Contenu du sommaire : La battle du rap : genre, classe, race
Revue | Mouvements |
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Numéro | no 96, novembre 2018 |
Titre du numéro | La battle du rap : genre, classe, race |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier : la battle du rap : genre, classe, race
- Éditorial - Marion Carrel, Julienne Flory, Irène Jami, Patricia Osganian, Patrick Simon, Anna Zielinska p. 7-10
- The motherfucking bitch era : la transition hardcore du rap féminin aux États-Unis - Keivan Djavadzadeh p. 11-21 Le rap féminin a su résister à la montée de l'hégémonie du gangsta rap dans les années 1990-2000. Les rappeuses ont non seulement rejoint les rappeurs dans la dénonciation des discriminations, mais aussi retourné le stigmate de la « bitch » et les codes du gangsta rap. Confrontées aux représentations hypersexualisantes des femmes noires, les rappeuses hardcore subvertissent le discours dominant sur la sexualité, revendiquent le contrôle sur leur propre corps et dénoncent les relations de pouvoir qui se jouent dans l'intimité. Elles ont « amené la révolution sexuelle dans le Hip hop » et poursuivi le travail de politisation du privé déjà entamé par les rappeuses de la génération précédente.
- Les masculinités ethnoracialisées des rappeur·se·s dans la presse - Marion Dalibert p. 22-28 La médiatisation du rap dans la presse nationale généraliste associe la représentation du genre à l'ethnicité, à la race et à la classe. Elle contribue à donner une vision segmentée et virilisée du rap. En valorisant l'image des rappeurs blancs issus des classes moyennes supérieures, des rappeuses racisées et d'une minorité de rappeurs non-blancs, elle déprécie une majorité d'artistes non-blancs et/ou issus des classes populaires, soupçonnés de véhiculer une symbolique viriliste, sexiste et homophobe. Marion Dalibert montre comment cette construction médiatique reflète les rapports de domination de classe et contribue à creuser les inégalités sociales et ethniques.
- Rap en France et racialisation - Karim Hammou, Patrick Simon p. 29-35 Le rap, qui prend ses racines dans la culture des minorités raciales aux États-Unis, leur est spontanément associé. Sa diffusion en dehors des cercles culturels de ses origines et plus largement des États-Unis s'est accompagnée d'un élargissement du profil social et ethnique de son public et des artistes qui le pratiquent. Près de quarante ans plus tard, c'est un genre musical qui reste malgré tout marqué par sa racialisation originelle, reflet d'un état plus général des rapports sociaux et de la segmentation de l'industrie musicale aux États-Unis. Qu'en est-il dans le contexte français où les questions raciales sont traitées différemment et la spécialisation raciale des scènes musicales moins avancée ? Karim Hammou revient sur ses travaux, qui ont abordé la place de l'ethno-racial et de la classe dans le développement du rap en France.
- Actualité de la pensée de Frantz Fanon dans le rap de Casey - Virginie Brinker p. 36-42 La mise en scène de la violence dans les textes de Casey assume, incorpore et dépasse la pensée de Frantz Fanon, faisant de la rage du « colonisé » le point de passage obligé vers la reconquête de son humanité. Simultanément, Casey radicalise Fanon à travers l'essentialisation de la race et de la ségrégation sociale, véritables aiguillons artistiques de la résistance à l'aliénation. Virginie Brinker a décrypté les paroles de Casey et montre comment leur poétique « consciente » et délibérément guerrière constitue l'antidote de la souffrance et de l'humiliation, traçant le chemin vers une esthétique de la libération.
- De la subversion sociale et politique dans le rap français contemporain - Louis Jesu p. 43-53 Le hip-hop, et plus particulièrement le rap en tant que segment musical de la culture hip-hop, est loin d'être un milieu homogène. Louis Jésu présente ici, à partir d'une recherche empirique, une typologie du rap français et de ses protagonistes. Il montre ensuite que le « rap ghetto », volontiers décrié par les médias généralistes nationaux comme faisant l'apologie d'un monde viril et capitaliste, porte une parole politique mettant au défi la société française et plus particulièrement l'État.
- Hip hop et mouvements sociaux : l'étayage des luttes sociales et politiques par les rappeurs : Deux exemples en France et au Burkina Faso - Alice Aterianus-Owanga, Marie Sonnette p. 54-55
- « Si on se prétend politiquement engagés, on doit être dans l'action » - , Marie Sonnette p. 56-64 Né en 1963 en région parisienne, Madj passe une grande partie de sa vie dans la banlieue Nord-Est parisienne, entre Les Lilas, Romainville et Bagnolet. Grand amateur de musique, il écume les disquaires dès sa pré-adolescence dans les années 1970 à la recherche des nouveautés rock et d'échanges avec d'autres amateurs. C'est au cours des années 1980 qu'il est séduit par l'arrivée du genre musical rap, notamment grâce à des groupes qui font le pont entre les deux genres : Run-DMC et les Beastie Boys. En 1987, il devient un acteur de ces mouvements musicaux en animant, aux côtés de Mil, une émission sur Radio Beur (actuelle Beur FM) intitulée « Fusion dissidente » et sous-titrée « Tribune libre de la culture urbaine ». L'émission est parmi les premières à diffuser IAM sur des ondes parisiennes et elle reçoit de nombreux·ses artistes, comme les rappeurs de NTM ou d'Assassin qui viennent rapper en direct.Lorsque l'émission s'arrête en 1991, le groupe de rap Assassin, composé des rappeurs Rockin'Squat et Solo, du DJ Clyde et du producteur Doctor L, lui propose de le rejoindre en tant que manager. Rapidement, son rôle au sein d'Assassin Productions s'élargit : il gère l'image du groupe dans les médias mais travaille aussi à sa politisation et à ses liens avec les mouvements sociaux de l'époque, notamment en animant et rédigeant dans les années qui suivront du contenu d'analyse politique pour son site internet. Assassin devient le fer de lance d'un rap engagé, aussi bien dans des textes emprunts de théories marxistes que dans son soutien à de nombreux mouvements sociaux et politiques.Madj participe aux plus gros succès du groupe (comme L'homicide volontaire en 1995) et produit d'autres artistes (Kabal, La Caution) avec le label Assassin Productions, jusqu'en 2005. Depuis 2005, Madj poursuit son activité musicale en étant DJ.
- « S'engager, c'est simplement assumer son propos et le traduire en actes conséquents » - , Alice Aterianus-Owanga p. 65-72 Smockey est né à Ouagadougou en 1971, d'un père burkinabè et d'une mère française, tous deux impliqué·e·s dans des mouvements militants et politiques locaux. Alors que la vague hip-hop connaît ses premiers bourgeonnements au Burkina Faso, il part en 1991 étudier en France, où il se forme en programmation musicale et découvre progressivement le monde du hip-hop. Il y réalise un premier single produit par EMI productions, en featuring avec la chanteuse Laam. En 2001, à son retour au Burkina Faso, il crée son studio d'enregistrement à Ouagadougou, où il se distingue rapidement pour son style critique et engagé contre les modes de gouvernance de son pays. Son œuvre musicale et ses actions politiques seront ainsi très tôt nourries de l'influence des mouvements révolutionnaires, panafricanistes et anti-impérialistes qui ont égrené l'histoire du Burkina Faso, et particulièrement par la figure de Thomas Sankara1.Dès ses premiers albums, il développe un style musical alliant des éléments traditionnels locaux aux rythmes hip-hop, et développe une plume critique et cynique à l'égard du système politique, avec des titres comme Votez pour moi. Outre ses propres créations et productions, Smockey accompagne l'émergence de toute une génération d'artistes rap du Burkina Faso qui passent par son studio Abazon, comme les groupes Yeleen ou Faso Kombat. Tout en gagnant en reconnaissance grâce à différents prix dans son pays, il entame des collaborations avec des artistes africains investis dans des causes similaires, par exemple au sein du projet AURA (Artistes unis pour le rap africain), projet financé par l'ONG plan qui réunit des artistes de toute l'Afrique francophone autour d'une création pour la défense des droits des enfants. Il y collabore avec plusieurs artistes comme Didier Awadi 2, rappeur sénégalais avec qui il partagera par la suite de nombreux projets et engagements.En 2013, avec le chanteur de reggae Sams'K le Jah, il fonde le Balai citoyen, un mouvement protestataire qui entre en convergence avec différents syndicats et associations locales pour dénoncer les tentatives de détournement constitutionnel du président Blaise Compaoré, au pouvoir depuis 24 ans. Ce mouvement conduit à une vaste mobilisation populaire et pousse Blaise Compaoré à quitter le pouvoir en octobre 2014. Récipiendaires du prix « Ambassadeur de conscience » de l'organisation Amnesty International, Smockey et le Balai Citoyen ont accompagné la mise en place d'un gouvernement de transition, et ont poursuivi leurs actions de vigilance citoyenne durant la mise en place d'élections présidentielles en 2015 et depuis lors.
- La résonance du discours politique dans le rap américain - David Diallo p. 73-81 Le rap au contenu politique est-il plus « authentique » que celui qui, jugé superficiel, se contente de son statut de musique festive ? David Diallo met en évidence, avec une perspective historique précise, les ambiguïtés de la place de la dimension politique dans le rap de ses origines.
- Rappeuses féministes latino-américaines : « raptivisme » et féminisme choral - Lise Segas p. 83-92 En Amérique latine, les « femcee », rappeuses féministes, contribuent par leurs textes et leur engagement à la lutte pour l'émancipation des femmes et à la conscientisation sur les questions d'intersectionnalité. Elles ont également une portée transformatrice de l'industrie du rap à travers la coopération collective et l'autoproduction, pratiques opposées à la compétition individuelle et la surenchère commerciale. L'article se penche sur les textes et discours de la Guatemaltèque Rebeca Lane et de la Mexicaine Mare Advertencia Lírika.
- On a commis l'erreur d'enlever l'émotion au politique - Anna Tijoux, Antoine Faure, Antoine Maillet, Antoine Faure, Antoine Maillet, Yves Jouffe p. 93-101 Née en 1977, Ana Tijoux est une rappeuse franco-chilienne très largement reconnue au niveau international. À la fin des années 1990, dans des allers-retours entre la France où elle est née et le Chili dont sa famille est originaire, elle sortait ses premiers albums avec le groupe Makiza dans un registre très engagé : Vida Salvaje, 1998 ; Aerolíneas Makiza, 1999 ; Casino Royale, 2005. Après une petite pause, elle a successivement publié des disques plus pop (Kaos, 2007), voire chill (1977, 2009), avant de revenir vers des textes très contestataires (La Bala, 2011 ; Vengo, 2014). Elle développe aujourd'hui différents projets musicaux dont le point commun serait un retour vers les rythmes typiquement latino-américains (boléros, nouvelle chanson chilienne, etc.). Au milieu d'une tournée aux États-Unis, elle a accepté de répondre à une série de questions sur les dimensions politiques du Hip hop. Elle se décrit traversée par un processus historique qui la dépasse mais qu'elle porte à sa mesure, en observant, en conversant et en composant du politique ancré dans l'émotion du quotidien.
- La disparition de la politique : le rap entre Israël et la Palestine, entre Juifs et Arabes - Anna Zielinska p. 102-110 Le rap israélien aurait pu être un instrument de revendication puissant, et sur ses marges il l'est certainement. Ce texte présente toutefois l'histoire du rap tel qu'il est fait par des artistes juifs et arabes très populaires, pour montrer leurs tentatives inabouties de s'emparer du conflit israélo-palestinien sur un fond plus général de dépolitisation de la société israélienne contemporaine.
- Rap algérien : d'une révolution culturelle à une autre - Luc Chauvin p. 111-118 Comme la jeunesse noire aux États-Unis dans les années 1980, la jeunesse algérienne s'est saisie du potentiel subversif de la culture Hip hop. Dans le contexte algérien, les enjeux culturels ont pesé de tout leur poids dans la bataille politique anticoloniale puis décoloniale. La génération qui a gagné l'indépendance avait mesuré la nécessité d'une culture populaire attentive aux marges. Le rap algérien s'est nourri de cette démarche critique, projetant une historicité et une critique dans le quotidien, dans une société où le pouvoir autoritaire, en contradiction avec les idéaux proclamés durant la lutte pour l'indépendance, avait échoué à construire les conditions de l'émancipation populaire.
- Rap en Afrique : faire tourner la roue de l'histoire - Abdoulaye Niang p. 119-127 D'abord perçue comme l'imitation de modèles venus de pays occidentaux, la culture Hip hop en Afrique s'est progressivement affirmée, notamment dans sa composante rap, comme lieu d'expression d'un engagement social, culturel et politique fondé sur un projet de réaffirmation de la fierté et de la conscience africaines. Un travail de terrain portant plus particulièrement sur le MCing permet d'observer les modalités de ce passage de l'imitation à l'africanisation, et d'identifier les enjeux tactiques et économiques sous-jacents auxquels se confronte l'activisme panafricain Hip hop.
- Le Hip hop latino à Barcelone : un récit des inégalités linguistiques et des discriminations ethniques - Victor Corona p. 128-135 Le Hip hop latino à Barcelone apparaît sur la scène du rap espagnol au milieu des années 2000, quelques années après la grande période d'immigration latino-américaine en Espagne. Il introduit sur la scène musicale de nouveaux thèmes, tels que l'expérience de la migration, des discriminations et du racisme, sujets bien moins présents dans la tradition antérieure du rap espagnol. Victor Corona a opéré un tour de cette scène Hip hop pour en retenir les artistes les plus significatif·ve·s pour la jeunesse populaire barcelonaise : Canserbero, Rxnde Akozta, Akapellah, Pielroja, Achinado Elemental, Empedernida. Il analyse la façon dont le Hip hop barcelonais, dans la diversité de ses genres, met en scène ces expériences de discrimination et participe d'un processus de construction ethnique du·de la « Latino ». Cette catégorie s'inspire de la tradition de migration d'Amérique latine vers les États-Unis, mais elle prend à Barcelone une forme particulière : celle d'une distinction linguistique dans l'usage de l'espagnol et d'une relation postcoloniale.
Itinéraire
- Si les propos paraissent violents, la réalité est tellement plus violente ! - , Marion Carrel, Julienne Flory, Patricia Osganian p. 137-154 Un itinéraire dans Mouvements à 24 ans ? ! Faisant écho à l'article de Marion Dalibert dans ce numéro, on remarquera d'abord que, célébrée – non sans raisons – dans nombre de médias comme l'« étoile montante du rap » en France, Chilla affiche un profil idéal pour se différencier du rappeur mauvais coucheur : femme dans un milieu considéré comme masculin, métisse, elle ne vient pas des quartiers, elle a acquis une solide formation classique en conservatoire, elle rappe et chante, elle a fait le buzz avec trois titres féministes, elle ne s'exhibe pas dans ses clips. Mais Chilla, qui revient ici sur son jeune parcours, ne rentre pas dans les cases : si elle assume la référence féministe et se réclame de l'humanisme, elle n'a rien contre l'affichage de l'argent, l'hypersexualisation, ni même, sous certaines conditions, les bombements de torse machos. Elle livre également ses analyses sur le rap et les questions identitaires, la violence, l'importance de l'insolence et du second degré, les différentes formes de sexualité, le rôle des réseaux sociaux et le rapport des artistes à l'argent.
- Si les propos paraissent violents, la réalité est tellement plus violente ! - , Marion Carrel, Julienne Flory, Patricia Osganian p. 137-154
Hors-dossier
- « Sans nous, le monde s'arrête » : la première grève générale féministe en Espagne - Marie Montagnon p. 155-163 « Sin nosotras se para el mundo » (« Sans nous, le monde s'arrête ») : c'est l'un des slogans les plus repris, le 8 mars 2018 en Espagne, à l'occasion de la Journée internationale des femmes, au cours de laquelle plusieurs millions de personnes ont répondu à la convocation de la première grève générale féministe impulsée par la Comisión 8M. À partir d'une enquête ethnographique2 menée à Madrid à deux échelons du mouvement, l'assemblée régionale de la communauté de Madrid et l'assemblée locale du quartier central de Lavapiés, cet article revient sur les principales revendications et sur le processus ayant conduit à cette mobilisation nationale, puis sur ses modalités d'organisation pour mettre en avant quelques-unes des caractéristiques du mouvement féministe espagnol contemporain.
- « C'est bien de perdre de temps à autre pour se rappeler qu'on n'est pas Napoléon » - Rita Maestre, Viviane Albenga, Irène Jami, Viviane Albenga p. 164-168 Politologue de formation, Rita Maestre, née en 1988, est membre du conseil citoyen de Podemos, où elle est responsable des politiques de bien-être social. Depuis 2015, élue sur la liste menée par Manuela Carmena, Ahora Madrid, elle est aussi porte-parole du conseil municipal de la ville de Madrid. Elle assure aussi la coordination du conseil de gouvernement local. Mouvements l'a rencontrée à l'occasion de sa participation au séminaire organisé à Madrid, les 2 et 3 mars 2018 (voir Mouvements n˚ 94, 2018/2).
- Populismes de gauche en Europe : une comparaison entre Podemos et la France insoumise - Pablo Castaño p. 169-180 Inspirés par les gouvernements progressistes en Amérique latine, les fondateurs de Podemos et de la France insoumise ont choisi le populisme de gauche comme voie pour proposer une alternative électorale à la dictature de l'austérité en Espagne et en France. Cet article propose une analyse comparée des discours et de la stratégie communicationnelle des deux partis. L'étude montre comment le populisme de gauche est réapproprié selon des modalités différentes en fonction des contextes nationaux, notamment l'histoire et la culture politique du pays et le passé des leaders.
- « Sans nous, le monde s'arrête » : la première grève générale féministe en Espagne - Marie Montagnon p. 155-163