Contenu du sommaire : Revenu garanti : questions ouvertes
Revue | Multitudes |
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Numéro | no 27, hiver 2006/2007 |
Titre du numéro | Revenu garanti : questions ouvertes |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Icônes off : Birgit Jürgenssen
- Icônes off : Birgit Jürgenssen - p. 1-240
En tête
- Ce que vaut la vie - Judith Revel p. 5-10
Majeure : Bioéconomie, biopolitique et biorevenu : questions ouvertes sur le revenu garanti
- Présentation : Bioéconomie, biopolitique et biorevenu : questions ouvertes sur le revenu garanti - Antonella Corsani p. 11-18
- Revenu garanti et puissance d'agir - Jérôme Ceccaldi p. 19-25 La question des fondements d'un revenu garanti n'est pas une question d'experts, réservée aux spécialistes du capitalisme historique ou de la crise de l'État-providence. Par delà la caution élégante ou l'habillage théorique qu'elle peut fournir, la philosophie de Spinoza, en tant qu'elle se formule comme projet d'augmentation de la puissance d'agir, permet à la fois de comprendre tout ce peut nous apporter un revenu garanti dans la conjoncture actuelle, et de problématiser un certain nombre de débats, propositions, critiques, qui se font jour autour de cette revendication. La petite fantaisie métaphysique que se permet le défenseur du RG quand il lit Spinoza l'amène à problématiser deux choses : la justification du RG, de manière générale, à partir des transformations sociétales les plus récentes (théorie du postfordisme), et, plus particulièrement, sa justification en termes de revenu primaire rémunérant l'activité au-delà du travail directement productif.The theoretical foundation supporting the establishment of a basic (universal, guaranteed and unconditional) income scheme is not a matter to be dealt only by scholars specializing in capitalism or in the crisis of the Welfare State. Spinoza's philosophy, with its emphasis on agency and empowerment, helps us understand the wider stakes of this issue : it allows us to promote basic guaranteed income as an adaptation to the most recent social transformations (« post-fordism »), and as a remuneration of forms of activity that go beyond the usual narrow definitions of productivity.
- L'amortissement du corps-machine - Christian Marazzi p. 27-36 Le processus de dématérialisation du processus productif laisse émerger la puissance d'un capital fixe qui se présente aujourd'hui immédiatement comme « capital vivant », comme travail vivant mobilisé dans un système de production de l'homme par l'homme. Le revenu garanti devient alors, sous la plume de Christian Marazzi, « biorevenu », un revenu pour garantir l'autonomie du vivant par rapport au mode de production historiquement déterminé.The dematerialization of the productiveprocess tends to transform capital into a « living » form of human capital, mobilized into the production of men by men. Basic income thus becomes a form of « bio-income », geared towards guaranteeing the autonomy of the living within a historically determined mode of production.
- Biorevenu et resocialisation de la monnaie : Conversation - Antonella Corsani, Christian Marazzi p. 37-42 Dans l'entretien qui fait suite à son article, Christian Marazzi aborde la question d'un biorevenu ex-nihilo, c'est-à-dire financé par une création monétaire. Le revenu garanti, en tant qu'argent, argent exnihilo, peut-il ne pas être nécessairement du capital ? Peut-il rester argent comme argent, forme monétaire de la fuite ?In the interview that follows his article, Christian Marazzi discusses the question of a « bio-income » generated « ex-nihilo », i.e., financed by sheer monetary creation. Isn't basic income necessarily to be seen as « capital », insofar as it consists in money ? Can it retain its monetary nature : money as a form of escape ?
- Quelles sont les conditions nécessaires pour l'émergence de multiples récits du monde ? : Penser le revenu garanti à travers l'histoire des luttes des femmes et de la théorie féministe - Antonella Corsani p. 43-55 Dans une perspective critique du discours sur le revenu garanti, je dessine ici les traces d'un parcours me conduisant à en percevoir quelques limites. Le revenu garanti comme problème. Comme objet à questionner. En même temps, en traversant les frontières des disciplines, et notamment dans un au-delà de l'économie politique et de sa critique, je retrouve au sein de la théorie féministe les traces d'un autre parcours qui me conduit à affirmer la thèse suivant laquelle le revenu garanti est une condition nécessaire, bien que, certes, non suffisante. Le revenu garanti comme arme mentale de déplacement des catégories binaires qui nous gouvernent : emploi-chômage, actifs-inactifs, employables-inemployables. Mais aussi, le revenu garanti comme condition nécessaire (mais pas suffisante) pour que d'autres récits du monde, d'autres formes de vie puissent exister.This article situates « basic income » within a critical perspective, and considers it as a « problem », as a source of questioning. By crossing disciplinary borders (and by looking outside of political economy and its critique), it finds its inspiration in feminist theory, where basic income appears as a necessary condition (even though not a sufficient one). Basic income provides a way of displacing the binary categories that govern us (working vs. jobless ; active vs. inactive ; employable vs. unemployable). Basic income appears as a necessary (if not sufficient) condition for new narratives and new forms of life to emerge.
- L'intermittent et l'immuable - Valérie Marange p. 57-64 La subjectivation néolibérale, travailliste et conservatrice, qui promeut le risque et le « courage d'entreprendre », produit partout le sentiment d'insécurité et d'abandon, favorise toutes sortes de replis chez ceux qui ne bénéficient pas de protection au préalable. On trouve dans les cours que M. Foucault a consacrés au néolibéralisme une articulation de la sécurité matérielle et de l'autonomie éthique, des pistes pour de nouveaux rapports aux institutions sanitaires et sociales qui trouvent aujourd'hui des échos dans le conflit des intermittents.The forms of subjectivity imposed by neo-liberalism, by promoting risk and private entrepreneurship, generate insecurity, dereliction, and withdrawal among those who feel exposed. In his courses devoted to neo-liberalism, Michel Foucault linked material security with ethical autonomy, paving the way for the understanding of new relationships between health and social services, relationship which emerge now explicitly in the movement of the « intermittents ».
- Des droits continus : Entretien avec Antonella Corsani et Carlo Vercellone - Évelyne Perrin, Jérôme Tisserand p. 65-72 Comment assurer à tous une continuité du revenu en tenant compte de la grande diversité des situations de précarité ? La discussion porte essentiellement sur trois modèles : le revenu garanti d'un montant équivalent au Smic revendiqué par les associations de chômeurs, la « sécurité sociale professionnelle » de la CGT, la proposition de Nouveau Modèle de la Coordination des intermittents et précaires.How to provide for an income for all considering the very different forms precarity takes in real life ? Our discussion mostly focuses on three formats : a guaranteed income equal to the minimum wage, as demanded associations of unemployed people ; « professional social security », which is the CGT Union's (France's largest) call ; and the proposal towards a « New Model » as put forward by the Coordination des intermittents et précaires, the social movement of French « precarious people ».
- Fondements et faisabilité du revenu social garanti - Jean-Marie Monnier, Carlo Vercellone p. 73-84 L'hypothèse de capitalisme cognitif et le réexamen de la notion de travail productif ouvrent sur une réforme radicale du mode de répartition des richesses. Le revenu social garanti (RSG) en est la clé de voûte et fait, sans doute pour cette raison, l'objet de vives critiques, en particulier quant à sa faisabilité financière. Or l'articulation entre cette dernière et les fondements économiques du RSG doit être étroite en raison même de la notion de travail productif sous-jacente que nous avons adoptée. C'est la raison pour laquelle la mise en place du RSG devrait s'accompagner d'une profonde réforme du système de transferts positifs et négatifs.The hypothesis of cognitive capitalism and the re-examination of the notion of productive labor lead to a radical reform of the distribution of wealth. A Guaranteed Social Income (GSI) scheme is the keystone of such reform, which is why it is often criticized, especially in terms of its financial feasibility. Because there are close links between feasibility and the economic foundations of the GSI (i.e., its grounding in a new definition of productive labor), the establishment of GSI requires a profound reform of the system of transfers and taxation.
- Marché du travail, bioéconomie et revenu d'existence - Andrea Fumagalli, Stefano Lucarelli p. 85-96 La théorie orthodoxe de l'économie a fait l'erreur de supposer implicitement que le marché du travail pouvait être analysé sur les bases habituelles d'un marché de biens et de services. Le travail n'est pas une marchandise puisque par nature il n'est pas solvable, et qu'il ne le devient qu'à travers la disponibilité au travail qui permet au travailleur de définir une demande solvable. En fonction du rapport entre activité de travail et être humain (degré d'aliénation), la solvabilité du travail devient plus ou moins apparente et son caractère de chantage plus ou moins fort. L'analyse des caractéristiques qui aujourd'hui définissent la prestation de travail dans le cadre du capitalisme cognitif oblige à développer un nouveau paradigme théorique : celui de la bioéconomie. La distinction classique entre production et reproduction, consommation et production, temps de vie et temps de travail / production tend à perdre de sa pertinence. Dans le contexte bioéconomique, le travail devient de plus en plus un bien commun et social. Il en découle alors que la « juste rémunération » des facteurs productifs est la rémunération de la vie (autrement dit un revenu d'existence) puisque le plus important input productif est désormais la vie. Il faut marier l'analyse théorique à l'observation des réalités pour comprendre dans quelle mesure la tendance cognitive du capitalisme peut faire l'objet d'une mesure à l'intérieur des lieux de la production.By treating labor like any other tradable good, orthodox economic models ignore various features that define the specificity of the labor market (disponibility, solvability, alienation). Taking into account such features, as the new situation generated by the emergence of cognitive capitalism forces us to do, requires a major change in paradigm. In the new « bio-economic » paradigm, classical distinctions between production and reproduction, consumption and production, leisure and work tend to vanish, while labor increasingly appears as a common good. The most important input being life itself, a just retribution of productive forces must now include a retribution for living, i.e., a universal, unconditional and guaranteed basic income.
- Le revenu garanti ou salariat affaibli : Condition structurelle d'un régime vivable du capitalisme cognitif - Yann Moulier-Boutang p. 97-106 Les transformations simultanées dans la nature du travail, la substance et la forme de la valeur aboutissent à une instabilité fondamentale qui fait revenir le capitalisme dans son ensemble à une situation pré-keynésienne. Il y a du travail partout dans la société de la connaissance, mais de moins en moins d'emplois, si nous entendons par « emploi » la convention complexe qui détermine le temps de travail et protège le salarié. L'émergence d'un régime (c'est-à-dire de formes stables avec compromis sociaux et politiques) de capitalisme cognitif se heurte donc à une contradiction. La forme emploi indispensable à stabiliser la nouvelle relation d'échange argent / activité (et pas simplement « travail » parce que le travail extorqué comme celui du temps du capitalisme industriel n'est qu'une petit partie de l'activité sucée par le vampirisme du capital) est le revenu garanti. Mais cet espace de liberté ainsi concédé détruit la forme de commandement capitaliste sur le travail vivant, ou biopolitique, celle du modèle du travail dépendant, sous le commandement d'autrui, ou hétéronome. En fait, il y a oscillation permanente du capitalisme cognitif entre l'ouverture aux aspects libérateurs de la garantie de revenu comme condition formelle de la captation des externalités positives (qui est la substance de la valeur aujourd'hui) et la répression par re-codification du temps de travail, des savoirs implicites.The current transformations that simultaneously affect work, the substance and the form of value all lead to a profound instability which brings capitalism back to a pre-Keynesian situation. The emergence of a stable regime of cognitive capitalism faces a major contradiction : on the one hand, the new forms of employment promoted by cognitive capitalism tend to make a guaranteed income scheme the only form of retribution suitable to the new regime of production ; at the same time, this form of retribution undermines the relationship of command and domination which capitalism must impose in order to perpetuate itself. In fact, one observes, within cognitive capitalism, a perpetual oscillation between its openness to the emancipatory forces it unleashes and the repressive moves through which it attempts to re-codify the capture of working hours and the production of knowledge.
- Revenu garanti, coopératives municipales et monnaies locales - Jean Zin p. 107-116 Le revenu garanti s'impose à l'ère de l'information, du travail autonome et du développement humain mais aussi pour des raisons écologistes de sortie du salariat productiviste. Cependant, pour assurer effectivement une production alternative, il ne faut pas seulement s'occuper des revenus mais aussi de la production elle-même, des moyens de production comme des moyens monétaires et des circuits marchands. Dans une perspective écologiste de relocalisation de l'économie, revenu garanti, coopératives municipales et monnaies locales se révèlent ainsi indissociables pour construire un nouveau système de production, sur d'autres rapports sociaux que le salariat, à l'ère du travail immatériel et de la globalisation marchande.A guaranteed Income scheme is inescapable in this age of information, autonomous labor and human development, but it is also the only possible ecological response to bail out from the productivist consequences of waged labor. Yet, in order to develop an alternative mode of production, one needs to look not only at incomes, but also into production itself, that is of the means of productions as well as of the monetary and commercial flows. In a new, environmentally sound approach towards re-localising the economy, a guaranteed income, municipal co-operatives, and local currency set-ups are necessarily concurrent features towards a new system of production, and new forms of social relations not based on wage labor, in this era of immaterial labor and commercial globalisation.
Insert
- Par la fissure - Christophe Degoutin p. 117-121
Icônes in : Birgit Jürgenssen
- Birgit Jürgenssen - p. 123-140
- Représentation de Birgit Jürgenssen : 1949-2003 - Éric Alliez, Giovanna Zapperi p. 143-146
- Birgit Jürgenssen, ou le body art contre la sémiotique du Capital - Peter Weibel p. 147-150 Birgit Jürgenssen introduit le féminisme dans le champ de l'art dès les années 1970. Elle se livre à une destruction en règle des assignations imposées aux femmes, celle en particulier de la « femme au foyer ». Échappant aux catégories du genre, s'inspirant du surréalisme et de l'ethnographie, elle met en lumière l'intersection entre divisions de classe, de race et de sexe. Le corps féminin devient dans ses dessins et photographies un territoire inconnu.Birgit Jürgenssen has introduced feminism within the artistic field since the seventies. She methodically deconstructs the positions assigned to women, in particular that of housewife. Inspired by surrealism and ethnography, she sheds light upon the intersection between class, race and gender. The female body becomes unknown territory in her drawings and photographs.
- Danses de Birgit Jürgenssen - Edith Futscher p. 151-155 L'article analyse la série photographique Danse macabre avec jeune fille de Birgit Jürgenssen selon deux axes : le concept de masque et l'enchevêtrement de deux thèmes iconographiques. En s'inscrivant dans un espace archaïsant, où apparaissent des éléments burlesques, les photographies de Jürgenssen des années 1979 et 1980 sont, comme chez Bakhtine, un éclat de rire contre la culture dominante.Two directions are analysed within Birgit Jürgenssen's series of photographs entitled Totentanz mit Mädchen through the use of masks and the intertwining of colliding genres, this burlesque work of 1979-1980 provides a Bakhtinian laughter and mockery of dominant culture.
Mineure : banlieues / sans-papiers / nouvelle citoyenneté
- De la vie en milieu précaire : Comment en finir avec la vie nue - Judith Revel p. 157-171
- Des babils et de la langue chez les parias des cités - Marc Hatzfeld p. 173-181 Dans et contre un français reconnu comme langue unique et obligatoire sous peine de sanctions, les échappées prolifèrent dans les cités, sous les formes les plus variées (« fautes », « vulgarité », vannes, joutes, slam). C'est une chance : une langue trop réglée interdit le malentendu et l'étrangeté, elle appauvrit les relations.Within and against a French language perceived as compulsory and dominant, always under threat of punishments, linguistic escapes take countless shapes within the suburbs. This is to be seen as a valuable form of resistance, since an over-regulated language forbids mistakes, misunderstandings, strangeness, thus impoverishing human relations.
- Émeutes : chronique d'une politique-spectacle - Ariel Kyrou p. 183-193 Les émeutes en banlieue de novembre 2005 apparaissent avec le recul comme une urgence à s'exprimer mais sans mots. Les blogs ou les doléances d'une association comme AC le feu n'y changent pas grand-chose : la révolte était aphone, dans une société tout entière affectée par la crise du langage. L'opposition ne tient pas, entre des institutions qui parlent et des jeunes des cités qui ne parlent pas. S'il y a bien une panne, c'est celle de la transmission et non de la parole.The suburban riots of November 2005 retrospectively appear as a testimony of an urge to express oneself without words : this movement of revolt was voiceless, within a society affected by a crisis of language. The opposition does not stand between institutions which talk and youth who do not speak. If there is indeed a breakdown, it is to be located at the level of transmission, not at the level of speech.
- Une anthropologue entre banlieues et monde - Monique Sélim p. 195-201 Je n'étais jamais allée en banlieue et je n'avais jamais eu de contact avec une population ouvrière auparavant. J'étais dans une position de découverte complète, sociale et imaginaire. J'avais vingt-cinq ans et les femmes que j'interviewais avaient trente-cinq à quarante ans. C'était un type de rapport social que je n'avais jamais connu. Au tournant des années 1960-1970, il y avait un immense désir de l'ailleurs et l'autre était survalorisé.« An anthropologist from the suburbs to the world. » I had never been to the suburbs and had never had any contact with a working-class population. I was in a position of total discovery, both social and imaginary. I was 25 years old and the women I was interviewing were 35 to 40. It was a kind of social relation I had never experienced. That was still the late 60s / 70s, when there was this immense desire for the unknown, when the other was everything.
Hors-champ
Liens
- Conflit, démocratie et multitude : l'enjeu Spinoza-Machiavel - Saverio Ansaldi p. 217-225