Contenu du sommaire : Les incommunications européennes
Revue | Hermès (Cognition, Communication, Politique) |
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Numéro | no 77, 2017/1 |
Titre du numéro | Les incommunications européennes |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Avant-propos - Dominique Wolton p. 13-18
- Introduction - Joanna Nowicki, Luciana Radut-Gaghi, Gilles Rouet p. 19-21
- Sélection bibliographique - p. 22-23
I. Constructions et communications
- L'Europe : une incommunicabilité d'expériences - Joanna Nowicki p. 27-39 La construction européenne a été entreprise à la suite du désastre d'une guerre fratricide et au nom du « Plus jamais ça ! » pour garantir la paix entre Européens. Lorsque le deuxième système totalitaire est tombé en Europe, la voix des anciens dissidents aux convictions européennes affirmées est devenue enfin audible pour réclamer non pas un « élargissement » de l'Europe mais un « retour à l'Europe », c'est-à-dire une « réunification » européenne. Ce projet n'est que partiellement réalisé aujourd'hui, avec une Europe où certain nombre de malentendus et d'incompréhensions persistent. Cet article tente de les analyser tout en montrant les réflexions de penseurs qui pourraient aider à les surmonter.The construction of Europe was undertaken with the watchword “Never Again”, in the aftermath of a disastrous fratricidal war, to guarantee peace between the people of Europe. When Europe's second totalitarian system collapsed, the voices of former pro-European dissidents were finally heard, calling not for an “enlargement” of Europe, but for a “return” to Europe, in other words for European “reunification”. This has only partially succeeded, with a European Union in which misunderstandings and misconceptions still persist. In this article, we attempt to analyse these while setting out ideas from different thinkers that could help to overcome them.
- L'euro et l'identité des Européens - Gilles Rouet p. 40-44
- La communication publique de l'Union européenne ne rapproche pas l'Europe des citoyens - Éric Dacheux p. 45-51 La défiance contre l'Union européenne ne fait que s'accentuer. Pourquoi ? Parce qu'un déficit d'information creuse un fossé entre les institutions et les citoyens, disent les responsables européens. La thèse défendue dans ce texte est toute autre. Les citoyens se défient de l'Union car elle a sacrifié la volonté des peuples sur l'autel de la gouvernance. Dans ces conditions, vouloir persuader les citoyens que l'Union qui s'est faite sans eux est la démocratie qu'ils attendaient est voué à l'échec. Par contre, si l'on tire les leçons du débat sur le référendum européen de 2005, si l'on admet donc que la démocratie est un conflit intégrateur qui réclame la participation des citoyens, il est possible de proposer une autre politique de communication pour l'UE. Cette nouvelle approche de la communication institutionnelle qui vise à créer du conflit, nous la nommons « délibérative » par opposition à l'approche marketing qui vise le consentement.Mistrust towards the European Union is increasing – but why ? EU officials claim it is because insufficient information is creating a gulf between EU institutions and citizens. However, we argue in this paper that citizens mistrust the EU because it has sacrificed the will of the people on the altar of governance. If this is so, there is little point in trying to convince citizens that a union built up without them is democratic. On the other hand, if we look at the lessons from the debate on the 2005 EU referendum, and if we therefore accept that democracy is an integrative battle that demands citizens' participation, then we can put forward a different communication policy for the EU. We refer to this new approach to institutional communication, where the aim is to produce conflict, as a “deliberative” approach, in contrast to the “marketing” approach where the aim is to produce consent.
- Le lobbying à Bruxelles : un doute qui éloigne les citoyens de l'Union - Olivier Arifon p. 52-56
- « Les citoyens connaissent peu les institutions européennes » : Entretien - Gaëtane Ricard-Nihoul, Joanna Nowicki, Gaëtane Ricard-Nihoul p. 57-59
- « L'espace européen de la recherche est fragmenté mais reste attractif » : Entretien - David Itier p. 60-62
- L'initiative citoyenne européenne révèle l'impasse communicationnelle entre les citoyens et les institutions - Marie Dufrasne p. 63-70 La situation d'incommunicabilité dans le cadre de l'initiative citoyenne européenne peut être qualifiée de double : d'une part, l'offre de participation citoyenne et les discours des institutions vont générer toute une série d'attentes dans le chef des citoyens, provoquer une méprise sur ce qui est proposé ainsi qu'une forte déception et, d'autre part, face à l'impossibilité de communiquer avec la Commission, les associations et les citoyens participant vont sortir des dispositifs institutionnels pour communiquer dans l(es) espace(s) public(s), actant l'impasse communicationnelle.The uncommunicability that currently reigns where the European citizens' initiative is concerned can be described as two-way : on the one hand, participation by citizens and institutional discourse tend to generate all kinds of expectations among citizens, with misunderstandings as to what is proposed causing severe disappointment, while on the other hand, faced with the impossibility of communicating with the European Commission, civil society groups and participating citizens tend to work outside institutional channels to communicate in public spaces, thus establishing the reality of a communication deadlock.
- Les itinéraires culturels du Conseil de l'Europe : entre européanité revendiquée et utopie européenne - Marie Gaillard p. 71-77 Les itinéraires culturels du Conseil de l'Europe sont des projets culturels et patrimoniaux portés par des acteurs de la société civile et certifiés par le Conseil de l'Europe. S'appuyant sur des thématiques et des réseaux transnationaux hétérogènes, et mettant en valeur des patrimoines qu'ils considèrent comme européens, ces itinéraires s'inscrivent dans une histoire de la coopération culturelle européenne à l'échelle de la Grande Europe et invitent à réfléchir à l'idée d'une nouvelle réalité européenne basée sur une forme d'utopie renouvelée de l'Europe.The Council of Europe Cultural Routes programme comprises a series of cultural and heritage projects developed by civil society groups and certified by the Council of Europe. Through a variety of themes and transnational networks highlighting heritage features that are considered as European, these Cultural Routes are fully in line with the history of European cultural cooperation across Greater Europe, and prompt ideas about the new European reality based on the re-invention of a European Utopia.
- Cafébabel, magazine d'une génération d'Européens - Matthieu Amaré, Katharina Kloss p. 78-79
- Brexit and the media - Simon Hinde p. 80-86 Des éléments de la presse britannique ont joué un rôle clé dans le débat autour du référendum sur l'adhésion du pays à l'Union européenne. La décision de quitter l'Union a été influencée par une longue campagne contre l'Union elle-même et contre l'immigration en provenance de pays de l'UE. Tout au long de la campagne, un certain nombre de journaux ont régulièrement et de façon flagrante bafoué les normes journalistiques sur l'objectivité, l'équité et l'exactitude, devenant de fait des organes de propagande.Elements of the British press played a key role in the debate surrounding the referendum on the country's membership of the European Union. The vote to leave was influenced by a long campaign against the EU itself and against migration from EU countries. Throughout the campaign, several newspapers repeatedly and flagrantly flouted journalistic norms on objectivity, fairness and accuracy becoming, in effect, organs of propaganda.
- Pegida, AfD : les discours de peur en Allemagne - Anne-Coralie Bonnaire p. 87-91
- L'Europe : une incommunicabilité d'expériences - Joanna Nowicki p. 27-39
II. Rencontres et incommunications
- Communiquer contre la peur. L'expérience de la fondation Geremek - Jolanta Kurska p. 93-101 À la peur diffuse de la montée des inégalités sociales et à l'insécurité engendrée par la crise des refugiés, le terrorisme ainsi que la menace potentielle créée par la politique impérialiste de Vladimir Poutine, s'ajoute en Pologne le niveau bas de confiance sociale due, entre autres, aux aléas de l'histoire polonaise. La peur se nourrit de l'imaginaire, et c'est sur lui que se construit aujourd'hui la communication de l'élite politique au pouvoir en Pologne et des médias qui lui sont inféodés. Le pouvoir en place redouble d'efforts pour revigorer le mythe de la martyrologie polonaise. Conscient que la mémoire collective est malléable, le PiS cherche à réécrire l'histoire du pays pour la débarrasser de l'influence du cosmopolitisme et des libéraux. Face à ce tournant autoritaire et eurosceptique, les organisations de la société civile polonaise, telle la fondation Geremek, ont un rôle prééminent à jouer : leurs idées et actions, bien qu'obstruées par les autorités politiques, peuvent remplir une fonction de « contre-pouvoir » et, par conséquent, avoir un impact beaucoup plus grand que celui de l'opposition politique dans la déconstruction des « risques-chimères » fabriqués à tout-va par les gouvernants national-populistes.Adding to diffuse fears in Poland over the rise in social inequality and insecurity associated with the refugee crisis, over terrorism and the potential threat of Vladimir Putin's imperialist policies, is the low level of social confidence that arises in part from the vicissitudes of Poland's history. Fear feeds on imagination, and it is on imagination that Poland's political elite and its vassal media are building up their communication, as the government redoubles its efforts to reinvigorate the myth of Polish martyrdom. The PiS is well aware of the malleability of the collective memory, and is attempting to rewrite the nation's history to rid it of the influence of liberalism and cosmopolitanism. Faced with this authoritarian and Eurosceptic policy shift, civil society organisations in Poland, such as the Geremek Foundation, have a crucial role : despite government obstruction, their ideas and actions act as a political counterweight and can therefore be much more effective than opposition parties in deconstructing the “scare stories” being churned out by the nationalist-populist powers that be.
- No Comment : le off d'Euronews sur l'information européenne - Alexandre Joux p. 102-104
- À quoi sert l'Europe ? Opinion publique et discours officiels en Europe centrale et orientale - Antony Todorov p. 105-111 L'article explore les visions de l'Europe en Bulgarie et dans les autres pays d'Europe centrale et orientale et juxtapose l'opinion publique et les discours des élites. Ces visions ont leur histoire récente depuis la chute du régime communiste de type soviétique, comme ils sont fondés dans la culture politique et géopolitique des sociétés des pays postcommunistes de l'Europe. L'analyse porte sur les schémas récurrents de la perception de l'Europe comme un donateur riche, ainsi que du rôle géopolitique de l'UE comme garantie de l'indépendance face à la Russie et à la Turquie.This article explores views of the EU in Bulgaria and other Central and Eastern European countries, juxtaposing public opinion with the discourse of the elites. The recent history of these views dates back to the fall of the Soviet-style Communist regime, based as they are on the political and geopolitical culture of Europe's post-Communist nations. Our analysis addresses the recurrent perceptions of the EU as a rich donor entity and its geopolitical role as a guarantor of independence from Russia and Turkey.
- Le programme Copernic, de la chute du mur de Berlin à la crise des migrants - Janine Mossuz-Lavau p. 112-116
- Populismes et populistes en Europe centrale et orientale - Petia Gueorguieva p. 117-125 L'objet de cet article est de présenter des éléments du renforcement du populisme de type radical de droite en Europe centrale et orientale. Le populisme est un concept large qui se prête à des définitions différentes et qui comprend des phénomènes et des mouvements divers historiquement et dans les différents espaces géopolitiques. Le terme est banalisé par ses usages par les hommes politiques qui s'accusent mutuellement en populisme pour se discréditer les uns les autres. Il y a plusieurs types de populismes et ils ne sont pas tous radicaux de droite ou de la droite extrême.This article describes some of the traits of the current surge in radical right-wing populism in central and eastern Europe. Populism is a broad concept that can be defined in different ways and which encompasses historically diverse phenomena and movements occurring in different geopolitical spaces. The term is being trivialised by politicians using it indiscriminately as they seek to discredit accuse each other with accusations of populism. Populism comes in different guises and not all are of the radical or extreme right.
- Intégration régionale, désintégration européenne. Le groupe de Visegrád (V4) et l'Union européenne - Radovan Gura, Gilles Rouet p. 126-131 L'Union européenne intègre différents ensembles d'États membres liés dans le cadre d'accords spécifiques. Le groupe de Visegrád (V4) réunit ainsi la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie, à l'origine dans le cadre d'une coopération en vue de faciliter l'adhésion des quatre pays après la chute du mur de Berlin. Par la suite, le V4 a changé d'objectif et constitue désormais un ensemble fondé sur une coopération politique au sein de l'Union européenne. Cette alliance particulière a-t-elle une influence positive ou négative sur l'intégration européenne ?The European Union has specific agreements with different groups of Member States. The Višegrad Group (V4), comprising Hungary, Poland, the Czech Republic and Slovakia, was originally set up as a framework for cooperation to facilitate membership of the four countries after the fall of the Berlin Wall. Subsequently, the V4 changed its aims to become a group cooperating on policy within the EU. We discuss here whether this particular alliance has had a positive or negative influence on European integration.
- Le groupe de Visegrád, entre unité des intérêts et mythe de la coopération - Mirosław Natanek p. 132-140 L'article est une tentative d'indiquer les problèmes les plus importants qui concernent la coopération des États du groupe de Visegrád au cours de 25 ans de son existence. L'auteur essaie de démontrer que, jusqu'à présent, le V4 n'a pas élaboré de modèle durable d'une coopération régionale sur la scène de l'UE, et que son existence et son activité ont une nature aléatoire et dépendent de problèmes communs à caractère géopolitique, qui se produisent occasionnellement.This article attempts to outline the main problems besetting cooperation between countries in the Višegrad Group since its establishment 25 years ago. The author shows that until now, the V4 has not developed any sustainable model for regional cooperation within the EU, that its existence and activities are essentially random and that they depend on common problems of a geopolitical nature that occur sporadically.
- Consommation, identité et intégration en Estonie et en Lettonie - Abel Polese, Oleksandra Seliverstova, Ammon Cheskin, Philippe Perchoc p. 141-150 Abritant les plus grandes communautés de russophones et de Russes ethniques au sein de l'Union européenne, les républiques baltes ont attiré l'attention de nombreux universitaires et spécialistes du sujet de l'intégration des minorités nationales et leur capacité limitée d'intégrer les minorités russes. Pourtant, le point de départ de cet article est que les dimensions politiques et celles relevant des interactions économiques du quotidien peuvent être considérées séparément. Par conséquent, la limitation des droits politiques pour une partie de la population ne se reflète pas expressément dans la vie quotidienne, en tout cas pas dans celle de tous les russophones, qui sont peut-être mieux intégrés que l'on le présente habituellement. Particulièrement dans la jeune génération, il n'y a pas de sentiment de retourner « chez soi » quand ils visitent la Russie, mais plutôt celui d'appartenir à un entre-deux. De façon intéressante, cette attitude semble s'accompagner d'un rapport biaisé à l'État qui est à la fois brimant en termes politiques et peu respectueux de la langue et de la culture russe, mais aussi reconnaissant des opportunités économiques qu'il offre par rapport à la Russie.With the largest Russian-speaking and ethnic Russian minorities in the EU, the Baltic republics have attracted attention from numerous academics and specialists with an interest in the subject of minority integration and the limited capacity for integrating Russian minorities. The initial premise for this article, however, is that the political dimensions and those relating to ordinary economic interactions can be considered separately. Consequently, the limitations on the political rights of part of the population are not expressly reflected in daily life, at least not among all Russian-speakers, who may in fact be better integrated than prevailing opinion suggests. Among the younger generation especially, there is no sense of “going back home” when they visit Russia, but rather a sense of belonging somewhere in between. Interestingly, this attitude seems to go together with a bias against the State, seen as politically oppressive and with little regard for the Russian language and culture, but also with recognition of the economic opportunities it offers compared to Russia.
- Le Barbare empaillé, métaphore de la communication entre Est et Ouest - István Cseppentö p. 151-156 L'article propose l'analyse d'un roman contemporain hongrois, Le Barbare empaillé (de Gergely Péterfy), afin d'illustrer comment la littérature peut aider à comprendre les causes profondes des malaises actuels des sociétés de l'Europe médiane. À travers deux destins parallèles de la fin du xviiie et du début du xixe siècle, le roman présente un réquisitoire contre le racisme, l'obscurantisme, l'esprit grégaire et le refus des valeurs occidentales, attitudes qui, encore de nos jours, rendent difficile, empêchent même parfois, la communication avec l'Europe de l'Ouest. La fin tragique d'Angelo Soliman – un Africain dont le corps, après sa mort, fut exposé au Musée d'histoire naturelle de Vienne –, ainsi que le drame de son ami, l'intellectuel réformiste hongrois Ferenc Kazinczy – victime à la fois du mépris des Viennois et de l'incompréhension de son peuple – dénoncent le même mécanisme primitif de la culpabilisation, ainsi que l'ignorance qui l'engendre. L'article souhaite mettre en évidence les références directes à la réalité actuelle hongroise, souvent perçue comme porteuse de haines séculaires, freinant le processus d'une réelle intégration morale à l'Europe.In this article, we analyse a contemporary Hungarian novel, Gergely Péterfy's The Stuffed Barbarian, to show how literature can help understand the deep-rooted causes of the current malaise in Central European societies. Through the story of two parallel lives in the late 18th to early 19th centuries, the novel is an indictment of racism, obscurantism, rabble-rousing and the rejection of Western values, which, even today, hinder and even prevent communication with Western Europe. The tragic fate of Angelo Soliman – an African whose body was exhibited after his death at the Vienna Natural History Museum – and the equally tragic life of his friend, the Hungarian intellectual and reformist Ferenc Kazinczy – scorned by Vienna and misunderstood by his own people – denounce the primitive mechanisms of blame as well as the ignorance that engenders it. In this article, we highlight direct references to today's reality in Hungary, often perceived as pervaded by age-old resentments that prevent true moral integration with Europe.
- Se rencontrer sur un territoire d'incommunications : la littérature exilique au sein de l'espace européen - Axel Boursier p. 157-164 Partant de l'idée que la rencontre des citoyens européens repose sur le sol de l'incommunication, cet article, au travers de l'analyse du corpus littéraire exilique intra-européen, explore les différentes sources de ce processus : de la réception des récits à une interlocution problématique. Cependant, cette incommunication peut être combattue au travers des ressources discursives par lesquelles les auteurs tentent de construire une scène communicationnelle cohabitable au travers de la ligature qu'ils opèrent entre leur mouvement exilique et la culture française et européenne.Starting from the idea that encounters between Europeans take place in a land of uncommunication, this article explores the literature of exile in Europe to discuss the different origins of uncommunication, from the reception of written accounts to problematical interlocution. This uncommunication can nevertheless be countered by the discursive resources with which authors try to build up a communicational landscape where cohabitation is possible thanks to the ties between exile and French and European culture.
- L'incommunication des imaginaires européens - Michaël Oustinoff p. 165-168
- Le concert (au-delà) des nations : l'Europe des transferts - Damien Ehrhardt p. 169-176 La musique livre un exemple réussi de communication interculturelle, dans la mesure où la construction de l'identité culturelle et celle des écoles nationales dans ce domaine n'impliquent que rarement une fermeture au monde. Au-delà de l'apparente opposition entre cosmopolitisme et nationalisme se situe, chez des Européens comme Liszt, une confrontation productive avec d'autres cultures qui relève le plus souvent de la dynamique du transfert culturel tel qu'il a été pensé par Michel Espagne et Michael Werner. La musique savante européenne s'est diffusée à l'échelle globale et a pris son essor en Asie de l'Est, où elle est qualifiée de « classique ». Cette diffusion à l'échelle planétaire permet de souligner le caractère à la fois européen et global de la musique savante occidentale. Le fait de qualifier d'occidentale ou d'européenne une musique globalisée permet de définir son européanité de l'extérieur. En outre, cette européanité musicale s'inscrit dans le sillage de l'ouverture au monde préfigurée par le mythe de la princesse Europe. Sonja Neef a établi un rapport entre le voyage de cette dernière d'une rive à l'autre de la Méditerranée et la diffusion, le long des mêmes routes maritimes, de l'alphabet phénicien. Une migration et un transfert culturel se situeraient donc aux origines de l'Europe. Depuis, le transfert s'est avéré une richesse pour ce continent. La notion d'Europe des transferts pourrait donc remplacer deux archétypes : l'Europe des nations et la vision d'une Europe homogène. Le transfert culturel est à même de dépasser la traduction, indispensable, mais non suffisante pour contrer l'incommunication européenne, à condition de déceler les instrumentalisations parfois inhérentes aux transferts.Music is an example of successful intercultural communication, in the sense that the construction of a cultural identity and of national music schools rarely close doors to the outside world. With European composers such as Lizst, beyond the apparent contradiction between cosmopolitanism and nationalism lies a productive confrontation with other cultures that most often derives from the dynamics of cultural transfers as theorised by Michel Espagne and Michael Werner. European art music, also called “serious” or “cultivated” music, has spread across the world, taking off initially in the Far East, where it is known as “classical”. Its worldwide dissemination underlines the European and global nature of Western art music. Describing a globalised form of music as “Western” or “European” defines its Europeanness as perceived from the outside. This musical Europeanness also chimes in with the openness to the world prefigured by the Goddess Europa : Sonja Neef has established a link between Europa's journey across the Mediterranean and the spread, along the same maritime routes, of the Phoenician alphabet. Europe thus has its origins in migration and cultural transfers, which have since become one of Europe's major assets. The idea of Europe as an embodiment of transfer could then replace two archetypes : the Europe of nations and Europe as a homogeneous area. Cultural transfers can go further than translation, which, though indispensible, is not enough to counter the uncommunication that reigns in Europe today, provided that the instrumentalisation that is sometimes inherent to transfers is clearly discerned.
- Communiquer contre la peur. L'expérience de la fondation Geremek - Jolanta Kurska p. 93-101
III. Crises et indifférences
- Peurs et espoirs au sein de l'espace européen - Gilles Rouet p. 179-190 Les crises successives au sein de l'Union européenne ont révélé de profondes incompréhensions et des situations d'incommunication entre Nord et Sud, Est et Ouest et au sein même de beaucoup d'États membres. Les débats sur la solidarité au sein de la zone euro, sur l'accueil des migrants/réfugiés comme sur la mise en pratique du devoir d'aide humanitaire, ont été, dans la plupart des cas, circonscrits à des espaces nationaux. L'Union européenne est en crise, avec un projet banalisé et souvent rejeté, une citoyenneté incomplète, une intégration limitée par des quêtes identitaires locales ou nationales et un faible niveau de légitimation des institutions communes. Dans le même temps, une partie de plus en plus importante des citoyens devient « mobile » et investit un espace maîtrisé tout en aspirant souvent à d'autres formes de participation, d'implication.The recent succession of crises within the European Union has revealed profound misunderstandings and situations of uncommunication between North and South, East and West, and even within individual Member States. In most cases, their debates on solidarity within the Eurozone, on receiving migrants and refugees and on delivering humanitarian aid in practice, have not ventured beyond their own national contexts. The European Union is in crisis, its principles shrugged off and frequently rejected, citizenship is incomplete, integration hamstrung by local or national identity-seeking and poor legitimation of common institutions. At the same time, more and more citizens are becoming “mobile” within the controlled space of the EU, while often aspiring to other forms of participation and involvement.
- Les incommunications de l'Europe sur la crise de l'accueil des migrants et des réfugiés - Catherine Wihtol de Wenden p. 191-197 L'année 2015-2016 a été confrontée en Europe à un afflux sans précédent de réfugiés, révélant une incommunication de l'Europe avec les États européens et une crise de confiance doublée d'un défaut de solidarité entre les États de l'Est et l'Ouest de l'Europe. Une fuite en avant s'est amorcée dans une tentative de dialogue avec les pays du sud de la Méditerranée, marquée par beaucoup de malentendus car la politique migratoire européenne et nationale des pays européens cherche surtout à satisfaire les opinions publiques plutôt qu'à répondre de façon rationnelle à la question migratoire.In 2015-2016, Europe was faced with an unprecedented influx of refugees that revealed the extent of uncommunication between Europe and the European nations and a crisis of confidence exacerbated by a lack of solidarity between countries in Western and Eastern Europe. Attempts to forge a dialogue with countries to the south of the Mediterranean foundered, with a great deal of misunderstanding arising from the fact that migration policies in Europe and in European countries are geared primarily to satisfying public opinion rather than to developing reasoned responses to the migration issue.
- Les Belges entre certitudes et indifférence : incommunication et identité hybride - Brigitte Maréchal, Lionel Remy p. 198-205 Cet article entend engager l'incommunication qui semble caractériser la société civile belge dans sa relation à l'islam, mais aussi les rapports entretenus entre musulmans et non musulmans en Belgique, au départ des processus de socialisation et des modalités de transmission et de réception d'aspects culturels qui s'y rapportent. Un détour par l'histoire longue nous permettra de rappeler que si la communauté musulmane de Belgique est composée de personnes issues de vagues récentes d'immigration, les premières implantations musulmanes, et donc les premières rencontres entre l'islam et l'Europe, datent du viiie siècle ; les imaginaires autant que les historiens gardent traces de relations marquées par des antagonismes plus ou moins sanglants : invasions, croisades, colonisations. Cependant, c'est à partir des années 1960 (avec les « primo-arrivants ») que l'incommunication prend ses tonalités contemporaines : à l'indifférence réciproque entre État belge et « primo-arrivants » succédera l'absolue nécessité de transmettre un héritage culturel chez ces derniers, tandis qu'on abandonnera les secondes générations de musulmans au pied d'un mur d'identités multiples à conjuguer. Aujourd'hui, plutôt que la course de chacun pour la « certitude de soi » posée en finalité du processus de construction identitaire, il s'agit peut-être de rendre sa place à l'incertitude au début d'un effort – aussi riche qu'inconfortable – de co-inclusion de nos fragilités.This article addresses the uncommunication that seems to characterise Belgian civil society's relationships with Islam, but also the relationships between Muslims and non-Muslims in Belgium, starting from socialisation processes, patterns of transmission and the reception of related cultural aspects. A historical detour shows that while Belgium's Muslim community includes people who arrived with recent waves of immigration, the first Muslim settlements – and therefore the first contacts between Islam and Europe – actually date back to the 8th century, a time of more or less bloody conflict – invasions, crusades and colonisation – that left its mark in history but also in people's imagination. However, it was not until the 1960s (with the “new arrivals”) that uncommunication took on its contemporary characteristics : instead of the mutual indifference that previously reigned between the Belgian State and the “new arrivals”, it suddenly became absolutely necessary to transmit cultural heritage to the latter, which left the second generation of Muslims with their backs to a wall of multiple identities to cope with. Today, instead of racing for self-certainty as the ultimate goal of identity-building, we should perhaps be giving back its place to uncertainty to launch an effort – as rewarding as it will be difficult – towards co-inclusiveness of our different areas of fragility.
- Une amitié blessée - Jean-Paul Vesco p. 206-207
- Communication et incommunication en Europe : l'exemple de la représentation des migrants - Emanuela Pece, Emiliana Mangone p. 208-216 Cet article veut mettre en évidence comment le manque de communication (incommunicabilité) entre les pays européens sur toute une série de problématiques – en premier lieu celle relative aux migrants – ne détermine pas seulement les agendas politiques de ces différents pays (dépendants de la proximité géographique au problème) mais fonde aussi dans l'opinion publique des stéréotypes orientant notre relation à l'autre.In this article, we show how a communication deficit (uncommunicability) between European countries on a whole series of issues – and primarily the migrant question – not only determines political agendas in these different countries (which vary depending on their geographical closeness to the problem), but also builds stereotypes in public opinion that influence people's attitudes to others.
- « Le monde arabo-musulman et l'Europe : une histoire commune » : Entretien - Rachid Aous, Franck Renucci p. 217-222
- Orient-Occident, une communication au rythme des conflits - Joseph Moukarzel p. 223-226
- Les apories géoculturelles de l'Europe : Occident kidnappé ou désorientation générale - Joseph Krulić p. 227-231 On oppose souvent des espaces géoculturels et géopolitiques en Europe, Balkans et Europe centrale, cette dernière étant le prolongement de l'Europe occidentale tandis que les Balkans seraient le prolongement du Moyen Orient du fait d'une commune matrice ottomane. La vision de Milan Kundera d'un « occident kidnappé », d'une Europe centrale kidnappée par le communisme soviétique, stimulante en 1983, du fait de l'existence d'un bloc soviétique, doit être revisitée en 2017. On pourrait voir dans les Balkans une « Europe kidnappée » marquée par la morsure ottomane entre 1389 et 1913, ou entre 1340 et 1878. Mais cette vision elle-même repose sur une tradition inventée – invention de l'Orient ottoman par L'Europe conquérante du prince Eugène à Bismarck.En réalité, ces « géocultures » qui englobent et dépassent les « géopolitiques » de l'Europe reflètent à la fois une « désorientation » générale de l'Europe contemporaine qui perd l'Orient, qui perd le Nord, tout en ayant perdu le centre d'un Occident qui est autant américain qu'européen, tandis que la Russie est perçue et se perçoit comme eurasiatique ou européenne, partenaire ou adversaire de l'Europe, alors que les empires du passé, romain dans ses divers avatars, ou ottoman dans ses triomphes militaires ou son long déclin, continuent d'être des cadavres dans le placard de l'histoire européenne.Contrasts are often drawn between geocultural and geopolitical areas in Europe, the Balkans and Central Europe, the latter being envisaged as an extension of Western Europe and the Balkans, because of their shared Ottoman heritage, as an extension of the Middle East. Milan Kundera's vision of the “Stolen West”, or the kidnapping of Central Europe by Soviet communism, although stimulating in 1983 because of the existence of the Soviet bloc, needs to be revisited today, in 2017. The Balkans could be seen as a “stolen Europe”, trapped under the Ottoman yoke from 1389 from 1913, or from 1340 to 1878. But this view rests on a traditional view of the “Ottoman east” that was itself invented by a an all-conquering Europe, from Prince Eugene to Bismarck.In fact, the “geocultures” that encompass and extend beyond Europe's geopolitics are a reflection at once of the disorientation generally affecting contemporary Europe, which in losing not only the East, but also its Western centre that is as much American as European, has lost its bearings even as Russia is perceived, and perceives itself, as either Eurasian or European, a partner or an opponent to Europe, while the imperial past, from the vicissitudes of the Roman Empire to the military triumphs of the Ottoman Empire and its long decline, continue to be so many skeletons in the cupboard of European history.
- Le dialogue UE-Balkans, de l'intégration pacifique à l'oubli libéral - Jean-Baptiste Kastel p. 232-235
- Les voies médiatiques des incommunications européennes - Luciana Radut-Gaghi p. 236-242 L'article analyse trois possibles voies médiatiques des incommunications européennes : le traitement partiel de l'actualité, le traitement divergent des informations et le traitement de l'absence de consensus sur l'actualité. En nous appuyant sur les résultats du projet comparatif « L'Europe dans les médias en ligne », nous démontrons l'existence des deux premières voies et les difficultés d'identification dans les corpus médiatiques de la troisième. Cette difficulté peut être le signe de la non-existence, pour le domaine des médias européens, d'incommunication au sens défini par Dominique Wolton, donc comme accès à la négociation et à plus de communication.This article analyses three possible ways in which the media promote uncommunication in Europe : their partial treatment of current affairs, their divergent treatment of information and the way they treat the lack of consensus on current affairs. Drawing on the results of a comparative study on “Europe in the online media”, we demonstrate the existence of the first two and the difficulties that arise in identifying the third in the media corpus. These difficulties could be a sign of the non-existence, in the European media field, of uncommunication as defined by Dominique Wolton, in other words as a means of access to negotiation and better communication.
- Peurs et espoirs au sein de l'espace européen - Gilles Rouet p. 179-190
Pour conclure
- Dix chantiers pour aider à penser l'incommunication en Europe - Dominique Wolton p. 243-247
Diagonales
- Du pouvoir de la compétence. Sur l'intelligence journalistique en situation - Mehdi K. Benslimane p. 249-254 Si d'ordinaire, la compétence est définie comme un ensemble de savoirs, et comme la maîtrise des logiques propres à un espace déterminé, nous défendons ici la thèse selon laquelle la compétence constitue également un pouvoir adaptatif aux situations nouvelles. Ce pouvoir global englobe quatre types de pouvoir d'action : de construction, de positionnement, de transformation de la situation, et enfin de recul réflexif sur la situation. Elle permet, en l'occurrence à certains journalistes, de devenir plus ou moins conscients des latitudes que la compétence, entendue comme intelligence et comme pouvoir, peut leur offrir dans certaines situations.While competence is usually defined as a sum of knowledge and the ability to master the driving logic of a particular field, we argue here that competence is also the power to adapt to new situations. This is an overarching kind of power that encompasses powers to engage in four kinds of action : construction, positioning, transformation of a situation and reflexive hindsight. In certain types of journalism, it creates an awareness of the latitude that competence – understood as intelligence and power – can allow journalists in certain situations.
- Du pouvoir de la compétence. Sur l'intelligence journalistique en situation - Mehdi K. Benslimane p. 249-254
Hommages
- Georges Balandier (1920-2016) : Anthropologue de cultures en cours - Thierry Paquot p. 255-262
- Michèle Morgan (1920-2016) : La nostalgie a les yeux turquoise - Brigitte Chapelain p. 263-266
- Andrzej Wajda (1926-2016) : Un cinéaste-prophète, en son pays et au-delà - Ania Szczepanska p. 267-269
Lectures
- Lectures - Brigitte Chapelain p. 271-282
Le regard des correspondants étrangers d'Hermès
- Hong Kong : de l'apathie à l'innovation politique - Éric Sautedé p. 283-286