Contenu du sommaire : Médecine et Justice

Revue Sciences Sociales et Santé Mir@bel
Numéro vol. 36, no 4, décembre 2018
Titre du numéro Médecine et Justice
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Médecine et Justice - Janine Barbot, Vololona Rabeharisoa p. 5-14 accès libre
  • Écrire « la cause sans la manière » de la mort ? Un regard anthropologique sur la rédaction des rapports d'expertise médico-légale en Inde - Fabien Provost p. 15-39 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    En Inde, lorsqu'un cadavre est signalé à la police, un officier est désigné pour mener une enquête, la death inquest, dont le but est d'apporter un éclairage sur les circonstances de la mort. Cette enquête doit permettre d'établir la manière de la mort, c'est-à-dire de déterminer si celle-ci est le fruit d'un homicide, d'un suicide, d'un accident ou d'une mort dite « naturelle ». L'officier de police, dès lors qu'il estime qu'un doute subsiste sur la cause de la mort, c'est-à-dire l'événement ou la série d'événements physiopathologiques qui ont conduit au décès, doit faire examiner le cadavre par un médecin. Celui-ci devra établir cette cause sans empiéter sur la question de la manière de la mort. En s'appuyant sur une enquête ethnographique réalisée dans trois morgues d'Inde du Nord, l'article analyse la façon dont certaines productions médicolégales écrites tiennent de fait un discours sur la manière de la mort (en insistant sur certaines lésions ou en évoquant une « compatibilité » avec une « manière supposée », etc.). L'article montre également qu'à l'inverse, les causes de décès formulées dans les rapports en termes strictement pathologiques ne reflètent pas pour autant une absence de réflexion des médecins quant à la manière de la mort, mais peuvent s'inscrire dans une stratégie d'écriture visant spécifiquement à mettre cette manière en retrait.
    In India, when a body is reported to the police, an officer is designated to conduct an investigation, the death inquest, whose purpose is to shed light on the circumstances of death. This investigation must make it possible to establish the manner of death, i.e. to determine whether it is the result of homicide, suicide, accident or a so-called “natural” death. The police officer in charge, whenever he considers that there is any doubt as to the cause of death, i.e. the event or series of pathophysiological events which led to death, must have the body examined by a medical doctor. The latter must determine this cause without overlapping on the question of the manner of death. Based on an ethnographic survey conducted in three morgues in Northern India, the article analyses how written forensic productions actually address the manner of death (insisting on certain lesions or referring to “compatibility“ with a “supposed manner“, etc.). The article also shows that, on the contrary, the causes of death expressed in the reports in strictly pathological terms do not reflect a lack of thought on the part of doctors as to the manner of death, but may be part of a writing strategy specifically aimed at undermining the importance placed on this manner.
  • Des maux et des chiffres. L'évaluation des incapacités en médecine légale du vivant - Romain Juston p. 41-64 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Une grande partie de la médecine légale en France consiste en l'examen des personnes victimes d'agression dans des services dédiés (les UMJ : unités médico-judiciaires). Cet article s'intéresse aux opérations d'évaluation qui président à la réalisation des certificats descriptifs de coups et blessures, effectuées par les médecins sur réquisition du procureur. Il étudie plus particulièrement la détermination du nombre de jours d'incapacité totale de travail (ITT), pour laquelle on observe une grande variabilité des pratiques. À partir de ce cas, l'article propose une analyse des déterminants sociaux du jugement médico-légal qui s'appuie sur l'exploration dynamique de deux échelles distinctes. Il montre tout d'abord comment la variabilité des avis concernant l'ITT est intégrée dans la politique des UMJ, à travers la mise en place de correctifs. Ces correctifs témoignent d'une problématisation de cette médecine comme une médecine de constat pour laquelle il est possible d'harmoniser les pratiques. L'article analyse ensuite la variabilité de l'ITT à partir des pratiques saisies depuis le cabinet médical. Cette médecine est alors abordée sous l'angle d'une médecine de la violence dans laquelle les médecins, face à la diversité des situations de violence qui commandent l'expertise, assemblent et combinent différents cadres, c'est-à-dire des manières particulières d'envisager le statut des corps et la parole des victimes dans une expertise indissociable du jeu judiciaire.
    Forensic medicine in France mostly consists in examining victims of aggression in dedicated hospital services called “Unités Médico-Judiciaires” (UMJ, medico-judiciary units). This article explores the evaluation of injuries carried out by forensic pathologists upon the request of the prosecutor. This evaluation serves as a basis for the production of certificates, as well as for the calculation of the number of days of total incapacity to work (ITT). This article examines this calculation, which is highly variable, and analyses the social determinants of forensic judgment on two distinct levels. It first shows that each UMJ strives to resolve the heterogeneity of opinions on ITT, by implementing its own corrective measures. UMJ therefore problematize forensic medicine as a “report medicine”, grounded into harmonized practices. The article then analyses how ITT is dealt with in medical consultations, and shows that forensic pathologists engage with a “medicine of violence”. In their medical practice, they confront the diversity of situations which require expertise, assemble and combine different frameworks at the intersection of the medical and the judicial while assessing the victims' singular bodies and words.
  • Aux frontières de l'irresponsabilité médicale. Les médecins en procès au début du xixe siècle - Janine Barbot p. 65-92 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    L'article analyse les débats qui ont porté sur la légitimité de l'intervention des tribunaux concernant la pratique médicale, en France, au début du XIXe siècle. Ces débats ont marqué un premier moment de concentration du travail normatif des acteurs (médecins et juristes) autour de la responsabilité médicale à l'époque contemporaine. À partir d'un corpus de textes publiés à l'occasion des affaires Hélie et Thouret-Noroy, l'article étudie les affrontements autour de deux questions centrales : était-il opportun de rendre les médecins justiciables devant les tribunaux de droit commun ? Était-il possible de former un jugement ajusté sur les pratiques médicales dans l'enceinte d'un tribunal ? C'est au carrefour de ces questions que se sont dessinées différentes manières d'envisager la responsabilité médicale, ou de penser les frontières de l'irresponsabilité des médecins devant les tribunaux. En mobilisant un cadre d'analyse issu de travaux sociologiques sur l'exercice du jugement, l'article propose d'apporter une contribution nouvelle à l'étude des rapports entre médecine et justice, et à leurs transformations sur le temps long.
    The article explores debates that took place in France at the beginning of the 19th century on the legitimacy of courts to decide on questions relating to the practice of medicine. Though physicians and jurists had engaged with the issue of medical liability before those debates emerged, the latter constituted a momentum in those actors' normative work on medical responsibility in contemporary era. Based on an analysis of a corpus of texts published in the cases of Hélie and Thouret-Noroy, the article examines clashes around two central issues: was it appropriate to make physicians justiciable before ordinary courts? Was it possible to form a judgement adjusted to medical practices in the courtroom? Around those two questions, different ways of looking at medical liability, or approaching the boundaries of physicians' irresponsibility in the courts, had emerged. Drawing on sociological analysis of the exercise of judgement, the article intends to provide a new contribution to the study of the relationships between medicine and justice, and to their transformations on the long term.
  • Le suicide assisté au tribunal. Le modèle suisse face à la demande des personnes atteintes de troubles psychiatriques - Anthony Stavrianakis p. 93-117 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Résumé. En Suisse, l'aide au suicide s'est développée de façon adjacente aux institutions médicales et juridiques, en s'appuyant sur une forte mobilisation associative. Dans les années 1990, de vives confrontations opposant associations et autorités médico-administratives ont abouti à l'adoption d'un moratoire concernant l'aide au suicide des personnes atteintes de troubles psychiatriques. C'est dans ce contexte qu'un procès pénal a été intenté contre le psychiatre Peter Baumann, qui a brisé ce moratoire en aidant Andreas U. à mettre fin à sa vie. L'article met en évidence l'hétérogénéité des positionnements des acteurs engagés dans cette affaire s'agissant d'apprécier la capacité de discernement d'Andreas U., la nature de l'évaluation faite par Baumann et la légitimité de ses actes. À travers l'étude des transformations des jugements rendus, de la première instance au Parlement cantonal, l'article éclaire les tensions internes au modèle suisse du suicide assisté.
    In Switzerland, assisted suicide developed outside of medical and juridical spaces, through activist associations. In the 1990s, intense confrontations between associations and the medico-administrative authorities led to the adoption of a moratorium on assisted suicide for people with mental disorders. It is in this context that a criminal trial was instituted against the psychiatrist Peter Baumann who broke this moratorium by helping an individual, Andreas U, to put an end to his life. The article highlights the heterogeneity of the positions of the actors involved in this case in terms of assessing Andreas U's capacity for discernment, the nature of the assessment made by Baumann, and the legitimacy of his actions. Through the study of the transformations of judgments rendered, from the first instance to the cantonal Parliament, the article illuminates tensions within the Swiss model of assisted suicide.