Contenu du sommaire : Langue parlée / langue écrite, du latin au français : un clivage dans l'histoire de la langue ?
Revue | Langages |
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Numéro | no 208, décembre 2017 |
Titre du numéro | Langue parlée / langue écrite, du latin au français : un clivage dans l'histoire de la langue ? |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Langue parlée / langue écrite, du latin au français : un clivage dans l'histoire de la langue ? - Mylène Blasco, Colette Bodelot p. 5-16
- Latin parlé / latin écrit : de la symbiose à la diglossie - Colette Bodelot p. 17-28 Cette étude remonte à l'apparition de la scripturalité à Rome. Elle nous apprend à quel point une synergie entre langue parlée et langue écrite assura pendant longtemps la survie du latin et comment, faute d'un rééquilibrage entre les deux, le latin se scinda en deux systèmes linguistiques distincts. En montrant quelle importance les Romains attachèrent à l'oralité dans la création, la diffusion et la réception d'une œuvre littéraire, cette analyse confirme l'intérêt de la distinction entre « oralité médiale » et « oralité conceptionnelle » (Koch & Oesterreicher 1985). C'est à travers des indices oraux indirects que le latin se révèle être « une langue comme toutes les autres » (Koch 1998) : il se prête encore aujourd'hui à une analyse en termes d'oralité et nous aide à comprendre selon quel mode il faut lire l'évolution du rapport fluctuant entre langue écrite et langue orale en latin pour appréhender la naissance de l'ancien français.This study goes back to the appearance of scripturality in Rome. We will learn to which extent a synergy between orality and literacy ensured the survival of Latin for a long time, and how, in the absence of a new balance between both, Latin split into two distinct linguistic systems. By showing how important the Romans considered the voicing of text in the creation, diffusion and reception of literary works, this analysis confirms the value of the distinction between “medial orality” and “conceptual orality” (Koch & Oesterreicher 1985). It is through indirect oral clues that Latin appears to be “a language like all others” (Koch 1998): even today it lends itself to an analysis in terms of orality, and helps us to understand how we should read the changing relationship between written and spoken language in Latin in order to apprehend the birth of old French.
- Le système des démonstratifs en cours de restructuration en latin tardif : une séparation des rôles référentiel et pragmatique de la deixis - Anne Carlier p. 29-52 Alors que le latin distingue entre les démonstratifs hic, iste et ille associés respectivement à la 1re, la 2e et la 3e personnes, l'ancien français oppose deux démonstratifs : le proximal (cist < iste) et le distal (cil < ille). Pourquoi le démonstratif médian iste, peu fréquent en latin classique et tardif, évince-t-il en ancien français le démonstratif proximal latin hic ? Cette étude analyse comment cette restructuration du système ternaire en un système binaire se prépare dès le latin tardif, à partir d'un corpus de textes proches de l'oral. Hic et iste étant des déictiques forts, contrairement au distal ille (Kirsner 1979), il est montré comment, au moment où iste empiète sur le contexte d'emploi de hic, une nouvelle répartition se crée : hic se maintient comme marqueur référentiel, alors que iste s'impose comme marqueur pragmatique de saillance. Cette nouvelle fonction pragmatique de iste enclenche en latin tardif une restructuration du système des démonstratifs qui aboutira en ancien français. C'est ainsi que l'oralité peut être source du changement linguistique.Whereas Latin has three demonstratives, hic, iste and ille associated respectively with the 1st, 2nd and 3rd person, Old French opposes two demonstratives, proximal (cist < iste) and distal (cil < ille). Why the median demonstrative iste, infrequent in Classical and Late Latin, becomes the proximal demonstrative in Old French and eliminates the Latin proximal demonstrative hic? This paper analyzes the ongoing restructuring of the ternary system into a binary system in Late Latin on the basis of a corpus of texts close to the spoken register. According to Kirsner (1979), hic and iste are strong deictics, contrary to the distal demonstrative ille. It is shown that, as iste encroaches on the preserve of hic in Late Latin, a new division of labor emerges: hic continues to be used as a referential device, whereas iste becomes a pragmatic marker of salience. This new pragmatic function of iste initiates in Late Latin a restructuring of the system of demonstratives, which reaches its endpoint in Old French. Hence, orality can be a source of linguistic change.
- Représentation de l'oral en français médiéval et genres textuels - Céline Guillot-Barbance, Bénédicte Pincemin, Alexei Lavrentiev p. 53-68 La relation entre oralité et scripturalité au Moyen Âge est approchée par une analyse en corpus (137 textes, 4 millions de mots). Nous comparons les passages d'oral représenté (discours direct, théâtre, etc.) au reste des textes, en prenant en compte les 32 genres textuels qui les contextualisent. L'analyse factorielle des correspondances basée sur l'étiquetage morphosyntaxique met en évidence, comme première dimension de variation, un axe s'interprétant comme un gradient d'oralité, par rapport auquel chaque genre est automatiquement positionné. Elle distingue ses parties d'oral représenté et ses parties complémentaires. La statistique montre que parties d'oral représenté et parties complémentaires des textes sont distinguées, que le caractère littéraire ou oralisé d'un genre accentue ses traits d'oralité, que les façons de marquer la non-oralité sont plus dispersées et que certains genres occupent une position singulière (dialogue didactique, psautier).Relationships between speech and writing in Medieval French are analysed through a corpus composed of 137 texts (4 million tokens). Text chunks representing speech (direct discourse, speech turns, etc.) are contrasted with remaining text parts, taking into account the genre of the text to contextualize every chunk (from a 32 genre typology). A correspondence analysis is performed on parts of speech (34 tags). It reveals an orality axis as the first dimension of variation; every genre, divided into reported speech and the rest, automatically gets a coordinate on this axis. Statistical results reveal that reported speech chunks are set apart from the other text chunks. If a text is from the literary domain or is intended to oral performance, then its orality features are emphasized. The ways of expressing non-orality are more diverse than those of orality. Finally, some text genres have peculiar positions (didactic dialog, psalms).
- L'opposition langue parlée / langue écrite dans la linguistique historique de tradition française (1860-1930) - Bernard Combettes p. 69-82 Le but de cet article est d'analyser comment la dichotomie langue parlée / langue écrite a été traitée dans les travaux des débuts de la linguistique historique en France – à la fin du xixe siècle et dans le premier quart du xxe siècle. En observant plus particulièrement le rôle qui est accordé à cette opposition dans le changement linguistique, on constatera qu'il est pertinent de distinguer deux grands courants de pensée, qui débouchent sur des approches sensiblement différentes : la tradition de la linguistique française et celle de la linguistique générale. La première ne parvient pas à exploiter les voies novatrices tracées par Paris et par M. Bréal, et se caractérise par une certaine mise à l'écart de la langue orale ; la seconde, représentée par des saussuriens, comme C. Bally ou A. Sechehaye et par les indo-européanistes, comme A. Meillet, prend mieux en compte la spécificité de la langue parlée.This article analyses how scholars addressed the dichotomy between spoken language and written language in the beginnings of historical linguistics in France, namely at the end of the 19th century and in the first quarter of the 20th century. By focusing on the role given to this opposition in linguistic change, we find that two important currents of thought can usefully be distinguished, resulting in appreciably different approaches: the tradition of French linguistics and that of general linguistics. The former does not succeed in exploiting the innovative pathways traced by Paris and M. Bréal, and is characterized by some sidelining of the spoken language; the latter, represented by Saussurean scholars, such as C. Bally or A. Sechehaye and Indo-Europeanists, such as A. Meillet, takes into account the specific features of spoken language more adequately.
- La distinction oral / écrit chez les grammairiens et remarqueurs du XVIIe siècle - Chantal Wionet p. 83-94 Les langues françaises se construisent comme autant de normes et de hors normes au xviie siècle, à travers une littérature et des objets de grammatisation qui ont émergé à la faveur d'une certaine situation politique et militaire – politique d'expansion en même temps que volonté de centralisation, francisation de la science et des juridictions, illustration culturelle de la force du pays, relations économiques… Quand on cherche à faire l'histoire des discours sur la langue, ce moment est déterminant ; quand on cherche à faire l'archéologie de la relation écrit/oral dans les métadiscours, le retour à cette période permet de découvrir une strate aussi profonde que nécessaire dans la compréhension de nos modes d'analyse. Mon propos relève donc de l'histoire des métadiscours et prendra comme corpus de travail les grammaires et les « remarques » disponibles sur la base électronique « Classiques Garnier-numérique ».In the 17th century the different French languages evolved both inside and outside normative systems, through literature, grammars, dictionaries and essays, which emerged in a specific political and military context: the policy of expansion, desire for centralization, the francization of science and jurisdictions, the cultural illustration of national power, economic relations, etc. In tracing the long term history of the discourses on the French language, this period is crucial because of its influence on linguistic practices. In the archaeology of the relationship between oral and written language inside metadiscourses, knowledge of this deep stratum helps us gain to achieve a fuller understanding of contemporary ways of mindsets. This article focuses on the history of metadiscourses: the analysis is based on a corpus featurind grammars and commentary available via the Classiques Garnier database.
- À quoi tiennent les changements des noms d'humains généraux ? L'exemple de mec(s) et gars - Paul Cappeau, Catherine Schnedecker p. 95-112 Dans cette étude, nous cherchons à vérifier si des noms tels que mec(s) et gars peuvent être considérés comme des noms humains généraux. Nous utilisons les dictionnaires pour observer les définitions et nous interroger sur les options d'analyse retenues. Nous travaillons aussi à partir de gros corpus écrits et oraux pour mieux connaître l'usage contemporain et disposer de contextes récurrents. Plusieurs facteurs jouent un rôle important comme le pluriel (vs le singulier), les adjectifs associés, les emplois appellatifs et l'élargissement à des référents féminins.In this work, we try to find if some nouns as mec(s) or gars can be considered as general nouns for human beings. We use dictionnaries to observe definitions and question about analysis options. We work with big written and spoken corpora to know the contemporary use and have some recurrent contexts. Several factors are important like plural (vs singular), the associate adjectives, the appelative and the use of masculine to designate feminine persons.
- L'oralité ordinaire à l'épreuve de la mise en écrit : ce que montre la proximité - Françoise Gadet p. 113-129 Cet article part de quelques problèmes concrets de transcription ou mise en écrit d'énoncés oraux (aux niveaux lexical, morphologique et syntaxique) pour revisiter l'opposition apparemment bien assise entre oral et écrit et souligner les confusions qu'elle recèle. En s'appuyant sur le corpus MPF (Multicultural Paris French), il montre que des énoncés peu standard soulèvent des difficultés de transcriptions déjà bien connues, mais aussi d'autres plus inédites, correspondant à des faits que l'on peut dire « en émergence ». On se demande alors dans quelle mesure l'opposition entre proximité et distance communicatives ne permettrait pas, mieux qu'oral/écrit, de décrire et comprendre quelques faits de langue rencontrés dans le corpus.This article starts by considering some specific problems of the transcription or “writtenization” of speech, at different levels: lexical, morphological and syntactic. These considerations call into question the opposition that is largely taken for granted between speech and writing and show the confusion it can lead to. Based on the MPF corpus (Multicultural Paris French), we show that non-standard utterances raise some already familiar problems of transcription, but also others that are less well-known as they concern so-called emerging phenomena. This begs the question of whether, rather than the speech/writing distinction, the opposition between communicative immediacy and communicative distance would provide a better description and understanding of some linguistic facts found in the corpus.