Contenu du sommaire : La médecine légale entre doctrines et pratiques
Revue | Revue d'histoire des sciences humaines |
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Numéro | no 22, 2010 |
Titre du numéro | La médecine légale entre doctrines et pratiques |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier : La médecine légale entre doctrines et pratiques
- La médecine légale entre doctrines et pratiques - Michel Porret p. 3-15
- Médecine légale et investigation judiciaire : expérimenter le poison sur les animaux en Italie à l'époque moderne - Alessandro Pastore p. 17-35 À partir de la Renaissance, et durant toute la période moderne, la question de la nature des substances toxiques est vivement débattue dans les milieux savants. Les médecins et les chirurgiens – cherchant à découvrir comment détecter les traces de poison et à identifier la cause de la mort à partir du contenu du corps ou de l'estomac d'une victime présumée – entreprennent de nombreux essais et expériences sur les animaux et sur les êtres humains.L'article explore l'histoire de l'expérimentation animale en Italie au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. La 1ère partie examine les documents relatifs aux expériences effectuées à Bologne et à Venise ; ces derniers témoignent de l'importance cruciale de l'expertise médicale dans les démarches de la justice criminelle et de celle des traités médicaux qui décrivent l'utilisation des pigeons, des porcs, des poulets ou d'autres « animaux de laboratoire » pour examiner les aliments ou la substance organique suspects ingérés par les cadavres. La 2e partie de l'article recense le cheminement des études de toxicologie entreprises au xviiie siècle, à Florence, par les médecins et les scientifiques dont la recherche sur les effets des poisons s'est prolongée bien au-delà de la tradition des études d'histoire naturelle pratiquée par une élite aristocratique.Les nouvelles expériences observées ici contribuent au développement de la science moderne de la toxicologie et sont à considérer dans un large espace culturel qui s'étend entre Florence, Londres et Paris.During the Renaissance and early modern period there was much scholarly discussion on the nature of poisonous substances, and tests and experiments were widely conducted on animals and human subjects by physicians and surgeons seeking to discover how to detect traces of poison and identify the cause of death from evidence provided by the body or stomach contents of a presumed victim. This article will explore the history of animal experimentation in Italy during the 17th and 18th centuries. The first part will examine documents pertaining to trials held in Bologna and Venice in which expert medical testimony played a crucial role in the criminal proceedings, and medical treatises that describe the use of chickens, pigeons, pigs and other « laboratory animals » to test suspicious foods or organic material taken from cadavers. The second part of the article will review pioneering toxicology studies conducted in the 18th century by physicians and scientists in Florence, whose research on the effects of poisons extended well beyond the tradition of aristocratic intellectuals engaged in studies of natural history. Their experiments would contribute to the development of the modern science of toxicology and should be viewed in the context of the broad network of cultural ties that sprang up between Florence, London and Paris.
- La preuve du corps - Michel Porret p. 37-60 Sous l'Ancien Régime, réglementée par de nombreuses lois, la médecine légale que pratiquent les experts assermentés du corps violenté (matrones, chirurgiens, médecins) marque le droit de punir. Sur la scène judiciaire, sur celle du suicide, les experts du corps violenté naturalisent la violence corporelle dans des protocoles d'enquête pour objectiver toutes les circonstances matérielles du crime. De ce fait, avant la période de légalité des délits et des peines (1791), l'arbitraire est endigué par la mise en preuve du corps violenté qui suscite une jurisprudence médico-légale.Under the Ancien Régime, the forensic medicine of the wounded or death body is regulated by numerous laws. The practice of the sworn experts (stout women, surgeons, doctors) marks the criminal justice. On the judicial stage, on that of the suicide, the experts diagnose positively the physical violence in numerous protocols of criminal investigation. So, they make objective all the material circumstances of the crime. Therefore, before the period of legality of the offences and the punishments (1791), the arbitrary power is guided by the stake in proof of the raped body which arouses a forensic case law.
- Écrire l'histoire de la médecine légale. : L'apport des manuels de Foderé à Lacassagne - Vincent Zuberbuhler p. 61-77 À la fin du XVIIIe siècle, en plein essor de la médecine légale moderne, plusieurs médecins cherchent à replacer cette discipline dans le contexte de sa genèse historique. De François Emmanuel Foderé (1764-1835) à Alexandre Lacassagne (1843-1924), écrire l'histoire de la médecine légale devient ainsi un véritable topos introductif au sein de la littérature médico-légale. Loin d'être anecdotique, cette démarche historiciste valide en réalité le projet médico-légal issu des Lumières et en traduit les enjeux. En retraçant l'évolution de ce phénomène entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XXe siècle, cet article nous amène à réfléchir sur la fonction légitimatrice occupée par l'histoire de la médecine légale au sein des traités. Plus généralement, il permet de mettre en lumière les mutations qui travaillent le champ médico-légal et de mieux saisir la complexité de la position occupée par une discipline perçue alors par beaucoup comme « nouvelle ».At the end of the 18th century, in the midst of the development of modern legal medicine, several physicians seek to replace this discipline in the context of its historical genesis. From François Emmanuel Foderé (1764-1835) to Alexandre Lacassagne (1843-1924), the writing of the history of legal medicine becomes a veritable introductory topos within the medico-legal literature. Far from being anecdotical, this « historicistic » approach in reality validates the medico-legal project born in the Enlightenment and translated its risks. In retracing the evolution of this phenomenon between the end of the 18th century and the beginning of the 20th, this article invites us to reflect on the legitimating function held by the history of legal medicine at the core of treatises. More generally, it also allows to highlight the changes which affect the medico-legal field and to better grasp the complexity of the position occupied by a discipline perceived then, by many, as « new ».
- Le théâtre de la preuve : Les médecins légistes dans les prétoires (1880-1940) - Frédéric Chauvaud p. 79-97 Les médecins légistes désignés par la justice n'ont pas la possibilité, le jour de l'audience, d'utiliser leurs notes ou d'ouvrir un calepin afin de se remémorer les différentes phases de l'expertise pratiquée. Dans l'espace judicaire français de la cour d'Assises, il s'agit avant tout de s'adresser au jury. C'est lui qui décide du sort de l'accusé en se prononçant sur sa culpabilité et sur les circonstances atténuantes. Les médecins qui ont pratiqué une autopsie ou examiné les victimes doivent donc choisir leurs mots et se montrer capables de se faire comprendre. Il leur est dévolu de restituer ce qui s'est passé, de préciser l'ordre dans lequel les blessures ont été données, d'apporter oralement toutes sortes d'éclaircissements. Certains médecins légistes possèdent un statut et une réputation qui leur donnent un poids très important. Leur autorité semble incontestable et ils parviennent sans mal à convaincre les jurés. En revanche, dès qu'un expert fait part de ses hésitations ou de son trouble, il peut fragiliser l'accusation. Mais l'expert à la barre doit aussi, de temps à autre, sortir de son rôle. Il lui faut répondre aux questions incisives et quelquefois polémiques du procureur, des avocats et parfois même d'un de ses confrères. Si les médecins légistes usent d'arguments logiques, ils peuvent aussi jouer sur les émotions et faire courir un frisson parmi l'assistance. Reste que la qualité de leur prestation orale influe sur les décisions de justice en faisant pencher la balance de la justice d'un côté ou de l'autre.The medical experts appointed by justice do not have the possibility, the day of the audience, to use their notes or to open a note-book in order to remind the various phases of the practised expertise. In French courts' space (« cours d'Assises »), it is essential to speak to the jury. It is him which decides the fate of the defendant while coming to a conclusion on his/her culpability and the extenuating circumstances. The doctors who practiced an autopsy or examined the victims must thus choose their words and be able to render themselves comprehensible. It is reserved for them to restore what occurred, to specify the order in which the wounds were given, to bring all kinds or explanations orally. Some medical experts have a statute and a reputation which give them a very important weight. Their authority seems undeniable and they manage without evil to convince sworn. On the other hand, as soon as an expert announces his hesitations or his disorder, he may weaken the charge. But the expert at the bar must also, from time to time, leave his role. It is necessary for him to answer the incisive and sometimes polemical questions of the prosecutor, lawyers and sometimes even of one of its fellow-members. If the medical experts use logical arguments, they can also exploit the emotions and make run a shiver among the assistance. It remains that the quality of their oral service influences the decisions of court while tipping the scales of the justice on one side or other.
- Sonder l'âme des criminels : expertise mentale et justice subjective au tournant des années 1860 - Laurence Guignard p. 99-116 L'essor de la psychiatrie à l'époque contemporaine transforme la pratique de l'expertise médico-légale de l'aliénation mentale. Initialement sollicités pour appliquer l'article 64 du code pénal sur l'irresponsabilité pénale des déments, les experts se trouvent au cœur d'importantes mutations de l'institution judiciaire qui vont favoriser leur activité. La question de la responsabilité pénale devient en effet cruciale devant la justice morale du premier xixe siècle, alors que les peines s'individualisent et laissent une place croissante à la psychologie des inculpés.Cette rencontre entre expertise mentale et justice pénale réclame à la fois une histoire intellectuelle et une histoire des pratiques judiciaire. L'attention réservée aux entretiens médicaux et au rôle des experts dans la production de biographies des inculpés permet de montrer que l'expertise mentale change de nature dans la pratique ordinaire des cours d'assises au tournant des années 1860, faisant du médecin-expert un psychologue au service d'une justice de plus en plus attentive à la personnalité des inculpés.The development of psychiatry during the 19th century transforms the practice of the forensic expertise of insanity. Initially sought to apply the article 64 of the Penal code which deprives the criminal character of the acts committed by insane subjects, the experts find themselves to be in the center of major transformations of the judicial institution. The question of the penal responsibility becomes crucial during the first 19th century and even more when social defence appears as a concern after 1880. He punishments become more individual and give an important role to the psychology of the defendants.This confluence between mental expertise and criminal justice requires at the same time an intellectual history and a history of the judicial practices and the roles which the institution reserves to these experts. The attention reserved for the medical interviews and for the role of the experts in the production of biographies of the criminals allows to show that mental expertise changes is undergoing a change in the common practice of criminal courts in the bend of the 1860s.
- Les mots du médecin légiste, de la salle d'autopsie aux Assises : l'affaire Billoir (1876-1877) - Bruno Bertherat p. 117-144 Au xixe siècle, l'expertise médico-légale occupe une place importante dans la procédure judiciaire criminelle. Cet article a pour but de suivre le discours du médecin légiste de la salle d'autopsie aux Assises et sa réception. Il prend l'exemple de l'affaire Billoir (1876-1877), du nom de Sébastien Billoir, jugé à Paris pour l'assassinat de sa compagne, et dont le succès médiatique s'inscrit dans une véritable culture du crime. L'expert est Georges Bergeron, un habitué de la cour d'Assises. Ses deux principales interventions se situent au début et à la fin du processus judiciaire et portent sur l'autopsie de la victime : il s'agit de son rapport et de sa déposition aux Assises. L'expertise est d'abord l'affirmation d'une compétence scientifique au service de la procédure judiciaire. Les réponses apportées par l'expert s'inscrivent dans un discours qui obéit à des codes et qui évolue au cours de la procédure judiciaire dans la forme et même dans le fond. Ce discours est enfin l'objet d'un enjeu entre l'accusation et la défense, qui culmine au moment d'un procès retentissant. Instrumentalisés par l'accusation, attaqués par la défense, commentés par le public et par la presse, les mots de l'expert révèlent toute une humanité saturée par la tension.In the 19th century, forensic examination plays an important part in the criminal legal procedure. This essay aims at examining the forensic scientist's discourse from the autopsy room to the assizes as well as its reception. It takes as an example the Billoir case (1876-1877), taking its name from Sébastien Billoir who was tried in Paris for the murder of his partner, and whose large media coverage comes within the scope of a real culture of crime. The expert is Georges Bergeron, a regular of the assizes. His two main interventions take place at the beginning and at the end of the legal process and concern the autopsy of the victim: they consist of his report and his evidence at the assizes. The forensic examination is first of all the assertion of a scientific expertise supporting the legal procedure. The answers brought by the expert are part of a discourse which obeys codes and evolves throughout the legal procedure in its form and even in its content. This discourse is finally at stake in the opposition between the prosecution and the defence, which comes to a head during a spectacular trial. Exploited by the prosecution, attacked by the defence, commented upon by the public and the press, the expert's words reveal a whole humanity swamped with tension.
Document
- Genèse d'un travail à deux : « Essai sur la nature et fonction du sacrifice » - Jean-François Bert p. 145-160
Varia
- L'Histoire de l'Humanité de l'UNESCO (1945-2000) - Chloé Maurel p. 161-198 Dès sa création, l'UNESCO entreprend un ambitieux projet intellectuel : celui de faire écrire collectivement par des savants du monde entier une « Histoire de l'Humanité ». Ce projet s?inscrit au carrefour de différentes influences historiographiques, entre « histoire universelle » et World History ; il constitue une entreprise novatrice, à la pointe d?approches et de concepts alors à peine naissants, comme les Area Studies, les Peace Studies ou l'histoire culturelle. L?analyse des étapes de son élaboration permet de saisir ce projet comme un révélateur de son temps : l'universalisme, le positivisme et le pacifisme qui président à son lancement sont caractéristiques de l'atmosphère de l'immédiat après-guerre ; les années 1950-1960 confèrent aux débats les accents de la guerre froide et la question coloniale donne lieu à l'expression de vues divergentes. Les difficultés et les importantes évolutions conceptuelles que connaît le projet au fil de sa réalisation (1945-1969), ainsi que les nouveaux changements apportés lors de la révision de l'ouvrage (2000), attestent qu?écrire une « histoire de l'humanité » est une entreprise vouée à rester un work in progress.From its creation, UNESCO undertook a challenging project : a « History of Mankind » to be written by scholars from the whole world. This enterprise was innovative. It was in line with many historiographical trends, like « universal history », but also (then) new trends like « world history », « area studies », « peace studies », « cultural history ». Through the many steps of its realization, this project is revealing of its time: universalism, positivism and pacifism which inspired its setting up are a feature of immediate post-war period; in the 1950s and 1960s, cold war and colonial questions aroused fierce disagreements and conflicts among its writers. Along its realization (1945-1969), the project met difficulties and it underwent important evolutions in its guidelines. Besides, long-range changes were executed when the book was revised in 2000. This attests that writing a « History of Mankind » is doomed to always remain a « work in progress ».
- Les villes de Robert Ezra Park : pour une périodisation de sa conception de la métropole (1915-1939) - Coline Ruwet p. 199-220 Robert Ezra Park est souvent présenté comme le père fondateur de la sociologie urbaine aux États-Unis. S'il est indéniable que ces travaux sur la ville participent d'un programme de recherche cohérent, il n'en reste pas moins que des inflexions certaines apparaissent lorsque l'on examine cette production de plus près. L'analyse de ses écrits permet de distinguer trois grandes périodes caractérisées par des acceptions différentes de la ville entre 1915, année où il publie The City son premier article sur la ville, et 1939 – date à laquelle il rédige son dernier article sur cette thématique, The City as a Natural Phenomenon. La présente étude est consacrée à décrire les différentes étapes de la pensée de Park sur la ville. Elle insiste particulièrement sur les influences extra-théoriques à l'origine des transformations de sa conception et de sa définition de la métropole.Robert Ezra Park is often identified as one of the founders of urban sociology in the United States. While it is undeniable that the work on the city partake of a coherent research program, the fact remains that certain inflections appear when considering production more closely. Analysing Park's writings between 1915, when he published The City his first article on the metropolis, and 1939, the date of his final paper on this theme, The City as a Natural Phenomenon, we can distinguish three major periods, each of which is characterised by a different conceptualisation of the city. This study attempts to describe the different stages in the development of Park's thinking about the city. It insists on the extra-theoretical influences at the root of the transformations in his conception and definition of the metropolis.
- L'Histoire de l'Humanité de l'UNESCO (1945-2000) - Chloé Maurel p. 161-198
Note critique
- Musique et sciences humaines : nouvelles rencontres - Frédéric Keck p. 221-227
- Le darwinisme au regard de l'orthodoxie catholique : un manuscrit exhumé - Fanny Defrance-Jublot p. 229-237
Livres
- Livres - p. 239-255