Contenu du sommaire : Nouveaux travaux en histoire de la sociologie
Revue | Revue d'histoire des sciences humaines |
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Numéro | no 13, 2005 |
Titre du numéro | Nouveaux travaux en histoire de la sociologie |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier : Nouveaux travaux en histoire de la sociologie
- Nouveaux travaux en histoire de la sociologie - Jean-Christophe Marcel, Olivier Martin p. 3-4
- Rousseau, Durkheim et la constitution affective du social : Rousseau, Durkheim and the Affective Constitution of the Social - Tiina Arppe p. 5-31 L'article veut remettre en cause le rôle de l'affectivité dans la socialité humaine telle quelle se présente dans la sociologie de Émile Durkheim. En proposant sa théorie du « groupe effervescent » comme modèle pour la genèse de la société, Durkheim s'inspire cependant des vues d'un prédécesseur philosophique éminent : Jean-Jacques Rousseau. La lecture proposée ici entend mettre au jour l'inspiration rousseauiste « cachée » de la théorie durkheimienne portant sur la genèse de la société ainsi que sur le rôle des affects là-dedans. Elle montre que la sociologie durkheimienne hérite de la philosophie rousseauiste le lien qui noue, dès le début, la question touchant l'énergie affective au problème du mal. Durkheim emprunte aux sciences naturelles l'idée d'un système énergétique tendant vers l'équilibre. Avec cette idée, il entend contrôler les passions effrénées, qui faisaient déjà peur à Rousseau, et désigner ainsi un bon usage pour le mal. Or, ici la théorie durkheimienne fait partie d'un changement conceptuel plus générale qui s'est produit pendant le XIXe siècle et qui porte, précisément, sur le statut de l'affectivité et sur son rapport au mal. Selon l'hypothèse avancée ici, il s'agit d'une toute nouvelle économie du mal, non plus métaphysique mais empirique, et qui peut aussi être conçue comme une nouvelle manière de conceptualiser le rapport entre la nature et la société ou la nature et la culture.The article wants to call into question the role of affectivity in the human sociability as it is presented in the sociology of Émile Durkheim. In proposing his theory of the « effervescent group » as a model for the genesis of the society Durkheim was, however, inspired by an eminent philosophical predecessor: Jean-Jacques Rousseau. The reading proposed here wants to bring into daylight the « hidden » rousseauist inspiration of the durkheimian theory concerning the genesis of the society as well as the role of affects therein. It shows that the durkheimian sociology inherited from the rousseauist philosophy the bond which ties, straight from the beginning, the question of the affective energy to the problem of the evil. Durkheim borrows from the natural sciences the idea of an energetic system tending towards equilibrium. With this idea he proposes to control the enraged passions, that frightened already Rousseau, and to put them into profitable use. In this respect, however, the durkheimian theory partakes in a more general conceptual change which took place during the 19th century and which is precisely about the status of affectivity in human existence and its relationship to the evil. According to the hypothesis proposed here this change brings about a whole new economy of the evil, in which the evil is no more grasped in metaphysical but in empirical terms and which can also be seen as a new way of conceptualising the relationship between nature and society or nature and culture.
- Vie sociale et genres de vie. Une lecture des Causes du suicide de Maurice Halbwachs - Frédéric Keck p. 33-50 A travers une lecture des Causes du suicide de Maurice Halbwachs (1930), on propose une réflexion sur les rapports entre le vital, le social et le mental tels qu'ils sont conçus dans la sociologie durkhemienne. Selon l'avertissement de Comte, ces rapports ne sont pas de détermination du supérieur par l'inférieur, mais plutôt d'entre-expression entre des niveaux différents de la même réalité. La référence à Leibniz dans la pensée de Halbwachs permet alors de retracer l'originalité de sa conception de la causalité sociale, entre celle de Durkheim, qui, suivant une tradition cartésienne, la conçoit plutôt comme une intervention de la conscience collective dans le corps individuel, et celle de Blondel et Lévy-Bruhl, qui, suivant une tradition malebranchiste reprise dans l'analyse de la « mentalité primitive », parlent de confusion entre le vital et le social à l'occasion d'accidents de la vie sociale. Le perspectivisme de Leibniz permet à Halbwachs d'apporter une réponse originale à la question de la participation, c'est-à-dire du mode d'action différencié à travers lequel l'individu participe à un régime d'activité et de pensée qui le transcende sans être extérieur à lui.Social Life and Modes of Life. A Reading of Maurice Halbwachs' Les Causes du Suicide
Through a reading of Halbwachs' Causes du suicide (1930), a reflection is proposed in the relationship between the vital, the social and the mental in Durkhemian sociology. Following Comte's advice, this relationship is conceived not as a determination of the superior by the inferior, but rather as modes of inter-expression between different levels of the same reality. The reference to Leibniz in Halbwachs' work then becomes crucial not only to criticize Durkheim's conception of social causality as an intervention of collective consciousness into the individual body, in a cartesian tradition, but also Lévy-Bruhl's and Blondel's idea of a « primitive mentality » that confuses the vital and the mental when accidents of social life occur, following a malebranchist tradition. It is then showed that Halbwachs' leibnizian perspectivism helps him to propose an original answer to the problem of participation, that is the singular ways through which the individual acts in a social reality that transcends him without being exterior to him. - La sociologie de la reconnaissance scientifique : généalogie et perspectives - Pierre Verdrager p. 51-68 Alors que la sociologie de la reconnaissance fait en France l'objet d'un fort regain d'intérêt, l'auteur se propose ici de retracer à grands traits la généalogie de la sociologie de la reconnaissance scientifique. Ce faisant, il montre que c'est bien avec la sociologie des sciences, et notamment avec R.K. Merton, que la sociologie de la reconnaissance a fait ses premiers pas. En effet, celui-ci accordait une place importante à cette question dans sa sociologie de la science. Dans son sillage, les frères Cole ou H. Zuckerman ont grandement approfondi l'analyse des dispositifs de reconnaissance, qu'il s'agisse des citations, des distinctions ou des positions. Il fallut attendre quelques décennies pour que, en France, la nouvelle anthropologie des sciences, d'un côté, et la sociologie critique, de l'autre, chacune à sa manière, prolongent et amendent, de façon finalement assez peu radicale, le travail de l'école mertonienne. La mise au point de ce panorama de quelques grands courants d'idée permet à l'auteur de mieux se positionner afin de dresser le portrait de ce que pourrait être une nouvelle sociologie de la reconnaissance scientifique où les sociologues prendraient la mesure non plus de la grandeur des êtres en présence, mais de la capacité à évaluer et à critiquer la mesure de cette grandeur par les acteurs qui peuplent le monde de la science.The Sociology of Scientific Recognition : Genealogy and Perspectives
While the sociology of recognition has benefited from a strong resurgence of interest in France, the author proposes here to broadly outline the genealogy of the sociology of scientific recognition. In doing so, he shows that it is to the sociology of the sciences, notably R.K. Merton, that the sociology of recognition owes its beginning. In fact, Merton gave an important role to this question in the sociology of science. In his wake, the Cole brothers and H. Zuckerman greatly deepened the analysis of measuring recognition, whether though citations, awards, or positions. In France, it wasn't until several decades later that the new anthropology of science on the one hand and critical sociology on the other – each in its own way and making few changes of consequence – prolonged and amended the work of the Mertonian school. The development of this panorama of main currents makes it possible for the author to better position himself to draw the portrait of what could be a new sociology of the scientific recognition where the sociologists would no longer judge the grandeur of the people in their presence, but of the capacity to evaluate and criticize the measurement of this grandeur by the actors who make up the world of science. - Premières réceptions et diffusions des Héritiers (1964-1973) - Philippe Masson p. 69-98 L'article présente les premières étapes de la carrière, jusqu'au début des années 1970, du livre de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Les Héritiers, publié en 1964. Les analyses portent sur la réception et l'influence de l'ouvrage dans la sociologie française, ainsi que sa diffusion parmi le public cultivé. En sociologie, Les Héritiers ont, non seulement participé à la structuration d'une spécialité en renouveau dans les années 1960, la sociologie de l'éducation, mais le livre a aussi eu un rôle dans l'évolution de la définition même de la discipline au cours de cette période. L'article analyse ensuite l'utilisation du livre au sein de trois des principaux canaux de diffusion de l'ouvrage : le syndicalisme étudiant dans la seconde moitié des années 1960, le syndicalisme enseignant, à travers l'exemple du SNES, et le parti communiste français. Au sein d'une même institution, le rapport de celle-ci à l'ouvrage fut dépendant des évolutions du contexte social et politique.First Diffusions and Recognition of Les Héritiers in French Sociology (1964-1973)This paper present the first steps of the career, until 1970, of the book of Pierre Bourdieu and Jean-Claude Passeron, Les Héritiers, published in 1964. This book has contributed to the development of socioloy of education in France, in the sixties. It success was important outside sociology too, in particular in student unions, teacher unions and the French communist party. These networks (of recognition) could vary from one period to another, and a particular institution (as a political party) could be favorable then hostile towards this book according to its own interets, wich varied according to the political and social situation.
- Un cadre d'analyse pour l'histoire des sciences sociales - Jean-Michel Chapoulie p. 99-126 L'article présente le cadre général d'interrogation qui s'est progressivement dégagé au cours des recherches de l'auteur sur l'histoire de la sociologie à l'Université de Chicago. Il rappelle d'abord les critiques (présentisme, normativité...) développées depuis 1965 contre le point de vue conventionnel qui a inspiré jusqu'à ces dernières années l'histoire des sciences sociales. La perspective proposée, analogue à celle qu'adoptent à la suite de Jacques Roger certains historiens des sciences, ne prétend à aucune originalité, mais vise à introduire simplement rigueur logique et clarté conceptuelle : c'est celle de "l'histoire historienne" pour reprendre l'expression de Lucien Febvre. Les sciences sociales sont ici considérées comme des activités sociales dont la finalité première est la production de textes dont la spécificité, historiquement variable, doit être établie et non postulée. Le programme de recherche qui en découle conduit à la prise en compte de différentes catégories qui participent à un titre ou un autre à la production, à la diffusion et à labellisation des œuvres : chercheurs, concurrents d'autres spécialités, commanditaires, institutions savantes, public cultivé... L'article examine également deux difficultés spécifiques à l'approche historique des sciences sociales : la proximité culturelle entre l'historien et son objet et la prégnance des représentations indigènes.A General Framework for History of the Social Sciences
This essay presents a general framework, stemming from research in the history of sociology at the University of Chicago. It sum up the criticisms (presentism, covert and implicit judgements) developped from the mid-sixties against the conventional perspective in the history of the social sciences. The proposed point of departure for research in the history of the social sciences is similar to the basic perspective of history proposed by Lucien Febvre and later by Jacques Roger for the history of natural sciences. Social sciences are to be considered as social practices whose primary ends are the production of texts, with historical and thus changing properties. Investigations must look at every catégories concerned directly or indirectly (or even in abstentia) with the production of social sciences : researcher, concurrent researcher of other specialities or disciplines, scolarly and learned institutions, those who finance research, general audience... Two problems of the historical approach of social sciences are discussed : the cultural closeness of the historian with his subject matter and the pregnancy of folk representations. - Gabriel Tarde et la société parisienne à la fin du XIXe siècle : « rapides moments de vie sociale », 1894-1897 - Louise Salmon p. 127-140 Au travers de l'écriture de son journal quotidien, Gabriel Tarde nous renvoie un regard neuf mais aussi aiguisé sur la société parisienne de la fin du xixe siècle. Il témoigne de la vie professionnelle, culturelle, sociale et mondaine d'un petit magistrat de province muté à Paris au Ministère de la Justice entre 1894 et 1897.1894 est une année charnière dans la carrière de Gabriel Tarde : elle renouvelle son travail du juge d'instruction de Sarlat au moyen de nouveaux matériaux d'études que sont les statistiques judiciaires ; elle le lance au cœur des réseaux de sociabilité de la capitale où Tarde côtoie alors les grands hommes de pensée de son temps et s'y inscrit comme une personnalité reconnue ; elle l'affirme et le confirme aux yeux d'un nouveau public comme un professeur et un conférencier parisien de renom ; enfin, elle révèle et énonce surtout la perception tardienne du social dont le terrain d'analyse sociologique est cette société parisienne au sein de laquelle il se meut, soit Gabriel Tarde comme un observateur du social.Gabriel Tarde and the Paris society at the End of the xix Century : « Some Moments of Social life »In his diary, GT gives us a fresh and sharp view of the Parisian society of the late 19th century. He describes the professional, cultural, as well as society life of a lower provincial magistrate appointed to the Ministry of Justice in Paris, from 1894 to 1897.1894 is a crucial year in Tarde's career for different reasons. First, with criminal statistics, the examining judge from Sarlat discovers a new method of investigation. Second, he his launched within the Parisian high society, where he meets the great thinkers of the time, and is himself accepted as a succesful professor and speaker. Finally, he reveals himself as a social scientist whose object is precisely this Parisian society.
- Cahier 19 - Gabriel Tarde p. 141-182
Varia
- Capitalisme et population : Marx et Engels contre Malthus - Yves Charbit p. 183-208 La violence des attaques et des critiques adressées par Marx et Engels à Malthus ne peut que frapper le lecteur du Capital et des Théories de la plus-value. Néanmoins Marx reconnaît à Malthus des mérites théoriques, d'où une ambivalence constante à son égard. D'autre part, à la différence des autres critiques de Malthus, qui s'intéressent à la fécondité, Marx s'attache surtout à la mobilité de la population, qu'il analyse à travers le concept d'armée industrielle de réserve. Cet article montre que les réponses à ces deux questions, sont en réalité directement liées à deux éléments théoriques fondamentaux du Capital, l'accumulation et la plus-value, qui renvoient à l'enjeu central de la prédiction de l'effondrement du capitalisme.Capitalism and Population : Marx and Engels against Malthus
The violence of the attacks on Malthus by Marx and Engels and the virulence of their criticism cannot but strike the reader of Capital and especially the Theories of Surplus Value. However Marx credits Malthus for his theoretical contributions. Secondly, Marx, unlike his contemporaries, is more interested in the various forms of mobility than in fertility, which he analyses through the concept of the industrial reserve army of labour. This paper shows that it is only by linking the economic and demographic aspects of Marx's writings that these questions can be answered. They are actually directly linked with two fundamental theoretical elements of Capital, the theory of accumulation and surplus value, and to his major doctrinal prediction, the demonstration of the necessary collapse of capitalism. - Le muséum des muses. Catégorisation scientifique et singularité artistique à la fin du xixe siècle - Nathalie Heinich p. 209-226 Psychologie des peintres, publié chez Alcan en 1892 par un érudit aujourd'hui oublié, Lucien Arréat, constitue un exemple typique d'un état encore embryonnaire des sciences sociales, proche de la tradition encyclopédique. Au carrefour de la psychiatrie, de la psychologie, de la sociologie, de la statistique, de l'anthropométrie, de la biologie, il s'inscrit dans la problématique du génie et de l'anormalité, de l'hérédité et de la création intellectuelle et artistique, qui émergea chez différents auteurs dans la seconde moitié du xixe siècle. Prenant appui sur ce cas particulier, cet article développe trois grandes questions qui intéressent directement nos disciplines actuelles : la question des frontières scientifiques et de la formation des sciences de l'homme ; la question de l'identité collective d'une catégorie, de ses transformations et de sa fixation dans l'imaginaire de sens commun ; enfin, la question du statut de la singularité en art et de ses modes de rationalisation.Scientific Categorization and Artistic Singularity at the End of the 19th Century
Psychologie des peintres was published in 1892 by a now forgotten scholar, Lucien Arréat. It is a typical example of a primary state of the social sciences, when they were still close to the encyclopedic tradition. At the crossroads of psychiatry, psychology, sociology, statistics, anthropometry, biology, it adresses the issue of genius and abnormality, heredity and intellectual or artistic creation : an issue also adressed by various other authors in the second half of the 19th century. Grounded on this particular cases, our paper copes with three major issues directly related to our present time disciplines: first, the scientific boundaries and the formation of the social sciences ; second, the notion of collective identity, its transformations and fixation in the common sense imagination ; and third, the status of singularity in art and its modes of rationalization.
- Capitalisme et population : Marx et Engels contre Malthus - Yves Charbit p. 183-208