective and therefore inevitably singular relationship with the world.
Études et essais
- Genèses de La Fin du monde de De Martino - Carlo Ginzburg p. 194-213 Cet article analyse le dernier projet de recherche, inachevé, d'Ernesto De Martino : ses notes parues sous le titre La Fin du monde dans une édition posthume. Nous remontons ici aux sources lointaines du projet, au moment où est conçu Le Monde magique, dans les années 1940, alors que De Martino découvre les travaux de Sergueï Shirokogoroff sur les chamanes toungouses et – à travers Wilhelm Emil Mühlmann, chercheur nazi en folklore et en anthropologie – la pensée de Martin Heidegger. C'est dans ce contexte que De Martino élabore sa thèse fondamentale sur la perte de la présence. Mais c'est seulement au début des années 1960 que celle-ci est reliée au thème de la fin du monde, grâce à un film, ou plutôt aux dernières minutes d'un film : L'Éclipse (1962) de Michelangelo Antonioni.This article analyses Ernesto de Martino's unfinished final research project. His notes from the project were published posthumously under the title The End of the World. The article goes right back to the distant sources of the project, when Primitive Magic was conceived in the 1940s and when De Martino was discovering the works of Sergei Shirokogoroff on the Tungusic shamans and – through Wilhelm Mühlmann, a Nazi researcher in folklore and anthropology – Martin Heidegger's thinking. This was the context in which De Martino developed his fundamental thesis on the loss of presence. It was not until the beginning of the 1960s, however, that his thesis became linked to the theme of the end of the world through Michelangelo Antonioni's 1962 film – or rather the closing minutes of it – The Eclipse.
- Genèses de La Fin du monde de De Martino - Carlo Ginzburg p. 194-213
Note de lecture
- Leiris, singulier pluriel - Éléonore Devevey p. 214-227
Chronique scientifique
- Brice Gérard, Histoire de l'ethnomusicologie en France (1929-1961) : Paris, L'Harmattan, coll. « Histoire des sciences humaines », 2014 - Marie-Barbara Le Gonidec p. 228-231
- Elizabeth Edwards et Christopher Morton (éd.), Photographs, Museums, Collections: Between Art and Information : Londres et New York, Bloomsbury, 2015 - Anaïs Mauuarin p. 232-233
- Frédéric Léotar, La Steppe musicienne. Analyse et modélisation du patrimoine musical turcique : Paris, Vrin, coll. « MusicologieS », 2014 - Laurent Legrain p. 234-235
- Laurent Legrain, Chanter, s'attacher et transmettre chez les Darhad de Mongolie : Paris, Centre d'études mongoles et sibériennes - École pratique des hautes études, coll. « Nord-Asie 4 », 2014 - Grégory Delaplace p. 236-237
- Joffrey Becker, Humanoïdes. Expérimentations croisées entre arts et sciences : Nanterre, Presses universitaires de Paris Ouest, coll. « Frontières de l'humain », 2015 - Perig Pitrou p. 238-240
- Ariela Epstein, À ciel ouvert. Cultures politiques sur les murs de Montevideo : Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Des Amériques », 2015 - Michèle Coquet p. 240-242
- Caroline de Saint-Pierre (éd.), La ville patrimoine. Formes, logiques, enjeux et stratégies : Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Art et société », 2014 - Thierry Bonnot p. 243-244