Contenu du sommaire : Au nom de l'État-parti, au service du peuple : organisations de masse et de base dans la Chine du XXIe siècle
Revue | Perspectives chinoises |
---|---|
Numéro | no 2019/2 |
Titre du numéro | Au nom de l'État-parti, au service du peuple : organisations de masse et de base dans la Chine du XXIe siècle |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- Éditorial - Judith Audin, Jérôme Doyon p. 3-8
- Des intermédiaires aux fonctions honorifiques ? - Rebekka Åsnes Sagild, Anna Lisa Ahlers p. 9-17 La Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC) est une institution ambiguë : souvent tournée en dérision en étant comparée à une « plante verte » du régime de l'État-parti, ou, au mieux, en étant considérée comme un cercle de réseautage destiné à obtenir les bonnes grâces des élites, elle n'est que peu étudiée dans la recherche académique. Cependant, la direction du Parti communiste s'accroche fermement à ce qu'il estime être un organe intermédiaire « largement représentatif » qui soutient les réformes politiques et l'action du Front Uni. Dans cet article, nous étudierons le bien-fondé de cette logique initiale en nous appuyant sur de nouvelles données empiriques. Nous reviendrons sur l'histoire institutionnelle de la CCPPC, le mode de désignation de ses membres, ainsi que sur l'image portée par les délégués sur leurs propres statuts et mode de fonctionnement. Il apparaît que l'intermédiation constitue depuis toujours une tâche aux contours flous pour les membres de la CCPPC, ce qui se traduit par un large éventail d'attitudes allant de l'adhésion complète aux prises de position du Parti à des tentatives d'inscrire de manière proactive des sujets à l'ordre du jour. Après plus de 20 ans de timide ouverture aux propositions nouvelles émanant de la base en matière de politiques publiques, de nouvelles règles de conduite émanant du niveau central tendent à limiter de nouveau le pouvoir consultatif des CCPPC aux niveaux national et régional. Néanmoins, il semblerait qu'une marge de manœuvre reste possible pour un rôle intermédiaire, en particulier au niveau local.
- « La petite fille modèle du Parti » ? - Yunyun Zhou p. 19-32 Comme d'autres institutions socialistes ayant perduré lors des réformes vers l'économie de marché en Chine, la Fédération natio- nale des femmes de Chine (FNFC ou FF pour parler de ses branches locales), unique organisation de représentation des intérêts des femmes, s'est constamment réinventée en vue de faire face à de nouveaux défis existentiels. En juillet 2015, la direction centrale du Parti communiste chinois a ordonné une nouvelle vague de réformes des organisations de masse, reprochant notamment à la Fédération des femmes sa distanciation vis-à-vis des citoyens ordinaires et l'affaiblissement de la représentation des intérêts des femmes. Trois ans après le début d'une ré- forme intensive, les structures locales de la FNFC ont-elles été suffisamment transformées en vue de renouer avec leur base, au niveau des masses ? Fondé sur un travail de terrain approfondi dans trois provinces ainsi que sur une analyse néo-institutionnelle, cet article soutient qu'à court terme, bien que la réforme serve principalement à la consolidation de l'autorité du Parti, les branches locales de la Fédération des femmes l'utilisent de façon créative pour élargir leur base populaire et étendre leur représentativité. À long terme, cependant, les FF locales sont confrontées à des problèmes institutionnels qui perdurent malgré la réforme, tels que la marginalisation politique, la bureaucratisation, ainsi que la mise en œuvre inefficace des politiques, qui limitent le développement du féminisme d'État en Chine.
- Trouver un compromis entre organisations d'État et organisations ouvrières - Chloé Froissart, Liu Yan, Meng Quan p. 33-42 Cet article analyse la manière dont les syndicats ont tenté, depuis le début des années 2010, de trouver des formes autoritaires de négociations collectives leur permettant de mieux faire valoir les intérêts des ouvriers sans remettre en cause leur appartenance à l'appareil d'État. Il oppose le cas de la zone industrielle de Dalian et de la zone pilote de Shenzhen pour comprendre comment les syndicats tentent de reconquérir efficacité et légitimité en l'absence d'une évolution de la représentation.
- Corporatisme low-cost : - Jérôme Doyon p. 43-51 La Ligue de la jeunesse communiste a développé un réseau de sous-organisations afin d'étendre la portée de son action à un coût minimum. Cette démarche illustre le modèle du corporatisme low-cost. Conformément à ce modèle, les organisations de masse maintiennent une relation corporatiste avec le Parti tout en diversifiant leurs activités à travers les structures qu'elles supervisent. Ces structures leur fournissent également des ressources matérielles et humaines supplémentaires. Dans cette configuration, la Ligue de la jeunesse communiste maintient un équilibre entre sa dépendance vis-à-vis du Parti et son attractivité auprès des jeunes. Cependant, les réformes entreprises durant l'ère Xi Jinping remettent en cause cet équilibre fragile en renforçant le contrôle du Parti sur la Ligue et ses sous-organisations.
- L'Union des Béliers : - Emmanuel Jourda p. 53-60 L'Union des Béliers est une organisation sociale d'intérêt public créée en 2003 dans la province chinoise du Zhejiang. Sa transformation, de structure locale à ONG internationale, nous renseigne sur les modalités mises en oeuvre par le Parti communiste chinois (PCC) pour accompagner le développement d'associations populaires ou minjian, qui paraissent lui être extérieures mais qu'il parraine pleinement. L'étude de ce genre d'entités est complexe car elles semblent agir de manière bénévole et apolitique, tout en étant totalement intégrées au dispositif politico-social du Parti-État (Ligue de la jeunesse, volontaires, Front Uni, ministère des Affaires civiles…). La trajectoire de l'Union des Béliers laisse ainsi entrevoir la stratégie mal connue d'hybridation menée par le PCC, entre des organisations de masse issues du temps révolutionnaire et des groupes charitables incarnant la société chinoise moderne, pour occuper l'espace social afin d'éviter l'émergence d'une société civile chinoise autonome, en république populaire de Chine (RPC) et en Outre-mer.
- Espaces de gouvernance intermédiaire dans les quartiers de relogement - Beibei Tang p. 61-69 Cet article étudie les espaces de gouvernance intermédiaire dans le cadre de la politique des quartiers urbains en Chine. Il identifie les nouveaux mécanismes de gouvernance et les liens État-société à travers lesquels gouvernance urbaine et rurale s'entremêlent pour administrer les paysans urbanisés durant leur arrivée et leur installation en ville. À partir des données qualitatives collectées à Suzhou, cette étude montre l'émergence d'un espace de gouvernance intermédiaire au niveau des quartiers, mobilisant divers acteurs et organisations de la gouvernance intermédiaire tels que des agents de l'État-parti, des groupes de marché et des organisations sociales. Dans le contexte des communautés de relogement, cet article examine comment les comités de résidents sont mis en place pour assurer des tâches de gouvernance ; comment les paysans urbanisés s'organisent et se mobilisent pour s'ajuster à leur nouvel environnement résidentiel, et dans quelle mesure les conflits d'intérêts au sein des quartiers peuvent être modérés. Les résultats dessinent les dynamiques des espaces et acteurs émergents de la gouvernance intermédiaire dans les communautés de relogement. Chargés d'assurer la liaison entre l'État-parti et les villageois déplacés, les acteurs et organisations intermédiaires utilisent de manière flexible un ensemble de méthodes et de stratégies pour négocier les relations entre l'État, le marché et les citoyens dans les affaires de gouvernance des quartiers.
Article
- Vivre avec les déchets : - Ka-Ming Wu, Jieying Zhang p. 71-79 Cet article analyse le rôle des déchets et leurs significations dans la formation des communautés de récupérateurs dans les métropoles chinoises actuelles. Nous y montrons qu'en Chine, les récupérateurs de déchets rappellent, dans une certaine mesure, les conditions d'un travail précaire et stigmatisant typique des sociétés du Sud. Mais nous avons remarqué qu'en Chine, les raisons financières seules ne permettaient pas d'éclairer ce qui poussait les travailleurs migrants à se lancer dans cette activité. En fait, les récupérateurs de déchets de Pékin entraient aussi dans ce commerce car il procurait l'expérience d'une forme de citoyenneté urbaine, en s'affranchissant du régime de travail des usines et en s'adonnant à une forme d'entreprenariat rendant possible le fait de fonder un foyer dans la périphérie de la capitale du pays. Leurs techniques de travail avec les déchets offrent un prisme pour comprendre une dimension plus large de la vie sociale et culturelle au sein des communautés de récupérateurs d'une grande ville chinoise – ce que nous désignons par « vivre avec les déchets ». Dans cet article, l'expression s'entend comme un cadre qui englobe les efforts déployés pour travailler avec, faire l'expérience de, et vivre parmi les matières résiduelles au quotidien. Comment les récupérateurs de déchets parlent-ils de leur métier ? S'agit-il uniquement de stigmatisation et de souffrance ? Peut-il signifier commerce et mobilité ? Que pensent les récupérateurs du fait d'élever des enfants dans une cour remplie de déchets récupérés ? Si « la saleté est matière mal placée (dirt is matter out of place) » (Douglas 1966), comment gèrent-ils les impuretés et la contamination au quotidien ? Quels efforts font-ils pour normaliser ou établir des limites dans cet environnement indésirable de travail et de vie ? Vivre avec les déchets est donc profondément lié aux efforts produits non seulement pour gagner sa vie, mais aussi pour constamment renégocier sa position et tracer des frontières avec les déchets au sein de la famille et de la communauté, ceci afin de rendre ce travail supportable, voire porteur de sens.
- Vivre avec les déchets : - Ka-Ming Wu, Jieying Zhang p. 71-79
Essai
- Le calme avant la tempête ? - Joachim Boittout p. 81-86 Le présent article propose une réévaluation des tendances intellectuelles et littéraires durant les quelques années précédant le déclenchement du mouvement pour la Nouvelle culture. En se fondant sur des traductions de textes publiés entre 1912 et 1915, cette étude explore la manière dont un groupe d'auteurs généralement considérés comme conservateurs sont allés jusqu'à remettre en question la dépendance de l'individu vis-à-vis des structures politiques, qui sous-tendait pourtant le cadre intellectuel prédominant à l'époque. Cet article soutient que, en réalisant un « tournant vers l'intime », ces auteurs ont, par le truchement de la littérature, non seulement rivalisé avec, mais aussi précédé l'appel à l'éveil individuel lancé avec véhémence par les tenants de la Nouvelle culture à partir de 1915. Dans le contexte de la célébration du centenaire du mouvement du 4 Mai 1919, l'approche retenue ici réaffirme la nécessité de traduire et de faire connaître ces textes et entend redonner vie au contexte littéraire et intellectuel vibrant du début des années 1910 dans lequel ont germé les idées du mouvement pour la Nouvelle culture.
- Le calme avant la tempête ? - Joachim Boittout p. 81-86
Entretien
- 1989-2019 : le 4 Juin vu de Hong Kong - p. 89-95 La violence et l'ampleur de la répression du 4 juin 1989 en Chine ont profondément ébranlé la société hongkongaise et fondamentalement remis en cause sa confiance en l'avenir à l'aube de la rétrocession. En mai et juin 1989, des centaines de milliers de Hongkongais ont envahi les rues à plusieurs reprises pour manifester contre la répression du mouvement étudiant, exprimant colère, désarroi et inquiétude face à l'avenir politique de Hong Kong, comme l'écrivait Joseph Y. Cheng dans un numéro spécial de notre revue paru à l'occasion du 20e anniversaire du 4 Juin (Cheng 2009 : 92). Depuis 1997, alors que la Région administrative spéciale fonctionne selon le principe « un pays, deux systèmes » (yiguo liangzhi 一國兩制), le 4 Juin reste un facteur déterminant dans la formation de l'identité locale, et contribue à la difficulté de sa relation avec la Chine, notamment vis-à-vis de la direction du Parti communiste chinois (PCC). Au cours des trois dernières décennies, Hong Kong a été le siège des commémorations collectives les plus importantes – et probablement les plus diverses – du massacre du 4 Juin. Les fluctuations de ces commémorations s'articulent de manière complexe à la société, la politique et l'identité hongkongaise. Contrairement à la situation en RPC, le mouvement de 1989 et ses conséquences sanglantes peuvent être ouvertement évoqués à Hong Kong ; aussi, le 4 Juin y est encore annuellement commémoré, notamment lors d'une veillée organisée au parc Victoria par l'Alliance hongkongaise de soutien aux mouvements patriotiques et démocratiques en Chine. La nature de cette commémoration a longtemps défini deux lignes politiques : d'un côté, le camp pro-Pékin et, de l'autre, les partisans de la pleine démocratie et de la liberté d'expression qui s'identifient pour la plupart à un éventail de partis pan-démocrates. La position unique de Hong Kong a donné lieu à une riche production de travaux de recherche, d'écrits, d'œuvres d'art et de commémorations – dont le Musée du 4 Juin (Liusi Jinianguan 六四紀念館), créé à l'initiative de l'Alliance hongkongaise de soutien aux mouvements patriotiques et démocratiques en Chine, et qui a récemment ré-ouvert. Néanmoins, la montée du « localisme » (bentu yishi 本土意識) ces dernières années et le sentiment croissant d'empiétement de la politique de Pékin sur les valeurs fondamentales de Hong Kong invitent à reconsidérer la nature déterminante du 4 Juin. Plus particulièrement depuis le mouvement des Parapluies de 2014, les commémorations sont devenues un sujet de controverses au sein du camp pan-démocrate, relançant ainsi un débat sur l'identité de Hong Kong qui révèle les idéologies s'affrontant entre différentes générations (Fung 2018). À l'occasion de son 30e anniversaire, nous avons donc invité des chercheurs établis à Hong Kong, spécialistes de l'héritage du mouvement étudiant de 1989 et de sa répression, à nous faire partager leurs connaissances. En plus d'accueillir la plus grande vague de manifestations contre le massacre, Hong Kong offrait également en 1989 aux journalistes et aux chercheurs un lieu sûr pour rendre compte de l'événement. La scène artistique locale s'est aussi rapidement intéressée au sujet en inspirant, entre autres, des pionnières de l'art vidéo comme Ellen Pau 鮑藹倫et May Fung 美華. Les personnes interrogées ci-dessous nous font part de leur point de vue sur le 4 Juin aujourd'hui, dans un contexte politique chinois et hongkongais radicalement différent. C'est en tant que journalistes, chercheurs sur les médias, politologues et artistes qu'ils partagent leurs connaissances sur la façon dont l'événement est couvert par la presse, convoqué, commémoré ou représenté 30 ans plus tard à Hong Kong et en RPC.
- 1989-2019 : le 4 Juin vu de Hong Kong - p. 89-95
Comptes rendus de lecture
- CHENG, Edmund 鄭煒, et Samson YUEN 袁瑋熙 (éds.). 2018. 社運年代, 香港抗爭政治的軌跡 (Sheyun niandai, Xianggang kangzheng zhengzhi de guiji, L'ère des mouvements sociaux : évolution des conflits politiques à Hong Kong). Hong Kong : Chinese University Press. - Michael Ng p. 96-97
- HONG, Yu. 2017. Networking China: The Digital Transformation of the Chinese Economy. Urbana, Chicago et Springfield : University of Illinois Press. - Séverine Arsène p. 97-98
- MATHEWS, Gordon, Linessa Dan LIN, et Yang YANG. 2017. The World in Guangzhou. Africans and Other Foreigners in South China's Global Marketplace. Chicago : Chicago University Press. - Romain Dittgen p. 99-100
- KERLAN, Anne. 2018. Lin Zhao, « combattante de la liberté ». Paris : Fayard. - Michel Bonnin p. 100-102