Contenu du sommaire : Le patrimoine au Cambodge

Revue Moussons : Recherche en Sciences Humaines sur l'Asie du Sud-Est Mir@bel
Numéro no 30, 2017
Titre du numéro Le patrimoine au Cambodge
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Introduction

  • Articles

    • La nature téléguidée : mise en patrimoine d'un village dans la province de Ratanakiri - Frédéric Bourdier p. 23-42 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La province septentrionale de Ratanakiri au Cambodge est depuis la fin des années 1990 sous l'emprise de l'agro-industrie. Les minorités ethniques, spoliées de leur espace de vie, constatent la déperdition de certains savoirs locaux et voient la transmission culturelle s'effilocher. Surgit, dans ce contexte de changement, la notion de patrimoine naturel associée à ses composantes culturelles. Elle est présentée comme une alternative innovante destinée à « faire revivre » des traits saillants d'un héritage ancestral. Prenant à témoin un village tampuan, je me penche sur les réactions induites par ce concept importé par une équipe de télévision nationale. Cette construction du patrimoine – présenté comme ingrédient social, politique et économique d'un environnement particulier – apparaît à un moment où ladite communauté ne constitue plus une entité collective soudée. Des villageois affirment la nécessité de maintenir des manières de faire léguées par les anciens. Mais cet ensemble de biens et de valeurs qu'ils entendent conserver afin d'être transmis aux générations futures est loin de faire l'unanimité, notamment ceux relatifs aux modes de représentations et de pratiques relatives à la nature qui intéressent ici. Ce dernier point mérite que l'on s'y arrête. Certains éléments de la tradition sont survalorisés tandis que d'autres s'éteignent ou sont passés sous silence. Ce tri opéré pousse à explorer les mécanismes de renouvellement et de sélectivité de ce qui, selon les Tampuan, fait sens, doit être ajouté, sauvegardé, transmis ou laissé de côté.
      Since the late 1990s, the Cambodian northeastern province of Ratanakiri is becoming more and more converted by agro-industrial development. Indigenous peoples, deprived of their land, are losing their local traditional knowledge and express concern for the cultural transformation which is underway. From this the notion of natural heritage associated with its cultural components arises. This can be explored as an innovative alternative aimed at “reviving” salient components of an ancestral legacy. From the example of a Tampuan village, I look into local reactions induced by a national TV team willing to show the persistence of such a heritage. Such a heritage legacy—introduced as a social, political and economic ingredient of a given natural environment—comes at a moment when the so-called community does not anymore constitute a united collective entity. Some villagers are in favor of maintaining ways of doing that have been inherited by elders. But this set of values and identities, supposed to be transmitted to new generations, is far from unanimously accepted, specifically those which deal with modes of representations and practices suggested by external TV agents. This last point deserves scrutiny. Some elements of tradition receive too much emphasis while others are on the verge of extinction or fading away. The dynamic of this selection process incite us to explore mechanisms of renewal and selectivity about what, according to the Tampuan, has a meaning and deserves to be added, safeguarded, transmitted or evacuated.
    • À la conquête des marges dans le Nord-Est cambodgien : l'enjeu du patrimoine à Ratanakiri - Téphanie Sieng p. 43-64 avec résumé avec résumé en anglais
      Le royaume du Cambodge a connu de terribles vicissitudes historiques et politiques au cours du XXe siècle. C'est dans ce cadre que la notion de patrimoine matériel et immatériel a pris son essor. Notion importée par le protectorat français puis délaissée durant une partie du siècle dernier, elle est aujourd'hui au cœur des débats et des enjeux identitaires à l'échelle locale, nationale et régionale. Dans la province de Ratanakiri, celle-ci a réellement émergé dans les années 2000 à la suite de la colonisation des hautes terres par les migrants venant des plaines cambodgiennes et en raison des pressions foncières liées au développement des concessions étrangères, au détriment des petits paysans locaux. Le patrimoine est devenu pour les Tampuan et pour les migrants des basses terres un objet justifiant la culture et, par extension, l'instrument d'une revendication et d'une légitimation territoriale par les premiers habitants de la région. Il s'agira dans cet article de s'interroger sur l'appropriation et les usages de la notion de patrimoine par la population tampuan, une société minoritaire du Nord-Est du Cambodge.
      During the twentieth century, the Kingdom of Cambodia, a mainland Southeast Asian country, went through many brutal historical and political hardships. In this context, the notion of tangible heritage and intangible heritage has been a crucial reality. The French Protectorate initiated the process of heritage conservation in the country, which was dropped out during a part of the last century. It has now become the center of identity issues and debates at local, national and regional scales. In Ratanakiri province, the concept of heritage has emerged since 2000, because of the highlands colonization by migrants from Cambodian lowlands, and because of concessions development, which constitute a pressure on lands to the detriment of small local farmers. Tangible or intangible heritage has become the token of an ancient and glorious culture and by extension, of territorial legitimation and purpose. In this article, I am going to focus on the establishment and usage of heritage concept by Tampuan society, an ethnic group who lives in the Northeast of Cambodia.
    • Chantiers de pagodes dans le Cambodge colonial (1900-1940) - Marie Aberdam p. 65-89 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Entre 1900 et 1940, des centaines de pagodes bouddhistes cambodgiennes sont détruites et reconstruites sur tout le territoire du protectorat. Les Cambodgiens négocient avec les autorités, chantier par chantier, la refondation du bâti votif et la revivification du culte dans les vatt ruraux ou urbains. À la différence des temples anciens, les monastères bouddhistes contemporains sont tout d'abord exclus de la définition du patrimoine. Ils deviennent alors un enjeu de représentation pour les élites cambodgiennes qui s'emparent de cette question d'administration pour affirmer leurs prérogatives sociales et politiques face à la force française. Alors que les notions de communauté, de village et de réseau sont au cœur des renouvellements historiographiques des études khmères, l'auteur s'interroge sur les acteurs de ces chantiers de pagodes, depuis les campagnes jusqu'à la capitale, et sur les enjeux de cette refondation du bâti votif khmer durant la période coloniale.
      Between 1900 and 1940, thousand of Cambodian Buddhist pagodas were destroyed and rebuilt all over Cambodia. Cambodian populations had to negotiate, site by site, with the administration of the Protectorat to renovate and revitalize their rural or urban religious buildings. Despite the Ancient temples, Buddhist monasteries were first not integrated to the definition of heritage. They then became an issue of representation for the Cambodian elite who took over this administrative strake to assert their social and political prerogatives over French authorities. While new Cambodian studies focus on concepts of community, village and network, who are the actors of these pagodas buildings, from the countryside to the capital, and what are the issues of these new foundations of Buddhist monasteries during colonial period in Cambodia?
    • The Process of Re-Construction and Revival of Musical Heritage in Contemporary Cambodia - Francesca Billeri p. 91-109 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le processus continu de préservation des arts du spectacle traditionnels au Cambodge ainsi que leur revival conduisent à un phénomène de « patrimonisation » de la musique. Ce processus de construction du patrimoine musical pourrait être défini comme le fait d'utiliser la musique comme un trait de l'identité culturelle pour caractériser les communautés locales et les minorités culturelles au sein d'une plus grande nation; tout comme il peut s'agir de favoriser le processus économique dont les communautés locales peuvent bénéficier. C'est une tendance controversée qui implique également des points de vue nationalistes et la congélation du processus culturel, dans le but de conserver des répertoires et des méthodes qui disparaissent progressivement. Lié à ce problème, il y a la question du terme « patrimoine » et l'action controversée de l'UNESCO avec son patrimoine culturel immatériel. Cet article, à travers l'étude du cas de l'association Cambodge Living Arts (CLA) basée à Phnom Penh,se propose de montrer l'état actuel de conservation et le revival de la musique traditionnelle, qui mènent à une transformation des arts. L'association CLA travaille pour la promotion et la reconstruction de l'identité culturelle Khmer qui a été perdue après le régime sanglant des Khmers rouges.
      The on-going process of preservation and revival of traditional performing arts in Cambodia is leading to a phenomenon of “patrimonization” of music; this heritage building process can be defined as the use of music as a trait of cultural identity in order to characterize local communities or cultural minorities within a larger nation and, at the same time to foster economic process of which local communities may benefit. It is a controversial trend that implies also nationalistic views and the freezing of cultural process with the aim of keeping repertoires and practices that are gradually disappearing with a different function. Connected to this issue is the term of heritage including the controversial action of UNESCO with its Intangible Cultural Heritage. This article aims to show the current situation of preservation and revival of traditional music that are leading to a transformation of arts through a case-study of Cambodian Living Arts (CLA) association based in Phnom Penh that works for promoting and re-constructing the Khmer cultural identity that has been lost after the bloody Khmer Rouge regime.
    • De rituel local à patrimoine national, réflexions sur l'expression rurale d'un théâtre au Cambodge - Stéphanie Khoury p. 111-129 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le lkhon khol est une pratique théâtrale du Cambodge qui relève des arts de cour et qui, sous sa forme rituelle, est traditionnellement mise en scène dans un village des environs de Phnom Penh, dans le cadre de cultes aux esprits tutélaires d'un territoire délimité. Géré par des autorités locales (chef de la troupe et monastère bouddhique), le théâtre est également lié à une forme d'autorité supérieure (la cour royale jusqu'aux années 1970 puis le ministère de la Culture à partir des années 1980). La troupe et sa pratique du théâtre ont connu de nombreux changements au cours des XXe et XXIe siècles qui, sans altérer le caractère rituel des représentations locales, ont engagé la population villageoise et les instances dirigeantes en lien avec cette troupe dans une dynamique de redéfinition du théâtre rural en tant que patrimoine culturel. Cet article propose de suivre les reconfigurations conceptuelles (religieuses, socioéconomiques et politiques) mise en place dans le cadre de cette pratique théâtrale localisée afin de discuter de l'articulation des différentes sphères territoriales, patrimoniales et d'autorité qui se superposent dans son exercice.
      The lkhon khol is a Cambodian theatre that belongs to court arts and that is, in its ritual form, traditionally staged in a village in the surroundings of Phnom Penh, as part of the worship of tutelary spirits of a delimited territory. Managed by local authorities (troupe chief and Buddhist monastery), the theatre is also linked to a broader authority (the royal court until the 1970's, then the ministry of Culture from the 1980's onwards). The troupe and its practice of theatre have gone through many changes during the 20th and 21st centuries which, without altering the ritual character of local performances, engaged the rural population and administrative or religious authority figures related to this troupe in a dynamic of redefinition of rural theater as a cultural patrimony. This article offers to follow the conceptual reconfigurations (religious, socio-economical and political) encountered by this local theatre in order to discuss the articulation of territorial, patrimonial and authoritative spheres that infuse the theatre's practice.
    • Réflexions sur l'histoire de l'exposition et de la restauration des effigies de culte anciennes au Cambodge - Sophie Biard p. 131-151 avec résumé avec résumé en anglais
      Les effigies de culte cambodgiennes de l'époque angkorienne et préangkorienne sont dépositaires d'une histoire complexe depuis leur découverte aux cours de recherches archéologiques ou dans des vatt modernes. Nous nous intéressons ici aux statues en grès et en ronde-bosse. Celles-ci ont été restaurées, déplacées dans des musées pour leur conservation et leur protection face au pillage, formant les collections que nous connaissons actuellement. Ces travaux ont été initiés par le protectorat français au Cambodge mis en place en 1863, qui a ramené avec lui ses infrastructures culturelles et ses techniques : les musées, l'archéologie, et les pratiques occidentales de conservation-restauration. Mais la signification que les conservateurs français donnent alors aux statues qu'ils découvrent est bien différente de celle que lui donne la société cambodgienne, très religieuse. Ces différences de sens ont influé, et influent toujours, sur les différences de traitement qu'appliquent les deux sociétés aux statues. Comment ces pratiques ont-elles évolué au cours du temps, dépendantes des différents événements historiques et des contextes politiques qui ont pris place au Cambodge au XXe siècle ? Quelle place occupe aujourd'hui la dévotion populaire cambodgienne dans les musées ?
      Ancient statues from angkorian and pre angkorian eras in Cambodia have a long story since they were excavated, or found in modern Wat. We focus here on sandstone statues in the round. These statues had to be restored, to be moved into museums in order to be protected against degradation and looting —forming the collections we know nowadays. But did they had to? Archaeology, museums and science of conservation were brought in Cambodia by the French protectorate, established in 1863. But the meaning that French curators give to these archaeological artefacts is different from the meaning the deeply religious Cambodian society traditionally gave them. And with this difference of meaning comes the difference in conservation treatments both society practiced on these statues. How these practices evolved through time, linked to the different historical events and political contexts Cambodia went through? Which place is allowed to popular worship in museums nowadays?
    • Tuol Sleng, l'histoire inachevée d'un musée mémoire - Anne-Laure Porée p. 153-183 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Lycée transformé en prison par les Khmers rouges entre 1976 et 1979, puis en musée du génocide dès 1979, Tuol Sleng est aujourd'hui un des sites phare du patrimoine cambodgien, visité par plusieurs dizaines de milliers de touristes étrangers et de Cambodgiens chaque année. Comment s'est construit ce patrimoine Tuol Sleng, dans quel contexte et à quelles fins ? La constitution de ce lieu en musée a été intimement liée à une procédure judiciaire extraordinaire (celle du tribunal révolutionnaire qui a condamné à mort par contumace deux dirigeants du Kampuchea démocratique : Pol Pot et Ieng Sary), à un besoin de légitimation du nouveau pouvoir mais aussi à une volonté de représentation, et d'identification des victimes du régime. La construction de cette mémoire s'accompagne de la construction d'un récit national dans lequel se reconnaissent de nombreux Cambodgiens malgré les limites de ce récit et les discours de propagande qui l'entourent. Emblématique des pans d'histoire oubliés, le territoire choisi pour constituer ce patrimoine est très réduit par rapport au territoire réel de l'ancienne prison S-21. La population qui a réinvesti Phnom Penh après la fuite des Khmers rouges s'est réapproprié les lieux environnants. Les traces du passé inscrites dans le paysage et les mémoires font aujourd'hui l'objet de recherches et ouvrent les perspectives du devenir muséal et donc patrimonial.
      A high school the Khmer Rouge turned into a prison under the code-name S-21 between 1976 and 1979, then a genocide museum opened to visitors in 1979, Tuol Sleng is nowadays a major site of Cambodian heritage. Every year several thousand people, foreign tourists and Cambodians alike, visit the place. How was Tuol Sleng established, in what context and for what purpose? The transformation of the prison into a memorial museum is deeply related to an extraordinary justice process (the  People's Revolutionary Tribunal, which sentenced to death in absentia two former leaders of Democratic Kampuchea, Pol Pot and Ieng Sary), the new authorities' dire need of domestic and international legitimacy, and the will to represent and identify the victims of the former regime. Memorialization went hand in hand with the elaboration of a national narrative that a majority of Cambodians could accept in spite of the limitations of this narrative and the propaganda around it. The territory chosen to build this heritage is very small compared to the actual territory of S-21. In this sense, it is emblematic of the parts of history that were discarded in the process. The population returning to Phnom Penh after the fall of the Khmer Rouge regime appropriated the neighborhood anew. Lately, these people's recollections and the traces the past left in the landscape have become an object of research. They open up new perspectives of inquiry regarding the museum, and consequently Cambodian heritage.
  • Notes

    • Le tamarin dans la cuisine des villages d'Angkor : des Mémoires de Zhou Daguan à aujourd'hui - Ang Chouléan p. 185-202 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cette note de recherche part des Mémoires de Zhou Daguan portant sur la société angkorienne de la fin du xiiie siècle et de leur apport à l'anthropologie sociale et culturelle. L'auteur met ainsi en perspective plusieurs remarques faites par le voyageur chinois sur la culture culinaire des gens d'Angkor avec les pratiques qu'il a pu observer en milieu familial dans la région de Siem Reap de nos jours. Cette note revient en particulier sur la place du tamarin dans la préparation des sauces et des condiments dans la cuisine cambodgienne.
      This note wants to study the famous record of Zhou Daguan on the late XIIIth Angkorian society as a resource for social and cultural anthropology in Cambodia. The author puts into perspective several remarks made by the Chinese traveler on the people of Angkor cuisine habits with the practices he observes in familial context in Siem Reap today. This note questions especially the part taken by tamarind in the cooking of sauces and condiments in Cambodian culinary art.
    • Les collections de périodiques du Cambodge de la seconde moitié du XXe siècle et du début du XXIe réunies par l'EFEO : un patrimoine - Olivier de Bernon p. 203-212 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En 2006, l'École française d'Extrême-Orient a déposé à la Bibliothèque universitaire des langues et civilisations une collection extraordinaire de périodiques cambodgiens. Enrichie depuis par des acquisitions régulières, cette collection est intégralement accessible à la consultation. L'auteur revient ici sur les contextes de constitution de cette collection depuis 1964 et sur la richesse de ces fonds inédits pour l'histoire du Cambodge contemporain et, bien au-delà, pour la recherche en général.
      In 2006 the Cambodian Press Collection of the École française d'Extrême-Orient was opened for free consultation at the Bibliothèque universitaire des langues et civilisations. The author describes here how this extraordinary collection was composed since 1964 and enriched today by regular acquisitions. He also explains the significance of these unique funds for history of Contemporary Cambodia and, hereafter, for research in general.
  • Comptes rendus