Contenu du sommaire : Discipliner la ville
Revue | Revue d'histoire des sciences humaines |
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Numéro | no 12, 2005 |
Titre du numéro | Discipliner la ville |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- « Les sciences humaines à l'épreuve de la ville : les enjeux d'une archéologie des savoirs urbains (XVIIe-XXe siècles) » - Stéphane Van Damme p. 3-15
- L'ancien droit de l'urbanisme et ses composantes constructive et architecturale, socle d'un nouvel « ars » urbain aux XVIIe et XVIIIe siècles. Jalons pour une histoire totale du droit de l'urbanisme - Robert Carvais p. 17-54 Aucun savoir n'est généré spontanément, d'autant s'il est la résultante de plusieurs disci-plines. Le droit de l'urbanisme connaît une préhistoire informulée qui recommande de sérier ses composantes. Ainsi, avant de concevoir une ville, convient-il d'apprendre à construire une maison. Il est indispensable ainsi de fédérer les savoirs constructifs et architecturaux. Mais cela ne saurait suffire. Tout le droit ne naît pas sous l'Ancien Régime de la monarchie absolue. Les initiatives sont ailleurs. Si le concept d'urbanisme naît au XIXe siècle, nombre de pratiques politiques et juridiques s'exercent dès le XVIIe siècle – certaines dès le Moyen-Âge – dans trois directions complémentaires : les métiers du bâtiment élaborent des coutumes d'embellissement du bâti, pratiquent les servitudes et la mitoyenneté. Chaque cité élabore ses propres ordonnances pour contenir et organiser ses activités, à des fins d'utilité publique. De fait, les villes créent nombre d'institutions spécialisées. Plusieurs professions instaurent et contrôlent judiciairement une réglementation sécuritaire. Ces savoirs juridiques urbains sont dès le XVIIe siècle réduits en art : tels les projets de règlements, les manuels britanniques de construction. En France, la démarche est plutôt le fait de quelques architectes. L'émergence d'un droit de l'urbanisme au XVIIIe siècle se manifestent à travers deux types d'ouvrages au destin tenace : le commentaire de coutumes et le traité sur la police, mais aussi dans une normalisation des techniques. Les applications théoriques et pratiques de ces savoirs constitueront les bases d'un nouvel ars urbain.No knowledge is generated spontaneously, even less so if it is multi-disciplinary. Urbanism law has had an unformulated prehistory which requires bringing its constituent elements together. Therefore, before a city can be conceived, it is necessary to first learn how to build a house. It is essential to consolidate construction and architectural information. But this approach is not entirely sufficient. All law did not appear under the Ancient Regime of the absolute monarch. Initiatives developed elsewhere. If urbanism officially appeared in the nineteenth century, a multitude of political and legal practices were employed from the seventeenth century, some even dating from the Middle Ages, in three complementary directions : the building trades elaborated on customary practices for the ornamentation of buildings, applied to detached and shared properties. Each town developed its own laws to contain and organise its activities, for the public good. To this end, cities created a number of specialised institutions. Many building trades instituted and legally controlled a code of technical measures. This body of urban legal knowledge has been reduced, since the seventeenth century, to an art : such as plans for regulations, British building manuals. In France, few architects took up any such initiatives. The emergence of urbanism law in the eighteenth century is found in two famous types of printed works : the commentary on customs and the treatise on law and order, but also in building standards. Theoretical and practical applications of such knowledge will constitute the foundations of a new urban « ars ».
- Savoirs urbains et construction nationale. La ville, au delà de l'État-nation ? - Alice Ingold p. 55-77 Le moment présent peut être décrit comme celui d'une sortie du modèle historiquement daté et localisé de l'État-nation, d'où émerge un intérêt renouvelé pour la ville comme lieu d'ancrage privilégié du politique et du lien social. On se trouverait donc dans un moment particulier de reconfiguration des échelles du politique et du social, qui serait générateur de savoirs urbains. Cette hypothèse est examinée à la lumière d'un autre moment particulier de cette histoire des États-nations, la seconde moitié du XIXe siècle. À partir de l'analyse de la construction nationale en Italie, l'article examine comment une importante production de savoirs sur la ville et sur le gouvernement urbain émerge en Europe durant cette période et comment les sciences sociales y ont apporté leur concours. La discipline historique a occupé une place toute particulière dans ce processus, spécialement pour l'Italie, au moment où les « communes médiévales italiennes » sont construites en modèle urbain et politique, au delà même de l'expérience historique qu'elles désignent. L'analyse se fonde sur l'essai du penseur lombard Carlo Cattaneo, « La ville comme principe idéal des histoire italiennes », paru en 1858. À partir d'une réflexion d'économie agraire, Cattaneo identifie dans les liens intimes unissant ville et campagne (par la propriété et le capital) et dans la capacité des villes à maîtriser leur territoire, le « fil idéal » de l'histoire italienne. Il invite à examiner la place d'un patriotisme local et urbain dans la construction nationale et à penser la ville comme laboratoire d'apprentissage du politique, au moment, paradoxalement, où la construction de l'État-nation dépossède les villes de certaines de leurs attributions politiques.The current time could be described as a departure from a model, historically dated and located, of the Nation state, from which a renewed interested in the city emerges as an anchor point supported by politics and social setting. One finds themselves in a particular moment of restructuring of political and social scales, which would generate urban knowledge. This hypothesis is examined from the perspective of another specific time in this history of the Nation state, the second half of the nineteenth century. From analysis of nation-construction in Italy, this article examines how an important generation of knowledge of the city and on urban public administration emerges in Europe over this period and how the social sciences contributed to it. History as a discipline holds a particular place in the process, especially for Italy, when the medieval Italian communes were constructed on an urban and political model beyond the historical experience they describe. The analysis is based on the Lombardian thinker Carlo Cattaneo's essay on The City as the Ideal Principle of the Italian History published in 1858. From the perspective of an agrarian economy, Cattaneo identifies the « ideal thread » of Italian history in the special links between city and countryside (through ownership and capital) and the capacity of the city to control its territory. He invites examination of the place of local and urban patriotism in nation building and to think of the city as an apprentice laboratory of politics at the time when, paradoxically, the construction of the nation state dispossess cities of some of their political attributions.
- La ville en partage : les « savoir-administrer » dans la conduite des affaires municipales et intercommunales en banlieue parisienne (années 1880-1950) - Emmanuel Bellanger p. 79-95 Des années 1880 aux années 1950, la France urbaine connaît une mutation profonde de son tissu sociodémographique et économique. La Seine banlieue, territoire encerclant Paris, est le théâtre de l'entrée en politique de nouveaux acteurs institutionnels : le maire « bâtisseur », le secrétaire de mairie et leurs auxiliaires, les agents communaux. Des politiques publiques, élaborées en collaboration avec la tutelle préfectorale, accompagnent les transformations ur-baines et encadrent les populations. Cette contribution sur les modes de gestion adminis-trative de la ville porte plus particulièrement sur l'adaptation des politiques aux mutations urbaines. Elle se polarise sur les réseaux et les formes des « savoirs » mobilisés dans la con-duite des affaires municipales et intercommunales et soumet à critique trois champs entre-mêlés d'observation. Les deux premiers regards se focalisent sur les vecteurs d'acculturation politique et administrative des personnels, élus ou professionnels, délégataires des politiques publiques locales, sur leurs lieux d'apprentissage et de formation au métier d'administrateur, sur les formes d'uniformisation des pratiques municipales et intercommunales, sur leur dé-politisation, au sens partisan du terme, et plus généralement sur les ressorts et les concep-tions même du travail édilitaire. En réaction aux deux premiers regards, la 3e approche du monde des mairies et des intercommunalités s'apparente davantage à une réflexion épisté-mologique et historiographique sur la ville telle que la perçoivent les administrateurs com-munaux ou les observateurs et experts sociaux de la fin du XIXe siècle aux années 1950.From the eighteen eighties to the nineteen fifties, urban France underwent a profound chan-ge in its socio-demographic and economic fabric. The Seine suburb surrounding Paris was the theatre where new institutional players entered politics : the « builder » mayor, the mayor's secretary and their auxiliaries, the community officers. Public administration, de-veloped in collaboration with the prefectoral administration of the region accompanied the urban transformations and provided a framework for the population. This contribution to the modes of administrative management of the city focuses more particularly on the adap-tation of the policies to the urban setting. It focuses on the networks and the forms of the « knowledge » applied in the control of municipal and inter-communal affairs and subjects to criticism three fields intermingled with observation. The first two perspectives are focu-sed on the areas of political and administrative assimilation of the civil servant, elected offi-cials or professionals, in charge of local public policies, on their places of training and edu-cation to the profession of administrator, on the forms of standardization of the municipal and inter-communal practices, on their de-politicization, in the strict sense of the term, and more generally on the activities and the designs of municipal work. In reaction to the first two perspectives, the third focuses on the world of the town halls and inter-communalities with an epistemological and historiographic reflection on the city as perceived by the com-munal administrators or the observers and social experts of the end of the 19th century until the 1950s.
- Le stade de l'expérience. Une incertaine « science communale » et la question de l'institutionnalisation disciplinaire des savoirs urbains - Renaud Payre p. 97-116 L'article s'attarde sur la difficile institutionnalisation disciplinaire des savoirs urbains et plus précisément des savoirs de gouvernement des villes. Il se concentre sur un moment bien particulier au cours duquel des projets d'institutionnalisation disciplinaire ont été débattus. Il s'agit de la conférence internationale des villes de 1934 organisée à Lyon par l'Union internationale des villes, une conférence entièrement consacrée à la question de l'élaboration d'une « science communale » qui est ici privilégié. En revenant sur la définition même de cette possible science, l'article souligne l'entremêlement entre les enjeux scientifiques et les enjeux politiques de cette science de gouvernement des villes. L'enjeu est bien de contourner une approche juridique qui ne pense pas la ville. Mais une telle entreprise vise surtout à unifier tout un ensemble de « savoirs spéciaux », de « savoirs moyens » consacrés à l'interventionnisme municipal, savoirs dont les supports se multiplient depuis le début du XXe siècle. La « science communale » ne s'est pas institutionnalisée comme une discipline. Elle est restée une science dispersée en de multiples laboratoires œuvrant à l'élaboration et à la circulation de savoir-faire destinés à l'administration des villes. Ces savoirs sur et pour les villes témoignent toutefois d'une nouvelle manière de penser la ville au sein de l'organisation politico-administrative, une ville qui s'impose comme un espace incontournable d'initiatives politiques et d'agrégation des citoyens.This article deals with the difficult disciplinary institutionalisation of urban knowledge and especially of urban public administration. It concentrates on a specific period, over the course of which prospects for disciplinary institutionalisation were discussed. It refers to the international conference of local authorities held in Lyon in 1934, organised by the international union of cities, dedicated to the development of a « municipal science ». Focusing on the very definition of this would-be science, the article stresses the mingling of the scientific and the political purposes of this science of public administration of cities. The purpose is to circumvent a legal approach that ignores the city. But such an undertaking focuses on unifying the ensemble of specialised knowledge, of knowledge of means, devoted to municipal interventionism, knowledge for which support has multiplied since the beginning of the twentieth century. The « municipal science » was not insitutionalised as a discipline. It remained a dispersed science across multiple laboratories working on developing and dispersing the know-how destined for public administration. This sure knowledge bears witness, however, to a new manner of thinking about the city within its politico-administrative organisation, a city which gives rise to political initiatives and aggregation of citizens.
- Travail organisationnel et institutionnalisation des sciences sociales. Le cas de la recherche urbaine française - Fabien Milanovic p. 117-139 Ce texte vise à questionner les modalités d'émergence et de développement des sciences sociales au travers d'une étude de cas : la recherche urbaine française. L'analyse s'attache à montrer le travail d'organisation des activités scientifiques qui ont lieu dans cette aire de recherches depuis les années 1960. Ce travail, effectué par des institutions hybrides à l'intersection des mondes scientifique et politico-administratif, participe des processus de constitution et de développement de la recherche urbaine. D'où l'intérêt d'une perspective d'analyse qui invite à le prendre en compte afin de mieux comprendre les modes d'institutionnalisation des sciences sociales.The article discuses the modes of emergence and development of social sciences through a case study : French urban research. The analysis sheds light on the organizational and management process of scientific activities which has occurred in this research domain from the nineteen sixties. This work, carried out by hybrid institutions at the junction of scientific and political-administrative spheres, contributes to shape and develop urban research. Thus, the interest of a perspective of analysis that should be taken into account for a better understanding of the institutionalization of the social sciences.
Varia
- La philosophie de l'histoire de Cournot - Thierry Martin p. 141-162 Cournot développe dans la seconde moitié du XIXe siècle une conception originale de l'histoire. Cette conception est au point de convergence de trois exigences :1?) définir l'histoire non par son objet, mais par sa méthode ; elle est un mode de connaissance, non une discipline propre,2?) introduire dans l'étude de la causalité historique des niveaux distincts de détermination et de rythme, donc une complexité des phénomènes, nécessaire à leur compréhension,3?) penser l'orientation globale de la civilisation moderne.Cet article a pour but de montrer comment ces trois points sont étroitement solidaires dans la pensée de Cournot, et comment celle-ci a pu marquer les représentations de l'histoire développées au XXe siècle.In the second half of the XIXth century Cournot develops an original conception of history. This conception results from three requirements :1?) To define history not through its subject but through its method ; it is a means of knowledge not a full discipline,2?) To introduce distinct levels of determination and timing in the study of historical causality, therefore a complexity of phenomena, necessary for their understanding,3?) To think about the global tendencies of modern civilization.This article aims to show how these three points are closely interdependent in Cournot's thought, and how this thought may have influenced the representations of history developed in the XXth century.
- Du « Comme si... » au « Peut-être... ». De Milton Friedman à la Nouvelle Économie Institutionnelle - Claude Menard p. 163-172 L?essai sur la méthodologie publié par Milton Friedman en 1953 est devenu une référence obligée chez les économistes. L?auteur s?y livre à une défense agressive du modèle néo-classique, assimilé au modèle de concurrence pure et parfaite, par opposition à des approches du type concurrence monopolistique. En même temps, il s?y démarque fortement des approches purement formalistes en train d?émerger et privilégie une approche réaliste, en termes d?équilibre partiel. Cinquante ans plus tard, le problème du réalisme de la théorie économique et de ses hypothèses continue de nourrir d?âpres discussions. Cet article revient sur la contribution de Friedman pour en nuancer l'interprétation, mais aussi pour la contraster avec l'approche néo-institutionaliste qui préconise l'adoption d?hypothèses « réalistes ».« The Methodology of Positive Economics » published by Milton Friedman in 1953 has become a standard reference among economists. The author develops an aggressive defence of the neoclassical model, identified with pure and perfect competition, as opposed to alternatives such as monopolistic competition. Simultaneously, he clearly takes distance from the emerging formalistic approaches and favours a realistic perspective, rooted in partial equilibrium terms. Fifty years later, the problem of the realism of economic theory and its hypotheses continues to fuel bitter debates. This paper re-examines Friedman?s contribution to specify its interpretation, and also to contrast it with the new institutional approach that recommends the adoption of « realistic » assumptions.
- Annick Percheron et l'univers politique des enfants - Luc Reginensi p. 173-192 Durant les années 1970 et le début des années 1980, Annick Percheron a consacré l'essentiel de son travail scientifique à la socialisation politique des enfants. Dans cet article, nous nous attachons à décrire l'espace assertorique de la conception que Annick Percheron se faisait de la socialisation politique et du politique. Afin de comprendre ce qu'elle entendait désigner par l'intermédiaire de la notion d'univers politique, nous examinons la manière dont elle a construit le concept de proximité idéologique et dont elle a pensé le mode opératoire du processus de socialisation.During the seventies and early eighties Annick Percheron devoted the essence of her scientific work to children's political socialization. In this article we are interested in describing the fundamentals of Annick Percheron's conceptions of political socialization and politic. In order to appreciate the meaning of her notion of political world, we focus our attention not only on the way she built her concept of ideological proximity, and how she considered the modus operandi of the socialization process.
- La philosophie de l'histoire de Cournot - Thierry Martin p. 141-162
Note critique
- Au delà des clichés : la vie sociale des photographies anthropologiques - Benoît de L'Estoile p. 193-204
- Ouvrages reçus - p. 205