Contenu du sommaire : Politiques linguistiques (2/2)
Revue | Histoire, Epistémologie, Langage |
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Numéro | vol.25, n°1, 2003 |
Titre du numéro | Politiques linguistiques (2/2) |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Politiques linguistiques (2/2)
Aux lecteurs d'HEL
- Sylvain Auroux p. 3-4Articles
- Présentation - Douglas A. Kibbee p. 5-6
- Law and language at the beginning of the new millenium Le droit et la langue deviennent de plus en plus un champ très important d'intervention de la part de États modernes. Il y a plusieurs raisons à cela, entre autre la démocratisation de l'enseignement, la mondialisation des communications, l'importance de la culture en général, des identités culturelles différentes et des droits fondamentaux plus particulièrement. Les politiques linguistiques modernes se traduisent par des législations linguistiques. Celles-ci peuvent se répartir en deux catégories, selon leur champ d'application (officielles et non officielles) et en quatre catégories, selon leurs fonctions (officielles, institutionnelles, standardisantes et libérales). Le droit linguistique est important, parce que, en période de mondialisation, c'est le domaine par excellence de la «localisation» et de la «régionalisation», et cela dans la mesure où il fait la promotion et prend la défense des langues régionales et locales, et donc de la diversité linguistique et culturelle du monde.Language and the law are becoming a more and more important issue for modern states. Many are finding it necessary to intervene in this area. There are a number of reasons for this, including the democratization of education, the globalization of communications, the importance granted to culture and cultural identity, and the inclusion of language in our fundamental rights. Language policies are being transformed into legislative action. This legislation can be divided into two categories according to the zone of application (official and non-official), and into four categories with respect to their function (official, institutional, standardizing, or liberal). Language law is important because, in a period of globalization, it is the prime example of localization and «regionalization», in that it promotes and defends regional and local languages, and thus helps to preserve the cultural and linguistic diversity of the world.
- L'imaginaire d'une langue nationale : l'État, les langues et l'invention du mythe de l'ordonnance de Villers-Cotterêts à l'époque moderne en France - Paul Cohen p. 19-69 Le récit traditionnel de l'histoire de la langue française identifie l'Ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 comme le moment où l'État français a imposé pour la première fois le français comme langue nationale de la France. Pourtant, comme l'ont démontré des travaux récents, l'édit a peu contribué à la dissémination du français dans le royaume — un processus qui était déjà bien entamé en 1539 —, et ses auteurs ne le concevaient pas comme un instrument de l'unification linguistique de la France. L'idée selon laquelle Villers-Cotterêts aurait constitué une sorte de prototype des politiques linguistiques modernes constitue alors un mythe, inventé quelques décennies après la mort de François Ier. Mais le fait de qualifier l'ordonnance de fiction ne revient pas à rejeter son intérêt en tant qu'objet d'analyse historique. Comme beaucoup de mythes, l'histoire de cette fiction-ci est intimement liée à l'histoire de l'objet qu'elle déforme. Les façons dont on a interprété Villers-Cotterêts reflètent l'évolution des idéologies politiques et des conceptions de la relation entre le prince et la langue. Dans cet article, il s'agit de reconstruire l'histoire du mythe de Villers-Cotterêts à l'époque moderne. Je montre que Villers-Cotterêts est une mémoire «inventée», façonnée au XVIe siècle à partir de topoi humanistes et de références à l'histoire antique bien connues, et érigée au XVIIe siècle en tant que cadre explicatif de l'histoire du français pour inscrire la langue française au sein de l'absolutisme.The traditional narrative of the history of French holds up the 1539 Ordinance of Villers-Cotterêts as the moment when the French state first imposed French as the national language of France. As recent scholarship has shown, however, not only did the edict contribute little to the dissemination of French — a process which was already well underway in 1539 —, its authors did not conceive of their project as an attempt to unify linguistically France. The view that Villers-Cotterêts constituted a Renaissance form of state-managed language planning is therefore a myth which came into being within a generation of François I's death. To qualify the ordinance as a fiction is by no means to reject its utility as an object of historical analysis. Like many myths, this particular fiction is intimately bound up in the history of the object it misrepresents. The ways people have interpreted Villers-Cotterêts reflect the evolution of political ideology and of definitions of the proper relationship between the prince and language. I propose in this paper to excavate the history of the myth of Villers-Cotterêts in the early modern period. I argue that Villers-Cotterêts is an invented memory, fashioned in the sixteenth century, from humanist tropes and commonplace references to classical history, and raised up as the central explanatory framework for the history of French in the seventeenth century in order to inscribe the French language within absolutist political theory.
- La réforme de l'orthographe, une affaire d'état - Yannick Portebois p. 71-85 L'histoire de l'orthographe au XIXe siècle se nourrit de deux «histoires», parallèles et pourtant contradictoires. D'abord, celle des historiens de la langue, qui léguèrent une histoire des réformateurs plutôt qu'une véritable histoire de l'orthographe. Cette lecture créa des «micro-moments» d'histoire orthographique, qui révélaient l'absence de l'État en la matière. Ensuite, celle des historiens de la pédagogie qui ont eu plutôt tendance à surestimer l'intérêt de l'État pour les questions orthographiques. La vérité se situe sans doute entre ces deux pôles de lecture: du point de vue des politiques linguistiques, le législateur, peu importe le régime politique, éprouva rapidement la difficulté d'imposer des mesures suffisamment coercitives pour forcer des changements orthographiques.The history of orthography in the nineteenth century has been marked by two parallel, yet contradictory, «histories». The first, developed by historians of the French language, bequeathed a history of reformers instead of a real history of orthography. This interpretation created «micro-moments» of orthographical history, which revealed the absence of the State in the matter. The second view, promoted by historians of pedagogy, tended to overestimate the interest of the State in orthographical questions. The truth is most likely situated between these two views: from the point of view of linguistic policies and planning, the government, no matter what the political regime, learned rapidly how difficult it was to effect orthographical changes.
Varia
- Bidirectionnalité, discontinuités et conflits. Un nouveau regard sur la grammaire traditionnelle française de la première moitié du XXe siècle - Peter Lauwers p. 87-128 Dans cette contribution nous proposons une analyse de 25 grammaires du français qui constituent la couche supérieure de la production grammaticale de la première moitié du XXe siècle. Il s'avère que la syntaxe française traditionnelle est foncièrement bidirectionnelle. Elle allie une approche catégorielle ascendante (= focalisant l'emploi des parties du discours) à une approche descendante — à l'origine purement logique — qui divise la phrase en segments sémantico-logiques. Ces deux perspectives donnent non seulement lieu à des 'excès', elles posent aussi le problème de l'articulation des deux perspectives. Ainsi on constate une discontinuité profonde (absence d'une interface mots-fonctions, absence du syntagme ou groupe de mots, absence de récursivité) et plusieurs 'conflits' dans l'analyse (2 compléments, 2 classements de compléments, deux termes génériques pour fonction syntaxique, etc.).In this contribution, we offer an analysis of 25 grammars of French which constitute the upper layer of the grammatical production of the first half of the 20th century. It appears from this analysis that traditional French syntax is fundamentally bidirectional. It combines a categorial bottom-up approach (focusing on the use of word classes) and a top-down approach, which originally was purely logical, based on the division of the sentence in semantic / logical constituents. These two perspectives not only produced some 'excesses', but also led to the problem of the articulation of these two perspectives. Thus, one finds a discontinuity (lack of interface between word and syntactic functions, absence of syntagms or word groups, absence of recursivity) and several 'conflicts' in the analysis (2 types of complements, 2 classifications of the complements, 2 generic terms for syntactic function, etc.).
- Les deux « grammaires générales » de Johann Severin Vater sont-elles « générales » - Friederike Spitzl-Dupic p. 129-150 En 1801 Johann Severin Vater publie Versuch einer allgemeinen Sprachlehre («Essai d'une grammaire générale») et en 1805, Lehrbuch der allgemeinen Grammatik («Manuel de la grammaire générale»). Dans les deux titres Vater qualifie donc son étude de «générale», qualification que, de plus, il revendique plusieurs fois dans les deux textes et par laquelle il renvoie à la tradition des grammaires générales ou rationnelles qui fut inaugurée par les Messieurs de Port-Royal. Néanmoins, plusieurs commentateurs modernes ont considéré que ces deux ouvrages relèvent seulement en partie ou même ne relèvent pas du tout de cette tradition mais s'inscrivent — au moins partiellement — dans le courant des grammaires historiques et comparées qui prend son essor à cette époque. L'étude cherche alors à élucider les principes d'analyse de Vater dans ces deux ouvrages, la conception de la grammaire générale de l'auteur et sa mise en application. Il nous semble possible de démontrer que, conformément à la conviction de l'auteur, aussi bien l'Essai que le Manuel relèvent bel et bien de la tradition des grammaires générales et que notamment l'Essai en constitue une illustration remarquable.In 1801, Johann Severin Vater published «Versuch einer allgemeinen Sprachlehre» («An Essay of a General Grammar») and in 1805, Lehrbuch der allgemeinen Grammatik («A Manual of General Grammar»). Both titles include the qualitative adjective «general» by which Vater explicitly refers to the tradition of general grammars, initiated by Port-Royal. Moreover, Vater underlines several times in both texts the «general» nature of his analysis. Today however, both grammars are often described as entirely or at least partially historical and comparative works. This article deals with the principles of Vater's analysis, his conception of general grammar and its application to linguistic facts. It seems possible to show, in accordance with the conviction of their author, that the two grammars actually fit in the tradition of general grammars and that «An Essay of a General Grammar» in particular represents a remarkable example of it.
- La problématique de la « transitivité » dans la tradition grammaticale latine. Quelques Jalons de Priscien aux premiers humanistes - Bernard Colombat p. 151-172 Cet article étudie l'évolution du concept de transitivité (transitio) tel qu'il est appliqué au verbe, dans la tradition grammaticale latine, depuis Priscien jusqu'au XVe siècle. Chez Priscien, la transitivité est une notion essentiellement sémantique, qui désigne avant tout le passage de personne à personne et qui s'applique à tous les cas adverbaux. Cette conception large se retrouve dans le Catholicon de Johannes Balbi qui considère que la rection ex natura ou ex ui transitionis peut s'appliquer à tous les cas, la préposition n'empêchant pas la transition. À la fin du Moyen Âge et au début de l'Humanisme, apparaissent des présentations intégrant le 'genre' verbal (la voix verbale) et la transitivité: cette dernière domine et organise la division en genres chez Sponcius de Provence; dans la grammaire italienne du XVe siècle, la transitivité est fortement liée à l'accusatif, dont elle désigne toutes les constructions particulières à l'intérieur de chaque genus uerborum. Les Remigius distinguent des degrés dans la transitivité (faible, forte, très forte), mais cette hiérarchie recouvre deux conceptions différentes, limitée au seul accusatif vs s'appliquant à tous les cas. De sémantique au départ, la transitivité verbale a eu tendance à devenir un concept purement grammatical fortement associé à l'accusatif, sans que les grammairiens parviennent à une présentation cohérente et homogène.This article examines the evolution of the concept de transitivity (transitio) as applied to the verb in the Latin grammatical tradition, from Priscian to the XVth century. With Priscian, transitivity is essentially a semantic notion, which primarily indicates a transition from person to person and which applies to all adverbal cases. This wide conception can be found again in Johannes Balbi's Catholicon, Balbi considering that the rection ex natura or ex ui transitionis can be applied to all cases, the use of the preposition not ruling out the transition. In the late Middle Ages and among the first humanists arise presentations that integrate verbal voice (genus uerborum) and transitivity: the latter dominates and organises the division into genera uerborum with Sponcius of Provence. In XVth century Italian grammar, transitivity is strongly linked to the accusative, of which it designates all the particular constructions inside each genus uerborum. The Remigius distinguish degrees in transitivity (weak, strong, very strong), but this hierarchy covers two different conceptions, one limited solely to the accusative, the other applying to all cases. From semantic at the beginning, verbal transitivity has tended to become a purely grammatical concept strongly associated with the accusative, although grammarians did not achieve a coherent and homogeneous presentation of it.
- Bidirectionnalité, discontinuités et conflits. Un nouveau regard sur la grammaire traditionnelle française de la première moitié du XXe siècle - Peter Lauwers p. 87-128
Lectures et critiques
Article critique
- Sandra Laugier. Recommencer la philosophie -La philosophie américaine aujourd'hui, 1999 - Godart-Wendling Béatrice p. 173-177
Comptes rendus
- Dalimier, Catherine. Apollonius Dyscole, Traité des conjonctions, 2001 - Wouters Alfons p. 178-181
- Nonno Mario de, Paolo de Paolis, & Louis Holtz (Eds.). Manuscripts and traditio of grammatical texts from Antiquity to the Renaissance, 2000 - Marguin Elsa p. 181-187
- Rosén Haiim B. Un demi siècle de linguistique européenne, 2001 - Bergounioux Gabriel p. 187-189
- Galazzi Enrica. Le son à l'école; phonétique et enseignement des langues, 2002 - Bergounioux Gabriel p. 189-190
Notes de lecture
Ouvrages de collaborateurs
- Auroux Sylvain (Ed.). History of Linguistics 1999 : Selected papers from the Eighth International Conference on the History of the Language Sciences, 14-19 september 1999, 2003 - p. 193-194
- Guilhaumou Jacques. Sieyès et l'ordre de la langue. L'invention de la politique moderne, 2002 - p. 194-194
- Baumgarten Jean. Le yiddish, histoire d'une langue errante, 2002 - p. 194-195