Contenu du sommaire : Histoire des savoirs policiers en Europe (XVIIIe-XXe siècles)

Revue Revue d'histoire des sciences humaines Mir@bel
Numéro no 19, 2008
Titre du numéro Histoire des savoirs policiers en Europe (XVIIIe-XXe siècles)
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Dossier  : Histoire des savoirs policiers en Europe (XVIIIe-XXe siècles)

    • Introduction : Que sait la police ? - Vincent Denis p. 3-9 accès libre
    • Modalités et enjeux de la circulation des savoirs policiers : un modèle français pour la police ottomane ? - Noémi Lévy p. 11-27 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Sujet encore peu exploré pour l'espace ottoman, la circulation des savoirs policiers constitue pourtant une dimension importante de la création d'une police moderne dans l'Empire au tournant des XIXe et XXe siècles. Cet article pose la question des modalités et enjeux des transferts de savoirs policiers entre la France, référence privilégiée en matière policière, et l'Empire ottoman. Il met en évidence deux vecteurs de la transmission : les experts français, appelés par le sultan, pour réformer la police de la capitale et les traductions d'écrits policiers (mémoires et ouvrages scientifiques), qui permettent une familiarisation de la police ottomane avec des savoirs et pratiques étrangers. Il s'interroge aussi sur les raisons et les limites de la préférence française, en soulignant les enjeux qui s'attachent à la définition d'un modèle policier adapté à la configuration politique et sociale de l'Empire ottoman.
      Although it is still a little-known topic, the circulation of police knowledge is an important element in the creation of a modern police in the late Ottoman Empire. This paper deals with the modalities and stakes of the transfer of police knowledge between France – the chosen reference for police matters – and the Ottoman Empire. It points out two vectors for the transmission of knowledge: the French experts called by the sultan in order to reform the police in the capital and the translations of police texts (memoirs and scientific works), which allowed the Ottoman police to get acquainted with foreign sciences and practices. It also questions the reasons and limits of the French choice, pointing out what was at stake in the definition of a police model which fitted the political and social configuration of the Ottoman Empire.
    • La formation d'un savoir composite : les enquêtes sur l'opinion sous la monarchie constitutionnelle (1814-1848) - Pierre Karila-Cohen p. 29-49 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Sous la Restauration et la monarchie de Juillet, les enquêtes administratives sur « l'esprit public », « l'opinion publique », la « situation morale et politique » se multiplient. L'objet de cet article consiste à montrer que le savoir politique et administratif qui se constitue au travers de ces rapports écrits, la plupart du temps, par les préfets, emprunte à trois sources au moins : la tradition statistique, qui caractérise l'État depuis le Moyen Âge, la surveillance policière, associée au nom de Fouché et les enquêtes sociales qui se développent dans les mêmes années avec, notamment, les publications de Villermé. Dans tous les cas, l'enquête politique en formation trouve dans ces types de savoirs à la fois des modèles et des repoussoirs. Elle assigne à l'État un nouveau champ d'investigation, typique de l'âge parlementaire : les idées et les sentiments politiques des Français.
      Under Restoration and July monarchy, more and more administrative investigations on « public spirit », « public opinion », « moral and political situation » are led in France by the State. This article seeks to demonstrate that the construction of this political and administrative knowledge in the reports of the servants of the State, mainly the prefects, derives from three sources at least : the statistical tradition, characterizing State since Middle Age, the police surveillance, associated with the name of Fouché, and the social surveys that flourish at this time in particularly with the publications of Villermé. In all cases, the forming political surveys imitate these models, but also break deeply with them. They draw the limits of a new field of investigation for the State, typical of the parliamentary age : the political ideas and feelings of the French people.
    • L'œil et la mémoire : réflexions sur les compétences et les savoirs policiers à la fin du XVIIIe siècle, d'après les « papiers » du lieutenant général Lenoir - Vincent Milliot p. 51-73 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Rédigés de 1790 à 1806, les « papiers » du lieutenant de police Lenoir constituent une somme de connaissances sur la police parisienne à la veille de la Révolution. Ce document, inédit, traduit ce que la police aurait accepté de porter à la connaissance de la population, ce qu'elle aurait pu révéler de ses pratiques et de ses finalités, de son organisation et de sa manière de collecter de l'information pour mieux agir. Le savoir de la police de Paris apparaît dans une triple perspective. Il participe d'abord de la construction d'une « mémoire de l'État », que la police veut facilement utilisable grâce à la production systématique de registres et de répertoires. Le savoir de la police se définit ensuite comme devant être le plus « total » possible, d'où la double volonté de mettre en place un enregistrement généralisé des populations et de disposer de l'aide de nombreux « auxiliaires » pour l'informer. La police, enfin, doit « savoir » ce qu'elle fait. Ses acteurs sont des professionnels qui acquièrent un « métier » et des spécialités, qui respectent certaines procédures éloignant de l'arbitraire. La production de ce savoir, utile et nécessaire au fonctionnement des rouages policiers et à son action sur le corps social, dépend de plus en plus de la maîtrise de « savoirs techniques », fondement d'une nouvelle identité professionnelle et d'une légitimité accrue auprès des populations.
      Written between 1790 and 1806, the « papers » of senior police officer Lenoir constitute a comprehensive survey about Parisian police on the eve of the French Revolution. This unpublished document expresses what the police would have found acceptable to bring to the population's attention, what they could have revealed of their practical experiences, of their organization and of the way they collected information in order to act better. The Parisian police knowledge can be seen from three angles. It first takes part in the construction of a « State memory » that the police want to be easily usable thanks to the systematic production of lists and registers. The police knowledge then defines itself as having to be the most « complete » it can possibly be, therefore they wish to put both a registration of the population into general use and to be aided in the gathering of this information by numerous « auxiliaries ». Ultimately the police need to know what they are doing. Their « members » are professionals who acquire skills and experience and who adopt some procedures to avoid an arbitrary approach. This knowledge production is useful and necessary to the functioning of police structures and to their action on the body of the population and depends more and more on the « technical skills » control, the foundation of a new professional identity and of an increased legitimacy towards the population.
    • Circulations et élaborations d'un mode d'action policier : la police en tenue à Paris, d'une police « londonienne » au « modèle parisien » (1850-1914) - Quentin Deluermoz p. 75-90 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article s'intéresse à la circulation de l'organisation londonienne de la police métropolitaine visible depuis la capitale anglaise vers Paris. Loin de se réduire à une simple copie, ce transfert procède d'un temps long des emprunts policiers, des relations franco-anglaises et des réinterprétations parisiennes qui en redessinent le sens et les attentes. Cette forme de police est d'ailleurs rapidement réappropriée par les institutions comme par les habitants, puis, à la fin du siècle, s'affirme à son tour comme « modèle policier » face aux autres métropoles occidentales. Ce parcours croisé invite ainsi à réfléchir sur les modes de connaissance des expériences étrangères en matière de police, à s'interroger sur l'historicité de la notion de « modèle » et à observer, à plus grande échelle, comment ces croisements successifs mettent peu à peu en place un cadre et des éléments-type d'une police urbaine visible, qui sont associés dans le regard occidental à l'idée de civilisation métropolitaine.
      This paper focuses on the transfer of the London Metropolitan Police model from the English capital to Paris. Far from being reduced to a simple copy, this transfer is part of a long tradition of contacts between the police, of Franco-English relations and of Parisian reinterpretations. This type of police force is quickly reappropriated by the institutions as by the inhabitants, then, at the end of the century, turns itself in a new « police model » for the other Western cities. This process thus invites to think about the way foreign experiments as regards police force were known and perceived. We can consider also the historicity of the concept of « model » and observe, at a larger scale, how these successive crosses established a framework and element-type of a visible police urban force, which are associated in the Western thought with the idea of metropolitan civilization.
    • Comment le savoir vient aux policiers : l'exemple des techniques d'identification en France, des Lumières à la Restauration - Vincent Denis p. 91-105 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les compétences que met en jeu la police dans son action sont éminemment pratiques et difficiles à appréhender, tout particulièrement au XVIIIe et au début du XIXe siècle. À partir de l'exemple d'un type particulier de savoir policier, qui porte sur les techniques d'identification des personnes en France, on peut tenter de comprendre comment et par quels acteurs sont créés ces savoirs spécifiques. Le cas des techniques policières d'identification montre que les policiers importent des compétences venues d'autres domaines (administrations, savoirs scientifiques) mais sont également capables d'améliorer leurs propres instruments de façon autonome. L'importation des savoirs extérieurs est due à la diversité des parcours professionnels antérieurs des agents de la police, mais aussi à l'absence de formation unificatrice. En dépit du maintien de l'apprentissage pratique dans la formation, la documentation écrite s'affirme déjà dans les modes de transmission du savoir professionnel.
      The knowledge and professional skills used by the police are essentially practical, especially during the 18th and the beginning of the 19th century. By studying the case of identification techniques used by the police at that time, we can understand how and by what agents this sort of knowledge and skills were developped. The police imported professional techniques from the administrative or scientific sphere. But soon they were able to improve their professional tools on their own way. This importation was facilitated by the intermediate position of some police officers between different the police and other social worlds, the variety of the careers police officers embraced before joining the police forces and the lack of any unifying training. Although practical training was still predominant, a growing number of written documents were composed to convey professional police knowledge.
  • Document

  • Varia

    • « Transformer la société par l'enseignement social ». : La trajectoire de Dick May entre littérature, sociologie et journalisme - Vincent Goulet p. 117-142 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En 1899, alors que le journalisme ne s'est pas encore professionnalisé ni la sociologie institutionnalisée, Dick May, une femme de lettres « convertie » à la science sociale, crée la première école de journalisme en France dans le cadre d'une école consacrée à « l'enseignement social ». Dans un pays en crise après la séquence boulangiste, l'affaire des « chéquards » de Panama et l'affaire Dreyfus, l'enseignement et la diffusion des sciences sociales apparaît au milieu progressiste de la petite bourgeoisie intellectuelle parisienne comme un moyen de participer à la régénération de la société française. La science et la raison devaient nécessairement réconcilier avec elle-même une nation divisée : « d'ici à dix ans, nos étudiants auront couvert la France de missions laïques et transmis jusqu'au fond des provinces notre parole de vérité ». Inscrite dans le mouvement des Universités populaires, les institutions créées par Dick May échoueront à populariser véritablement un « enseignement social », alors que les durkheimiens choisiront d'inscrire la sociologie dans un cadre universitaire.
      In 1899, when journalism was not yet « professionalized » and sociology not yet institutionalized, Dick May, a woman writer who became converted to the social sciences, founded the first French school of journalism within the framework of a school devoted to « social teaching ». France was in crisis after the Boulangism, the political and financial scandals of Panama and the Dreyfus Affair. The progressive Parisian intellectual middle class believed that teaching social sciences was one way to regenerate French society. Science and reason would necessarily help the nation to unite once again : « in ten years, ours students will have covered our country with lay missions and transmitted our word of truth to all the provinces ». Initially part of the Popular University movement, the School of Journalism of Dick May will not reach its aim, when Durkheim and his friends introduce sociology at the University.
    • Organicisme et théorie des classes sociales chez Simiand et Halbwachs : un héritage caché de Durkheim ? - Jean-Christophe Marcel p. 143-160 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En reprenant les références faites par Durkheim à l'organicisme social dans La division du travail social, cet article interroge les bases épistémologiques de la théorie des classes sociales élaborée plus tard par François Simiand et Maurice Halbwachs. Il en ressort que dans la continuité de la morphologie sociale durkheimienne la société de classes de Simiand et Halbwachs peut aussi être comprise comme une organisation aux prises avec la lutte pour l'existence, s'efforçant de s'adapter à son environnement. Dans cette lutte toutes les classes ne sont pas à égalité, certaines jouant un rôle plus essentiel au maintien de l'intégrité de la société. Il en résulte que la hiérarchie sociale peut aussi être pensée en termes d'évolution différenciée de types sociaux plus ou moins engagés dans le mouvement de la civilisation.
      Considering the use Durkheim made of the organicist theory in his book about The Division of Labour, this article aims at questioning the epistemological grounds of Halbwachs' and Simiand's theories of social classes. One could read them as a continuity of Durkheim's former program of social morphology, where society is an organisation struggling for life. In this struggle, social classes are several social types, more or less important to impulse the vital movement of the society. In this way civilization is the evolution of the society trying to acclimate its groups to the natural and social environment.
    • La sociologie américaine : sociodicée ou science critique ? : Le cas de la mobilité sociale ascendante - Patrick Massa p. 161-196 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les États-Unis aiment à se présenter comme une « société ouverte » offrant à tous des occasions d'ascension sociale sans limites. Durant les Trente Glorieuses, la prospérité économique n'a pu que réactiver ce credo typique de l'American Dream. Il n'est donc pas surprenant que la sociologie universitaire d'outre-Atlantique ait fait de l'examen de la question de la mobilité sociale une de ses priorités. Loin de partager naïvement les croyances de leurs compatriotes, les sociologues américains ont apporté un éclairage très critique sur le sujet, dressant par exemple un portrait peu flatteur du self-made man ou révisant à la baisse l'évaluation des flux de mobilité ascendante. Or, les intellectuels français de l'époque, souvent influencés par le marxisme, ont récusé comme conformiste cette sociologie au lieu de s'en approprier les acquis pour enrichir leur réflexion sur les classes sociales et les facteurs de l'action collective et pour justifier leur contestation de l'ordre social existant. S'interroger sur les raisons d'un tel refus a donc semblé nécessaire.
      The United States likes to introduce itself as an « opened society » which offers opportunities of unlimited upward mobility for everyone. During the thirty-year boom period after World War ii (During the « 30 Glorieuses »), the economic propserity has reactivated this typical creed of the American Dream. It is therefore no surprise that the American academic sociology should have made the examination of the question of social mobility one of its priorities. Far from naïvely sharing their fellows' beliefs, American sociologists have shed critical light on the issue: for example they drew a rather unflattering portrait of the self-made man or they belittled the assessment of the flow of upward mobility. However, at the time, French intellectuals who were often influenced by Marxism, blamed this sociology for being conformist instead of integrating its assets in order to enrich its thought on social classes and factors of concerted action; and in order to justify their protest against the existing social order. It has therefore seemed necessary to raise the question of such a refusal.
    • La Psychologie des peuples de Heymann Steinthal et Moritz Lazarus : ou les sciences de la culture comme « religion de l'humanité » à Berlin (1850-1890) - Céline Trautmann-Waller p. 197-209 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Abordant successivement les religions comme objet de la « psychologie des peuples » de Heymann Steinthal et Moritz Lazarus (Zeitschrift für Völkerpsychologie und Sprachwissenschaft, 1859-1890), le rôle que le judaïsme y joue comme moteur de l'analyse et l'horizon normatif d'une des premières formes de « Culturwissenschaft », cet article étudie les rapports complexes entre science et religion qui marquèrent l'émergence des sciences de la culture dans l'Allemagne du xixe siècle.
      Examining first how religions were made objects of the « folk-psychology » of Heymann Steinthal and Moritz Lazarus (Zeitschrift für Völkerpsychologie und Sprachwissenschaft, 1859-1890), then the role judaism played in this process as a motor of analysis and the normativity of one of the first figures of « Culturwissenschaft », this article studies the complex relations between science and religion which marked the emergence of cultural sciences in 19th century Germany.
  • Note critique