Contenu du sommaire : Stratégies théoriques
Revue | Histoire, Epistémologie, Langage |
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Numéro | vol.10, n°1, 1988 |
Titre du numéro | Stratégies théoriques |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Stratégies théoriques
Articles
- Avant-Propos - Sylvain Auroux p. 5-6
- Robert Kilwardby as « scientific grammarian » - Mary Sirridge p. 7-28 La grammaire, au XIIIe siècle, cherche à se constituer en discipline scientifique selon le modèle aristotélicien. Ce modèle doit cependant être redéfini pour s'adapter aux contraintes imposées par la spécificité de son objet. Robert Kilwardby est un des auteurs qui oeuvra dans ce sens. En admettant que la scientificité soit une notion relative et graduée, il peut expliquer que la grammaire, dont l'objet n'est pas du domaine du nécessaire, puisse être considérée comme une science inférieure. En acceptant qu'il y ait une certaine connaissance du singulier, par abstraction de la forme, il résout la difficulté provenant de ce que la grammaire s 'occupe principalement de types d'expression et d'exemples. En privilégiant l'aspect universel et abstrait du langage au détriment de son aspect matériel et concret il répond à l'exigence d'universalité de l'objetIn the 13th century, grammar attempted to become a scientific discipline according to the Aristotelian model. This model must, however, be redefined to adapt to the constraints imposed by the specificity of the object. Robert Kilwardby's work moved in this direction. By supposing that scientificity is a relative and gradual notion, he was able to explain that grammar, whose object is not of the order of the necessary, may be considered an inferior science. By accepting that there could be a type of knowledge of the singular object resulting from its separation from form, Kilwardby solved the difficulty arising from the fact that grammar is principally concerned with types of expression and examples. By privileging the universal and abstract aspect of language to the detriment of its material and concrete aspect, he dealt with the claim for the universality of the object.
- Discours, sémantique et argumentation selon la tradition talmudique - Jacques Rozenberg p. 29-42 Notre étude s'attachera d'une part à aborder la Tradition Talmudique du point de la sémantique moderne, et d'autre part à mettre au jour les éléments de rationalité qui, dans cette tradition, sont susceptibles de préciser certains problèmes contemporains . Pour ce faire, nous présenterons quelques aspects de l'argumentation talmudique en essayant de repérer ses conditions de possibilité dans la langue hébraïque elle-même. En effet, la nature polyphonique de l'hébreu, qui n'a jamais incorporé son système vocalique à l'alphabet consonantique, privilégie la dimension orale par laquelle s'opère la transmission de Maître à disciples. Par ailleurs, la syntaxe de la langue hébraïque, qui ignore aussi bien la prédication que les attitudes propositionnelles, fait appel aux procédures métalin-guistiques du Talmud afin d'éclaircir l'ensemble des contextes dénonciation propres à la Tradition. Dès lors, l'argumentation talmudique apparaîtrait comme un moyen opératoire visant à lester la transmission des énoncés de la pesanteur personnelle qui risque toujours d'y être investie.We should like to understand the Talmudic Tradition in connection with modern semantics . This will enable us to display the rational materials of this tradition and explicit some contemporary problems of semantics. For that purpose we shall present a few points of Talmudic argumentation and try to locate its conditions in the structures of Hebraic language. Actually, Hebrew is polyphonic. And the fact that it didn't incorporate the vowel system to its consonant alphabet, gives a preferential statute to Oral Transmission. Besides, the syntax of Hebrew ignores predication as well as prepositional attitudes. It calls for meta-linguistic processes of the Talmud to make clear every context of utterance of the statements that belong to Tradition. So the Talmudic argumentation could be regarded as an operational way, and could release the personal dimension that is always apt to obstruct the transmission from Master to disciples.
- Comment confondre les jansénistes ? (Des Lettres Provinciales) de Pascal à la critique grammaticale du Père Bouhours - Thierry Defize p. 43-58 Dès 1656, les Provinciales ouvrent au public des honnêtes gens le conflit théologique qui oppose jésuites et jansénistes. Les Réponses que leur font les Pères de la Compagnie sont non systématiques, hantées et figées par la présupposition de l'hérésie de Port-Royal. Face à la richesse polémique de la critique pascalienne de la forme-sens, ces pères privilégient une critique du contenu qui renforce l'image négative que Pascal a donnée d'eux. Le père Bouhours, quelque 15 ans plus tard, par un habile déplacement de la critique dans le champ de la grammaire, trouve aux jésuites le public des honnêtes gens. C'est comme l'un d'entre eux qu'il propose les remarques grammaticales formalistes par lesquelles il éloigne les jansénistes de l'orthodoxie du beau langage - signe de l'orthodoxie sociale -, de l'usage au je ne sais quoi de l'exactitude.In 1656, the theological conflict opposing Jesuits and jansenists reached the audience of the so called «honnêtes gens» through Pascal's Provinciales. In their Réponses to the latter, the Jesuits proved unsystematic, as if obsessed and blocked by their biase insistence on Port-Royal's heresy. To the polemical depth of Pascal's «form-and- meaning» critique, the Jesuits opposed arguments based on pure content; which only made Pascal's negative picturing of them more forceful. Some fifteen years later, Father Bouhours subtly shifted the Jesuit critique of Jansenism to the field of grammar, which was more accessible to the «honnêtes gens». Bringing forth his formalist comments from the view point of an «honnête homme», Father Bouhours actually deprived the jansenists of the orthodoxy of «beau langage» which he assumes to be a mixture of use and an undefined notion {«je ne sais quoi») of exactitude.
- De l'idéalisme dans les théories du langage. Histoire d'une transition - Lia Formigari p. 59-80 Une analyse de textes tels que l'essais de Fichte Von der Sprachfahigkeit und dem Ursprung der Sprache (1795), les Briefe iiber Poésie, Silbenmass und Sprache de A.W. Schlegel (1795), ou VEinleitung in der Philosophie der Mythologie de Schelling (1826), nous montrent la nature du dispositif par lequel une coupure se produit entre la linguistique des Lumières et la philosophie du langage de \&Romantïk. Ce qui fait la différence entre les deux perspectives, malgré leur continuité matérielle, est l'introduction de la notion de subjectivité transcendentale dans la théorie du langage. Une des conséquences de ce changement de point de vue est que la médiation linguistique, que la tradition empiriste avait considérée comme la condition essentielle de toute activité du sujet, est envisagée maintenant comme l'œuvre d'un esprit qui est en lui-même actif ou«spontané». Le postulat d'une structure apriori de la subjectivité (c'est-à-dire d'un dispositif de représentation indépendant de l'expérience) équivaut en effet à l'affirmation de l'autonomie de ce dispositif vis-à-vis de la contingence des pratiques linguistiques. Le propre de la philosophie humboldtienne est la tentative de réconcilier la spontanéité du sujet avec le rôle conditionnant du langage. Il s 'agit cependant d'un rôle qui n'est pas à son tour conditionné (comme il l 'était, par exemple par l 'expérience préverbale, dans la philosophie des Lumières): le langage comme forme, ou Sprachform, en effet, précède toute manifestation externe de la vie intellectuelle et en représente l'essence idéelle. La pensée est donc encore une fois conditionnée par le langage, mais seulement parce que le langage lui- même est le porteur des structures formelles, a priori, ou transcendentales, de la subjectivité. Cette dualité de la philosophie du langage de Humboldt, qui le pousse à aborder toujours le langage d'une double perspective - une perspective empirique et une perspective transcendentale, ou autrement, dit, une «historische Ansicht» et une «philosophische Ansicht» - fut dénoncée par un des ses premiers disciples, Heymann Steinthal, dont l'essai Uber den Idealismus in der Sprackwissenchaft ( 1 860) est examiné ici comme une tentative d'exclure la notion de subjectivité transcendentale comme condition du discours, en ramenant ainsi la théorie du langage dans une perspective phénoméniste. Ce passage du phénoménisme des Lumières à 1'idéalisme et ce retour au phénoménisme dans la théorie du langage nous suggère des réflexions non seulement sur la transition de la philosophie des Lumières à l'idéalisme, mais aussi à propos du rôle de l'argumentation transcendentale telle qui recourt dans la théorie du langage.An analysis of texts such as Fichte's Von der Sprachfahigkeit und dem Ursprung der Sprache (1795), A.W. Schlegel's Briefs iiber Poésie, Silbenmass und Sprache (1795), or Schelling's Einleitung in der Philosophie der Mythologie (1826), discloses the peculiar device through which a break is brought about between H'-and lS^-century philosophical tradition and the theory of language of early ^""-century German philosophy. What makes the difference, in spite of the material continuity, is the introduction of a notion of transcendental subjectivity into the theory of language. One of the consequences of this change in perspective is that the linguistic mediation, which lS^-century empirical philosophy used to repute essential to the mind's activity, is now conceived as the work of a mind that is in itself active or «spontaneous». Indeed, postualting an apriori structure of subjectivity (namely, a representation-device independent from experience) is tantamount to affirming the autonomy of this device towards the contingency of linguistic practice. The peculiarity of Humboldt's philosophy is the attempt to conciliate the spontaneity of the subject whith the conditioning role of language. Such a role, however, is conceived by him as not in itself otherwise conditioned (not conditioned by pre-verbal experience, for instance, as was the case with 18"1 -century philosophy): language as form (Sprachform) in fact precedes all outward forms of the intellectual life and is their ideal essence. In other words, thought is still conditioned by language, but only because language itself embodies the formal, apriori, or transcendental structures of subjectivity. This dual nature of Humboldt's philosophy of language, always prompting him to approach language from a double viewpoint - an empirical one and a transcendental one or, otherwise stated, a «historische Ansicht» and a «philosophische Ansicht» - was denounced by one of his first disciples, Heymann S te in thai, whose essay Uber den Idealismus in der Sprachwissenchaft (1860) is examined in this article as an attempt to dismiss the notion of a transcendental subjectivity as conditioning speech, and so tracing the theory of language from idealism back to mere phenomenism. Such a passage from 18fc-century phenomenism to idealism and back to phenomenism in the theory of language suggests some reflections not only on the transition from 18*- to 19*- century linguistic philosophy, but also on the role of transcendental arguments in the theory of language.
- Auguste Ferdinand Bernhardi (1770-1820) - Brigitte Schlieben-lange, Harold Weydt p. 81-100 A.F. Bernhardi a écrit deux grands ouvrages linguistiques, la Sprachlehre (1801/1803) et les Anfangsgrûnde des Sprachwissenschaft (1805). L'article se propose de rendre accessible la Sprachlehre (presque 700 pages), livre méconnu durant tout le 19' siècle et aujourd'hui encore, qui se situe néanmoins à un point crucial du développement de la linguistique. Héritier des Lumières, véritable connaisseur de la tradition de la Grammaire Générale, de la logique et de la rhétorique, disciple de Wolf, le célèbre philosophe de Halle, Bemhardi entreprend la tâche difficile de reformuler la Grammaire Générale et la rhétorique en termes d'idéalisme allemand (Kant, Fichte). Il élabore une théorie linguistique encore séduisante de nos jours (ou de nouveau), basée sur les concepts d'activité et de dialogue. Avec cela il s'avère être un précurseur de Wilhem de Humboldt.A.F. Bemhardi wrote two important books on linguistics, the Sprachlehre (1801/1803) and the Anfangsgrunde des Sprachwissenschaft (1805). We would like to present the Sprachlehre in some detail. Unfortunately the book was to be more or less ignored during the 19* and 20* centuries in spite of its obviously crucial position in the history of linguistics. On the one hand Bernhardi has an excellent knowledge of general grammar and rhetorics, on the other he reformulates this heritage in terms of German Idealism and Romanticism. He develops a very interesting and convincing linguistic theory based on the concepts of activity and dialogue, thus prescenting to a certain degree Humboldt's theory of language.
- Théories du changement sémantique en Allemagne au XIXe siècle : Stöcklein, Sperber et Leumann - Brigitte Nerlich p. 101-112 Au tournant du siècle la sémantique allemande, quoique ayant en partie d'autres origines que la sémantique française, se tourne comme celle-ci vers l'exploration du changement sémantique dans le cadre de renonciation en prenant en compte les facteurs espace, temps et sujets parlants. Ayant été une sémantique historique du mot, elle devient une psychosémantique. Les trois auteurs présentés ici exemplifient une progression de la sémantique de renonciation (S tôcklein) vers une psychosémantique (Sperber), des approches qui, à leur tour, sont attaquées par un membre de la philologie comparée (Leumann). Adoptant le cadre explanatif proposé par Meillet, celui-ci donne à la sémantique un nouveau tournant qui la rapproche de nouveau de ces origines logico-rhétoriques et tout particulièrement de ReisigAt the turning of the century German semantics, although having partially different origins from French semantics, starts to explore semantic change in the framework of the concrete utterance and takes the factors time, space and speaking subjects into account. Having been a historical word semantics, this new semantics becomes a psychosemantics. The three authors that are presented here exemplify a progression from a semantics of the sentence (Stocklein) to a psychosemantics (Sperber), approaches that come under the attack of a comparative philologist (Leumann). He adopts the explanativ framework proposed by Meillet and gives German semantics a new direction whereby he ties it however closer to its logico-rhetoric origins, especially Reisig.
- The Concept of Syntax in Anton Marty's Philosophy of Language - Paolo Spinicci p. 113-130 Le but de cet article est d'éclaircir les rapports entre la conception de syntaxe de Marty et sa théorie de langage comme instrument de communication. D'une part, les instruments doivent être maniables, de l'autre, adaptés à l'utilisation qu'on désire en faire: dans le premier paragraphe, on démontre donc comment ces deux moments caractérisent l'instrument syntaxique. La même dualité se découvre ensuite (§2) dans le projet de Marty d'une grammaire générale et aux origines de la distinction entre les deux sortes d'expressions synsémantiques (§ 3).Aim of this article is to bring to light the connection between Marty's concept of syntax and his theory of language as a communicative tool. Tools have to be both handly and adequate for the ends they aim; in the first paragraph, we point out these two aspects which characterize the nature of the syntactical instrument. The same duality is find out in Marty's project of a general grammar (§2) and at the root of the distinction between the two different kinds of synsemantic terms (§ 3).
- La linguistique textuelle en fenno-scandie - Jocelyne Fernandez-Vest p. 131-150 Une comparaison par-delà les frontières - nationales et surtout linguales - procure la distance nécessaire à l'explicitation des sources épistémologiques et des mouvements d'Écoles. D'une confrontation franco-nordique ressort ainsi l'usage préférentiel des termes de «discours» en France, de «texte» en Fenno-Scandie. La Linguistique Textuelle, s'insérant dans le contexte spécifique d'une indépendance bilingue et scientifique tardives, doit en Finlande son expansion à l'École créée autour d'un angliciste stylisticien, Nils Erik Enkvist, dans les années 70. Ses objectifs n'en recoupent pas moins les préoccupations majeures des théoriciens francophones du discours -voire de l'«énonciation», encore qu'à l'«énoncé» et à ses dérivés ne corresponde pas dans les langues concernées un ensemble terminologique fixé. Quelques exemples des processus pragmatico-énonciatifs mis en valeur par l'élaboration récente d'une Syntaxe moderne du finnois, dont plusieurs types de modalisation opérés par les particules enclitiques, empruntés à une recherche franco-nordique en Analyse Contrastive du Discours, seront fournis à l'appui de ce rapprochement.A comparison beyond borders - national and specially lingual - gives the distance necessary to clarify epistemological sources and local trends. A trench -nordic confrontation brings out the preferential use of the terms «discourse» in France vs. «text» in Fenno-Scandia. Text Linguistics appeared in Finland in the specific context of a young bilingual and scientific indépendance, and it developed in the 701" at Abo Akademi around Nils Erik Enkvist, an anglist expert in stylistics. Swedish and Finnish text linguists share nevertheless the main concerns of the French Discourse analysts, even of the theoricians of «Enunciation» and «enunciative functions» (a terminological set unknown from the northern languages). Examples of the pragmatic-enunciative processes brought forth by a recently elaborated modern Syntax of Finnish, including several types of modalization operated by encli tic particles, borrowed from a French-nordic research about Contras tive Discourse Analysis, will be provided to support the comparison.
- Langage naturel et intelligence artificielle - Gilles Bernard, Jym Feat p. 151-170 Cet article présente un panorama d'ensemble des activités de recherche consacrées au traitement du langage naturel en intelligence artificielle (LA). Après un rapide survol des conditions socio-économiques de ces recherches, l'article aborde: i) l'influence des théories langagières sur la recherche en IA, en particulier neuropsychologie, théorie psycho-cognitive, grammaires transformationnelles et grammaires de cas; ii) l'histoire des concepts et outils techniques, élaborés pendant ce qu'on peut caractériser comme une lutte entre deux grands courants, sérialiste (Von Neumann) / paralléliste (connexionnistes, réseaux).This paper presents an overall assessment of the whole range of research activities devoted to Natural-Language Processing within the field of Artificial Intelligence (AI). After a quick survey of the social and economic conditions of research, the paper addresses itself to: i) the influence of language theories on AI research: neuropsy-chology, psycho-cognitive sciences, transformational grammars and case grammars; ii) the history of technical instruments and concepts, worked out during what may be described as a struggle between two basic trends: serialistic (Von Neumann) / parallelistic (connexionists, networks).