Contenu du sommaire : Traditions nationales en sciences sociales
Revue | Revue d'histoire des sciences humaines |
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Numéro | no 18, 2008 |
Titre du numéro | Traditions nationales en sciences sociales |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier : Traditions nationales en sciences sociales – Introduction
- Qu'est-ce qu'une tradition nationale en sciences sociales ? - Johan Heilbron p. 3-16
Dossier : Traditions nationales en sciences sociales
- Les fonctions idéologiques des statistiques confessionnelles et ethniques dans la Hongrie post-féodale (1867-1948) - Victor Karady p. 17-34 L'article fait le point sur l'émergence et le parcours historique de la discipline statistique en Hongrie, secteur fort des sciences sociales en formation pendant le long XIXe siècle dans le pays. L'organisation de l'appareil statistique est liée à l'État-nation qui s'établit après la Guerre d'indépendance de 1848-1849 et le Compromis historique avec l'Autriche en 1867. Ses pièces institutionnelles maitresses – l'Office Central de Statistique et le Bureau Statistique de la capitale – rivalisent de professionnalisme dûment reconnu par les instances internationales de la discipline. Le caractère uniquement composite du pays sous le rapport ethnique et confessionnel et l'enjeu politique de l'assimilation des minorités font développer la saisie exceptionnellement raffinée des données structurelles de l'ordre social, éclatées selon la langue maternelle et la religion (démographie, compétences linguistiques, stratification socio-professionnelle, scolarité, migrations, habitat, économie, fiscalité, etc.). À son apogée vers la fin de l'époque libérale après 1900, la discipline se perfectionne encore sous le régime semi-autoritaire et antisémite de l'entre-deux-guerres (le « Cursus chrétien ») et se pervertit dans les années de la nazification et du tournant communiste d'après 1945, pour tomber victime du dogmatisme stalinien, au point d'être officiellement supprimée de 1949 et 1957 en tant que « science bourgeoise ».This article reports on the birth and historical trajectory of the statistical discipline in Hungary, a major sector of the emerging social sciences in the country during the long 19th century. Its organization is connected to the nation state established following the 1848-1849 War of Independence and the historic Compromise of 1867 with Austria. Its main institutional vehicles, the Central Statistical Office and the Budapest Bureau of Statistics competed for professional preeminence, duly recognized internationally. The uniquely composite nature of Hungarian society in terms of ethnicity and confessions and the political stake of cultural assimilation of minorities gave rise to exceptionally refined patterns to capture structural data related to the social order broken down by ethnic and religious clusters (demography, linguistic skills, socio-professional stratification and mobility, schooling, migrations, lodgings, economy, taxation, etc.). The production of social statistics having reached their summit in the last years of the Liberal Era after 1900, the discipline is still capable of some improvement in the authoritarian and anti-Semitic regime installed in the inter-war years. It will though not escape perversion and decline under the process of Nazification and later during the Communist turnover after 1945. It will fall victim of Stalinist dogmatism, so as to be officially suppressed between 1949 and 1957 as a « bourgeois science ».
- Internationalisme et tradition nationale : le cas de la constitution de la sociologie française autour de 1900 - Sébastien Mosbah-Natanson p. 35-62 Ce texte présente, de manière comparative, les démarches de René Worms et d'Émile Durkheim pour assurer la légitimité de leur sociologie, autour de la question de l'inscription nationale ou internationale de la nouvelle discipline. Dans le premier cas, on démontre que Worms a été un entrepreneur internationaliste de la sociologie. Mais, cette démarche s'est révélée un échec sur le plan national, en particulier du fait de l'éloignement de Worms du champ académique français. Dans le second cas, on analyse l'entreprise sociologique de Durkheim qui se caractérise, entre autres, par la construction d'une histoire nationale de la sociologie. On montre ainsi qu'un des facteurs de réussite du durkheimisme a été une articulation bien spécifique entre ressources scientifiques internationales et inscription de la sociologie dans la tradition nationale.Using a comparative approach, we try to understand René Worms' and Émile Durkheim's approach to position their sociology within a national or international framework. In the former case, we show that Worms was an internationalist entrepreneur of sociology. This attempt proved to be a failure at the national level, notably given Worms' relative absence from the French academic field. In the latter case, we analyze Durkheim's intellectual strategy for sociology, building a national history of sociology. We show that one element of the Durkheimian success was a specific combination of international scientific resources and of positioning sociology within a national tradition.
- La tradition française de critique sociologique de l'économie politique - Philippe Steiner p. 63-84 Le texte défend la thèse selon laquelle il existe une tradition qui court de Comte à Bourdieu et passant par Durkheim et les durkheimiens et que cette tradition est de nature intellectuelle. Le texte part d'une présentation des trois principales formes de critique sociologique de l'économie politique qui existent depuis la fin du XIXe siècle. Puis il montre que la position défendue par les trois sociologues français ne peut s'expliquer seulement par leur formation ou par leur rapport (distancié) à l'économie politique et met l'accent sur la filiation intellectuelle qui vise à disqualifier scientifi-quement l'économie politique en raison du rôle accordé aux représentations sociales, que celles-ci soient engendrées par l'activité économique elle-même ou qu'elles proviennent de leur construction sociale par l'intermédiaire de l'institution scolaire.This paper claims that, from Comte to Durkheim and the Durkheimians and up to Bourdieu, there is a French intellectual tradition in which the sociologist appears as a critique of political economy. The paper starts with a brief presentation of the three main forms of economic sociology and then focusses on the possible explanations of the position advocated by these leading French sociologists, emphasizing the intellectual filiation that runs from Comte to Bourdieu when it comes to deligitimizing political economy as a science. The role given to social representations, whether stemming from economic activity itself or from a social construction, notably tyhe one associated with teachng institutions, is then considered as the central analytical point that gives this tradition its intellectual power.
- Antagonist, Type, or Deviation? : A Comparative View on Sociology in Post-War Soviet Europe - Michael Voříšek p. 85-113 L'article propose une évaluation de la position de la sociologie dans les pays d'Europe centrale et orientale après la seconde guerre mondiale, à travers une analyse comparée de l'institutionnalisation de la sociologie en tant que discipline scientifique. Quatre indicateurs sont utilisés afin de décrire les progrès institutionnels de la sociologie dans les pays du bloc soviétique en Europe, distinguant notamment deux types de développement : le type rapide « révisionniste », et le type tardif « soviétique ». L'article présente les communautés s'articulant autour de, et les différences opposant, les deux types, puis les confronte aux types de développement dans le reste de l'Europe. La comparaison permet d'évaluer le rôle joué par divers facteurs (les traditions d'avant-guerre, le marché du travail, le conservatisme de l'université, les régimes politiques existant) dans le développement institutionnel de la sociologie de l'après-guerre en Europe. Enfin, l'article interroge l'influence des régimes de type soviétique sur le développement des sociologies locales ainsi que la pertinence du clivage entre Est et Ouest dans le paysage sociologique en Europe entre 1945 et 1989.The paper aims at evaluating the place of sociology in Central and East European societies after the World War ii, basing itself on a comparative research into the discipline's institutionalization. It uses a set of four indicators to describe sociology's institutional progress in countries of the Soviet Bloc in Europe. Two types of deve-lopment are distinguished: the rapid « Revisionist » type, and the late « Soviet » type. After discussing some common features of sociology in the communist Europe and the main differences between the two types, the paper confronts them with the types of development in the rest of Europe. Building on this comparison, the paper discusses the roles diverse factors (pre-war traditions, professional job market, conservatism of the academia, and the political regimes) played in determining sociology's institutional progress after World War ii in Europe. It concludes by addressing the questions how did the Soviet-type regimes influence the development of sociology, and to which extent did the East-West divide really dominate the landscape of European sociology between 1945 and 1989.
- Un héritage devenu projet : la philosophie sociale de Sartre - Louis Pinto p. 115-135 Les sciences sociales en France doivent compter avec les résistances que lui opposent notamment les philosophes qui se posent en défenseurs de la position éminente de cette discipline dans l'espace des disciplines académiques. À travers ses hiérarchies, ses valeurs et surtout les schèmes cognitifs et rhétoriques qui structurent le travail d'apprentissage, l'École tend à doter les agents d'une conception de la philosophie conforme à la formule scolaire mise au point il y a plus d'un siècle dans un contexte très singulier. Étant la « discipline du couronnement », située au-dessus des savoirs, des autres disciplines, la philosophie se veut discours sur les fondements.Le cas de Sartre est d'un intérêt majeur en ce qu'il offre une illustration des tensions entre l'héritage scolaire et la quête d'originalité qui peut comporter, entre autres défis, celui d'avoir à se situer sur le terrain des sciences sociales. Si l'intérêt de Sartre pour ces disciplines était très réel, on peut comprendre certains aspects de son œuvre (autrui, la dialectique) comme un effort pour préserver les hiérarchies philosophiques.The social sciences in France must deal with resistances to it notably from philosophers who pose as defenders of the prominent position of their discipline in the space of academic disciplines. Through its hierarchies, its values and especially its rhetorical and cognitive patterns, the school tends to provide agents with a conception of philosophy elaborated more than a century ago. Being the « highest discipline », located above the knowledge of other disciplines, philosophy pretnds to be a discourse on the ultimate principles.The case of Sartre is of a major interest insofar as it provides an illustration of the tensions between the legacy of the school and the quest for originality which may include, among other challenges, to exist, at least theoretically, on the ground of the social sciences. If Sartre's interest in these disciplines was very strong, we can understand some aspects of his work (others, the dialectic) as an effort to preserve the philosophical hierarchies.
- « Comment en finir avec une tradition dominante ? » : rupture et continuité dans la trajectoire de Jean Stoetzel - Guillaume Stankiewicz p. 137-158 En tant qu'importateur en France de sciences sociales américaines empiriques et appliquées, Jean Stoetzel est présenté comme un des agents de la rupture avec le durkheimisme après la Deuxième Guerre mondiale, mais il est par ailleurs resté fidèle à des influences spiritualistes et personnalistes. Sa trajectoire se caractérise en effet par une propension à concilier des partis pris et des positions qui d'ordinaire s'excluent mutuellement et son « ambivalence intellectuelle » aide à comprendre sa position à la frontière du monde académique et de l'expertise. Appliquées et imprégnées de philosophie personnaliste, de telles sciences sociales s'inscrivent dans les mouvements intellectuels des années 1930 et, à leur suite, des tendances planificatrices et moder-nisatrices du patronat et de la haute fonction publique qui émergent sous l'Occupation et après-guerre et dont elles rencontrent les préoccupations et les demandes.As the importer of American empiricist and applied social sciences in France, Jean Stoetzel is perceived as an architect of the rupture with Durkheim's sociology after the Second World War, but he also remained faithful to spiritualistic and perso-nalistic influences. His career is distinguished by a tendency to reconcile preferences and positions which are usually mutually exclusive and his « intellectual ambivalence » helps to understand his position on the borders between the academic world and world of expertise. Impregnated with personalistic philosophy, these social sciences fit in with the intellectual movements of the 30's, beyond they partake of the technocratic and modernizing tendencies of the employers and of the high public service which rose up during the Occupation and after the second world-war and they meet their preoccupations and their demands.
- La fabrique d'un classique français : le cas de « Weber » - Michael Gemperle p. 159-177 Notre étude montre la spécificité du travail de fabrication et de consécration sociologique de « Weber » dans le contexte français. Dans les années 1960, étant donné la place centrale de « Weber » dans la sociologie étasunienne et la force d?attraction de celle-ci en France, il devient, en très peu de temps, un auteur consacré de la sociologie française. Pourtant, la raison pour laquelle il acquiert le statut de « sociologue par excellence » est plutôt liée aux conditions spécifiquement sociales, politiques et intellectuelles de la France de cette époque. En particulier, la consécration de « Weber » est rendue possible grâce aux dispositions et ressources spécifiques de son importateur Raymond Aron et notamment son alliance avec Éric de Dampierre, responsable du projet de traduction de l'œuvre de l'auteur allemand chez Plon. L'article révèle dans un premier temps le processus de sélection et de marquage de « Weber »par Aron dans le contexte de l'institutionnalisation de la sociologie autour de 1960. À partir d?un recensement des occurrences des références à « Weber » dans la Revue Française de Sociologie et dans les Archives Européennes de Sociologie dans les années 1960, il discute enfin des raisons de la diminution de sa reconnaissance comme symbole « antipositiviste », « antimarxisme » et « universitaire » vers la fin de cette décennie.Our study shows the specificity of the work of fabrication and sociological sanctification of « Weber » in France. Given the central place of « Weber » in the US-American sociology and the force of attraction of American sociology among French sociologists in the nineteen-sixties, the German author becomes sanctified. Though, the actual reason for achieving in very little time the status of the « sociologist par excellence » is rather due to the specific social, political and intellectual conditions in France at that time. The sanctification of « Weber » gets possible especially thanks to the dispositions and resources of its import agent Raymond Aron and particularly his alliance with Éric de Dampierre, the person in charge of the translation project of the work of the German author at the publishing house Plon. The article reveals first the process of selection and marking of « Weber » by Aron in the context of the institutionalization of French sociology around 1960. Starting from a count of the occurrence of references to « Weber » in the Revue Française de Sociologie and the Archives Européennes de Sociology in the nineteen-sixties, it discusses then the reasons of the fading of his recognition as a « antipositivist », « antimarxist » and « academic » symbol towards the end of the decade.
- Les fonctions idéologiques des statistiques confessionnelles et ethniques dans la Hongrie post-féodale (1867-1948) - Victor Karady p. 17-34
Varia
- La production de la connaissance sociologique à propos de l'Amérique latine durant les années 1960 aux États-Unis - Dimitri della Faille p. 179-201 Dans notre article nous présentons notre analyse de plusieurs sources documentaires portant sur la production institutionnelle de la connaissance sociologique aux États-Unis durant les années 1960 ayant comme objet l'Amérique latine. Nous examinons la pertinence de la sociologie au sein des études latino-américaines. Nous présentons une typologie des différentes recherches. Nous analysons les sources du financement de ces recherches. Nous examinons les zones et pays d'intérêt de la sociologie de l'Amérique latine ensuite, nous dégageons les différentes thématiques de ces projets de recherche. En conclusion, nous présentons l'état de la recherche durant les années 1960 dans le contexte plus large du xxe siècle.In our paper we are presenting our analysis of several documentary sources. Our paper has the institutional production of sociological knowledge about Latin America in the United States during the 1960's as subject. We are examining the relevance of Sociology within Latin American Studies. We are presenting a typology of the studied researches. We are examining the zones and countries of interest within the Sociology of Latin America for which we are also outlining the themes of research. In conclusion, we are presenting the state of research during the 1960's in the larger context of the Twentieth Century.
- Eugène Véron : contribution à une histoire de l'esthétique au temps de Spencer et Monet (1860-1890) - Jean Colrat p. 203-228 L'histoire de l'Esthétique en France connut vers 1880 un afflux de publications aujourd'hui oubliées. Si parmi ces écrits certains se distinguent peu de Winckelmann ou de Quatremère de Quincy, cet essor est essentiellement dû à une modification profonde de l'Esthétique, qui voulut prendre alors une forme scientifique. Sans constituer un groupe homogène, Jean-Marie Guyau, Gabriel Séailles, Eugène Véron et d'autres écrivirent une esthétique d'un genre nouveau, dont les principes étaient le refus de se définir à partir d'une idée du Beau et le souci de prendre en compte les connaissances nouvelles de la physiologie, de la psychologie et de l'anthropologie. Face au développement et à la valorisation des sciences expérimentales, l'esthétique prit alors un tournant positiviste, en France mais aussi en Europe.L'Esthétique d'Eugène Véron, historien, philosophe, journaliste et directeur de revues d'art, appartient à cette rupture épistémologique dont elle manifeste la plupart des caractéristiques. Elle montre comment s'unirent alors l'adoption d'un paradigme scientifique, la valorisation d'un art expressionniste et une vision de l'histoire associée à la gauche libérale.Around 1880, many studies in Aesthetics were published in France. They are now quite forgotten. Some of them were little different from the works of Winckelmann or Quatremère de Quincy, but the main reason of this increase is a deep modification in methods and principles wich sought to give Aesthtetics a true scientific approach. Jean-Marie Guyau, Gabriel Séailles, Eugène Véron and others are not an homogeneous group, but they all wrote a new Aesthetics, wich principles were the refusal of any metaphysical idea of Beauty and the willingness to make use of the discoveries in Physiology, Psychology and Anthropology. With this development and valorization of experimental sciences, Aesthteics took a positivist turn, in France as in Europe.Eugène Véron, historian, philosopher, journalist and director of art reviews, contributes to this epistemologic change of paradigm and wrote in 1878 an Esthétique that reveals most of its caracteristics : the experimental sciences as a foundation and an ideal, the valorization of an expressionistic art and a left leaning liberal theory of History.
- La production de la connaissance sociologique à propos de l'Amérique latine durant les années 1960 aux États-Unis - Dimitri della Faille p. 179-201
Livres
- Livres - p. 229-241