Contenu du sommaire : Edward W. Said
Revue | Sociétés & Représentations |
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Numéro | no 37, 2014 |
Titre du numéro | Edward W. Said |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier : Edward W. Said. Une conscience inquiète du monde
- Introduction : Edward W. Said au-delà des études postcoloniales - Guillaume Bridet, Xavier Garnier p. 7-27
- Situation d'Edward W. Said, critique et théoricien de la littérature - Dominique Combe p. 29-39 La pensée d'Edward W. Said est souvent réduite en France aux études postcoloniales, qu'il a contribué à fonder par deux livres majeurs : Orientalism (1978) et Culture and Imperialism (1993). Il convient toutefois de prendre en compte l'ensemble du travail critique de Said sur la littérature, la musique, la politique : Joseph Conrad and the Fiction of Autobiography (1966), Beginnings : Intention and Method (1975), The World, the Text and the Critic (1983), qui n'ont pas encore été traduits en français. Il s'agit ainsi de poser la question de l'humanisme saidien, qui, se référant à Vico et à Auerbach, participe aux débats, dans le contexte nord-américain, autour du « canon occidental » et des humanités.Situation of Edward W. Said, as a critic and theoretician
Edward W. Said's thought has too often been reduced to postcolonial studies in France. Beyond the ground-breaking Orientalism (1978) and Culture and Imperialism (1993), Said's whole critical work on literature, music and politics should be taken in consideration : Joseph Conrad and the Fiction of Autobiography (1966), Beginnings : Intention and Method (1975), The World, the Text and the Critic (1983), still to be translated into French. The question of a saidian « humanism » is once again at stake. Refering to Vico and Auerbach, Said participates in the North-American debate on the « Western canon » and Humanities. - Edward W. Said et Raymond Williams : débat sur la culture impériale - Xavier Garnier p. 41-51 L'hypothèse, défendue par Edward Said dans Culture et Impérialisme, selon laquelle le monde occidental aurait justifié sa domination impériale sur le reste du monde par une survalorisation de sa propre culture, est largement redevable des travaux de Raymond Williams, le fondateur des Cultural Studies. Le combat politique que mène Williams pour une prise en compte des cultures populaires dans la configuration du corps social au niveau national, doit pour Said être repensé dans un cadre impérial, caractérisé par la réification des cultures dominées et leur hiérarchisation. La lutte engagée par Williams pour un débat démocratique sur l'hégémonie culturelle au sein de la nation suppose un consensus sur l'homogénéité d'un peuple. Cette homogénéité est rendue impossible à l'échelle impériale en raison des cloisonnements raciaux mis en place par l'impérialisme colonial. Le matérialisme culturel de Raymond Williams, ses analyses sur le rôle des diasporas dans les avant-gardes artistiques européennes, permettent à Said de penser, parfois contre les perspectives trop nationales de Williams lui-même, les conditions matérielles d'une propagation mondiale d'expériences culturelles dégagées du carcan impérial.Edward W. Said and Raymond Williams : debate on imperial culture
Edward Said's claim in Culture and Imperialism—that the West justified its imperial domination over the rest of the world through by overvaluing its own culture—owes much to the work of Raymond Williams, the founder of Cultural Studies. Williams's political struggle for the recognition of popular culture in the configuration of society at the national level should, according to Said, be reinscribed in the context of an imperial framework characterised by the reification and hierarchisation of dominated cultures. Williams's commitment to a democratic debate on cultural hegemony within the nation pre-supposes a consensus on the homogeneity of a given people. This homogeneity becomes impossible at the imperial level in view of the racial segregation implemented by colonial imperialism. The cultural materialism of Raymond Williams and his analyses of the role of diasporas in the European artistic avant-garde allow Said to rethink, sometimes against the overly national perspectives of Williams himself, the material conditions that would enable the global propagation of cultural experiences freed from the imperial straitjacket. - Edward W. Said : mondanité et performance - Ziad Elmarsafy p. 53-67 Bien qu'Edward Said soit connu avant tout comme l'auteur d'Orientalism (1978) et de Culture and Imperialism (1993), le rapport entre ces titres et le reste de son œuvre reste largement méconnu. Le but de cet article est de présenter une généalogie critique de certains mots clefs de l'idiome saidien. L'argument se base sur l'équation Texte = Mondanité + Performance. La mondanité (worldliness), terme par lequel Said s'approprie l'idée de l'engagement politique, exige une prise en compte des conditions sociopolitiques de la production et de la réception de la littérature. La performance s'étend à tout ce qui permet au texte littéraire de se dégager de cette toile de fond et de faire appel à d'autres textes et d'autres idées. Dans l'espace entre la mondanité et la performance, d'autres concepts tirés du lexique saidien – secular criticism, tory anarchy, invention – s'ajoutent pour donner une nouvelle définition de la littérature et de la critique littéraire au prisme de l'esthétique et de la politique.Edward W. Said : Worldliness and Performance
Although Edward Said is best known as the author of Orientalism (1978) and Culture and Imperialism (1993), the extent to which these works rely on the rest of his œuvre is often overlooked. This article tries to right the balance by presenting a critical genealogy of certain Saidian keywords. The argument centres on the equation Text = Worldliness + Performance. Worldliness, Said's answer to political commitment, calls for an understanding of literature in the socio-political conditions of its production and reception. Performance, on the other hand, connotes the ways in which the literary text both stands out against this worldly background as it alludes to other literary texts and ideas. In the space opened up by these two variables other concepts from Said's lexicon – secular criticism, tory anarchy, invention – come into play to re-define literature and criticism in both aesthetic and political terms. - Edward W. Said lecteur de Raymond Schwab - Sarga Moussa p. 69-78 Cet article part du constat qu'Edward Said, tout en ayant lu La Renaissance orientale (1950) de Raymond Schwab au moment où il préparait Orientalism (1978), n'y a pas accordé l'importance que méritait cette somme. Sans doute a-t-il dû la considérer comme une pierre dans son jardin, dans la mesure où la démarche profondément interculturelle du premier s'intègre mal à la théorie du « discours orientaliste ». D'où la volonté, chez l'auteur de L'Orientalisme, de se démarquer autant que possible, dans un premier temps, de La Renaissance orientale. Mais tout se passe comme si, une fois son ouvrage majeur écrit et publié, Said en était venu à réévaluer l'apport exceptionnel de son prédécesseur, non seulement en termes d'érudition, mais aussi sur le plan du renouvellement d'une pensée occidentale sur l'Orient, dépourvue, précisément, de toute volonté de domination. Il fit en tout cas traduire en anglais La Renaissance orientale et lui adjoignit une préface extrêmement élogieuse, rendant ainsi hommage, tardivement, mais de manière éclatante, à la démarche profondément humaniste de Schwab, dans laquelle, sans doute, Said se reconnaissait aussi.Raymond Schwab read by Edward W. Said
Although Edward Said clearly read The Oriental Renaissance (1950) by Raymond Schwab when he was writing Orientalism (1978), he didn't pay enough attention at that time to this extraordinary work of the French scholar. This is probably due to the deep interculturally approach of the latter, which apparently doesn't fit with the theory or the « orientalist discourse ». This can explain why the author or Orientalism tried first to take distance from his forcomer. But it seems also that Said, having written and published his major book, was ready to reconsider the invaluable contribution of Schwab, not only in terms of erudition, but also as a proposal for a renewed (non dominating) occidental mode of thinking the Orient. As a matter of fact, Said let The Oriental Renaissance being translated in english (1984) and added to this version an extremely laudatory forword, paying a late but decisive tribute to the profoundly humanistic approach by Schwab, probably considering that, after all, he was not so far from it. - Les relectures d'Orientalism par Edward W. Said : défense, illustration et nouveaux contextes - Daniel Lançon p. 79-89 La célébrité et la fécondité d'Orientalism dans des domaines très divers du savoir (analyse littéraire, science politique, histoire de l'art, socioanthropologie, etc.) ne furent pas sans entraîner un certain nombre d'extrapolations voire de malentendus dont l'histoire de toute réception critique est nourrie. Accompagnant son ouvrage d'une « Postface » (1994) puis d'une « Préface » (2003), l'auteur a davantage cherché à justifier qu'à modifier ses thèses initiales, alors que certaines d'entre elles avaient été malmenées comme nous le montrons ici ; à marquer sa présence d'auteur dans les débats nés de son livre de 1978, poursuivant ainsi sa réflexion dans de nouveaux contextes postcoloniaux et postmodernes. Pour autant, il apparaît qu'Edward Said ne pouvait guère modifier certaines représentations identitaires et essentialistes de son entreprise en dépit de tous ses efforts et que les deux péritextes très argumentés dont est désormais muni le livre font aussi figure d'accompagnements testamentaires d'un auteur inquiet du devenir de l'ensemble de son œuvre.When Edward W. Said reads Orientalism: defence, illustration and new contexts
The far-reaching fame and fruitfulness of Edward Said's Orientalism in various epistemological fields (literary analysis and criticism, political science, art history, socio-anthropology) has given way to numerous extrapolations and misunderstandings, which is the hallmark of critical response throughout time. With a « Postface » (1994) and a « Preface » (2003) later added to his book, the author tried to justify, rather than alter, his original theses, although some had already been the object of harsh criticism as we show here ; he also tried to assert himself, in the debates following the publication of his book in 1978, as an author who wished to carry on his reflexion in new postcolonial and postmodern contexts. However, it seems that Edward Said could hardly revise some of his essentialist representations or views on identity in spite of his efforts, and that the two argumentative peritexts published together with the book also sound like the legacy of author concerned with the future of his whole work. - Pourquoi l'orientalisme d'Edward W. Said n'est-il pas un japonisme ? - Marc Kober p. 91-105 L'Orient créé par l'Occident ne se limite pas à l'environnement immédiat de l'Europe. Que faire du savoir européen sur le Japon ? S'interroger sur cette quasi-absence de l'Extrême-Orient, et pour limiter notre analyse au seul Japon pris dans sa configuration régionale, ne visera pas à entamer la validité des thèses de Said à propos des autres Orients, mais plutôt à dire l'enrichissement et la profondeur que peut apporter en retour un détour par l'Asie. Le japonisme s'inscrit apparemment dans la tradition des études orientalistes, à visée impérialiste, dans la mesure où l'orientalisme et l'extranéisation occidentale de l'autre sont des corollaires de l'eurocentrisme. Pourtant, l'orientalisme occidental n'a pas atteint le Japon, et ce pays a suivi la même voie que l'Europe en produisant un orientalisme spécifique. Ainsi, les Japonais n'ont-ils pas donné prise à un orientalisme qui serait venu les définir. Au contraire, eux-mêmes ont modelé la perception occidentale du Japon. Néanmoins, les hypothèses saidiennes sur l'orientalisme ainsi conçu sont du plus grand intérêt pour mieux comprendre les échanges entre Europe, Amérique du Nord et Extrême-Orient, tandis que le Japon se trouve conduit à redéfinir sa position, à la fois sujet de l'orientalisme occidental, et producteur d'un orientalisme tourné vers l'Asie proche, en phase avec son histoire impériale.Why Edward W. Said's orientalism is not a Japonism ?
The Orient created by the Occident is not limited to the immediate environment of Europe. What to do with the European knowledge of Japan ? To wonder about this near absence of the Far East, and to restrain our analysis to Japan in its regional configuration, will not aim to deny any validity to Said's ideas about the other Orients, but to show how a detour in Asia can deepen these ideas. Japonism seems to be part of western studies, with an imperialistic goal as far as orientalism and the westerner othering are linked to Eurocentrism. Nethertheless, this orientalism has not reached Japan, as the country has produced its own specific orientalism. The Japanese were not defined by an orientalism from outside. On the contrary, they controlled and created themselves the western outlook over Japan. Despite of this, the saidian hypotheses about orientalism are very relevant in order to understand cultural exchanges between Europe, North America and Far East, whereas Japan has to redefine its own position, at the same time orientalised by westerners and orientalizing the nearby Asiatic countries, according to its own imperialistic history. - Edward W. Said, « une énergie en mouvement » : musique et littérature - Martin Mégevand p. 107-124 L'article porte sur les articles et les livres qu'Edward Said a consacrés, à la fin de sa vie, à la musique classique européenne. Il s'agit de montrer les bénéfices d'une prise en compte de ces textes, aussi bien pour revenir sur la question du rapport de Said à la culture et à l'engagement – la figure de l'artiste Glenn Gould, sorte de moi idéal pour Said, étant placée au service de la figure de l'intellectuel résistant – que pour examiner la méthode à l'œuvre dans ces articles, écrits dans une grande liberté associative qui permet à Said de proposer des méditations de grande ampleur sur des questions historiques, esthétiques et sociales. En outre, la lecture de ces textes permet d'éclairer le sens de concepts qu'il emploie souvent dans sa critique littéraire et politique, notamment sa fameuse « critique en contrepoint », la polyphonie, l'inclusion et enfin le plaisir qui occupe une place singulièrement importante dans ces textes.Edward W. Said, music and literature: « an energy in motion »The article dwells on articles and books Edward Said wrote on music, a small part of them having recently been translated into French. The author intends to show the advantages to take these texts into account from a literary point of view. Said's relations to culture and to commitment appear slightly different from those developed in his most famous texts, as his admiration for Glenn Gould eloquently proves, the Canadian virtuoso playing the role of a figure of intellectual and resistant. Furthermore, Said's articles on music are written in a style which gives way to free association, thus unfolding on massive topics dealing with history, society, and politics. Lastly, his texts on music are closely linked to literature not only through his famous concept of late style, but also via major notions he borrows from the vocabulary of musical criticism and uses extensively in his general critical work, such as the famous “contrapuntal reading”, polyphony, inclusion and perhaps above all, pleasure.
- Edward W. Said : le scientifique et le biographique - Guillaume Bridet p. 125-138 Lorsqu'il publie Out of Place en 1999, Said n'est pas le premier chercheur à livrer des mémoires au public, mais il livre toutefois des confidences fort intimes plutôt inattendues. C'est tout l'intérêt de ce livre qui raconte sa vie entre 1935, année de sa naissance, et 1962, année de son doctorat. Notre but n'est pas de réduire la pensée de Said aux conditions de sa vie mais de montrer quels étaient les différents possibles qui se présentaient à lui. Car rien n'était joué : à la souffrance des déchirements identitaires, il était possible d'apporter d'autres réponses, bien plus agressives et dangereuses, que la déconstruction des identités aliénantes transformées en outils de domination. Dire cela, c'est souligner l'extraordinaire processus de sublimation auquel donna lieu l'œuvre de Said.Edward W. Said : scientific research and biodata
When he published Out of Place in 1999, Said is not the first scholar to give memories to the public, but he gives very intimate and unexpected condidences. This is one of the main interests of this book that tells his life between 1935, the year of his birthday, and 1962, the year he gets his PhD. This paper doesn't want to reduce the Said's thought to his way of living but to show what was the range of alternatives he has to choose. Nothing was decided yet : it was possible to bring other solutions to the suffering of the identity crisis, much more aggressive and dangerous than the deconstruction of the alienating identities transformed into ways of domination. This paper wants to show the tremendous process of sublimation contained in Said's work. - Liste des œuvres d'Edward W. Said - p. 139-141
Lieux et ressources
- L'Open Access vu par deux historiennes - Évelyne Cohen, Pascale Goetschel p. 143-154
Regards croisés
Trames
- Construire sa postérité d'artiste : le cas Félix Ziem (1905-1910) - Laure Ménétrier p. 161-177
Retours sur...
- Les Carnets de René Allio : une nécessaire publication - Marguerite Vappereau p. 179-193
Actualités
- L'invention d'un musée d'un nouveau genre ? : Le MuCEM-Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée - Maryline Crivello p. 195-201
Grand entretien
Hors cadre
- Les jeux radiophoniques, en France, dans les années 1960 - Marie-Paule Schmitt p. 219-228