Contenu du sommaire : Après la guerre
Revue | Astérion |
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Numéro | no 15, 2016 |
Titre du numéro | Après la guerre |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- Après la guerre... Tentative de définition d'un objet complexe - Christian Biet, Jean-Louis Fournel
- Après les Ciompi : regards florentins sur le tumulte et construction politique de l'après-crise - Laurent Baggioni, Élise Leclerc L'article analyse la perception de la révolte de 1378 dans la mémoire florentine entre la fin du XIVe siècle et la moitié du XVe siècle. Deux types de sources sont étudiées et croisées, les livres de famille, d'une part, et la littérature humaniste, de l'autre. Leur lecture conjointe permet de parvenir à deux conclusions : d'abord, les clés de lecture de l'événement suivent une évolution qui tend à éluder progressivement toute analyse socio-économique du conflit ; ensuite, ces clés de lecture correspondent à deux enjeux politiques distincts et successifs : la resémantisation du guelfisme en premier lieu, puis, à partir des années 1430, l'analyse sociale de la république à partir d'une structure hiérarchique rigide.The article analyzes the perception of the revolt of 1378 in Florentine memory, from the end of the 14th century to the middle of the 15th century. Two types of sources – Florentine family books and humanistic writings – are submitted to a crossed analysis. From the confrontation of those sources, the two following conclusions can be drawn: first, the interpretations of the event gradually change and eventually shun any socio-economic analysis of the conflict; second, those interpretations reflect two key political issues, both distinct and consecutive in time: the resemantization of guelfism and, from the 1430s onwards, the social analysis of the republic through a rigidly hierarchical framework.
- Après les Guerres d'Italie : Florence, Venise, Rome (1530-1605) - Romain Descendre, Jean-Louis Fournel, Jean-Claude Zancarini Dans la péninsule italienne, à une quarantaine d'années de guerres incessantes fait suite, à partir de 1494, une longue période de paix relative jusqu'à la fin du xviiie siècle. Florence, Venise et Rome sont alors les trois espaces culturels et politiques où naissent les réflexions les plus importantes – et les plus « européennes » – sur la question de la guerre et sur le déploiement d'un « après-guerre ». Après la pensée florentine qui articule politique de conquête et nécessité de la conservation en temps de guerre, « l'après-guerre » s'inscrit dans une tension potentielle, sinon permanente, entre l'impossibilité de la paix et l'acceptation de la domination politico-militaire. La compréhension des effets de cette situation peut passer par l'éloge de la neutralité et de la pacification des rapports de force, notamment dans la pensée vénitienne. Dans cette perspective, la paix constitue un cadre à la fois imposé et en mouvement. Le questionnement concerne du coup ce que la guerre transmet à l'après-guerre. Puisque la guerre est une expérience radicale, une expérience de la limite, elle est du coup porteuse d'un savoir qui acquiert une nécessité : de ce fait, ce savoir continue d'informer la réflexion, même quand la conjoncture s'est modifiée du tout au tout. Ainsi, même lorsqu'on fait passer les raisons de la conservation avant celles de la conquête, on ne remplace pas la guerre par la paix. On a cessé de penser qu'après la guerre était la paix : bien au contraire, on a placé la guerre au principe de la paix.After forty years of incessant wars begun in 1494, the Italian peninsula is experiencing a long period of relative peace, until the end of the 18th century. Florence, Venice and Rome are at that time the three cultural and political spaces that give birth to the most important – and the most “European” – thinking upon the question of war and “post-war era”. After Florentine political thought and its connection of conquest politics to conservation in times of war, the “after-war” is always virtually tensed between the impossibility of peace and the consent to political and military domination. The understanding of such a situation is expressed by the praising of neutrality and pacification of power relations, in particular in venetian thought. In this perspective, peace is in the same time an imposed and a mobile framework. At stake is what does war transmit to after-war. Since war is a radical experience, a limit-experience, it brings a knowledge that gains necessity: therefore this knowledge continues to inform the reflection even when the circumstances are totally different. Even when the reasons of conservation are placed before the reasons of conquest, war is not replaced with peace. It is not thought anymore that after war comes peace: on the contrary, it is considered that peace has its origins in war.
- Symptômes du ressentiment chez quelques mémorialistes (1563-1598) - Marie-Madeleine Fragonard Les mémorialistes témoignent du ressentiment persistant qui accompagne les édits de pacification des années 1563 à 1598. Non publiés à cette époque, ils reflètent le mécontentement de voir les édits favoriser leurs adversaires, croient-ils, et les divers moyens par lesquels une population peut traduire la permanence des agressivités détournées (insultes, émeutes, tracasseries juridiques, désignations diffamatoires), quelles que soient la date et les clauses d'oubli. Le peu de crédit apporté à la décision royale de coexistence pacifique ne construit, au delà des apparences disciplinées, que la perception d'une régression à ce qui était l'origine des conflits.The memorialists attest to the persistent resentment which accompanied the edicts of pacification from 1563 to 1598. Unpublished in their era, they reflect both the discontent associated with the belief that the edicts favoured their adversaries and the diverse means by which a population can translate the permanence of deflected aggression (insults, riots, legal obstacles, defamatory statements), regardless of the date and exclusivity clauses. The little credit attributed to the royal decision encouraging pacific coexistence only constructs, beyond official appearances, the perception of a regression to the very origin itself of the conflicts.
- Une « politique de l'oubliance » ? Mémoire et oubli pendant les guerres de Religion (1550-1600) - Paul-Alexis Mellet, Jérémie Foa Les guerres de Religion en France (1562-1598) mettent curieusement en cause la mémoire. En effet, chaque édit de pacification est l'occasion pour la couronne française d'imposer un « oubli » des guerres récentes entre catholiques et protestants. Cette « politique de l'oubliance », censée permettre une stabilité de chaque nouvelle paix, a cependant rencontré des obstacles : quelles sont les réticences qu'elle a suscitées ? Comment mesurer l'efficacité de ces mesures ? Comment les commissaires du roi chargés de vérifier l'application des édits s'y sont-ils pris pour imposer cet oubli ?The french Wars of religion (1562-1598) involve memory in a very strange way. Indeed, each pacification edict is an opportunity for the french Crown to impose forgetfulness of recent wars between Catholics and Protestants. These “politics of forgiveness” aimed to enforce stability of the new peace, but faced a lot of obstacles: what kind of resistance dit it provoke? How to measure the effectiveness of these politics? How did the peace commissioners manage to compel forgetfulness?
- Les théâtres de l'après-catastrophe (XVIe-XVIIe siècle) - Christian Biet À la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe, la France sort d'une série de massacres et d'une trentaine d'années de violences extrêmes. Et durant ces Guerres de religion, l'un et l'autre camp se sont référés à la notion d'holocauste, prise au sens religieux et littéral du terme. Si les protestants ont été plus enclins à pratiquer cette référence biblique du point de vue de la victime, les catholiques, en particulier ligueurs, l'ont plutôt employée dans le sens d'un holocauste (nécessaire) des réformés. Toujours est-il que les deux camps, réciproquement, se saignent à blanc et font subir à toute une population, impliquée ou non, une horreur qui marque les esprits des « gens d'après ». Si bien que, durant la période de paix intérieure relative qui suit l'accession d'Henri IV au pouvoir (1593-1594), la conscience d'une catastrophe juste passée s'impose, en particulier au théâtre et dans les tragédies. Une catastrophe à laquelle les contemporains se réfèrent comme événement radical du monde d'alors, un pire absolu de ce que l'humanité peut produire d'inhumain, une horreur qu'il faudrait peut-être oublier et/ou sur laquelle il est pourtant nécessaire de faire retour, pour tenter de la penser.At the end of the 16th century and early 17th century, France emerges from thirty years of extreme violence and a series of massacres. During these Religious wars, both sides, using the literal religious meaning of the word, referred to the notion of holocaust: if Protestants tend to practice this biblical reference from the point of view of the victims, the Catholics, particularly the members of the catholic League, have rather used it in the sense of a (necessary) Holocaust against the Protestants. Anyway, the two sides are mutually bleeding themselves white: they imposed on the whole people, involved or not, an incredible horror, and unforgettable for all the individuals who lived after this period. Therefore, during the period of relative peace which followed Henry IV's accession to the throne (1593-1594), and even if the Edict of Nantes forbids to recall it, the collective consciousness of a just passed disaster remains, especially in theatre and in the tragedies. This disaster is seen as a radical event for the world, as an absolute worst the humanity can generate in terms of inhumanity. Do people must forget this disaster or do they have to look back on it to think and judge what occured some years before?
Varia
- Les tumultes chez Machiavel et la langue de la jurisprudence - Angela De Benedictis Depuis quelque temps, les spécialistes de Machiavel ont dédié leur attention, d'une part, au rôle des tumultes et de l'autre, à la présence de la langue de la jurisprudence dans son œuvre. Jusqu'à présent, ces deux lectures de Machiavel ne sont pas rencontrées. Cette contribution entend montrer jusqu'à quel point la langue de la jurisprudence est présente dans l'écriture de Machiavel sur les tumultes, dans ses premiers textes comme, surtout, dans ses Histoires florentines. En partant de l'analyse machiavélienne de la rébellion de la Valdichiana (1503), la première partie de l'article traite de la rébellion comme problème juridique et politique, comme cas spécifique du crime de lèse-majesté, traité par les juristes de droit civil et de droit canon, depuis les commentaires des lois impériales d'Henri VII (1313) jusqu'aux consilia rédigés en défense de Laurent de Médicis et de la cité de Florence à l'occasion de la conjuration des Pazzi (1478), ainsi qu'au premier traité dédié aux séditions écrit par le juriste français Nicolas Bohier. Dans un second temps, on prend en considération le discours du Ciompo anonyme des Histoires florentines (livre III) et on analyse un passage rarement pris en compte par les commentateurs : « Là où beaucoup se trompent, peu sont châtiés ». Dans ce passage, Machiavel utilise un principe juridique, une regula iuris, certes controversée et souvent non acceptée, mais théoriquement admise comme telle. Les considérations finales proposent de possibles parcours pour de futures recherches.In recent years, scholars of Machiavelli have dedicated closer attention to, on one hand, the role played by tumults, and the presence of the language of jurisprudence in his work. Until now, these two readings of Machiavelli have never intersected. This essay aims to show to what extent the language of jurisprudence was present in Machiavelli's writings on tumults both in his early works, and above all in the Florentine Histories. Starting from Machiavelli's analysis of the Valdichiana rebellion (1503), the first part of the essay deals with ‘rebellion' as a legal and political issue, as a specific case of the crime of lese majesty, discussed among civil and canon lawyers from commentaries on the famous imperial laws of Henry VII (1313) up through some legal consilia written in defense of Lorenzo de' Medici and the city of Florence in relation to the Pazzi Conspiracy (1478), as well as first treatise dedicated specifically to the subject of seditions by a French jurist (1515). The essay's second part considers the famous speech of the anonymous Ciompo in the third book of the Florentine Histories, and analyses a passage commonly overlooked by scholars : “When many err, no one is punished”. The essay shows that in this passage Machiavelli used a juridical principle, a regula iuris, which was certainly controversial and very frequently not accepted, but theoretically admitted as such. In concluding, the essay proposes some possible paths for further researchs.
- Sécularisation et bio-politique chez Spinoza - Xenophon Tenezakis La modernité s'est accompagnée d'une reprise en main par l'État des noyaux de pouvoir religieux qui lui étaient auparavant extérieurs. Toutefois, on peut montrer qu'à cette rupture se superpose une autre discontinuité notable : l'apparition d'un concept de pouvoir nouveau, s'occupant de la vie elle-même et non plus de ses marges, qui serait la biopolitique. Il est possible de déceler les leviers conceptuels qui nouent ensemble ces deux transformations chez l'un des penseurs essentiels de cette modernité politique, Spinoza, dans la mesure où, tout en démontrant la nécessité pour le pouvoir politique de s'émanciper du religieux et de le reprendre en main, il participe d'une nouvelle manière de penser l'exercice du pouvoir.Modernity has been accompanied by a regain control of religious power cores by the State that were previously outside it. However, one can show that this break is superimposed another noteworthy discontinuity: the emergence of a new concept of power, dealing with life itself and not with its margins, which would be the biopolitics. It is possible to identify conceptual levers that engage all these changes in one of a key thinkers of this political modernity, Spinoza. While he demonstrates the need for political power of emancipation from religious and resumption, he takes part in a new way of thinking the exercise of power.
- Les tumultes chez Machiavel et la langue de la jurisprudence - Angela De Benedictis