Contenu du sommaire : Le  « modèle » chilien : des ruptures en trompe-l'oeil

L'article analyse les deux premières années du gouvernement de Michelle Bachelet au Chili en partant de l'hypothèse que nous nous trouvons face au premier projet de refondation durant la période démocratique post-dictatorial initiée en 1990. Ce projet politique est fondé sur des mobilisations sociales qui eurent lieu en 2011-2012, et dont l'objectif est de dépasser le modèle social, économique et politique hérité de la dictature, et seulement partiellement corrigé par les gouvernements démocratiques. Nous discuterons des principales réformes proposées par le gouvernement ainsi que des débats et des réactions qu'elles provoquèrent. Nous développerons une analyse spéciale sur les phénomènes de corruption durant le second mandat de Michelle Bachelet, qui creusèrent la distance entre politique et société et affaiblirent le leadership présidentiel dans la réalisation des réformes. La corruption, la forte opposition de la droite et les divisions internes de la coalition de gouvernement, affaiblissent le caractère transformateur des réformes, et empêchent la constitution d'un acteur politico-social. Finalement, il semble que le processus constitutionnel soit l'unique solution réduire la distance entre politique et acteurs sociaux, et assurer le projet de refondation.

Les récentes protestations semblent exprimer une profonde critique de la démocratie, et de la manière dont cet idéal moderne a été interprété et mis en pratique au Chili. La crise actuelle de légitimité peut se comprendre comme une confrontation entre deux imaginaires sociaux dont les origines remontent à la période initiale de la république, et qui, prit ensemble, constituent la culture démocratique chilienne. Dans cette perspective de long terme, le présent article cherche à comprendre le « choc fondateur » d'auto-compréhensions politiques qui eurent lieu entre 1810 et 1833, en montrant comment celui-ci détermina la trajectoire et les caractéristiques de cette culture démocratique telle que nous la connaissons aujourd'hui. Depuis le début du xixe siècle, un imaginaire libéral-individualiste, teinté d'éléments autoritaires hérités de la période coloniale, entra en conflit avec un imaginaire populaire-démocratique, coextensif à tous les peuples hispano-américains, qui affirmait la valeur de la communauté et de la participation citoyenne au niveau local. Les mouvements sociaux, surtout de type « politico-constituants » comme ceux qui ont émergé au Chili depuis 2006, sont interprétés ici comme héritiers de cet imaginaire populaire originel et, par conséquent, constituent des exemples où émerge une crise d'allégeance envers les pratiques et institutions politiques officielles.

Dans cet article, nous analysons les politiques sociales chiliennes au cours des trente dernières années, en particulier les options prises par les différents gouvernements, ainsi que le rejet qu'elles ont généré dans la dernière décennie. Sur la base d'une croissance économique soutenue, les politiques sociales mises en place ont permis de faire baisser de manière très importante le taux de pauvreté et d'améliorer les conditions de vie de la population, sans cependant remettre en cause les inégalités de revenus. La question centrale que nous abordons est comment un modèle qui assure une croissance économique soutenue et permet l'amélioration des conditions de vie de la population génère-t-il un rejet profond de la part d'une grande partie de la population ? La combinaison entre des politiques de croissance et sociales « pro-pauvres » et de ciblage sur les plus démunis, malgré ses succès, ne permet cependant pas de corriger les effets les plus ségrégatifs du système, en particulier dans le domaine de l'éducation, de la santé et des retraites. Nous montrons comment les limites de ce modèle, combiné avec une promesse non tenue d'égalité des chances, ouvre la voie depuis les années 2000 à un profond débat sur l'avenir du modèle économique et social. La partie finale de l'article aborde les dilemmes du gouvernement Bachelet dans le cadre des réformes sociales en cours et d'un profond ralentissement économique.

Dans cet essai, nous proposons une réflexion sur la légitimation des grandes inégalités socio-économiques au sein de la société chilienne. Selon nous, cette société s'est construite autour d'un imaginaire social fondé sur l'idée de hiérarchie. Cette représentation hiérarchique de l'ordre social a pour conséquence principale l'existence d'une inégalité morale fondamentale entre les individus, fondée sur une inégalité de considération, qui se matérialise au travers d'un éventail de marqueurs, de distinctions et discriminations au plan social. Cette inégalité morale est donc véhiculée par les mœurs et les pratiques sociales, qui reproduisent un agencement de l'ordre social hérité de l'histoire particulière du pays et légitime intrinsèquement les inégalités socio-économiques. Cependant, cette mentalité inégalitaire s'est lentement effritée sous l'action d'un l'idéal égalitaire qui s'est progressivement déployé depuis les années 1950 et qui remet de plus en plus en cause les anciennes représentations collectives, créant des tensions croissantes au sein de la société.

Si l'on s'accorde, depuis les sciences sociales, sur le constat d'une inflexion subie par la société chilienne au cours de ces quarante dernières années, les caractéristiques et les raisons de ces bouleversements font toujours l'objet de controverses. Ce texte, écrit au croisement de quatre recherches portant sur les effets de l'installation d'un nouveau modèle économique et social, ainsi que sur l'expansion des promesses et du processus de démocratisation au Chili, propose de déterminer les causes des transformations structurelles matérielles et normatives de la société chilienne. Celle-ci se trouve aujourd'hui à un moment de ré-articulation profonde des mécanismes qui gouvernent les interactions, les légitimités et les logiques sociales. L'article discute les diagnostics les plus importants sur la nature des transformations du Chili et aborde sous la forme de neuf thèses les caractéristiques les plus importantes de ces transformations.

Dans une première lecture des manuscrits conservés dans la Bibliothèque de l'Université d'Iowa, et en suivant quelques fondamentaux de la génétique textuelle, cet article explore les liens de filiation très peu discutés entre deux ouvrages du chilien José Donoso, notamment Ce lieu sans limites (1966) et L'obscène oiseau de la nuit (1970). Les denses relations intertextuelles et le complexe processus de composition mis en évidence par les manuscrits offrent aux lecteurs de nouveaux éléments pour lire (et relire) non seulement ces deux romans mais peut-être l'œuvre entière de Donoso. Ils contribuent également à rendre plus complexes et productives les discussions au tour des sujets controversés – marginaux – comme la (homo)sexualité dans l'œuvre de l'auteur latino-américain.

Comment interpréter le résultat du référendum pour la paix en Colombie ? Quelles raisons peuvent expliquer la victoire du « Non » ? Quelle est l'importance, dans ce contexte, du prix Nobel de la Paix attribué au Président colombien Juan Manuel Santos ? Et, quelles possibilités subsistent pour obtenir un nouvel Accord qui mette fin aux cinq décennies de guerre avec les Farc ? Cet article tente de donner réponse à ces questions, à partir d'une analyse politique de ce nouveau contexte, marqué par l'incertitude, la polarisation de la société et la tension politique.