Contenu du sommaire : Zone : l'espace d'une vie en marge
Revue | Espaces et Sociétés |
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Numéro | no 171, 2017/4 |
Titre du numéro | Zone : l'espace d'une vie en marge |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
I. Zone : l'espace d'une vie en marge
- Zone : l'espace d'une vie en marge - Jérôme Beauchez, Florence Bouillon, Djemila Zeneidi p. 7-18
- Une politique d'abandon surveillé : la zone de Boulogne-sur-Seine pendant l'entre-deux-guerres (1919-1933) - Anne Granier p. 19-36 L'expropriation de la zone de Paris, menée pendant la première moitié du xxe siècle, modifie radicalement le cadre de vie des zoniers. Tous ne partent pas une fois leurs indemnités d'expulsion ou de dépossession perçues. La présence de locaux et de terrains réputés vides, rarement surveillés, attire en outre de nouveaux occupants marginalisés. Pendant une dizaine d'années, sur la zone de Boulogne-sur-Seine, entre l'expropriation et la destruction effective, les conditions de vie se dégradent du fait des déprédations de certains zoniers et de la stratégie suivie, à demi-mot, par la direction de l'Extension, qui tend à s'accommoder de cette situation de délabrement général. Pris entre la crise du logement et l'impossibilité d'accorder des baux normaux, le bureau de l'Extension en vient à adopter une politique de laisser-faire, dont cet article a pour objet de décrire à la fois les conditions de possibilité, les modalités de mise en œuvre et les conséquences pour les différentes vagues d'habitants de la zone.The expropriation of the Paris Zone during the first half of the 20th century radically transformed the living environment of its occupants, familiarly known as zoniers. Whether owners or tenants, they did not all leave after receiving their respective expropriation or eviction compensations. The existence of premises and plots of land said to be empty and rarely monitored attracted new groups of marginalised occupants as well. In the course of the decade that passed between the expropriation and the actual razing of the Boulogne-sur-Seine zone, living conditions worsened for two reasons: the damages caused by certain zoniers and the strategy tacitly pursued by the Directorate responsible for the expansion of Paris. Caught between the housing crisis and the impossibility of granting formal leases, the Directorate tended to make do with the general state of decay. This article seeks to describe the conditions leading up to the Directorate's adoption of such a laissez-faire policy, the ways it was implemented and its consequences for the different waves of inhabitants drawn to the zone.
- La zone entre classes laborieuses et classes dangereuses : les marges parisiennes de la Belle Époque à la fin des années 1970 - James Cannon p. 37-54 De quoi est faite, historiquement, la mauvaise réputation de la zone ? Cet article survole trois périodes clés susceptibles d'apporter des éléments de réponse : la Belle Époque (1896-1914), pendant laquelle la zone de Paris participe avec la périphérie intra-muros de la capitale d'une recrudescence du mythe des classes laborieuses et classes dangereuses ; l'entre-deux-guerres (1919-1939), où cette zone et ce mythe s'élargissent dans l'imaginaire parisien pour incorporer les porteurs du « virus bolchevique » ; les années 1970, enfin, décennie qui repousse encore les limites de la zone et qui rajeunit le terme, en y associant les jeunes « délinquants » issus des grands ensembles et les jeunes héritiers de l'esprit anarchisant de mai 1968.How can one explain the dangerous reputation of the zone in historical terms? The following article looks for answers to this question in three key periods: the Belle Époque (1896-1914), during which the Paris Zone, together with the city's intramuros periphery, provided a locus for the resurgent myth of the “labouring classes and dangerous classes”; the interwar period (1919-1939), when both the zone and the myth expanded in the Parisian imaginary to incorporate carriers of the “Bolshevik virus”; and the 1970s, when the parameters of the zone became ever broader while evoking a more youthful population that included both “juvenile delinquents” from France's post-war housing estates and other young people influenced by the anarchistic spirit of May 1968.
- Zone stupéfiante : l'espace du deal - Jérôme Beauchez p. 55-72 Inspiré par la tradition sociologique de Chicago et l'ethnographie des carrières déviantes, ce texte présente l'ethnobiographie d'un zonard, toxicomane et dealer d'héroïne. Parmi les punks et au contact permanent de la rue, l'article pénètre les arcanes de cette « zone stupéfiante » aux côtés de l'un de ses experts qui en révèle l'expérience, l'économie ainsi que les règles. Tandis qu'elles arpentent les espaces du deal, les descriptions s'appuient sur l'hypothèse d'un réfléchissement du néolibéralisme dans les activités criminelles et montrent que ce parcours dans la « zone » peut être considéré comme le paradigme existentiel d'un capitalisme de la rue réduisant les rapports de concurrence à leur expression la plus violente et la plus nue. Ici l'espace biographique constitue un prisme au travers duquel celui du deal peut être observé à l'état incarné.Drawing on the Chicago School of sociology and the ethnography of deviant careers, this study presents the ethnobiography of a drug addict and heroin dealer from the zone. Through permanent contact with the street and the punks living there, the article probes the mysteries of this dealing space in the company of one of its specialists, who reveals its day-to-day life, its economy and its rules. Underlying the descriptions of the drug-dealing spaces is the assumption that the criminal activities there are a reflection of neoliberalism. This life-course in the zone may therefore be considered as the existential paradigm of a street capitalism that reduces competitive relationships to their crudest, most violent expressions. The biographical space thus constitutes a prism for observing the space of the deal in its personified state.
- On the road : les New Travellers et leur besoin radical d'espace - Marcelo Frediani p. 73-89 Dans cet article, les New Travellers du Royaume-Uni sont présentés comme une évolution contemporaine de la contre-culture britannique. De nombreux membres de ce groupe social optent pour un style de vie nomade en raison de difficultés économiques et de conditions sociales difficiles. L'adoption d'un tel mode de vie, basé sur l'itinérance ainsi que sur l'occupation alternative de l'espace social comme du territoire, les conduit à former des « communautés de pratique » (Wenger, 2005). Leur fonctionnement est centré sur la satisfaction de besoins que l'on peut, à la suite de Marx, qualifier de « radicaux ». Sur la base d'une enquête ethnographique menée dans les années 1990, l'article montre que l'association des deux notions – celle de « communautés de pratique » et celle de « besoins radicaux » – permet de rendre compte du mode de vie des New Travellers.In this article, New Travellers in the uk are presented as a contemporary offshoot of British counter-culture. Many Travellers adopt a nomadic lifestyle because of a situation of economic hardship and difficult social conditions. This nomadic lifestyle, with its alternative approach to social space and land use, leads to the creation of “practical communities” (Wenger, 2005). The main objective they pursue is the satisfaction of their needs, which can be defined as “radical needs” in the Marxist sense of the term. On the basis of fieldwork and data from the 1990s, the article shows that, taken together, these two notions – “practical community” and “radical needs” – are essential to explain the New Travellers'movement and their lifestyle.
- Sur la « zone » de Kreuzdorf : habiter une Wagenburg berlinoise - Ralf Marsault p. 91-108 Depuis le milieu des années 1980, Berlin compte un peu plus d'une douzaine de Wagenburgen, à savoir des campements alternatifs constitués d'une enfilade de caravanes et de camions où la bohème activiste côtoie des punks et des Travellers venus de toute l'Europe. Espace semi-nomade dont les résidents entretiennent une culture du passage, Kreuzdorf reste à ce jour emblématique de ces manières de vivre et d'habiter à la frontière de la société instituée. Quant à cet article, il propose une approche non invasive de cette « zone punk » dont il s'agit d'exposer non pas les habitants mais la façon dont ils conçoivent leur espace. Le programme est donc celui d'une anthropologie visuelle laissant apparaître un style de vie – celui des Wagenburgen – au travers d'un ensemble de dispositifs et d'objets que ses promoteurs ont créés.Since the mid 1980s, Berlin has had a few more than a dozen Wagenburgen, namely alternative camps consisting of caravans and trucks, where bohemian activists rub shoulders with punks and travellers from all over Europe. A semi-nomadic area whose residents maintain a culture of passage, Kreuzdorf remains to this day emblematic of these ways of living on the frontier of the instituted society. This article proposes a non-invasive approach to this “punk zone” which is less about showing its inhabitants than the way they conceive their everyday spaces. The program is thus that of a visual anthropology revealing a lifestyle – that of the Wagenburgen – through a whole set of devices and objects that its promoters have created.
- La fréquentation routinière des lieux de l'urgence sociale comme élément de socialisation des jeunes de la rue - Céline Rothé p. 109-126 Une part des jeunes qui côtoient régulièrement la zone et « vivent à la rue » revendiquent leur marginalité. Dans cet article, nous nous pencherons sur le rapport que ces jeunes entretiennent à l'infra-assistance en analysant les motivations de leur fréquentation des lieux d'accueil d'urgence. Pour cela, nous nous appuierons sur une trentaine d'entretiens ethnographiques menés avec des jeunes de la rue, ayant pour objet la mise en récit de l'usage des aides d'urgence. Dans un premier temps, après un bref retour sur le mécanisme par lequel une part des jeunes vulnérables bascule dans une fréquentation routinière de l'infra-assistance, nous mettrons en évidence les dimensions à la fois pratiques et symboliques de leur rapport à ce type d'aide. Dans un second temps, nous montrerons que ce rapport confère aux lieux d'accueil d'urgence une fonction à la fois socialisatrice et asilaire, particulièrement importante dans le déroulement de carrières de rue.A portion of young “street people” from the zone clearly seek to assert their marginal identity. In this article, we examine the relationship these young people maintain with threshold social services (infra-assistance in French) through an analysis of what motivates their visits to emergency care centres rather than other kinds of social services. To this end, we draw on some thirty life-course interviews with street youth in order to develop a narrative of the uses of this emergency aid. After a brief description of the process leading a portion of these vulnerable young people to turn to threshold social services on a regular basis, we bring out the practical and symbolic dimensions of their relationship to this kind of assistance. We then show that this relationship gives the care centres a dual function – socialisation and protection – which is particularly important for the development of the street careers.
II. Varia
- « Jusqu'où ne pas aller trop loin ? » Les bailleurs sociaux face aux enjeux de sécurité - Camille Gosselin, Virginie Malochet p. 127-143 Pour les bailleurs sociaux, la sécurité est devenue un vrai sujet qui leur ouvre un champ d'action à part entière. Sous la pression de leurs locataires, de leurs personnels et des pouvoirs publics, ils s'impliquent davantage en ce domaine tout en s'interrogeant sur leur contribution légitime quant à savoir comment et dans quelles limites intervenir, « jusqu'où ne pas aller trop loin ». À l'appui d'une enquête de terrain, cet article vise à saisir comment les bailleurs sociaux se positionnent face à ces enjeux, les investissent et y répondent. Entre tranquillité résidentielle et sécurité publique, les politiques qu'ils développent reposent, pour l'essentiel, sur la protection de leurs agents de proximité, la sécurisation de leur patrimoine et le partenariat avec la police et les villes. Elles contribuent à redéfinir les contours de leur cœur de métier et reflètent plus largement les évolutions des modes de gouvernance et de coproduction de la sécurité locale.For French social landlords, security has become a real concern that calls for specific responses. Under pressure from their tenants, their employees and public authorities, they have become increasingly involved in this problem but question the nature of their legitimate contribution – how they should they intervene and how far they should go. On the basis of a field survey conducted in the Ile-de-France Region, this article explores how social landlords position themselves with regards to these issues and how they respond to them. The policies they develop, going from residential order to public safety, focus essentially on the protection of their on-site staff, the securing of their properties and the development of partnerships with local police and municipalities. Such policies thus redefine their core business activity but also reflect broader changes in governance and joint management of local security.
- La conception de projets d'aménagement urbain comme processus collectif - Sylvain Rode p. 145-161 En s'appuyant sur un ensemble de méthodes qualitatives complémentaires, l'article interroge la conception des projets d'aménagement urbain comme processus collectif. À travers l'étude de deux projets mis en œuvre à Perpignan en lien avec les cours d'eau qui traversent la ville, l'article analyse les rôles, visions et influences des différents acteurs (publics et privés, maîtrise d'ouvrage, maîtrise d'œuvre et maîtrise d'usage, planificateur et aménageur) qui participent à la conception urbaine lato sensu (programmation et conception proprement dite). L'analyse détaillée d'un processus collectif qui demeure le plus souvent invisible a le mérite de donner à comprendre la manière dont sont conçus des projets d'aménagement urbain, qui résultent de l'intervention et des jeux d'influence entre de nombreux acteurs. Les cas d'étude font ressortir l'influence dans le processus de conception, aux côtés du maître d'œuvre chargé par contrat de la mission de conception détaillée, de deux catégories d'acteurs : la collectivité publique et la maîtrise d'usage. Sont ainsi éclairés un certain nombre d'enjeux liés au rôle et modalités d'action des acteurs publics dans la fabrique de la ville, ainsi que les enjeux liés à la mise en œuvre d'un urbanisme participatif.Drawing on a group of complementary qualitative methodologies, this article examines the collective dimensions of the design of urban development projects. It looks specifically at two waterfront reclamation projects carried out in the southern French city of Perpignan in order to analyse the roles, visions and influences of the different stakeholders (public and private, contracting authority, project management and user, planner and developer) participating in urban design in the broad sense (planning and actual design). The detailed analysis of a collective process that most often remains invisible permits an understanding of the way urban development projects are ultimately the result of multiple interventions and power plays among many actors. In addition to the role of the project management contractually responsible for elaborating the detailed design, the case studies bring out the influence of two categories of stakeholders: the public authority and the users. These findings clarify a number of issues concerning the role and methods of the public actors in fashioning the city, as well as those related to the implementation of participatory urban planning.
- « Jusqu'où ne pas aller trop loin ? » Les bailleurs sociaux face aux enjeux de sécurité - Camille Gosselin, Virginie Malochet p. 127-143
Notes de lecture
- Recension d'ouvrages - p. 163-166