Contenu du sommaire : Les sciences du psychisme et l'animal
Revue | Revue d'histoire des sciences humaines |
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Numéro | no 28, 2016 |
Titre du numéro | Les sciences du psychisme et l'animal |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- Des rats, des chiens et des psys - Aude Fauvel p. 7-23
- Animaux à aimer, animaux à tuer - Damien Baldin p. 25-43 Cet article éclaire la notion d'animalité et son ambivalence sémantique – est-elle ce qui est commun aux hommes et aux animaux ou bien est-elle ce qui distingue négativement ces derniers des premiers ? – par un retour sur l'histoire. Au XIXe siècle, la notion est largement discutée dans le monde savant et une société où les rapports que les hommes entretiennent avec leurs animaux sont en pleine mutation. L'essor des animaux de compagnie et la croissance agricole accentuent l'intimité des hommes et des bêtes. La naissance de la protection animale renforce encore plus l'idée d'une proximité naturelle et bénéfique. Paradoxalement, c'est aussi au XIXe siècle que se mettent en place de véritables politiques d'hygiène publique. Le monde animal fait alors l'objet d'un contrôle intense et d'actions d'éloignement et d'élimination. C'est ainsi que naissent abattoirs et fourrières. C'est là qu'il faut refouler une animalité peu digne de vivre avec les hommes.The purpose of this article is to shed light on the notion of “animality” and its ambivalent meaning (is animality what is shared by both humans and animals, or is it what negatively separates the latter from the former?) by tracing its historical background and development in the 19th century. During the 19th century, the notion was indeed largely discussed in France in the scientific world and by authors such as Balzac and Michelet. Its contemporaneity was reinforced by a social context, the relationship between men and animals enduring deep transformations at the time. The pet phenomenon and the agricultural expansion led to a strengthened intimacy and material familiarity with animals in city flats as well as farms. Furthermore, the birth of animal protection (creation of the Society for the Protection of Animals, adoption of the Grammont law prohibiting ill-treatments) amplified the idea that there should be some sort of natural and beneficiary proximity between men and animals. However the 19th century was also paradoxically the time of the development of public hygiene policies that chastised the promiscuity between humans and animals. The animal world was then put under a strict surveillance and linked to possible disciplinary measures, ranging from banishment to elimination. Thus the shaping of those spaces of death and internment such as slaughterhouses and dog pounds, where this animality that was judged unworthy of living with humans began to be put aside.
- « Le chien naît misanthrope » - Aude Fauvel p. 45-72 Que penser des hommes qui passent plus de temps avec leurs animaux qu'avec leurs proches ? Et pourquoi certains chiens ressemblent-ils à leurs maîtres ? Au XIXe siècle, époque où les animaux envahirent les villes, ces questions inquiétèrent les psychiatres. Peut-être était-il dangereux qu'humains et animaux partageassent leur intimité ? Il convenait en tout cas d'enquêter. Explorant cet aspect méconnu du discours psychiatrique, cet article met en lumière le retournement de valeurs qui s'opéra chez les aliénistes français au cours du XIXe siècle. Car si les pionniers de la psychiatrie furent initialement favorables aux contacts interespèces, ils changèrent ensuite d'avis, allant jusqu'à estimer qu'à trop vivre ensemble, bêtes et humains risquaient de se rendre mutuellement fous. De zoophiles promoteurs de la Société protectrice des animaux en 1846, les aliénistes devinrent ainsi des détracteurs de l'amitié entre animaux et humains, transformant la zoophilie en notion pathologique à la fin du siècle.Why do some dogs resemble their masters? And what should we think of people who spend more time with their animals than with their relatives? As pets invaded cities in the 19th century, these questions were seriously examined. No one was sure whether animals and humans were meant to share such a level of intimacy. Worried that this might be dangerous, psychiatrists questioned the psychological effects of these contacts. This article deals with the evolution of this debate in nineteenth-century French psychiatric discourses, tracing the changes in the meaning of the word “zoophilia”, from a laudatory connotation to a pathological one. I begin by analysing the little-known participation of alienists to the creation of the French Society for Animal Protection in 1846. I then show how French mad-doctors, who were thus initially favourable to interspecies contacts, finally changed their opinion and came to believe that humans and animals were damaging each other's soundness of mind.
- Débats autour de la psychologie animale - Élisabeth Chapuis p. 73-91 Au début du XXe siècle, les débats autour du statut de la psychologie animale voient surgir le nom de Pierre Hachet-Souplet. Connu des naturalistes et du public pour ses connaissances en dressage, ses travaux seront régulièrement signalés par les psychologues et, notamment, par Édouard Claparède. Pourtant, bien qu'il crût un temps pouvoir fonder un Institut de psychologie zoologique, Pierre Hachet-Souplet fut finalement évincé par la communauté scientifique. Retraçant le parcours complexe de cet amateur éclairé, cet article illustre la difficulté, dans un contexte de définition des frontières disciplinaires, de construire une psychologie de l'animal au côté de celle de l'homme.At the beginning of the 20th century, the name of Pierre Hachet-Souplet was commonly cited in France by those who debated the creation of a new discipline: the “animal psychology”. Hachet-Souplet was already known by naturalists and by the lay audience for his work on techniques of dressage, and now his studies were also quoted by distinguished psychologists such as Édouard Claparède. However, although Hachet-Souplet was once even promised the creation of a dedicated laboratory (an Institute for the study of zoological psychology), he was finally cast off by the scientific community. Through the complex story of this enlightened amateur, this article thus sheds light on the difficulties of creating a viable and cogent model for an animal psychology in a context of shifting disciplinary boundaries.
- Des relations déraisonnables ? Marie Bonaparte, son chien Topsy, la biologie et la psychanalyse - Rémy Amouroux p. 93-112 Analysée par Sigmund Freud, Marie Bonaparte devint son élève et eut un rôle capital dans le développement de la psychanalyse en France. Elle fut aussi une proche de Gustave Le Bon, passionnée comme lui par les sciences, et fréquenta notamment les scientifiques de l'Institut Pasteur. Outre son œuvre de psychanalyste, elle publia en 1937 un texte sur le cancer de sa chienne Topsy qui sera traduit en allemand par Freud et connaîtra un réel succès éditorial. L'analyse de cet ouvrage met au jour non seulement les spécificités de son rapport à l'animal, mais aussi celui qu'elle entretient avec la science.After being analyzed by Sigmund Freud, Marie Bonaparte became his pupil and played a vital role in the development of psychoanalysis in France. She was also a friend of Gustave Le Bon with whom she shared a strong interest in science. She was particularly close with the scientists from the Pasteur Institute of Paris. In addition to her psychoanalytic work, she published a book, translated into German by Freud, on the story of her dog Topsy. The analysis of this book reveals not only the nature of her relationship with animals but also with science.
- Quand l'éthologie revisite la psychanalyse - Wolf Feuerhahn p. 113-135 En 1972, le psychologue René Zazzo affirmait qu'« un fait nouveau », comparable à la « révolution scientifique » darwinienne, avait été découvert en psychologie : la mise au jour par John Bowlby de l'origine de l'attachement qui ne serait pas le résultat d'un apprentissage, mais d'un besoin primaire. L'application de travaux éthologiques à l'homme bousculerait l'existence de la psychanalyse, via la libido. Afin de saisir les raisons de Zazzo, on propose d'étudier son opération d'acclimatation et de promotion dans le contexte français des années 1960-1970 puis ce qui le sépare de celui dans lequel œuvra Bowlby dès 1930. Cet article a donc deux objectifs de méthode. Proposer une nouvelle démarche d'étude transnationale des savoirs : régressive, elle part d'une analyse des procédures d'importation avant de revenir sur le contexte de départ. Contribuer à une réflexion sur le rapport de l'histoire des sciences à ce que je nomme l'« histoire indigène » (ici l'histoire narrée par Zazzo et Bowlby).In 1972, the French psychologist René Zazzo declared that a “new fact” similar to the darwinian “scientific revolution” had just been discovered in the field of psychology. He referred to the attachment theory or rather to the discovery of this theory by John Bowlby (1907-1990), who had found out, reading ethologist studies, that attachment was not the result of learning but rather caused by a “primal need”. Using these animal findings to comprehend human behaviours, Bowlby estimated that this indeed shattered the utter existence of psychoanalysis: for if attachment was primal, then it could not result from the satisfaction of hunger as psychoanalysts had previously believed with the notion of libido. This article thus has two methodological goals. First, it aims to propose a new way of writing transnational history. I deliberately proceed in a regressive way, starting from an analysis of Zazzo's operation of importation before going back to the context of departure. Secundly, it aims to contribute to a reflexion on the relationships between the history of science and what I call “indigenous history”. Starting from the historical discourse of the actors (here: Zazzo and Bowlby), I want to think about the statut of the one proposed by the historian of science.
- Soigner par le contact animalier - Jérôme Michalon p. 137-162 Depuis les années 1960, un nombre croissant de publications rapporte les bienfaits psychiques et/ou physiologiques du contact avec certains animaux (notamment les chiens, les chats, les chevaux et les dauphins) sur la santé humaine. Portées majoritairement par les disciplines du psychisme (psychiatrie, psychologie, psychothérapie), ces pratiques de soin par le contact animalier sont encore aujourd'hui l'objet de nombreuses controverses internes. Le but de cet article est de remonter à l'origine de la recherche sur les interactions avec l'animal à but thérapeutique (IAT) pour mieux comprendre les enjeux de ces controverses. Pour cela, nous étudierons essentiellement la littérature publiée entre 1960 et 1985 aux États-Unis, en reliant l'analyse de son contenu à la constitution d'un réseau d'acteurs hétéroclites tous intéressés par la production de savoirs « robustes » sur les effets positifs du contact avec l'animal pour la santé humaine.Since the 1960s, a still increasing number of publications have reported the psychic and\or physiological health benefits of the contact with certain animals (mostly dogs, cats, horses and dolphins). Carried mainly by the disciplines of the psyche (psychiatry, psychology, psychotherapy), these practices and\or experiments of care using interactions with animals are even today the object of numerous internal controversies. Are the effects real? By what means are they produced? Are they generalizable? On what conditions? The purpose of this paper is to go back to the origin of research regarding Interactions with Animals with Therapeutic purpose (I.A.T.), in order to understand what is at stakes with these controversies. Thus, we will present literature published between 1960 and 1985 in the United States. We will then connect the analysis of its contents to the constitution of a network of heterogeneous actors, all interested in the production of "strong" knowledges about the positive effects of interactions with animals on human health.
Document
- Lettre de Joseph Delbœuf à William James du 2 novembre 1886 - p. 165-167
- Comment un savant devient « guérisseur » - Thibaud Trochu p. 169-187
Varia
- Une histoire à part ? - Serge Reubi p. 191-223 Cet article vise trois objectifs : il souhaite documenter les traditions mineures de l'ethnographie à travers l'étude de sa variante helvétique en général, et bâloise en particulier ; il souligne l'intérêt de leur examen puisque leurs spécificités constituent plutôt une variété qu'une altérité, qui éclaire l'histoire générale de la discipline et sa chronologie ; il sert à identifier comment une manière spécifique de concevoir et de pratiquer l'ethnographie se perpétue alors que d'autres s'imposent ailleurs, et à saisir continuités et discontinuités dans l'histoire des sciences humaines. Je décris en premier lieu l'organisation de la recherche ethnographique en Suisse entre 1880 et 1940. Me limitant ensuite au cas bâlois, j'en identifie les pratiques de recherche particulières et m'interroge sur la nature historique ou historiographique de cette spécificité. Je relève enfin comment l'étude des traditions mineures aide à rendre compte des rapports entre sciences du centre et de la périphérie.This article follows three aims: it documents minor traditions through the case of Swiss ethnography; it underlines their value for the general historiography of ethnography and its chronology; it identifies how various conceptions of a same discipline interact and tackles the relations between continuity and discontinuity in the history of humanities. To do so, I first describe the organisation of ethnographic research in Switzerland between 1880 and 1940. Focusing of the case of Basel, I then identify its specific research practices and wonder if its origin is to be found in historiographical biaises or in historical differences. Eventually, I show how the study of minor traditions helps to grasp the relations between sciences of the center and of the periphery.
- Sciences sociales, Résistance et « mystique provinciale » à Toulouse sous le gouvernement de Vichy - Arnauld Chandivert p. 225-252 Cet article entreprend l'examen de l'histoire des sciences sociales, et particulièrement de l'ethnologie, à Toulouse durant la période du gouvernement de Vichy. Ce cas régional apparaît en effet intéressant pour analyser la complexité des trajets et prises de position à la fois scientifiques et politiques sur la période, permettant de dépasser les lectures dichotomiques (résistants ou pétainistes) au profit d'un examen de la notion d'ambivalence. Cette posture invite à une approche plus nuancée de la reconstruction des sciences sociales et de l'ethnologie à la Libération.This paper seeks to examine the history of the social sciences, and especially of anthropology, in the city of Toulouse during the period of the Vichy government. Indeed, this case study is interesting analyzing the complexity of scientific and political commitments during this time. By drawing attention to the notion of ambivalence, the analysis suggests more than a simplistic antagonistic dichotomy between résistants and pétainistes, and allows to posit a more nuanced approach of the ‘reconstruction' of social sciences and anthropology in post-war France.
- Quand un concept écologique fait date. L'invention du « complexe pathogène » en géographie - Dylan Simon p. 253-272 Maximilien Sorre (1880-1962) s'est fait le promoteur d'une écologie humaine en géographie. De sa thèse Les Pyrénées méditerranéennes. Étude de géographie biologique (1913) à son ouvrage Les fondements biologiques de la géographie humaine (1943), il porte une attention particulière aux relations entre l'homme et le milieu vivant. Pendant l'entre-deux-guerres, il construit une géographie médicale dans une approche écologique. Il conçoit le concept de « complexe pathogène » pour penser les interactions vivantes qui aboutissent à la production d'une maladie. L'article se propose de restituer les conditions de possibilité de ces travaux, à la fois dans les enjeux disciplinaires et dans la trajectoire de Maximilien Sorre. Il explore les modalités de cette écologie humaine : comment la place de l'homme dans le milieu est-elle envisagée ? Comment la maladie est-elle comprise ? Il envisage également les circulations savantes avec les sciences biologiques et médicales et les processus d'acculturation à leur contact.Maximilien Sorre (1880-1962) promoted human ecology in geography. From his thesis, entitled Les Pyrénées méditerranéennes. Étude de géographie biologique (1913), to his 1943 essay Les fondements biologiques de la géographie humaine, his work focuses on the relationships between human beings and the living environment. During the interwar period, he developed a medical geography within an ecologic approach, conceptualizing “pathogenic complexes” as a description for living interactions resulting in a given disease. The objective of this article is to render the conditions of possibility of these works, in terms of both disciplinary concerns and Sorre's trajectory. This article studies the ways and means of this human ecology: how does it consider the place of humans in the environment? How does it comprehend the disease? It also discusses the interactions with biological and medical sciences, and the acculturation processes resulting from their contact.
- Une histoire à part ? - Serge Reubi p. 191-223
Notes de lecture
- Anthony Andurand, Le mythe grec allemand. Histoire d'une affinité élective - Sandrine Maufroy p. 275-280
- Claude Blanckaert (coord.), La Vénus hottentote entre Barnum et Muséum - Jean-Luc Chappey p. 281-284
- L'enseignement secondaire en France et l'articulation complexe entre disciplines littéraires et scientifiques (1945-1985) - Emanuel Bertrand p. 289-293
- L'enseignement secondaire en France et l'articulation complexe entre disciplines littéraires et scientifiques (1945-1985) - Emanuel Bertrand p. 289-293