Contenu du sommaire : Addictions et monde du travail
Revue | Psychotropes : Revue internationale des toxicomanies et des addictions |
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Numéro | vol. 24, 2018/3 |
Titre du numéro | Addictions et monde du travail |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier : Addictions et monde du travail
- Addictions et monde du travail : Ouverture - Aram Kavciyan p. 5-9
- Et Dieu créa le travail - Michel Hautefeuille p. 11-19 Dans le monde du travail, force est de constater que l'état de santé des entreprises et l'état de santé des salariés ne sont pas forcément compatibles et encore moins complémentaires. Dans nos consultations, nous sommes frappés par les témoignages de véritable maltraitance subie par les salariés sur leur lieu de travail, que ce soit à travers la gestion des espaces, des tâches ou des équipes. L'étymologie du terme « travail » permet d'éclairer d'un jour intéressant ce qui semble être des caractéristiques si particulières au travail. Dans ce milieu pathogène, il est important de faire le diagnostic différentiel entre trois tableaux cliniques : le salarié qui travaille et qui est lui-même addict à quelque chose, le salarié qui se dope pour pouvoir faire face à la performance qui lui est demandée (véritable conduite de dopage), et enfin le salarié dont l'objet de l'addiction est le travail, le workoolique. Autant de tableaux qui méritent des prises en charge adaptées.And God Created Work
In the world of work, it is clear that a company's state of health and the state of health of its employees are not necessarily compatible, let alone complementary. In our consultations, we have been struck by the testimonies of real abuse suffered by employees in their workplaces, whether through the management of spaces, tasks or teams. The etymology of the term “work” makes it possible to shed some interesting light on what seem to be the characteristics particular to work. In this pathogenic environment, it is important to make the differential diagnosis between three clinical pictures: the employee who works and who is himself addicted to something, the employee who is doping him or herself to be able to cope with the performance requested (real doping behaviour), and finally the employee whose object of addiction is work itself, the workaholic. - Le modèle managérial moderne : un taylorisme et une subordination personnalisés - Daniele Linhart p. 21-36 Le modèle managérial moderne se caractérise par de profondes contradictions qui déstabilisent les salariés et les fragilisent. D'un côté, les directions en appellent à l'intelligence, l'intuition, la réactivité des salariés (mis en concurrence entre eux) et de l'autre elles les entravent par des dispositifs de contrainte et de contrôle (process, procédures, protocoles, méthodologies, bonnes pratiques imposés). La pratique du changement permanent, qui crée une obsolescence systématique des savoirs et de l'expérience des salariés, les dépossède par ailleurs de toute légitimité à contester le modèle et renforce la subordination.The Modern Managerial Model: Taylorism and Custom Subordination
The modern managerial model is characterised by deep contradictions that destabilise and weaken employees. On the one hand, the managers call upon intelligence, intuition and the reactivity of the employees (by putting them in competition with each other) and on the other hand, they hinder them by means of constraint and control (process, procedures, protocols methodologies, good practices imposed). The practice of permanent change, which creates systematic obsolescence of the knowledge and experience of employees, dispossesses them of any legitimacy to challenge the model and reinforces subordination. - Observance et vécu des traitements de substitution aux opiacés dans le milieu professionnel : étude auprès de patients suivis en CSAPA - Arnaud Trabuc p. 37-47 Diverses études ont cherché à comprendre le vécu des patients sous TSO mais aucune ne semble cibler le milieu professionnel. Nous avons donc réalisé une étude qualitative à visée exploratoire à partir de patients suivis à l'hôpital Marmottan, centre spécialisé en addictologie situé à Paris. L'objectif était double : explorer l'observance en milieu professionnel des traitements de substitution aux opiacés et le vécu de ces thérapeutiques dans ce contexte. Les thèmes abordés lors des entretiens se sont regroupés autour de cinq axes : les effets des traitements ressentis au travail, la peur du manque, « en parler ou ne pas en parler ? », la peur de la stigmatisation, le sentiment de décalage parmi les « normaux ».Observance and Experience of Opioid Substitution Treatments in the Workplace: Study with Patients observed in an Addiction Treatment CentreSeveral studies have sought to study the experience of patients under OST but none seems to consider the professional environment. We therefore conducted a qualitative exploratory study of patients followed at the Marmottan hospital, a specialised addiction centre located in Paris. The aim was twofold: to explore the professional observation of opiate substitution treatments and the experience of these therapies in this context. The topics covered during the interviews were grouped around those axes: the effects of treatments experienced at work, the fear of lack of opioids, “to talk about it or not to talk about it?”, and the fear of stigma.
- Consommations de substances psychoactives des étudiants en médecine de France - Aliénor Bourbon p. 49-56 La consommation de substances psychoactives est un marqueur de risque suicidaire et de syndrome d'épuisement professionnel (burn-out), vécu par 49 % des médecins français (Kansoun et al., 2019). Cependant, aucune étude nationale française sur les consommations des étudiants en médecine français n'avait été réalisée. C'est pourquoi j'ai réalisé ma thèse d'exercice de spécialiste en médecine générale sur ce sujet : prévalence de la consommation de substances psychoactives chez les étudiants en médecine de France métropolitaine en 2016-2017. Ce recueil de données nous a permis de comparer plusieurs populations au regard de leur temps de travail, de facteurs de risque psychosociaux et de leurs consommations de substances psychoactives au cours de leurs études de médecine : hommes / femmes, internes en psychiatrie / internes d'autres spécialités, fumeurs / non-fumeurs, étudiants ayant un suivi psychiatrique et/ou psychologique / étudiants n'ayant pas de suivi. En voici une partie des résultats.Substance use among French Medical Students
Substance use is a suicidal and burn out risk factor, experienced by 49% of French physicians (Kansoun et al., 2019). To date, no French study has been carried out on this topic. That is why I chose to work on it for my general practitioner doctoral thesis, Prevalence of Substance Use among French Medical Students 2016-2017. Next, a database was used to compare several populations, regarding their work time, their psychosocial risk factors, and their substance use during their medical studies: men / women, interns in psychiatry / interns in other specialities, smokers / non-smokers, students followed-up by psychiatrist and/or a psychologist / students without any follow-up. Here is a part of the results. - Discuter et transformer le travail pour réguler les conduites addictives des professionnels - Gladys Lutz, Laurence Arguillère, Caroline Barbaste, Laurence Emin, Patrick Fouilland, Marine Gaubert, Anne Peltier, Barbara Rampillon, Isabelle Robert, Florence Poupon, Pascale Page p. 57-82 Les conduites addictives s'imposent comme une question de santé au travail. Dans ce cadre, nous posons deux constats. D'une part, les consommations de psychotropes sont conjointement des facteurs et des symptômes de risques professionnels à évaluer. D'autre part, les pratiques de prévention ignorent cette investigation et se focalisent sur une amélioration a priori des savoirs et des conduites. Nous défendons l'idée que pour respecter leur obligation de moyens renforcés en santé et sécurité, les dirigeants doivent créer les conditions de mobiliser leurs savoirs d'expériences et ceux des salariés pour comprendre et améliorer les interrelations entre leur travail et leurs usages de médicaments, d'alcool ou de drogues. Il s'agit d'ouvrir, ou de renforcer, des espaces de discussion sur le travail qui permettent d'éclairer les stratégies de santé, les fonctions professionnelles des usages de psychotropes et leurs régulations dans le travail.Discuss and Transform Work to Regulate the Addictive Behaviour of Professionals
Addictive behaviour is an occupational health issue. In this context, we make two observations. Firstly, the consumption of psychotropic substances is both a contributory cause and symptom of occupational risks to be assessed. Secondly, prevention practices ignore this investigation and focus on a priori improvement of knowledge and behaviour. We defend the idea that the leaders must create the conditions to mobilise their experiential knowledge and those of the employees to understand and improve the interrelations between their work and their uses of medicines, alcohol or drugs. The aim is to organise or reinforce spaces for discussion about work that help to clarify the health strategies, the professional functions of the use psychotropic substances and their regulation in the workplace.
Varia
- La cocaïne en France, un marché en expansion : tendances actuelles et réponses publiques - Ivana Obradovic, Thomas Néfau p. 83-110 La cocaïne constitue la deuxième drogue illicite la plus consommée après le cannabis en France qui, en quelques années, est passée dans le groupe des cinq pays européens les plus consommateurs. La cocaïne connaît une diffusion rapide, qui se traduit par un doublement de la proportion d'expérimentateurs en une décennie et une forte diversification des profils d'usagers. On estime à 450 000 le nombre d'usagers actuels de cocaïne, huit fois moins que pour le cannabis (3,8 millions d'usagers dans l'année), mais ce chiffre est en augmentation et concerne une gamme de plus en plus large de classes d'âge, de milieux sociaux et de secteurs d'activité. Cette hausse de la demande et de la visibilité de la cocaïne correspond à une dynamique d'offre importante, à l'image du pic de production au niveau mondial en 2017. Plus disponible et plus pure, la cocaïne fait l'objet de modalités de trafic multiples et en constant renouvellement. Cet article revient sur la situation de la cocaïne et les tendances actuelles, en mobilisant l'ensemble des données produites depuis les années 1990 : sources statistiques ministérielles (interpellations, demandes de traitement, etc.), dispositifs d'information propres de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), etc. La confrontation de ces sources offre une synthèse actualisée du marché de la cocaïne en France, en soulignant les enjeux auxquels sont confrontés les pouvoirs publics en l'absence de traitement médicamenteux de la dépendance ou de substitution à la cocaïne.Cocaine in France: an Expanding Market. Current Trends and Public Responses
Cocaine is the second most abused illicit drug after cannabis in France, which has recently passed into the group of the top five European countries for cocaine consumption. Cocaine is spreading rapidly, resulting in a doubling of the proportion of experimenters in a decade and a strong diversification of user profiles. The number of current users of cocaine is estimated at 450,000, eight times less than for cannabis (3.8 million users per year), but this figure is increasing and relates to an increasingly wide range of age groups, social backgrounds and sectors of activity. This increase in the demand and visibility of cocaine corresponds to a dynamic of significant supply, like the peak of production worldwide in 2017. More available and purer, cocaine is the subject of modalities of multiple traffic and in constant renewal. This article reviews the situation of cocaine and current trends, using all the data produced since the 1990s: government statistical sources (arrests, requests for treatment, etc.), the OFDT's own information systems (French observatory of drug addiction), etc. The combination of these sources provides an updated synthesis of the cocaine market in France, highlighting the challenges faced by public authorities in the absence of drug treatment for cocaine addiction or substitution. - Le traitement de la dépendance aux opioïdes vu par des personnes qui font activement usage de drogues par injection à Montréal - Hélène Poliquin, Lise Dassieu, Michel Perreault, Karine Bertrand p. 111-134 Dans le cadre d'une étude réalisée à Montréal, nous avons analysé l'expérience du traitement de la dépendance aux opioïdes (TDO) chez des personnes qui font activement usage de drogues par injection (PUDI). Comment le TDO s'inscrit-il dans le rapport à soi des PUDI, dans ses dimensions corporelles, émotives, psychologiques et sociales ? Quelles difficultés rencontrent ces personnes dans leurs relations avec les services de soins ? Les résultats suggèrent que des PUDI peuvent opter pour un TDO principalement pour ne plus vivre les symptômes pénibles du sevrage et pour se désengager d'un mode de vie centré sur la consommation. Bien que les participants considèrent le TDO comme un moyen d'améliorer leur qualité de vie, ils en déplorent les effets secondaires, la stigmatisation associée, ainsi que les difficultés liées à l'accès et au maintien sous traitement. Ces inconvénients font en sorte que les personnes sous TDO voient leur vie s'inscrire davantage dans la continuité d'un mode de vie centré sur les drogues qu'en rupture avec celui-ci.Opioid Dependence Treatment seen by People who Actively Inject Dugs in Montreal
In a study conducted in Montreal, we analysed the experience of opioid dependence treatment (ODT) for people who actively inject drugs (PWID). How does this substitution treatment fit into PWID's self-acceptance in it's in their bodily, emotional, psychological and social dimensions? What difficulties are these people confronted with when interacting with healthcare services? The results suggest that PWID may opt for ODT mainly to avoid the distressing symptoms of withdrawal and to disengage from a consumption-centred lifestyle. Although participants consider ODT as a way to improve their quality of life, they deplore the side effects, the associated stigma, and the difficulties in accessing and remaining in treatment. These difficulties contribute to making the experience of ODT one that is more consistent with a drug-centred lifestyle than one who breaks away from it. - Alcool et addiction, au-delà du sexe et du genre - Isabelle Boulze-Launay, Alain Rigaud p. 135-152 Nous décrirons les différences et les ressemblances du rapport aux addictions chez l'homme et chez la femme. À partir du réel du corps, nous poserons le constat d'une « injustice » somatique et physiologique des femmes, puis nous évoquerons les différences au niveau du genre (rôle des facteurs culturels et enjeux sociaux). En revanche, sur le plan psychique, le rapport au produit différerait peu. Les sujets disparaîtraient derrière des identifications sociales ou des identifications addictives inconscientes. Le travail thérapeutique consisterait même à sortir de ces identifications pour traiter du passage obligé du rapport de tout sujet au manque et à la différence anatomique des sexes.Alcohol and Addiction, beyond Sex and Gender
We will describe the differences and similarities of addictions' relationship among men and women. On the somatic and psychiological level, we will see an “injustice” for women, then we will discuss the differences in gender (role of cultural factors and social issues). On the other hand, psychologically, the relation to the product would not be significant. Subjects would be confounded in social identifications or unconscious addictive identifications. Therapeutic work would even consist in getting out of these identifications to deal with the obligatory passage of the relationship of any subject with the feeling of lack and the anatomical difference of the sexes. - Intoxications éthyliques aiguës à l'hôpital : tendances depuis 26 ans au CH de Mâcon (France) - Pascal Menecier, Romain Menecier p. 153-170 L'hôpital est un lieu privilégié pour observer les dommages de l'alcool et les intoxications éthyliques aiguës (IEA) qui y représentent un des principaux motifs de recours. Face à cela, l'addictologie hospitalière a développé des modalités de rencontre en amont de la demande de soin, dans une activité de liaison et d'aller-vers, qui trouve ici toute sa place. Cette enquête a observé les dosages positifs d'alcoolémie réalisés dans un hôpital entre 1992 et 2017. Elle a considéré l'évolution des populations ainsi ciblées en 26 années : objectivant une stabilité du nombre d'IEA ainsi identifiées, une part croissante des plus jeunes, associée à un vieillissement global de cette population, ainsi qu'à sa féminisation croissante, pour des valeurs moyennes d'alcoolémie inversement décroissantes. Ces données peuvent aider à adapter une offre de discours du lendemain de l'ivresse, la plus conforme aux personnes concernées, afin de favoriser leur accès aux soins et améliorer leur qualité de vie.Acute Alcoholic Intoxications in Hospital: Trends for 26 years at Mâcon Hospital (France)Hospital is a privileged place to observe alcohol induced damage and acute alcohol intoxications (AAI), which are there one of the main grounds for recourse. Faced with this, hospital addictology has developed ways of meeting upstream of a care request, in a linkage and outreach activity, which finds its entire place there. This survey observed the positive blood alcohol concentration assay, carried out in a hospital between 1992 and 2017. It considered the evolution of this population: stability of the number of AAIs, growing part of the younger ones, associated with an overall ageing of this population, as well as its increasing feminisation, for average values of inversely decreasing alcohol blood level. These data can help to adapt an offer of speech from the day after the drunkenness, the most congruent to concerned people, in order to promote their access to care and to improve their quality of life.
- La cocaïne en France, un marché en expansion : tendances actuelles et réponses publiques - Ivana Obradovic, Thomas Néfau p. 83-110