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Revue | Revue historique |
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Numéro | no 680, octobre 2016 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Avant-propos - p. 739-740
- Taillables à merci ? Les serfs et l'administration royale en 1248 - Marie Dejoux p. 741-762 Si Louis IX procéda à l'affranchissement de centaines de serfs, ce n'était pas par charité, mais bien, comme l'a montré Marc Bloch, en raison des difficultés éprouvées par son administration pour lever les taxes recognitives de la servitude. Au travers d'un recueil de témoignages à charge et à décharge, consigné sur le châtelain de Laon en 1248 à l'occasion des vastes enquêtes de réparation de Louis IX, l'article tente de mettre au jour les problèmes rencontrés par les officiers picards pour prélever la mainmorte dans une région qui comptait de nombreux serfs. Face à la législation royale, les élites serviles savaient en effet jouer de la coutume locale et de la complexité de leur condition selon leurs intérêts du moment, quand elles ne mettaient pas au point de subtiles stratégies d'évasion fiscale pour préserver des patrimoines parfois conséquents. Cet article entend donc participer à la réévaluation de la condition servile tout en mettant l'accent sur l'agency de ceux dont on a fait des dominés par excellence : les serfs médiévaux.If Louis IX freed hundreds of serfs, it was not out of charity but, as shown by Marc Bloch, because of the difficulties faced by his administration to raise the characteristic taxes of servitude. Through a collection of testimonies recorded against the châtelain of Laon in 1248, during Louis IX extensive “restitution investigations”, the paper attempts to shed light on the problems faced by royal officers to collect the mortmain in Picardy where serfs were numerous. Facing the royal legislation, servile elite knew how to play with local custom and with their puzzling condition according to their interests, when they did not invent complex strategies in order to avoid taxation and to preserve their sometimes substantial assets. This article intends to participate in the re-evaluation of the servile condition while focusing on the agency of those who were considered as dominated by excellence: the medieval serfs.
- Comment Robinson Crusoé est entré au collège : carrières littéraires et fabrique d'un classique au xviiie siècle - Emmanuelle Chapron p. 763-784 Publié en 1719 comme une authentique relation de voyage, Robinson Crusoé est devenu au début du xixe siècle un classique de la littérature de jeunesse. En suivant la trajectoire éditoriale du roman de Defoe et des adaptations qui en sont produites dans la France du second xviiie siècle, on voudrait interroger les procédés de la classicisation des œuvres à partir d'un cas-limite, celui d'un roman contemporain. Il s'agit de mettre en évidence la manière dont les choix narratifs, iconographiques et matériels qui sont fait par les auteurs et leurs éditeurs s'articulent aux trajectoires sociales des auteurs et aux débats pédagogiques contemporains, et en particulier aux réflexions sur la littérarisation de la production pour la jeunesse et sur la didactique des langues.Published in 1719 as an authentic travel account, Robinson Crusoé became in the early nineteenth century a classic of children's literature. Through the editorial story of the novel and the adaptations that occurred in the second half of the eighteenth century, this article would like to examine the process by which a book became a classic, from an extreme case, that of a contemporary novel. This is to show how the narrative, iconographic and material choices made by the authors and their publishers crossed the social trajectories of the authors and the contemporary debates on production for youth and language teaching.
- La périodisation canonique de l'histoire : une exception française ? - Jean Le Bihan, Florian Mazel p. 785-812 À partir d'une enquête systématique effectuée auprès des historiens français actuellement en activité dans les universités et les grands établissements de recherche et d'enseignement supérieur et dont les mémoires de recherche (thèses de doctorat et mémoires d'habilitation) enjambent au moins l'une des grandes césures organisant traditionnellement le métier d'historien (476, 1492, 1789-1815), cet article s'efforce de mesurer le poids de la périodisation canonique sur les pratiques de recherche et d'enseignement, d'apprécier la manière dont elle est perçue et vécue par les enseignants-chercheurs et d'en expliquer la vigueur et les origines, avant d'esquisser une rapide mise en perspective internationale. Il en ressort notamment le constat d'une forte prégnance de la périodisation canonique, qui découle d'une institutionnalisation à la fois précoce, nationalisée et somme toute consensuelle, ce qui explique sa résistance aux autres modes d'organisation des études historiques, même les plus avantageusement promus par les discours modernisateurs actuels, comme les aires culturelles. Cette prégnance n'empêche pas une certaine souplesse pratique laissant en réalité ouvertes de nombreuses voies d'accommodation à l'échelle individuelle. Cette véritable institution, au sens sociologique, qu'est la périodisation canonique n'apparaît pas propre à la France, même si elle y a assurément trouvé l'un des terrains les plus propices à sa reproduction.This study is based upon a survey conducted with French historians currently teaching in universities and university-based research centers and whose research papers (doctoral thesis and habilitations) cover at least one of the important breaks which define the different periods on which historians usually work upon (476, 1492, 1789-1815). This academic article is trying to assess the importance and the role of traditional periodization over research methodologies and teaching, and to evaluate how it is received and perceived by teachers-researchers. We also tried to explain the strength and the origins of traditional periodization before briefly providing an international perspective. It appears that historical periodization has had a great influence due to an institutionalization which took place early, in a national context, with a consensus approach. This can explain its durability compared to the other ways of organizations that could exist among historical studies, even the most modern ones that are put forward, such as the notion of “cultural areas”. This influence does not prevent a certain flexibility which gives the possibility to different accommodation at individual scale. This real institution of historical periodization, in the sociological sense of the term, is not specific to France; though it is a national context particularly adapted to its development.
- Traces ? Quelles traces ? Réflexions pour une histoire non passéiste - Joseph Morsel p. 813-868 La définition de l'histoire comme « connaissance par traces » constitue l'une des évidences les mieux enracinées dans les représentations des historiens, quelle que soit l'épistémologie dont ils se réclament. C'est d'une part à la généalogie de cette évidence que se consacre cet article, qui montre que la référence à la trace est strictement contemporaine de la formation de la science historique à partir du milieu du xviii e s. (bien qu'elle ne soit théorisée que tardivement, à la fin du xx e s., comme une sorte d'indice), mais aussi que la valeur sémantique de la trace est systématiquement réduite à l'empreinte plutôt qu'à la piste. L'article examine donc ensuite les implications logiques de cette conception de la trace historique comme une empreinte, qui fonctionne pour l'historien comme la figure spéculaire, à la fois épiphanique et mimétique, d'une réalité disparue, le passé – comme si l'histoire n'était qu'une technique de « résurrection du passé ». Pour finir, l'article soulève le problème de l'objet classiquement (malgré l'opposition de maints historiens) attribué à l'histoire, le passé – et fait l'hypothèse que c'est précisément la théorie implicite de la « connaissance par traces » et la réduction de la trace à l'empreinte qui interdisent vraiment à l'historien de sortir du rôle traditionnel de l'histoire comme commémoration du passé.The definition of History as “trace-based knowledge” is one of the most deeply-rooted axioms in historians' representations, whatever their epistemology stance. This paper deals first with the genealogy of this axiom, and shows that the use of the word “trace” as knowledge medium appeared exactly with the emergence of historical science, from the mid-18th century onwards (even though the concept was only theorized much later, at the end of the 20th century, as a kind of clue), and that the semiotic value of the “trace” is systematically restricted to the imprint rather than to the track. The paper examines therefore the logical implications of this conception of the “historical trace” as an imprint, which operates for the historian as the mirror image, both epiphanic and mimetic, of a vanished reality, the past – as if History were a mere technology aiming at “resuscitating the past”. The paper eventually addresses the object classically attributed to History – despite the opposition of many historians –, the past, and hypothesizes that it is precisely the unspoken theory of “trace-based knowledge” and the reduction of the trace to an imprint which prevent the historian from going beyond the traditional task of History as a commemoration of the past.
- Prosopographia Attica 2.0. Base de données et raisonnement prosopographique - Karine Karila-Cohen p. 869-904 L'usage des outils numériques s'est largement développé dans les études prosopographiques, toutes périodes confondues. L'apport indéniable en termes de stockage et d'interrogation des données s'accompagne également d'une réflexion, induite par ce nouvel outil, sur les pratiques héritées d'une longue tradition érudite. Le recours à une base de données relationnelle permet de s'interroger sur le processus de fabrication d'une notice prosopographique, interrogation d'autant plus nécessaire en prosopographie attique que l'on travaille avec des sources lacunaires dont le texte lui-même est souvent difficile à établir. Ce questionnement sur la méthode, et donc sur la validité des données publiées dans un catalogue qui sera le support de multiples études, n'est pas neuf, mais il est renouvelé par la nécessité de traduire la démarche prosopographique dans le langage des bases de données relationnelles. Il s'agit donc, dans un premier temps, de parcourir la longue tradition de la prosopographie attique pour voir quelle place a pris le discours de la méthode depuis la fin du xix e siècle. Dans un second temps, l'article tente de montrer, en s'appuyant sur un exemple précis détaillé en annexe, que la décomposition en tables dans une base de données révèle les implicites de ce discours de la méthode. Il s'agit de s'interroger sur le type, le nombre et la valeur des arguments qu'il faut retenir pour accepter les hypothèses prosopographiques.IT tools have been broadly developed in prosopographical studies irrespective of the period in question. The payoffs can be seen in the matter of data storage and data query but these tools also raise the question of the prosopographical practices inherited from the scholar tradition. In particular, a relational database enables us to examine the way to build a prosopography from a new point of view. This examination is all the more needed in the context of Attic prosopography, whilst our corpus of sources is incomplete and based on texts established with difficulty. Neither methodological questions, nor the questioning about the validity of the prosopographical data, on which depend many studies, are new. This methodological questioning is nevertheless renewed when we try to translate the prosopographical logic into the relational databases system.
The first part of this paper is a historiographical analysis of the long tradition of Attic prosopography so as to understand why the methodological discourse remains implicit since the end of the 19th century. It seems that the historians of Ancient Greece intervene less than those of the Roman world in the epistemological debate, even if prosopography was born at the same time, within the scope of Greek and Roman epigraphical studies. This link with epigraphy remains so important that it is difficult to distinguish between the different kinds of prosopography (onomasticon, epigraphical commentary, social enquiry) when we look back to the publications dealing with Hellenistic Athens for example. In these studies, we can see that making prosopography seems to be obvious when you work with Attic inscriptions. This is maybe the reason why the method used to build the personal lexicon is not systematically explained. Notwithstanding, we can find reflections about methodological considerations in several of those publications.
The second part of this article aims to demonstrate that a relational database reveals this implicit discourse. After having explained how a database devoted to Attic prosopography should be structured, I illustrate with a precise example the link between the methodological discourse and this specific data structure. Namely, the recording of data in separate tables can stress a set of arguments usually used to read incomplete names in texts, decipher homonyms and find parents. It would be of great benefit if we decided on the permanent combination of arguments sufficient to accept a prosopographical hypothesis as certain. We must first determine each kind of arguments we are used to taking in consideration, such as «sharing of demotic» or «onomastic network». We also must establish if we have to give them the same value. We must finally decide how many of these arguments should be chosen together in the same rationale.
Details of the example of the family of Charikles and Theodoros of Phalêreus can be found in the annex, where I examine two possible stemmata. Mélanges
- Doit-on encore parler de colonisation allemande au Moyen Âge ? Réflexions sur l'historiographie récente concernant l'Europe du Centre-Est aux xiie et xiiie siècles - Sébastien Rossignol p. 905-940
- Occupation japonaise et collaboration chinoise : tendances historiographiques récentes - David Serfass p. 941-966
Comptes rendus
- Comptes rendus - p. 967-1019