Contenu du sommaire : L'expression verbale des émotions

Revue Langue française Mir@bel
Numéro no 180, décembre 2013
Titre du numéro L'expression verbale des émotions
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • L'expression verbale des émotions : présentation - Nizha Chatar-Moumni p. 3-11 accès libre
  • Syntaxe et sémantique d'un nom d'émotion anticipatoire devant autrui : le trac, peur du dire, du faire ou de l'être - Christiane Marque-Pucheu p. 13-30 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Absent des études linguistiques sur les noms d'émotion, trac est présenté par les dictionnaires comme synonyme de peur. Or, si le second peut être substitué au premier, l'inverse n'est pas toujours possible (avoir (peur / *le trac) à la vue d'une souris). Nous fondant sur des caractéristiques linguistiques concernant l'argument expérienceur et l'argument cause, nous montrons que trac est plus proche de l'appréhension : c'est une émotion anticipatoire que l'on ressent à l'idée d'un jugement qui va être porté sur soi avant un événement social ou devant une personne ayant une fonction sociale. Il apparait être l'affaire du sujet : le trac de Luc ne peut s'interpréter que comme un génitif subjectif. L'absence d'objet (*le trac de quelqu'un, quelque chose) indique qu'il s'agit d'une émotion dont l'objet n'est pas identifiable.
    The syntax and semantics of a noun of anticipatory emotion in front of others : le trac – fear of speaking, doing, or of being (to have the “butterflies”). The noun trac is presented in dictionaries as a synonym of peur and is ignored by most linguistic studies devoted to nouns related to emotions. However, if the latter can replace the former, the reverse is not always possible (avoir (peur / *le trac) à la vue d'une souris). Based on linguistic features related to the “subject of experience” and “cause” arguments, we show that trac is closer to apprehension : it is a forward looking emotion which is felt when anticipating to be judged before a social event or when facing somebody having social authority. It is a personal matter of the subject : le trac de Luc can only be interpreted as a subjective genitive. The lack of object (*le trac de quelqu'un, quelque chose) is indicating that this emotion does not have an object that can be identified.
  • Interactions entre profil discursif et structures actancielles : l'exemple des verbes de surprise et de respect - Iva Novakova, Vannina Goossens, Francis Grossmann p. 31-46 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article propose une approche fonctionnelle, à la fois globale et fine, pour l'analyse des structures actancielles des verbes appartenant aux champs de surprise et de respect. À l'étude de la valence syntaxique et sémantique s'ajoute l'analyse systématique du profil discursif des lexies. Les résultats montrent que les verbes d'émotion des deux champs ont des fonctionnements spécifiques liés, d'une part, à des contraintes syntaxiques et sémantiques et, d'autre part, à des choix discursifs opérés dans le cadre des trois voix (active, passive, moyenne). Deux principaux mécanismes sont identifiés qui traduisent l'articulation entre les niveaux syntaxique et sémantique de l'énoncé et les visées discursives : le dédoublement ou la fusion des actants (Ils me surprirent avec un semblable spectacle vs. Il haïssait Duguesclin, mais il estimait son courage). L'étude propose également des critères syntaxico-sémantiques (la pronominalisation par en, l'opposition sémantique en termes d'intérieur vs extérieur ou de partie vs tout) permettant de mieux définir le statut syntaxique du complément d'agent introduit par de pour les verbes des deux champs.
    Interactions between discourse profile and argument structures : The case of the verbs of surprise and respect. This paper proposes a functional approach for the analysis of the argument structures of verbs belonging to the fields of surprise and respect. The study of the syntactic and semantic valence of the verbs is completed by a systematic analysis of their discourse profile. The results show that the verbs of the fields of surprise and respect have different features related, on the one hand, to syntactic and semantic restrictions and, on the other hand, to the speaker's choice made between active, passiveor middle voice. Two main mechanisms are identified that reflect the articulation between the syntactic and semantic levels and discourse choices : argument splitting or fusion (They surprised me with this show vs. He hated Duguesclin, but he respected his courage). The paper also proposes syntactic and semantic criteria (pronominalization using en, semantic opposition in terms of interior vs exterior or part vs whole) to better define the syntactic status of the passive complement introduced by de for the verbs in both fields.
  • Émotions, subjectivité et morphosyntaxe : l'impact de la clôture actancielle sur les verbes pronominaux à attribut de l'objet - Peter Lauwers, Els Tobback p. 47-64 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Dans la présente contribution, nous montrerons comment la morphosyntaxe, plus particulièrement la construction pronominale, parvient à infléchir le « sens » d'un certain nombre de classes de verbes qui se construisent avec un attribut du COD, le rapprochant de la sphère du ressenti, de l'intuitif et du subjectif. Deux mécanismes seront identifiés. D'une part, la clôture actancielle entraînée par l'opérateur réfléchi modifie les fondements évidentiels et cognitifs de l'attribution impliquée par les verbes en question. D'autre part, l'auto-attribution de propriétés donne lieu à des implicatures contrefactuelles. Ces mécanismes doivent être distingués de la subjectivité obtenue à la suite d'un processus de grammaticalisation et qui conduit à la création de nouvelles copules pronominales (p. ex. se vouloir).
    Emotions, subjectivity and morpho-syntax : the impact of the self-affectedness effect on object complement taking reflexive verbs. In this paper, it is shown that morpho-syntax, and more specifically the reflexive pronoun, can affect the meaning of a couple of verb classes that are constructed with an object complement. The resulting effect is related to the area of what is felt intuitively or what is somehow subjective. Two mechanisms are identified. On the one hand, the self-affectedness effect induced by the reflexive operator modifies the evidential and cognitive basis of the assignation of properties by the verb. On the other hand, the self-assignation of properties yields counterfactual implicatures. Both mechanisms have to be distinguished from the subjectivity obtained in the framework of grammaticalization processes and which leads to the creation of new pronominal copular verbs, such as se vouloir.
  • Vas-y marqueur d'attitude énonciative : du mouvement au mouvement d'humeur - Mongi Kahloul p. 65-80 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    L'objectif de cet article est de montrer que le verbe aller, typiquement rangé parmi les verbes de mouvement, peut véhiculer, dans sa forme impérative figée Vas-y !, une émotion associée à du négatif, et d'étudier par quel processus a pu s'opérer le passage d'un verbe à sens « concret » à celui d'une « construction » à valeur pragmatique. La forme Vas-y est analysable comme un marqueur discursif d'attitude énonciative servant à rejeter à la fois l'énoncé et l'énonciation de l'interlocuteur.
    ‘Vas-y'as enunciative attitude marker : from movement to temper's motion. The aim of this paper is to show that to go in French (aller), normally classified among movement verbs, can express, in its imperative and frozen form, a negative emotion, and to study the process that permitted the changing from a verb with “concrete” meaning to a one of a “construction” in its pragmatic value. Vas-y as a form is analysable as a discourse marker of enunciative attitude serving to reject, at the same time, interlocutor's statement and utterance.
  • Constitution d'un corpus d'« expressions verbales » (à partir de la classe des verbes de communication du dictionnaire Les Verbes français de J. Dubois et F. Dubois-Charlier). : Esquisse d'une comparaison avec l'arabe marocain - Nizha Chatar-Moumni p. 81-98 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article présente un corpus original d'« expressions » – i.e. des constructions préformées et mémorisées, spontanément déclenchées dans des situations de communication récurrentes élaboré à partir de la classe C (les verbes de communication) du dictionnaire Les verbes français de J. Dubois et F. Dubois-Charlier (1997). Les expressions répertoriées s'inscrivent dans le cadre d'une interaction orale dyadique ; le locuteur verbalise une attitude émotionnelle négative envers le destinataire en la mettant en scène au travers d'actes de langage dépréciatifs. On compare ensuite quelques expressions françaises à leurs équivalents en arabe marocain. La comparaison montre que ces deux langues convergent, à la fois dans les situations et intentions énonciatives déclenchant les expressions, mais aussi du point de vue des procédés mis en œuvre pour la mise en scène des émotions et attitudes émotionnelles exprimées.
    Constitution of a corpus of “verbal expressions” (taken from the class of verbs of communication in Les Verbes français of J. Dubois and F. Dubois-Charlier). Comparison with Moroccan Arabic. This paper presents an original corpus of “expressions” – that is to say recurrent and prepatterned sequences of words tied to communication situations – built from the class C (verbs of communication) of Les verbes français, J. Dubois and F. Dubois-Charlier (1997). These “expressions” emerge spontaneously in dyadic interactions and dramatize a negative emotion. Their main pragmatic function is a negative evaluation, by the speaker, of the verbal or nonverbal behavior of the addressee. In a second part of this paper, we compare some of French expressions to their counterparts in Moroccan Arabic. The comparison shows that the two languages converge both in the communicative intentions but also in the way they verbalize the emotions and emotional attitudes expressed.
  • OUPS ! Les émotimots, les petits mots des émotions : des acteurs majeurs de la cognition verbale interactive - Didier Bottineau p. 99-112 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Dans cette étude, on montre que les émotimots et émotiphrases (interjections, expressions et phrases figées à caractère interjectif), loin de constituer de simples réactions émotionnelles à des stimuli situationnels, constituent de véritables opérateurs interactifs qui permettent de distribuer des processus cognitifs différenciés entre les participants à la conversation, y compris au locuteur lui-même : les émotimots participent d'un traitement actif de l'émotion en tant que perturbation interactive. On présente un ensemble de cas s'échelonnant du réflexe conditionné à l'improvisation théâtralisée en passant par la régulation semi-automatique des rapports interpersonnels, on étudie la variété des processus formels qui illustrent cette échelle et on contextualise les spécificités des interjections françaises dans un cadre contrastif.
    Oops ! On Emotiwords, the Little Words of Emotions, some Major Actors of Interactive Verbal Cognition. In this paper, it is shown émotimots (“emotiwords” and “emotiphrases”) and émotiphrases (“emoticlauses”) (interjection, idioms and set phrases with an interjective undertone) are far from functioning as mere verbal responses in reaction to emotional stimuli. They are described as genuine interactive operators which distribute differentiated cognitive processes among the participants in the conversation, including the speaker herself, reflexively : emotiwords play a key role in the active processing of emotional events as disturbances of the verbal interplay. A series of cases is presented, ranging from verbal reflexes through semi-automatic interpersonal regulation to theatrical-like improvisation, in relation a the scale of formal fluctuations ; and the language-specific values of interjection are set against a contrastive background.
  • Émotion et (a) thématicité : le type d'énoncé Le facteurqui passe ! revisité - Naoyo Furukawa p. 113-126 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article analyse les énoncés du type Le facteur qui passe ! et d'autres constructions apparentées du point de vue de l'expression de l'émotion, et en termes de déthématisation (et rhématisation). Notre hypothèse de base est que la valeur émotionnelle d'un énoncé n'est pas toujours liée au lexique qui y est contenu, mais peut être assurée par la construction elle-même. Ainsi, nous avancerons que (i) les énoncés en cause constituent des énoncés déthématisés (ou athématiques), que (ii) l'accompagnement constant du point d'exclamation, qui représente par définition la valeur émotionnelle, est dû à la forme nominale et donc incomplète comme phrase de la séquence « SN qui SV », comme c'est le cas des mots-phrases qui ont besoin d'un point d'exclamation pour accéder au statut d'énoncé (aïe !, à la bonne heure !, au secours !), et que (iii) ces deux particularités comme énoncés s'expliquent à travers le (s) rôle (s) du pronom relatif qui comme marque de déthématisation et de nominalisation.
    Emotion and (a) thematicity : the type of utterance Le facteur qui passe ! revisited. This paper analyzes utterances of the type Le facteur qui passe ! and other related constructions from the point of view of expression of emotion, and in terms of dethematization (and rhematization). Our basic hypothesis is that the emotional value of an utterance is not always determined by lexical elements contained in it, but can be assured by the construction itself. Thus, we propose that (i) the utterances in question are dethematized (or themeless) utterances, that (ii) the systematic presence of the exclamation mark, which by definition represents an emotional value, is due to the fact that the sequence ‘NP qui VP' is a nominal form and as such an incomplete sentence, as is the case with one-word (or one-phrase) sentences which need an exclamation mark to attain the status of utterances (aïe !, à la bonne heure !, au secours !), and that (iii) these two particularities as utterances are explained through the function (s) of the relative pronoun qui as marker of dethematization and of nominalization.