Contenu du sommaire : Anthropologie et matérialités de la race
Revue | Revue d'histoire des sciences humaines |
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Numéro | no 27, 2015 |
Titre du numéro | Anthropologie et matérialités de la race |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- Introduction - Ricardo Roque p. 7-26
- Confronting “hybrids” in Oceania - Bronwen Douglas p. 27-63 Des débats intenses autour du croisement racial se produisirent dans l'anthropologie en France au milieu du XIXe siècle. La controverse de longue date sur la question des « hybrides » a noué des questions de théorie, d'expérience sur le terrain et de matérialité humaine. Les diverses positions sur les unions interraciales ont émergé dans deux contextes distincts : les rapports, les collections anatomiques humaines et les synthèses anthropologiques produits par des naturalistes de la Marine française au cours de voyages scientifiques en Océanie avant 1840 ; les ethnographies, les collections et les comparaisons anthropologiques beaucoup plus précises produites par des médecins navals après 1842 dans les nouvelles colonies françaises en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie. De cet examen émerge l'importance relative accordée à deux ordres différents de matérialité dans la spéculation anthropologique sur les hiérarchies et l'entrecroisement raciaux : d'un côté, la matérialité évidemment subjective des rencontres sur le terrain avec les habitants locaux ; de l'autre, la matérialité apparemment objective des objets – les crânes, les autres restes humains et les moulages.Fierce debates about racial crossing recurred in mid-19th-century French anthropology. This paper addresses the nexus of theory, field experience, and human materialities in scientific disputes about “hybrids”. Diverse global theoretical positions on interracial unions are calibrated with two empirical/material registers: the reports, anatomical collections and anthropological syntheses made by French naval naturalists following encounters with Indigenous people during scientific voyages in Oceania to 1840; and the more focussed ethnographies, collections and anthropological comparisons made by naval medical officers after tours of duty in new French colonies in eastern Polynesia and New Caledonia from 1842. I assess the relative significance attributed to two different orders of materiality—the subjective materiality of field encounters with Indigenous people; and the seemingly objective materiality of objects—human skulls, other bodily remains, and moulages (plaster busts).
- (Re)connaître l'homme primitif : savoir anthropologique, préconceptions et situations locales à Sulawesi, 1892-1906 - Serge Reubi p. 65-87 À la fin du XIXe siècle à Sulawesi, les deux naturalistes suisses Fritz et Paul Sarasin découvrent les Toálas. Ce peuple, dont l'extrême primitivité est signalée par les colons et les populations indigènes, n'est pourtant pas immédiatement reconnu comme tel. Les étapes de cette reconnaissance éclairent les modalités selon lesquelles un objet est identifié comme significatif. Cet article saisit comment les Sarasin reconnaissent les Toálas comme primitifs. À travers l'étude des conditions de l'enquête, j'examine le rôle respectif que jouent, dans ce processus d'identification, les hypothèses de travail, l'expérience du savant et les pratiques savantes de recherche, ainsi que les traits propres à l'objet découvert. J'y montre comment diverses configurations disciplinaires, institutionnelles et coloniales, lorsqu'elles sont associées à certaines caractéristiques physiques, contribuent à matérialiser une hypothèse de travail sous la forme d'une population autochtone.In the 1890s, Swiss naturalists Fritz and Paul Sarasin discovered the Toálas in Sulawesi, a people described as very primitive by settlers and indigenous communities alike. However, numerous detours and encounters were necessary for the Sarasin to recognize them as the remains of a primitive population. Thus, in looking at the stages that led them to identify the Toálas as primitive, one can understand how an object becomes scientifically meaningful. Drawing on this case study, I examine the distinct roles played in this identification process by working hypotheses, by the scholars' experience, and by research practices, that is, by the local and disciplinary contingencies of discovery, as well as by the traits of the discovered object itself. I thus aim at showing how varied contingencies, once associated with certain physical characteristics, have contributed to materializing a research hypothesis in the form of an autochtonous people in Sulawesi.
- Faces from the Netherlands Indies - Fenneke Sysling p. 89-107 Cet article analyse le rôle des moulages en plâtre dans l'anthropologie physique. Il retrace les trajectoires d'une collection de moulages assemblée par l'anthropologue physique hollandais J. P. Kleiweg de Zwaan dans ce qui est aujourd'hui l'Indonésie. La question centrale est la suivante : comment cette collection a-t-elle été utilisée afin de véhiculer un certain savoir racial ? Cet article s'appuie sur les travaux des historiens des sciences L. Daston et P. Galison pour distinguer trois manières différentes dont les moulages en plâtre ont pu servir à communiquer sur la race, chacune étant associée à sa propre prétention à la vérité. Il montre comment cette collection était destinée à démontrer les caractéristiques de plusieurs races qu'il était impossible de révéler à travers des textes et des chiffres, mais aussi à inciter les observateurs à reconnaître lesdites caractéristiques, créant dès lors un substitut à l'expérience anthropologique de terrain. Par ailleurs, en suivant les biographies des moulages, l'article pointe aussi du doigt les relations coloniales inégalitaires au moment de la fabrication des moules.This paper analyses the role of plaster casts in the discipline of physical anthropology. It traces the trajectories of a collection of casts made in the early twentieth century by Dutch physical anthropologist J. P. Kleiweg de Zwaan in present day Indonesia. The central question is how this collection of plaster casts was used to convey knowledge about race. The paper uses the work of historians of science L. Daston and P. Galison to distinguish three different ways in which plaster casts could be used to communicate race, each associated with their own claim to truth. It sets out to explain how this collection was intended to show the features of races that were impossible to communicate in text and numbers and to train the observers to recognise these, thus creating a surrogate for the anthropologists' fieldwork experience. Secondly, as this paper follows the biographies of the casts, it also points to the unequal colonial encounter at the moment the moulds were made.
- À propos de cent trente-cinq crânes de Papous : A. B. Meyer et la controverse autour de la craniologie - Hilary Howes p. 109-141 Cet article analyse les publications d'Adolf Bernhard Meyer, voyageur et naturaliste allemand (1840-1911), au sujet de sa collection de cent trente-cinq crânes du nord-ouest de la Nouvelle-Guinée. J'y questionne les procédés par lesquels Meyer s'est efforcé de produire un savoir racial à partir de ce qu'il appelait le « matériau brut » ; l'importance du travail de terrain dans ses prétentions à une vérité scientifique ; les effets des différences dans la méthodologie, les priorités de recherches, l'instrumentation, et les modèles nationaux de connaissance sur l'interprétation des données craniométriques ; et dans quelle mesure la construction culturelle, des notions de normalité, de pathologie, de genre, de classe, et de criminalité est devenue un des objets des études de race. J'y étudie aussi les changements d'attitude de Meyer à l'égard de la craniologie et de la façon dont les crânes étaient considérés durant la période où il était directeur du musée royal de zoologie, d'ethnographie et d'anthropologie de Dresde.This paper analyses publications by the German traveller-naturalist Adolf Bernhard Meyer (1840-1911) on his collection of 135 skulls from north-west New Guinea. I interrogate the processes by which Meyer endeavoured to produce racial knowledge from what he called ‘raw material', the significance of field experience for his scientific truth claims, the impacts of differences in methodology, research priorities, instrumentation, and national paradigms of knowledge on the interpretation of craniometrical data, and the extent to which culturally-bound constructions of normality, pathology, gender, class and criminality became enmeshed in studies of race. I also track changes in Meyer's attitudes towards craniology, and the ways in which skulls were valued during his term as Director of Dresden's Royal Zoological and Anthropological-Ethnographic Museum.
- A little history attached to them : authenticité et crédibilité du témoignage matériel dans les collections anthropologiques, 1850-1900 - Ricardo Roque p. 143-167 Dans cet article, j'examine l'importance des processus d'indexation et de documentation associés aux collections de crânes en tant que technologies de crédibilité dans l'anthropologie raciale du XIXe siècle. À partir de l'analyse des catalogues et archives de collections anthropologiques, je démontre que les éléments narratifs et la documentation cohérents qui leur étaient rattachés étaient la clef pour prouver l'authenticité des crânes en tant qu'objets scientifiques, et ainsi garantir la crédibilité des témoignages matériels en anthropologie raciale. Cette économie de l'authenticité des matériaux biologiques impliquait une économie de crédibilité des témoignages documentaires. La fiabilité des crânes en tant qu'évidences raciales devait être attestée par des informations contextuelles dignes de confiance. La crédibilité de ces dernières devait aussi être garantie par trois formes principales d'authentification : la certification anatomique, l'assurance sociologique et l'authentification rhétorique.In this paper I examine the significance of histories and documentation in association with collections as technologies of credibility in nineteenth century racial anthropology. Drawing on the analysis of catalogues and archives of anthropological collections, I argue that connecting histories and documentation was important to perform the authenticity of skulls as scientific objects and thereby guarantee the credibility of material testimony in racial anthropology. This economy of authenticity of biological materials implied an economy of credibility of the testimony of documents. The reliability of skulls as racial evidence had to be attested by trustworthy histories. The credibility of the latter also had to be guaranteed by three main forms of authentication: anatomical certification; sociological assurance; and rhetorical authentication.
Document
- Sur les soutenances de thèse de Claude Lévi-Strauss et Pierre Métais - p. 171-177
- À propos de la lettre de Mariel Jean-Brunhes Delamarre à André-Georges Haudricourt du 20 juin 1948 - Jean-François Bert p. 179-186
Varia
- Pour une théorie évolutive humaine - Claude Blanckaert p. 189-230 Les usages et détournements de la théorie darwinienne furent nombreux en France dès les années 1860. Les libres penseurs s'en firent étendard quand les meilleurs naturalistes du Muséum de Paris l'accusaient communément de « galimatias » ou de « conte de fées ». Dans ce contexte hostile, Darwin trouva son meilleur défenseur et son principal adversaire en la personne d'Armand de Quatrefages, professeur d'anthropologie de 1855 à 1892. Quatrefages a beaucoup écrit sur Darwin, vantant son « ouvrage remarquable » et étendant à sa propre conception des races le principe général de la sélection naturelle. Cependant, il récusait l'hypothèse des origines animales de l'homme. Il développa la doctrine adverse des « oscillations raciales » fondées sur l'action des milieux, les arrêts ou les excès de développement embryonnaire. Cette thèse matricielle fut consignée avant lui par Étienne Serres et Isidore Geoffroy Saint-Hilaire. Mais il lui donna la meilleure audience sous le nom de « théorie évolutive humaine ». Toujours créationniste, Quatrefages mit ainsi en accord, aux yeux de ses critiques, sa raison et sa foi.Darwin's theory of evolution has been used and misused in numerous cases in France ever since the 1860s. The free thinkers adopted it as their banner, whereas it was deemed a “twaddle” or a “fairy tale” by the best naturalists of the Muséum of Paris. In this hostile context, Darwin found his best defender alongside his main opponent in Armand de Quatrefages, Professor of anthropology from 1855 till 1892. Quatrefages wrote a lot on Darwin, praising his “remarkable work” and widening the general principle of natural selection and struggle for life to his own conception of races. However, he rejected the hypothesis of the animal origins of Man. He developed the opposite doctrine of “racial oscillations” based on the influence of the environment, the “arrests” or the “excesses” of embryonic development. This matrix thesis was recorded before him by Étienne Serres and Isidore Geoffroy Saint-Hilaire. But he gave it the best audience under the name of “human evolution theory”. Still a creationist, Quatrefages thus matched together his reason and his faith to the eyes of his critics.
- Pour une théorie évolutive humaine - Claude Blanckaert p. 189-230
Comptes rendus
- Jean-Luc Chappey, Carole Christen et Igor Moullier (dir.), Joseph-Marie de Gérando (1772-1842). Connaître et réformer la société - Catherine König-Pralong p. 233-236
- Pierre-Henri Castel, La fin des coupables. Obsessions et contrainte intérieure de la psychanalyse aux neurosciences, suivi de Le cas Paramord - Florent Serina p. 237-243