Contenu du sommaire : Trois analyses de la loi de 1970
Revue | Psychotropes : Revue internationale des toxicomanies et des addictions |
---|---|
Numéro | vol. 19, 2013/1 |
Titre du numéro | Trois analyses de la loi de 1970 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
- Trois analyses de la loi de 1970 - Michel Hautefeuille p. 5-7
Dossier
- De la guerre à la drogue à la prévention des addictions : à quand l'ouverture de l'impossible débat ? - Jean-Michel Costes p. 9-26 Dans le monde, de plus en plus d'experts constatent que la stratégie dite de « guerre à la drogue » a échoué et en proposent une nouvelle, adaptée à notre époque, centrée sur la prévention des addictions. En France, on peut également constater l'échec d'une loi inadaptée et de la politique menée ces dernières années. Une nouvelle approche, basée sur les principes fondamentaux du droit et des valeurs de l'UE, devrait être de réguler les usages de toutes les drogues afin d'en réduire les dommages sur le bien-être de chacun et de tous. Elle devrait s'articuler autour des quatre axes suivants : réduire l'offre, prévenir les usages nocifs, réduire les dommages liés aux usages de drogues et améliorer l'accès et la qualité des soins. En France, la pénalisation des usages de drogues illicites, contrairement aux idées reçues, est effective. Elle atteint aujourd'hui des niveaux jamais égalés. Elle fait obstacle à la protection de la santé. Il est donc urgent de réviser la loi de 1970 en dépénalisant l'usage des drogues. Dépénaliser veut dire supprimer la sanction pénale attachée à un comportement individuel, l'usage, la possession ou la détention pour usage personnel, d'un produit classé comme stupéfiant. La dépénalisation est compatible avec une volonté de contrôle sur l'offre de drogues. C'est une solution pragmatique qui présume que l'interdit ne règle pas tout. La question de la légalisation, ou du niveau de contrôle sur l'offre des drogues, est un autre débat qui, bien que moins évident, doit également être mené.From the war on drugs to the prevention of addiction. When will the impossible debate take place?
In the world, more and more experts note that the “war on drugs” strategy has failed. They propose a new one focused on addiction prevention, more suited to our times. In France, inadequate legislation and the policy led in recent years have also failed. A new approach based on the fundamental principles of the European Union's rights and values should be to regulate the use of all drugs in order to reduce related harms for the welfare of each and all. It should focus on the following four priorities: reducing drug supply, preventing harmful use of drug, reducing drug-related harm and improving access and quality of treatment. In France, the criminalization of illicit drug use, contrary to common belief, is effective. It now reaches levels never seen before. It undermines the protection of health. It is therefore urgent to change the 1970 French law on narcotics in order to decriminalize drug use. Decriminalization means abolishing criminal penalties attached to individual behaviour, use, or possession for personal use of a substance classified as narcotic. Decriminalization is consistent with a desire to control the supply of drugs. This is a pragmatic solution that assumes that a ban does not solve everything. The legalization issue, or the level of control over drugs supply, is another debate. Though less obvious, it must also be led. - Évaluation économique de la loi du 31 décembre 1970 réprimant l'usage et le trafic de stupéfiants - Christian Ben Lakhdar, Morgane Tanvé p. 27-48 La loi du 31 décembre 1970 prohibe l'usage et le trafic de stupéfiants. Une évaluation économique ex post de cette politique publique et de sa mise en œuvre est ici proposée au regard de la substance illicite la plus consommée en France, à savoir le cannabis. Deux indicateurs clés que sont le ratio prix/qualité et les prévalences autorisent une évaluation de l'efficacité de la mise en œuvre de la loi. L'efficience du dispositif est jaugée à l'aune des composants du coût social du cannabis. Il ressort non seulement que la loi et son implémentation n'atteignent pas les objectifs du législateur mais aussi qu'un gaspillage de ressources publiques important est généré du fait même de la politique implémentée. La loi de 1970 apparaît alors comme inefficace et inefficiente. Au regard de l'équité de la mise en œuvre de cette loi, il apparaît également qu'elle est source d'injustice sociale : il existerait une « clientèle policière » plus propice à y être confrontée alors même que la consommation de cannabis est largement répandue dans toutes les strates de la population française. Ces conclusions nous amènent à mettre en lumière les bénéfices potentiels à retirer d'un changement de régime du mode de gestion des drogues et des toxicomanies en France. Principalement, un régime de dépénalisation de l'usage de cannabis présenterait l'avantage d'éviter un gaspillage important de ressources publiques. Néanmoins, trop d'incertitudes existent encore, notamment concernant la sensibilité au prix de la demande de cannabis, pour évaluer ex ante le devenir d'un régime de légalisation.Economic evaluation of the law of 31 December 1970 punishing the use and trafficking of illicit drugs. The law of 31 December prohibits the use and trafficking of narcotics in France. An ex post economic evaluation of this public policy and its implementation is proposed here, in relation to the most consumed illicit substance in France, namely cannabis. Two key indicators, the price/quality ratio and the prevalence allow an evaluation of the efficacy of the implementation of the law. The efficiency of the policy is evaluated according to the components of the social costs of cannabis. It appears not only that the law and its implementation does not meet the objectives of the legislator but also that a significant waste of public resources is generated because of the policy implemented. The 1970 Act appears to be ineffective and inefficient. With respect to the social justice of the implementation of this law, it also appears that it is a source of social injustice: there exists a “Customer of police” more akin to be confronted to it even though cannabis use is widely prevalent in all social classes of the French population. These findings lead us to highlight the potential benefits to be gained from a change of illicit drugs control policy in France. Actually, a system of cannabis use decriminalization would have the advantage of avoiding a significant waste of public resources. However, too many uncertainties still exist, especially concerning the price sensitivity of demand for cannabis to anticipate ex ante the future of a regime of legalization.
- Approches économiques normatives et positives de la législation sur les drogues - Sophie Massin p. 49-63 Cette contribution propose d'analyser la question de la législation sur les drogues à partir de deux grilles de lecture classiques de la théorie économique : une perspective normative qui vise à déterminer « ce qui est souhaitable » (définition du régime juridique optimal) et une perspective positive qui cherche à expliquer « ce qui est » (justification du régime juridique existant). Il en ressort une forte incertitude normative liée à la difficulté à prédire les effets d'une réforme. Les expériences de dépénalisation de l'usage fournissent néanmoins des évaluations positives de ce type de réforme. Par ailleurs, la concentration des coûts de l'interdiction sur les plus pauvres pourrait à la fois constituer un argument en faveur de la légalisation, au nom de la justice sociale, et expliquer la difficulté à mener la réforme du fait du faible poids politique des individus les plus touchés. Nous concluons par quelques considérations concernant la situation française actuelle, en insistant sur la nécessité de clarifier les options de réforme envisageables, comme préalable à la conduite d'un débat constructif.Normative and positive economic approaches to drug legislation
This paper aims to analyze the issue of drug legislation from two traditional perspectives in economics: a normative perspective that seeks to determine “what ought to be” (i.e. the optimal legal regime) and a positive perspective that seeks to explain “what is” (i.e. the existing legal regime). Our analysis shows that from a normative perspective uncertainty dominates since it is very difficult to predict the effects of any reform. Nevertheless, experiences of drug use decriminalization provide positive evaluations. Furthermore, the concentration of the costs of prohibition on the poorest could be an argument in favor of legalization, in the name of social justice. At the same time, from a positive perspective, the low political weight of this group of citizens could partly explain the difficulty in implementing legalization. We conclude with some considerations about the current French situation, underlying the need to clarify the possible reform options as a prerequisite for conducting a constructive debate.
- De la guerre à la drogue à la prévention des addictions : à quand l'ouverture de l'impossible débat ? - Jean-Michel Costes p. 9-26
Varia
- Addiction médicamenteuse : quelles données pour évaluer et prévenir ? - Maryse Lapeyre-Mestre p. 65-80 L'addiction médicamenteuse représente un enjeu majeur de santé publique rapidement évolutif et cette évolution est d'autant plus marquée en France que notre pays reste parmi les plus forts consommateurs de médicaments en Europe, et notamment de médicaments psychotropes. En France, il existe un dispositif spécifique de surveillance des cas d'abus et de dépendance liés à la prise de toute substance ayant un effet psychoactif, dont les médicaments, constituant le système national d'addictovigilance. L'addictovigilance se traduit principalement par l'évaluation du potentiel d'abus et de dépendance d'un médicament et ses risques pour la santé publique grâce à des systèmes de recueil adaptés (socle de base constitué par la notification spontanée des professionnels de santé et outils spécifiques pour assurer une approche complémentaire) et la surveillance et l'encadrement des conditions d'utilisation des médicaments psychoactifs. Ce système n'existe que grâce aux échanges bilatéraux avec les professionnels de terrain.Prescription drug abuse: which data in order to evaluate and prevent?
Prescription drug abuse is a major concern for public health in several countries. France appears to be particularly prone to the abuse of psychotropic drugs, because the high level of consumption of these drugs in comparison with other European countries. The French system for the evaluation of abuse and dependence firstly created in 1990, is based on the reporting of all serious cases of abuse or dependence to psychoactive drugs by health professional. This national system called “Addictovigilance” involves several actors (regulatory agencies, pharmaceutical companies, health professionals) and a national network of 13 regional addictovigilance and focused on all psychoactive marketed drugs in France. Information on abuse and dependence potential in the context of real life comes from a multi-source approach combining spontaneous reporting and other specific studies. - Quelle hospitalité pour la folie en addictologie ? : Études et réflexions à partir de la pratique clinique au Centre médical Marmottan - Estelle Brenon, Julien Lebreton p. 81-102 Notre expérience clinique comme plusieurs études internationales ont montré la forte prévalence du double diagnostic ainsi que ses conséquences néfastes tant aux niveaux médical, psychiatrique, socioprofessionnel et judiciaire. Le système de soins ne semble pas répondre de façon satisfaisante aux besoins complexes de cette population, à cause, notamment, du clivage historique entre les deux champs d'intervention concernés. Le centre médical Marmottan est spécialisé dans l'accueil et le suivi des usagers de drogues. Nous y avons mené une étude sur 100 dossiers tirés au sort, avec comme objectifs principaux d'évaluer la prévalence des troubles psychiatriques comorbides, d'étudier les modalités et les difficultés de leurs prises en charge au sein de cette structure. Il ressort que 69 % ont ou ont eu un trouble psychiatrique associé, dont 18,5 % de troubles psychotiques. La prise en charge (= PEC) « intégrée » est le plus souvent privilégiée, et a montré une supériorité significative sur l'évolution. L'orientation vers une autre structure et la PEC « parallèle » est plus souvent utilisée pour les patients psychotiques. L'amélioration de l'articulation des soins entre les champs psychiatriques et addictologiques semble indispensable, en luttant contre les représentations négatives des soignants vis-à-vis de ces patients difficiles par le développement d'un réel travail de collaboration interinstitutionnel et d'une formation spécifique des équipes soignantes et médicales.How does the addictology care system welcome madness?
Our clinical experience as many huge international studies have shown the high rate of dual diagnosis and the serious consequences on those patients' life, at all medical, psychiatric, social, professional and judicial levels. The health care system seems to have poor answers compared to the needs of this special population, due to partly, the historical split of the mental health system and the drug and alcohol care system. The “Marmottan medical Center” is specialized in the treatment of drug use disorders for nearly forty years. We led a study on 100 patients randomized, whose principal aims were to address the rate of psychiatric comorbidity, the types and obstacles to the treatment of such patients within the institution. 69 % of the sample have or had associate psychiatric disorders, with 53 % of affective disorders, 44 % of personality disorders and 18,5 % of psychotic disorders. The “integrated” treatment is preferentially used by the clinicians, and it showed significantly its superiority on the other approaches. Psychotics patients are mostly orientated towards others care services and they are mostly treated in a parallel approach. Then, it is essential to improve the way how mental health services and Drug and Alcohol treatment services work together. One of the clues should be to fight against the care givers' negative beliefs on dually diagnosed patients, in particular, through a better training and supervision of clinicians and the development of a real collaborative work between the two types of specialized services. - La dépression anaclitique de la Personnalité Limite Addictive : l'influence des mécanismes de défense immatures - Perrine Lecointe, Amal Bernoussi, Joanic Masson, Michel Wawrzyniak p. 103-121 L'objectif de cette étude est de mettre en évidence, chez la Personnalité Limite Addictive Tabacologique (P.L.A.T.a), l'influence des mécanismes de défense immatures (clivage, déni, agir) sur la dépression anaclitique (évitement ou décompensation), dans un contexte d'expérience cancéreuse. La population se compose de 5 sujets adultes, âgés de 48 à 64 ans. La P.L.A.T.a est diagnostiquée, à partir de deux entretiens semi-directifs. Les évaluations comportent deux échelles d'évaluation (Defense Style Questionnaire-40 [DSQ-40], Hospital Anxiety and Depression Scale [HAD]), complétées par des analyses cliniques, portant sur le discours des sujets, au cours des différents entretiens. Les résultats montrent qu'une utilisation importante et efficiente du clivage et du déni maintient l'évitement de la dépression anaclitique alors qu'une faible utilisation de ces mécanismes de défense, traduisant leur débordement, entraine la décompensation sous le mode de la dépression anaclitique. L'agir participe à l'évitement psychique mais son utilisation n'influence pas, autant que le clivage et le déni, la dépression anaclitique (évitement ou décompensation).The anaclitic depression of Borderline Personality Addicts: the influence of immature defense mechanisms. The aim of this study is to highlight, in Borderline Personality Addictive Tobaccological, the influence of immature defense mechanisms (the splitting, denial and act) on anaclitic depression (avoidance or decompensation), in the context of the lung cancer experience. Population is made up of 5 adults subjects aged 48 to 64 years old. The Borderline Personality Addictive Tobaccological is diagnosed from two semi-structured interviews, two rating scales (Defense Style Questionnaire-40 [DSQ-40], Hospital Anxiety and Depression Scale [HAD]), complemented by clinical analysis on the speech of subjects during different interviews. The results show that an important and efficient use of splitting and denial maintains avoidance of anaclitic depression whereas low use of these defense mechanisms, reflecting their overflow, leads to decompensation in the way of anaclitic depression. The act contributes psychological avoidance but this use influences not as much as the splitting and denial, on anaclitic depression (avoidance or decompensation).
- Addiction médicamenteuse : quelles données pour évaluer et prévenir ? - Maryse Lapeyre-Mestre p. 65-80