Contenu du sommaire : Théories politiques du transhumanisme
Revue | Raisons Politiques |
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Numéro | no 74, mai 2019 |
Titre du numéro | Théories politiques du transhumanisme |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
- Les théories politiques du transhumanisme - Benjamin Bourcier p. 5-12
Dossier
- La route (libertarienne) de la servitude (transhumaniste) - Sébastien Caré p. 13-28 Cet article interroge la pertinence théorique des liens historiquement constitués entre le libertarianisme et le transhumanisme. Il s'attache tout d'abord à démontrer qu'il n'y a entre les deux théories aucune implication réciproque. D'un côté, le transhumanisme peut ne pas être libertarien : l'avènement d'un homme nouveau, augmenté par la technique, ne passe pas nécessairement par la défense d'un État minimal. D'un autre côté, le libertarianisme peut ne pas être transhumaniste : le rejet d'un État étendant ses prérogatives au-delà de la simple protection des personnes ne suppose pas une amélioration fondamentale de la condition humaine et la promotion de toutes les technologies susceptibles d'y conduire. Cet article analyse ensuite les rapports entre transhumanisme et libertarianisme en envisageant la compossibilité de leurs réalisations respectives. Si le libertarianisme ne justifie aucunement le transhumanisme, il ne le proscrit pas, et sa concrétisation pourrait même l'encourager en instaurant une concurrence exacerbée et en créant ainsi faisant un besoin de performance que les technologies amélioratives voudraient pouvoir satisfaire. En retour, la réalisation du transhumanisme, et l'avènement de l'homme augmenté, consacrerait cependant l'obsolescence d'une théorie libertarienne originellement destinée à des êtres très imparfaits, et ouvrirait la possibilité de son contraire totalitaire.The (libertarian) road to (transhumanist) serfdom
This article questions the theoretical relevance of the historical links between libertarianism and transhumanism. First, it seeks to demonstrate that there is no mutual implication between the two theories. On the one hand, transhumanism is not necessarily libertarian: the advent of a new man, enhanced by technology, does not require the defence of a minimal state. On the other hand, libertarianism may not be transhumanist: the rejection of a State extending its prerogatives beyond the mere protection of individuals does not imply a fundamental improvement of the human condition and the promotion of all the technologies that could lead to it. This article then analyses the relationship between transhumanism and libertarianism by considering the compossibility of their respective achievements. While libertarianism in no way justifies transhumanism, it does not prohibit it, and its realization could even encourage it by introducing increased competition and thus creating a need for performance that improved technologies would seek to satisfy. However, the realization of transhumanism, and the advent of the enhanced man, would consecrate in return the obsolescence of a libertarian theory originally intended for very imperfect beings, and would open the possibility of its totalitarian opposite. - Le transhumanisme peut-il échapper au libertarianisme ? Le cas de James Hugues - Stanislas Deprez p. 29-50 Théorisé par James Hugues dans Citizen Cyborg (2004), le technoprogressisme cherche une troisième voie, entre le transhumanisme libertarien et le bioconservatisme critique. Du premier, il reprend la fascination pour la technique, la foi dans le progrès et la revendication de la liberté individuelle absolue : chacun a le droit de se transformer, lui-même et ses enfants, comme bon lui semble, à condition que cela ne porte pas directement atteinte à autrui. Du second, le technoprogressisme fait siennes les craintes d'une inégalité biotechnologique aggravant les disparités sociales et plaide pour un contrôle par les autorités étatiques nationales et internationales. Hugues rêve ainsi d'un transhumanisme pour le bien de tous, grâce à l'amélioration morale de chacun. Une telle voie médiane entre liberté individuelle et contrôle étatique est-elle possible ? Nous nous proposons d'en montrer les lignes de force et les faiblesses.Can transhumanism escape libertarianism? The case of James Hugues
Theorized by James Hugues in Citizen Cyborg (2004), technoprogressism seeks a third way, between libertarian transhumanism and critical bioconservatism. It shares with the first the fascination for the technique, the faith in the progress and the claim of the absolute individual freedom: each one has the right to transform itself and its children, as he wants, except if it directly affects others. Technoprogressism shares with the second the fears of a biotechnological inequality aggravating social disparities, and pleads for control by national and international state authorities. Hugues thus dreams of a transhumanism for the good of all, thanks to the moral improvement of each one. Is such a middle way between individual freedom and state control possible? We propose to show the strengths and the weaknesses of this social transhumanism. - Contours et courants de la politique transhumaniste - Jean-Yves Goffi p. 51-71 On essaie dans cet article de mettre en évidence les caractéristiques de la pensée politique des transhumanistes. On commence par distinguer le transhumanisme du posthumanisme. Ensuite, on montre en quoi la pensée politique des transhumanistes se rattache à deux traditions de la philosophie politique moderne : le libéralisme et l'utilitarisme. On expose enfin les options politiques de Max More, James Hughes et Nick Bostrom à la lumière des distinctions opérées. En conclusion, on exonère la politique transhumaniste de certains des reproches qui lui sont communément adressés. Mais on soutient aussi que, à moins de verser dans la banalité, elle dépend d'options lourdes en philosophie de l'histoire, qu'on n'a guère de bonnes raisons d'endosser.Contours and trends of transhumanist politics
In this paper, we try to highlight the characteristics of transhumanists' political thought. We begin by distinguishing transhumanism from posthumanism. Next, we show how the political thinking of the transhumanists is related to two traditions of modern political philosophy: liberalism and utilitarianism. Lastly, the political options of Max More, James Hughes and Nick Bostrom are presented in the light of the distinctions made. In conclusion, the transhumanist political thought is exonerated from some of the reproaches that are commonly addressed to it. But it is also argued that, unless it boils down to trivial claims, it depends on substantial options in philosophy of history, options that we have little reason to endorse. - Lectures et langages du transhumanisme - Apolline Taillandier p. 73-81 Cet article propose un état des lieux rapide du transhumanisme contemporain, à travers deux champs de controverses sur les définitions de l'humain et du posthumain. Le premier concerne l'éthique de l'amélioration humaine ; s'y joue la question des limites du libéralisme et des conditions d'exercice de l'autonomie. En réponse aux refus d'une transformation technologique substantielle de l'humanité pour des raisons communautariennes ou relevant d'une éthique de la discussion, les arguments transhumanistes constituent des justifications libérales et libertariennes en faveur d'une modification des normes biologiques. Le second tient à la configuration biopolitique dans laquelle la projection d'un futur posthumain devient possible. S'y affrontent les projets d'émancipation posthumanistes, critiques de l'anthropocentrisme et de l'universalisme modernes, et les ambitions transhumanistes d'un accroissement des capacités de maîtrise du monde. Ces controverses permettent de délimiter le transhumanisme comme un champ sémantique autorisant des recompositions idéologiques multiples, à l'intersection des pensées libérales et de leurs critiques.Interpretations and languages of transhumanism
An attempt to provide an overview of contemporary transhumanism, this article engages with two major controversies about the meaning of the human and the posthuman. First, debates about the ethics of human enhancement question the limits of liberalism, and the conditions under which autonomy should be exercised. Against communautarian and deliberative critics opposing substantial technological transformations of the human species, transhumanist arguments support biological modifications on liberal and libertarian grounds. Second, debates about the kind of biopolitics that enables transhumanist narratives of the future draw the distinction between posthumanist emancipatory projects, based on a critique of modern anthropocentrism and universalism, and transhumanist perspectives aimed at the further increase of human power and control over the world. These controversies help understand how transhumanist ideas get contested and decontested, by delineating transhumanism as a semantic field at the crossroads of liberal political thinking and critics. - La grande adaptation : Le transhumanisme ou l'élusion du politique - Nicolas Le Dévédec p. 83-97 Le transhumanisme ne se réduit pas à un projet technoscientifique. Il engage un rapport au monde, à la collectivité, à la cité (polis), qu'il est nécessaire d'interroger, au-delà des enjeux éthiques et utilitaristes qui tendent aujourd'hui à prédominer dans les débats. C'est la nature et le sens de ce « rapport au monde » promu par le mouvement que cet article entend mettre en lumière dans une perspective théorique critique. Son objectif est de montrer que le transhumanisme, y compris quant à la branche dite sociale et progressiste du mouvement, promeut et diffuse un rapport au monde qui se caractérise fondamentalement par l'élusion du politique, au sens philosophique et fondamental du terme. Sur des sujets aussi divers que la prise en charge des risques globaux planétaires, la question des problèmes de santé publique, le bien-être conjugal ou encore les questions écologiques, les transhumanistes avancent des explications de type « psycho-bio-évolutionnistes » qui exonèrent les sociétés capitalistes de toute responsabilité et conduisent à privilégier des solutions technoscientifiques centrées sur l'adaptation humaine.The great adaptation. Transhumanism or the elusion of politics
Transhumanism can not be reduced to a technoscientific project. It engages a relation to the world, the community, the city (polis), that we must question beyond the ethical and utilitarian stakes that tend today to predominate in the debates. It is the nature and meaning of this "relation to the world" promoted by the movement that this article intends to highlight in a critical theoretical perspective. Transhumanism, even the branch calling for social and progressive commitment, promotes and diffuses a relation to the world which is fundamentally characterized by the elusion of politics, in the philosophical and basic meaning of the term. Be it the management of global risks, the issue of public health problems, the marital well-being or the ecological issues, transhumanists put forward “psycho-bio-evolutionist” explanations that exonerate capitalist societies of all responsibility and lead to privileging technoscientific solutions centered on human adaptation. - La « liberté morphologique » transhumaniste, un nouvel esprit anti-cosmopolitique - Benjamin Bourcier p. 99-117 Dans cet article, il s'agit, à partir d'une analyse des arguments expliquant le sens de la liberté morphologique défendue par les transhumanistes, de mettre en question l'idéologie politique portée par le transhumanisme. Nous proposons de montrer que le transhumanisme est un anti-cosmopolitisme en explicitant les enjeux de cette opposition radicale en s'appuyant sur des approches différentes du cosmopolitisme contemporain.Transhumanist morphological freedom, a new anti-cosmopolitan spirit
In this article, based on an analysis of the arguments explaining the meaning of the morphological freedom defended by the transhumanists, we question the political ideology carried by transhumanism. We propose to show that transhumanism is an anti-cosmopolitism by explaining the stakes of this radical opposition based on different approaches to contemporary cosmopolitism.
- La route (libertarienne) de la servitude (transhumaniste) - Sébastien Caré p. 13-28
Lecture critique
- Une critique politique du transhumanisme : le bioconservatisme de Francis Fukuyama - Pierre Bourgois p. 119-132 Francis Fukuyama est aujourd'hui considéré comme l'un des principaux bioconservateurs. Le politologue américain, qui s'est fait connaître à la fin des années 1980 et au début des années 1990 grâce à sa thèse de « la fin de l'histoire », dénonce effectivement toute perspective de modification des fondements biologiques de l'homme et demeure donc un opposant convaincu au courant transhumaniste. Selon Fukuyama, la nature humaine est un élément fondamental de l'ordre politique et du triomphe de la démocratie libérale. De fait, le projet transhumaniste d'« amélioration humaine » menace, selon lui, le devenir même des sociétés libérales et risque, par conséquent, de relancer l'histoire. Face à cela, il n'existerait donc, à ses yeux, qu'une seule solution possible, celle d'un strict contrôle des biotechnologies. Une vision fukuyamienne qui, malgré ses limites, est devenue incontournable au sein du bioconservatisme.A Political Criticism of Transhumanism: The Bioconservatism of Francis Fukuyama
Francis Fukuyama is today considered one of the main bioconservatives. The American political scientist, who became known in the late 1980s and early 1990s with his thesis of “the end of history,” actually denounces any prospect of changing the biological foundations of man. He is therefore a convinced opponent of the transhumanist current. According to Fukuyama, human nature is a fundamental element of political order and triumph of liberal democracy. In fact, according to him, the transhumanist project of “Human enhancement” threatens the very future of liberal societies and risks therefore to get history started once again. In this context, there would therefore be only one possible solution that is the establishment of a strict control of biotechnologies. Despite its limitations, this Fukuyamian vision has become central within bioconservatism.
- Une critique politique du transhumanisme : le bioconservatisme de Francis Fukuyama - Pierre Bourgois p. 119-132
Recension critique
- Federico Tarragoni, L'énigme révolutionnaire, Paris. Les Prairies Ordinaires, 2015, 325 pages - David Copello p. 133-137