Contenu du sommaire : Appropriations monothéistes de figures « païennes »
Revue | Revue de l'histoire des religions |
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Numéro | tome 236, no 4, 2019 |
Titre du numéro | Appropriations monothéistes de figures « païennes » |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Appropriations monothéistes de figures « païennes » : Avant-propos - Constantinos Macris, Joëlle Soler, Anna Van den Kerchove p. 651-655
- Un « sage égyptien » chez les auteurs chrétiens de l'antiquité : Hermès Trismégiste - Anna Van den Kerchove p. 657-701 Dans l'Antiquité, Hermès Trismégiste est considéré comme un personnage historique auquel une voie de sagesse est attribuée. Au-delà d'une influence diffuse auprès d'auteurs polythéistes et chrétiens, Hermès Trismégiste apparaît explicitement sous la plume d'auteurs chrétiens comme « sage égyptien », d'abord dans le monde latin, avant d'être utilisé comme tel en monde grec au IVe siècle. La manière dont les différents auteurs parlent de cette figure se fait plus précise au cours des IIe-IIIe siècles, pour ce qui concerne la figure elle-même, aussi bien que les idées qui lui sont attribuées. Dans le même temps, les raisons pour lesquelles les chrétiens recourent à Hermès Trismégiste sont très variées, avec des constantes, mais aussi des variations qui sont liées à la fois aux buts que les auteurs se fixent dans les ouvrages où ils mentionnent Hermès et au contexte historique immédiat.During Antiquity, Hermes Trismegistus is considered as a historical figure to which a path of wisdom is attributed. Beyond a diffuse influence among polytheists and Christians, Hermes Trismegistus is explicitly mentioned by Christian authors as an “Egyptian sage”, first in the Latin world, then in the Greek world during the 4th c. The way the Christian authors speak of Hermes becomes more precise during the period going from the 2nd to the 4th century, concerning both the figure itself as well as the ideas attributed to it. At the same time, the reasons for using Hermes Trismegistus are diverse. There are some constants in this use, but also variations that depend on the aims of the authors and on the immediate historical context.
- Virgile, prophète du monothéisme dans l'Antiquité tardive ? - Joëlle Soler p. 703-730 Les chrétiens de l'Antiquité tardive, pris dans leur ensemble, ne considèrent pas Virgile comme un prophète de leurs croyances, contrairement à la Sibylle, dont les oracles « véridiques » auraient inspiré le poète. Pour la plupart des non-chrétiens de l'empire tardif, Virgile, dont le prestige et l'autorité sont inégalables, n'est pas non plus pour autant l'auteur sacré d'une « Bible païenne », comme l'ont écrit certains historiens de la période. Les exemples de telles interprétations sont isolés (le Discours à l'Assemblée des Saints, le Centon de Proba, les Saturnales de Macrobe) et témoignent d'appropriations monothéistes, chrétiennes et non chrétiennes, très originales, qui cristallisent les différentes étapes de la christianisation de l'empire.The Christians of Late Antiquity, taken as a whole, do not consider Virgil as a prophet of their beliefs, unlike the Sibyl, whose “true” oracles are considered to have inspired the poet. For most of the non-Christians of the declining Empire, Virgil, whose prestige and authority are unequaled, is not the sacred author of a “pagan Bible”, as some scholars have written. Examples of such interpretations are isolated (the Speech to the Assembly of the Saints, the Cento of Proba, the Saturnalia of Macrobius) and bear witness to monotheistic appropriations, Christian and non-Christian, which remain very original, and crystallize the different stages of the Christianization of the Roman empire.
- La figure de Pythagore comme maître d'ésotérisme et de théologie monothéiste dans la philosophie islamique du xie/xviie siècle - Mathieu Terrier p. 731-766 Pythagore est connu en Islam par un corpus de maximes et d'informations mêlant l'authentique et l'apocryphe. L'article étudie la réactivation de cette figure dans l'Iran shî‛ite du xie siècle de l'hégire / XVIIe de notre ère, chez les philosophes Mîr Dâmâd (m. 1040/1631), Mullâ Ṣadrâ (m. 1045/1636) et Quṭb al-Dîn Ashkevarî (m. ca 1090/1679). Dans leurs œuvres, ils se réfèrent fréquemment à Pythagore comme à un sage initié à la source prophétique, un maître de vie philosophique et religieuse, mais aussi un maître de vérité théologique monothéiste. Par l'harmonisation de l'enseignement qui lui est attribué avec le Coran et les ḥadîths des Imâms, ces philosophes repensent à nouveaux frais les questions de l'unicité divine, de la relation entre Dieu et Sa création, de l'âme humaine et de son destin.Pythagoras is known in Islam through a corpus of maxims as well as through information mixing the authentic and the apocryphal. The article aims to study the reactivation of this figure in 11th / 17th-century Shî‛i Iran, among philosophers such as Mîr Dâmâd (d. 1040/1631), Mullâ Ṣadrâ (d. 1045/1636) and Quṭb al-Dîn Ashkevarî (d. ca 1090/1679). In their works, they frequently refer to Pythagoras as a wise man initiated at the prophetic source, a master of philosophical and religious life, but also a master of monotheistic theological truth. By harmonizing the teaching attributed to him with the Qur'an and the ḥadîths of the Imâms, these philosophers rethink questions concerning divine oneness, the relationship between God and His creation, the human soul and its destiny.
- Philosophes de la Grèce antique dans un centon monothéiste de Clément d'Alexandrie - Constantinos Macris p. 767-789 Le recours de nombreux auteurs chrétiens des premiers siècles de notre ère à des témoignages d'origine païenne exposant des dogmes fondamentaux du christianisme – dont l'unicité de Dieu – est un phénomène tout à fait remarquable. Pour mieux le comprendre, on se penche sur un texte qui a moins retenu l'attention de la recherche en tant que tel : le chapitre 14 du Ve Stromate de Clément d'Alexandrie, qui constitue un recueil extrêmement riche et varié de testimonia païens à contenu monothéiste, censés prouver le « larcin des Grecs » à l'égard des Écritures. On passe en revue les figures de philosophes grecs mobilisés par Clément, en s'attardant sur le contenu précis et la teneur des doctrines exposées dans les textes cités, authentiques ou (parfois) pseudépigraphiques, et en examinant la façon dont l'auteur chrétien les intègre dans le propos à la fois apologétique et didascalique des Stromates.During the first centuries of our era, a quite remarkable phenomenon took place : many Christian authors used pagan testimonies to exhibit the fundamental dogmas of Christianity – including the uniqueness of God. To better understand this phenomenon, we look at a text which, though variously used as a doxographic source, has, in itself, received little attention from modern research : Chapter 14 of the Fifth Stromateus of Clement of Alexandria, which contains an extremely rich and varied collection of pagan testimonia with monotheistic content, meant to prove the “theft of the Greeks”. In this paper we review the figures of Greek philosophers mobilized by Clement, focusing on the precise content and tenor of the doctrines set out in the texts cited, whether authentic or (sometimes) pseudepigraphic. We also examine how the Christian author integrates these texts and ideas into the apologetic and didactic approach of his work.
- Lactance, nouvel auctor, et les témoignages païens du monothéisme - Blandine Colot p. 791-819 Traitant la question du monothéisme par laquelle il débute les Institutions divines, Lactance entend pallier la difficulté à pouvoir démontrer la vérité chrétienne à des païens n'ayant que dédain pour le texte biblique par son recours aux testimonia des philosophes ou des poètes (« païens »), des hermetica ou des oracles. On voit d'abord que la Bible demeure le véritable « sous-texte » du discours de Lactance et que ces textes ne sont cités que pour prendre valeur de preuve en raison de leur autorité auprès du lectorat païen. Ensuite, en s'intéressant à la force illocutoire de son discours, on montre que Lactance ne se préoccupe pas uniquement du concept de monothéisme, mais aussi de son application à la religion par le culte. Or, si ces différents testimonia nous rendent sensible un environnement intellectuel d'époque, c'est finalement Cicéron qui se révèle la « contre-figure » de l'apologiste dans son argumentation auprès de ses lecteurs pour l'institution de la religion chrétienne.Dealing with the question of monotheism, with which he begins the Divine Institutes, Lactantius declares his intention to overcome the difficulty of demonstrating the Christian truth to pagans, who have only disdain for the biblical text, through his recourse to the testimonia of (“pagan”) philosophers or poets, hermetica or oracles. First, we understand that the Bible remains the true “subtext” of Lactantius' discourse, and that these texts are only cited as evidence because of the authority they enjoyed among the pagan readership. Second, and with a closer look at the illocutionary force of his discourse, we show that Lactantius is not only concerned with the concept of monotheism but also with its application to religion through worship. So, while these various testimonia make us sensitive to the intellectual environment of the time, it is ultimately Cicero who is revealed as the “counter-figure” of the apologist in his argumentation to his readers for the institution of the Christian religion.
- Les philosophes grecs, tous monothéistes ! Une relecture néoplatonicienne islamisée de l'histoire de la philosophie (Pseudo-Ammonius) - Daniel De Smet p. 821-846 La Doxographie du Pseudo-Ammonius met en scène une série d'anciens sages qui s'accordent plus ou moins sur deux dogmes fondamentaux de l'islam : l'unité et l'unicité de Dieu (tawḥīd) et la création du monde ex nihilo (ibdā‛). Elle véhicule une conception de l'histoire de la philosophie qui se rattache au néoplatonisme tardif (Hiéroclès et Proclus). L'analyse des notices sur Thalès de Milet et Héraclite confirme que le texte repose sur une doxographie néoplatonicienne de l'Antiquité finissante, issue d'un milieu chrétien dans l'entourage d'Ammonius, fils de Hermias. Il a été islamisé probablement dans le « cercle d'al-Kindī » et s'inscrit dans le projet du philosophe arabe : intégrer et légitimer la philosophie antique dans un contexte islamique.The Doxography of Pseudo-Ammonius presents a number of ancient sages who more or less agreed about two fundamental tenets of Islam : the unity and uniqueness of God (tawḥīd) and the creation of the world ex nihilo (ibdā‛). The work implies a conception of the history of philosophy developed by later Neoplatonists such as Hierocles and Proclus. The analysis of the chapters about Thales and Heraclitus confirms that the text is based on a Neoplatonic doxography from late Antiquity, stemming from a Christian milieu close to Ammonius, son of Hermias. It was probably Islamized in the “circle of al-Kindī” and shares the project of the Arabic philosopher: to integrate and to legitimize ancient philosophy in an Islamic context.