Contenu du sommaire : L'énoncé dans les traditions linguistiques : logos, vākya, kalām, oratio et les autres
Revue | Langages |
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Numéro | no 205, mars 2017 |
Titre du numéro | L'énoncé dans les traditions linguistiques : logos, vākya, kalām, oratio et les autres |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- L'énoncé dans les traditions linguistiques : présentation - Valérie Raby p. 7-10
- Repères pour l'approche de l'énoncé dans les traditions linguistiques - Valérie Raby, Jean-Luc Chevillard, Hugo David, Sarah de Vogüé, Jean-Patrick Guillaume, Jean Lallot p. 11-26 Cette introduction collective rassemble les grands traits de l'histoire de la réflexion sur l'énoncé dans cinq aires culturelles majeures pour l'élaboration des savoirs métalinguistiques : les traditions sanskrite, tamoule, grecque, latine, arabe et française. Il est évident que les cadres interprétatifs et les enjeux de connaissance mobilisés par l'étude des séquences linguistiques perçues comme porteuses de signification, supérieures au mot, et formant une unité de la communication, diffèrent sensiblement selon les traditions et les périodes considérées. Cependant, on peut identifier plusieurs points de croisement de ces différentes lignes d'histoire, en envisageant successivement les lieux d'élaboration des savoirs sur l'énoncé, les caractéristiques du métalangage utilisé et la récurrence de certaines difficultés d'analyse.This collective introduction sketches out the history of the reflection on the utterance in five cultural areas which played a conspicuous role in the constitution of metalinguistic knowledge: the Sanskrit, Tamil, Greek, Latin, Arab and French traditions. The study of linguistic sequences regarded as meaningful units of communication operating above word level is informed by objectives and interpretative frameworks which sensibly differ according to the traditions and periods taken into account. Yet intersecting points linking these traditions can be identified when attention is paid to the context of the reflection on the utterance, the characteristics of the metalanguage used and recurring stumbling blocks in analysis.
- Les définitions de l'énoncé (vākya) dans la tradition sanskrite : entre grammaire et exégèse - Hugo David p. 27-42 Le présent article s'intéresse aux premières interactions, dans l'Inde médiévale, entre la tradition grammaticale pāṇinéenne et l'exégèse du Veda (Mīmāṃsā) sur la question des définitions de l'énoncé (vākya). Une première section retrace l'apparition du problème dans la grammaire ancienne et met en évidence le conflit opposant, sur ce point, ses deux plus vénérables autorités : Pāṇini (ive s. aec) et Kātyāyana (iiie s. aec). La seconde section s'intéresse à la relecture de ce débat au ve siècle (ec) par Bhartr̥hari, l'auteur du Vākyapadīya (« Traité du Mot et de la Phrase »). On y montre comment Bhartr̥hari, sous couvert de réconcilier Pāṇini et Kātyāyana, introduit dans la grammaire une définition de l'énoncé sur une base sémantique (et non plus simplement formelle) qu'il emprunte à l'exégèse, annonçant par là sa propre théorisation de l'énoncé comme entité « indivise » (akhaṇḍa) dans le Vākyakāṇḍa.This paper focuses on the early interactions, in medieval India, between the traditions of Pāṇinian grammar (Vyākaraṇa) and Vedic exegesis (Mīmāṃsā) on the definitions of the sentence (vākya). The first section discusses the origins of the debate in ancient grammar, and highlights the existence of a conflict between two of its most prominent authorities: Pāṇini (4th century BC) and Kātyāyana (3rd century BC). A second section deals with the contribution to this debate made by Bhartr̥hari (5th century AD), the author of the Vākyapadīya (“A Treatise on the Word and the Sentence”). It is shown that Bhartr̥hari, even while claiming to reconcile Pāṇini and Kātyāyana, introduces into Vyākaraṇa a definition of the sentence on a semantic (and not merely formal) basis, which he borrows from Vedic exegesis. This borrowing appears as a preliminary to his own theorisation of the sentence as “undivided” (akhaṇḍa) in the Vākyakāṇḍa.
- La problématique syntaxique dans la description traditionnelle de la poésie tamoule classique - Jean-Luc Chevillard p. 43-58 La tradition grammaticale tamoule ancienne ne fait pas de distinction terminologique nette entre le mot individuel et les entités linguistiques de taille supérieure, que le français évoque au moyen de syntagme ou de phrase. Cela n'empêche pas, dans la pratique les grammairiens tamouls, de décrire avec précision la syntaxe tamoule ancienne, en utilisant des termes à « spectre métalinguistique large », tels que kiḷavi (ou col), et en tirant parti, métalinguistiquement, de la souplesse formulaire que permet l'utilisation du « verbe de citation » eṉṟal, de variables déictiques et du verbe ceytal « faire ». Cet article examine en détails quelques exemples, extraits du vaste corpus grammatical tamoul traditionnel, en les replaçant dans le contexte intellectuel de ce que l'on peut appeler « l'aire métalinguistique indienne », où cette littérature technique cohabite depuis longtemps avec la littérature grammaticale sanskrite.The Ancient Tamil grammatical tradition does not provide in its terminology the means to distinguish between individual words and the larger linguistic entities which the French language can refer to by means of syntagme (english phrase or syntagma) and phrase (english sentence). In practice, however, traditional Tamil grammarians were nevertheless capable of making precise statements concerning elements of Ancient Tamil syntax by making use of terms with a broad linguistic spectrum, such as kiḷavi (or col), or by metalinguistically deploying the flexible “citation-verb” eṉṟal, or by means of deictic variables and the ceytal verb (“to do”). This article examines in detail a few examples, extracted from the vast traditional Tamil grammatical corpus. In doing so, it puts them in their intellectual context, which could be called “The Indian Metalinguistic Area”, where this literature has coexisted for a very long time with Sanskrit grammatical literature.
- Phrase (jumla) et énoncé (kalām) dans la tradition grammaticale arabe - Jean-Patrick Guillaume p. 59-72 La tradition grammaticale arabe dispose de deux termes distincts pour désigner les unités linguistiques complexes : kalām, qui appartient au fonds ancien de la langue, renvoie à l'énoncé défini en termes d'autonomie sémantique et de pertinence communicationnelle, et jumla, apparu plus tardivement, désigne la phrase conçue comme construction syntaxique reposant sur une relation prédicative. L'article examine la manière dont le rapport entre ces deux notions a été envisagé par les grammairiens, entre la fin du viiie siècle et le milieu du xive siècle.The Arabic grammatical tradition has two different terms in order to refer to complex linguistic units: kalām, which belongs to the common stock of the language, denotes the utterance as defined in terms of semantic autonomy and communicational relevance, implying a speaker and an addressee; jumla, which appeared at a later period, refers to the sentence as a syntactic construction based upon a predicative link. The paper investigates the way in which the relationship between these two notions was considered by the Arabic grammarians between the late 8th and the mid-14th centuries.
- Grec logos : premières approches philosophiques et grammaticales de l'énoncé - Frédérique Ildefonse, Jean Lallot p. 73-86 Le grec logos, que l'on peut traduire, entre autres, par « énoncé », peut s'appliquer à tout ensemble langagier signifiant analysable en constituants eux-mêmes signifiants – en fait, des mots que la tradition définira comme « parties du logos ». Platon déclare forme « première et minimale » du logos une séquence comme « l'homme apprend », décrite comme l'entrelacement d'un nom (onoma) et d'un verbe (rhêma). Cet objet complexe, soumis à une syntaxe, a la propriété sui generis de dire quelque chose, de vrai ou de faux, sur le monde : Aristote le nommera logos apophantikos « énoncé déclaratif » – et c'est en prenant appui sur ce socle que la tradition logico-grammaticale grecque mettra en évidence la diversité des énoncés autres que déclaratifs simples. Les Stoïciens ont apporté ici une contribution décisive dont on entrevoit la fécondité dans l'œuvre conservée d'Apollonius Dyscole.The ancient Greek logos, that we may translate by “statement”, can refer to any signifying linguistic whole that can be analysed into constitutive parts which are themselves signifying words, in fact, that the tradition will define as “parts of logos”. Plato declares a sequence such as “the man learns” to be “primary and minimal” form of logos, described as the intertwining of a noun (onoma) and a verb (rhèma). This complex object, subject to a syntax, possesses the sui generis attribute of saying something, true or false, about the world: Aristotle will call it logos apophantikos “declarative statement” –and it is through leaning on this base that the Greek logical-grammatical tradition will shed light on the diversity of these statements which are other than simple and declarative. The Stoics have made here a decisive contribution whose fecundity one can glimpse in the surviving works of Apollonius Dyscolus.
- L'énoncé (oratio) dans la tradition grammaticale latine, et spécialement chez Priscien, Scaliger et Sanctius - Bernard Colombat p. 87-102 L'énoncé (oratio) est au cœur des préoccupations de Priscien qui introduit la syntaxe dans la tradition grammaticale latine. Se pose la question de son rapport avec le mot (dictio) qui est essentiellement analysé comme, précisément, une partie de l'énoncé (pars orationis). Les notions médiévales de suppositum et appositum (dont on peut trouver l'origine dans le texte de Priscien) permettent une syntaxe fondée sur des fonctions, qui sont plus ou moins abandonnées par la première grammaire humaniste. Bien que Scaliger (1540) n'aborde l'énoncé que de façon indirecte (il n'y a qu'un embryon de syntaxe dans le De causis), ce dernier est fréquemment évoqué en rapport avec les autres éléments du langage, notamment la dictio qui n'en est pas qu'une partie. Au contraire la Minerve de Sanctius (1587) propose de l'énoncé une théorie unifiée et claire, mais contraignante car bâtie sur un petit nombre de principes rigides.The sentence (oratio) is at the heart of the concerns of Priscian in introducing syntax in the Latin grammatical tradition. One important question is that of the relationship between sentence and word (dictio), the latter having been analyzed precisely as “a sentence part” (pars orationis). The medieval notions of suppositum and appositum (the origins of which terms can be found in Priscian's text) make it possible to have a function-based syntax, these functions being more or less abandoned by the time of the first Humanist grammar. Although Scaliger (1540) deals with the sentence only indirectly (the De causis only touches upon syntax very briefly), the oratio is frequently mentioned in connection with other linguistic elements, among them dictio which is more than just a part of the sentence. Sanctius (1587), on the other hand, proposes a clear and unified, but also restrictive theory regarding the sentence, based on a small number of rigid principles.
- Points de vue sur l'énoncé et typologies propositionnelles dans la grammaire générale française (XVIIe-XVIIIe siècles) - Valérie Raby p. 103-116 La grammaire générale française (xviie-xviiie siècles) a fait de l'énoncé, sous l'espèce propositionnelle, le niveau d'analyse pertinent pour tenter de fonder une théorie générale du langage et des langues. Le renouvellement des traditions d'analyse de l'énoncé passe par une représentation de la proposition comme objet pluridimensionnel, susceptible de plusieurs « points de vue », dont rendent compte les nombreuses typologies propositionnelles élaborées par les grammaires générales du xviiie siècle. Cette étude vise à éclairer les principes et conditions de développement du motif interprétatif des points de vue sur la proposition ou la phrase, depuis sa première formulation dans la grammaire et la logique de Port-Royal jusqu'au début du xixe siècle.French General Grammar (17th-18th centuries) made the utterance, in the form of the proposition, the relevant level of analysis for the attempt to establish a general theory of language and languages. The renewal of the analytical traditions relevant to the utterance is achieved by a representation of the proposition as a multidimensional object capable of several “points of view”, accounts of which are offered by the numerous propositional typologies developed by the general grammars of the 18th century. This study sets out to illuminate the underlying principles and conditions under which points of view developed as an interpretative motif, from its first formulation in the grammar and logic of Port-Royal up to the start of the 19th century.
- Quand la syntaxe est embarquée dans la construction discursive : l'énoncé chez Benveniste et chez Culioli - Sarah de Vogüé p. 117-132 La question de la séparation entre syntaxe et discours constitue une question toujours vive pour la linguistique contemporaine. Benveniste et Culioli s'opposent à une telle séparation. On examine leurs arguments, ainsi que les caractères ordonnant selon eux l'énoncé ainsi inscrit à l'interface entre syntaxe et discours. Opération de prédication selon Benveniste, « schéma de lexis » pour Culioli qui ajoute ainsi une dimension temporelle à la relation prédicative : dans les deux cas, l'énonciation se trouve arrimée à ce que Benveniste appelle « pensée » et Culioli « geste mental ». Du point de vue formel, c'est la « force intégrative » des unités, selon Benveniste, ou la façon dont celles-ci « interagissent », selon Culioli, qui tiennent lieu de ce qui dans d'autres modèles serait un structure propre à configurer l'énoncé, Culioli soulignant le caractère proliférant des relations qui peuvent s'y déployer.The question of the division between syntax and discourse remains a live issue for modern linguistics. Benveniste and Culioli reject such a division. We will review their arguments, as well as the caracterization they give for such products of both syntax and discourse. The sentence is defined by Benveniste as a predication unit; for Culioli it is organized by a “schem of lexis”, that is a predicative schem with a more temporal dimension; in both case, syntax is given as being based on cognition. As for the formal aspect of the utterances analyzed, they are viewed as layouts of morphosyntactic units, rather than as structured configurations. Both linguists apply a heuristic approach linked for Culioli to the search for proliferating embedded structures that call for a dynamic conception of cognition in terms of mental gestures.
- À la recherche des unités du langage : une vieille histoire toujours d'actualité - Pierre Le Goffic p. 133-143