Contenu du sommaire : La guerre des drones

Revue A contrario Mir@bel
Numéro no 29, 2019/2
Titre du numéro La guerre des drones
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Éditorial

  • Articles

    • Guerre des drones, médiation verticale et la classe ciblée - Lisa Parks, Marie Sandoz p. 25-34 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En partant de recherches féministes, cet article explore comment l'usage de drones militaires par les États-Unis a (re)organisé la vie quotidienne de certaines régions en créant une nouvelle classe. Celle-ci est caractérisée par son statut de cible privilégiée des attaques et le fait qu'elle soit dépossédée de ses droits les plus fondamentaux à travers des pratiques de « médiation verticale ». Dans cette perspective, l'article soutient qu'une étude critique des drones et de la guerre se doit d'inclure une réflexion sur les champs verticaux qui structurent, depuis les airs, la vie sur terre. Il s'agit notamment d'analyser les ressources physiques qui constituent les champs verticaux (essence, travail, terre, matériaux, réseaux, données, ciel et orbite) ainsi que les hiérarchies que leur contrôle implique. Il est certes important de considérer la façon dont la guerre des drones est régie par des systèmes qui relèvent du contrôle à distance, de la simulation et du jeu. Mais il est tout aussi primordial de prendre en compte ses dimensions plus terrestres et incarnées ainsi que les paysages et les autotopographies où s'inscrit l'usage des drones, et qui enregistrent leurs effets.
      Drawing on feminist research, this paper explores how US military drone use has (re)organized everyday life in some parts of the world by producing a new, disenfranchised, targeted class through practices of “vertical mediation”. It argues that the critical analysis of drone technology and warfare needs to include careful consideration of the vertical fields—material resources (fuel, labor, lands, hardware, networks, data, sky, orbit) and hierarchies of command—that enable aerial restructuring of life on earth. Just as it is important to recognize how drone warfare is organized through systems of remote control, simulation, and gaming, it is equally important to acknowledge its grounded and embodied dimensions, the landscapes and autotopographies that register and archive the drone's uses and effects.
    • Verticalité, drones et géopolitique : les travaux de Lisa Parks - Marie Sandoz p. 35-42 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Ce texte propose une introduction aux travaux de Lisa Parks, dont les recherches restent peu connues dans l'espace francophone. Il accompagne la traduction de son article « Drones, Vertical Mediation, and the Targeted Class » (2016), également incluse dans ce numéro d'a contrario.
      This paper offers an introduction to Lisa Parks's work, whose research remains little known in French-speaking academia. It accompanies the translation of her article “Drones, Vertical Mediation, and the Targeted Class” (2016), which is also part of this issue of a contrario.
    • Des larmes de crocodile ? Culpabilité et stress post-traumatique chez les pilotes de drones armés - Amélie Ferey p. 43-61 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'utilisation de drones armés par les États-Unis a fait l'objet de critiques nourries. Tandis que certaines mettent en doute la légalité des frappes, d'autres dénoncent la « déshumanisation » d'une guerre à distance. En particulier, la controverse s'articule autour de l'hypothèse dite du tampon moral selon laquelle la grande distance à laquelle est placé l'opérateur de la personne ciblée facilite le passage à la violence. Si l'on suit cette logique, la possibilité offerte par les drones de projeter sa force à des milliers de kilomètres sans mettre sa vie en danger fait courir le risque d'une « virtualisation de la conscience de l'homicide » (Chamayou 2013 : 153). Dans cette perspective, cet article s'intéresse aux cas d'états de stress post-traumatique (ESPT) dont souffrent les pilotes de drones américains. Ces pathologies ont été mobilisées au plan rhétorique par les partisans de ce type d'armement afin de contrer l'association faite entre drones armés et « mentalité de jeu vidéo ». Or la présence d'ESPT n'indique pas simplement une prise de conscience de l'acte de donner la mort. Elle est aussi liée à des facteurs conjoncturels tels que les conditions de travail des pilotes. En particulier, la cohabitation entre l'espace domestique et l'espace de guerre complique la prise en charge morale de la violence. Ainsi, l'hypothèse du tampon moral reste entière et n'est pas invalidée par les états de stress post-traumatiques ressentis par le personnel navigant américain. Après avoir brièvement distingué les critiques légales-contextuelles des critiques technologiques-principielles du drone armé (I), nous analysons la théorie dite du tampon moral selon laquelle la distance désinhibe l'acte de tuer (II). La présence d'états de stress post-traumatique parmi ses pilotes de drones ne permet pas d'invalider le rôle joué par la distance dans la désinhibition de la violence, laissant entières les interrogations sur les conséquences morales de la technologie du drone armé (III).
      The American use of armed drones has been highly criticized. While some authors question the legality of US drone strikes, other denounce more radically the “deshumanization” induced by the increased distance between the operator and the target. The controversy revolves around the idea that the greater the distance is, the easier it is to kill: the so-called “distance hypothesis”. In this perspective, the possibility offered by drones to project US forces thousand miles away without risking the lives of soldiers may result in a “virtualization of the conscience of the homicide” (Chamayou 2013: 153). This article focuses on post-traumatic stress disorder (PTSD) experienced by American drone pilots. These pathologies are part of a rhetoric used by drone enthusiasts to disassociate the use of armed drones from the idea that drone pilots may kill with a “video game mentality”. However, the presence of PTSD does not automatically indicate the pilot's awareness of his own act of killing. PTSD may also be explained by structural factors such as the working conditions of pilots. In particular, the cohabitation between domestic life and war complicates the pilots' relationship to violence. Thus, the “distance hypothesis” remains intact and is not invalidated by the PTSD experienced by American personnel. After briefly distinguishing a contextual-legal from a radical-technological critic (I), we analyze the “distance hypothesis” according to which distance eases the act of killing (II). We conclude by arguing that it is difficult to draw conclusion from PTSD experienced by American drone pilots with regard to the moral implications of drone technology (III).
    • Frappes de drones sous Obama : entre acte terroriste et (il)légalité militaire - Quentin Brunet p. 63-80 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article tente de déterminer si les frappes de drones américains peuvent être qualifiées d'attaques terroristes tant du point de vue de la victime que sur le plan politique. La comparaison entre les justifications des frappes de drones par Obama et la déclaration publique d'Al-Qaïda concernant les attentats de Londres montre les différentes formes que peut prendre la terreur. Cela déclenche une analyse des concepts juridiques qui légitiment les frappes de drones. Cette analyse permet finalement de lier les perspectives chomskyennes et le concept de State Lawfare tel que théorisé par Lisa Hajjar.
      This paper investigates the extent to which American drone strikes can be qualified as terrorist attacks from the victim's point of view, as well as politically. The comparison between Obama's mise au point on drones strikes and Al-Qaeda's public claim on London attacks highlight different shades of terror. This observation triggers a legal analysis of drone strikes under international law, which ultimately reconnects the chomskyan perspective to Hajjar's view on American state lawfare.
    • « L'œil électrique » et « la torpille volante » : pistes pour une histoire du drone à partir de l'histoire télévisuelle - Anne-Katrin Weber p. 81-98 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article propose d'étudier l'histoire des drones par le biais de l'histoire de la télévision. S'intéressant plus précisément aux échanges entre les domaines militaire et civil, sa focale s'éloigne d'une étude stricte des drones pour embrasser une approche d'histoire des médias et d'archéologie télévisuelle. Dans cette perspective « élargie » de l'histoire de la télévision, il porte son attention sur les dispositifs télévisuels non institutionnels ; ceux-ci ne participent pas à la définition du mass media diffusant un programme régulier dans les espaces domestiques, mais sont du ressort de domaines relativement négligés par l'historiographie, à savoir le militaire et l'industrie. Le double déplacement – des drones vers la télévision et de la télévision institutionnelle vers la télévision militaire et industrielle – permet de cartographier la circulation des pratiques et des techniques et de souligner la perméabilité des champs militaire et civil, souvent séparés au sein du débat actuel. L'article s'intéresse en particulier à l'imaginaire d'une technologie « sans hommes » qui se retrouve autant dans les discours sur les drones que sur la télévision industrielle. Alors que les deux systèmes sont fortement tributaires des assemblages homme-machine, les discours les concernant mettent en avant une technologie automatisée, voire autonome. Ensuite, l'analyse de la fonctionnalité de l'image télévisuelle militaro-industrielle offre une autre manière de penser les liens entre des pratiques militaires et civiles. Pour cela, l'article recourt à la notion d'« images opérationnelles » (Farocki 2004) qui permet d'appréhender les images télévisuelles non pas en tant que représentations mais en tant qu'instruments. Lorsque voir signifie faire, la destruction et la production deviennent des opérations qui s'apparentent.
      This article studies the history of drones through the history of television. More specifically, it analyses the transfer of military television–central to the production of an “unmanned” vehicle–into the industrial environment at the end of the Second World War. The specificities of military television such as its reduced size and weight facilitate the diversification of its uses beyond drones. In this perspective, the article pursues two reflections. First, it studies discourses that celebrate both drones and industrial television as “manless” technological systems. While these systems remain largely dependent on human intervention, the elimination of the human on a discursive level is part of the context of automatization and rationalization–context which shapes the battlefield as well as the factory hall. Second, the analysis of the televisual image's functionality in military-industrial environments offers another way for thinking about the links between military and industrial practices. To this end, the article uses the notion of “operative images” (Farocki 2004), which helps understand television images not as representations but as instruments. When seeing means doing, destruction and production become related operations.
    • La guerre vue du ciel : l'usage des drones en terrain africain - Erick Sourna Loumtouang p. 99-118 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Fin mars 2016, un reportage de la chaîne France 24 dans l'Extrême-Nord Cameroun fait état de l'usage des drones par l'armée camerounaise pour combattre Boko Haram. Ces engins, dit le responsable de la communication du ministère de la Défense camerounaise, permettent de réduire les efforts humains et de surveiller la frontière camerouno-nigeriane, devenue névralgique depuis le début de l'insurrection armée de Boko Haram en 2009. Le 17 février 2017, the Voice of America poste sur sa chaîne YouTube en langue Haoussa, une vidéo montrant de jeunes adolescents, combattants dans les rangs de Boko Haram en train de piloter un drone, à l'image des multiples prototypes qu'il est possible d'acquérir au détour d'un clic sur internet et dans des magasins de gadgets électroniques au Nigeria. Les insurgés à côté de ces pilotes de fortune, vraisemblablement impressionnés par l'objet, cachent mal leur joie à la vue du petit insecte dans les airs. Ces deux tableaux mettent en évidence l'usage des drones dans le cadre du conflit qui oppose les États du bassin du lac Tchad au mouvement djihadiste Boko Haram. Si ces deux fresques donnent à voir l'omniprésence des drones en ce début de XXIe siècle, cette situation masque au contraire la longue histoire de leur utilisation même si celle-ci est inégalement répartie en fonction des continents. L'Afrique est dans ce contexte la dernière frontière des drones. Sur le continent africain, les drones amorcent dans ce continent une percée autant à travers leurs applications civiles et militaires. Si cette tendance traduit un vent de nouveauté dans l'usage des nouvelles technologies, elle préfigure un nouvel impérialisme sur fond technologique. Réflexion de nature exploratoire, cette étude se propose de discuter l'utilisation des drones en terrain africain dans une perspective critique. On s'intéressera ainsi d'une part à l'usage civil des drones, sans les déconnecter des logiques néolibérales qui sous-tendent la conquête du marché africain par les constructeurs occidentaux et asiatiques, et d'autre part à l'utilisation de ces aéronefs sans pilote dans le cadre de la lutte contre le terrorisme dans le bassin du lac Tchad.
      At the end of March 2016, a report by France 24 reports on the use of drones by the Cameroonian army to fight Boko Haram. These devices, says the communication chief of the Cameroonian Ministry of Defense, help monitor the Cameroon-Nigeria border, which has become the centre of a conflict since the beginning of the armed insurgency of Boko Haram in 2009. On 17 February 2017, Voice of America posts on its YouTube channel in Haoussa language a video showing young teenagers, who are fighters in the ranks of Boko Haram. They are piloting a drone, likely one of the multiple prototypes that it is possible to buy on the internet and in electronic gadgets stores in Nigeria. The insurgents next to these pilots of fortune, presumably impressed by the object, do not hide their joy at the sight of the little insect in the air. These two events highlight the use of UAVs in the conflict that opposes the states in the Lake Chad Basin and the Boko Haram jihadist movement. However, if they underlined the omnipresence of drones at the beginning of the 21st century, they mask the long history of drone use. In this context, Africa is the last frontier. Used in military and civilian contexts, drones in Africa foreshadow a new imperialism built on technological innovation. This study proposes to debate the use of drones on African soil in a critical perspective. We will be interested in the civilian use of drones, without disconnecting it from the neoliberal logic that subdues the conquest of market shares in Africa for Western and Asian manufacturers, and in the use of unmanned aircraft in the context of the war against terrorism in the Lake Chad Basin region.
    • Entre formalité et informalité : étude critique sur l'intégration de drones au sein de la Police neuchâteloise - Silvana Pedrozo, Francisco Klauser p. 119-140 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En Suisse, l'utilisation des drones policiers à des fins sécuritaires s'accentue depuis les années 2000. Pourtant, les citoyens suisses restent peu informés de leur introduction ainsi que des multiples usages qui en sont faits dans le milieu policier. Alors que de nombreuses institutions publiques à vocation sécuritaire prônent la transparence, l'intégration de cette nouvelle technologie numérique se fonde-t-elle sur des mécanismes majoritairement formels ou informels ? Basé sur des données qualitatives issues d'entretiens ainsi que d'observations de terrain auprès de la Police neuchâteloise (Suisse), cet article démontre que l'acquisition de systèmes de drones policiers relève d'un ensemble de processus interdépendants qui se complètent et résultent de nombreuses médiations sociotechniques conjuguant des mécanismes formels et informels. Du point de vue plus conceptuel, cet article met en lumière l'importance des mécanismes pratiques et relationnels entre des acteurs publics et privés ainsi qu'avec l'objet concerné. L'agencement dynamique de certains individus, de certaines idées et choses est dès lors identifié et étudié afin de brosser un portrait exploratoire des enjeux en matière d'informalité qui gravitent autour de l'acquisition de drones policiers.
      In Switzerland, the use of police drones for security purposes has increased strongly since the early 2000s. However, Swiss citizens remain largely uninformed about the drones' multifold police usage. Whilst many public institutions in security matters today advocate more transparent decision-making processes, could it be that the integration of drones within the police relied mostly on formal or informal mechanisms? Drawing upon qualitative interviews and observational research conducted with Neuchâtel police (Switzerland), this paper demonstrates that the acquisition of police drone systems results from a set of interdependent processes and socio-technical mediations that bring together both formal and informal mechanisms. From a conceptual viewpoint, this analysis highlights the importance of the practical and relational mechanisms that interlink the differing public and private actors with the objects concerned. The dynamic assemblage of individuals, ideas and things that underpins the use of police drones in Neuchâtel is therefore identified and studied in order to provide an exploratory portrait of the informality issues surrounding the acquisition of police drones more generally.
    • Le projet Maven, entre pressions politiques et postures éthiques - Hélène Jeannin p. 141-155 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Nous revenons sur le projet Maven aux États-Unis et le mouvement de contestation qu'il a déclenché au sein de Google en 2018. Ce projet prévoyait que Google aide le Département de la Défense américain en équipant les drones militaires de solutions d'intelligence artificielle et de cloud sans en informer les salarié·e·s. Nous nous interrogeons sur les motivations sur lesquelles repose leur tollé. Nous formulons plusieurs hypothèses. La première est liée à la puissance de valeurs militantes au sein de catégories professionnelles spécifiques, qui deviennent des moteurs pour l'action. La seconde est corrélée aux progrès techniques de l'IA, dans un contexte de convergence croissante des sphères civile et militaire et de fortes pressions politiques de la part du Pentagone et de la Maison-Blanche. En tout état de cause, une telle mobilisation appelle à une prise de conscience élargie sur les enjeux éthiques et sociétaux de l'IA, et à des débats bien au-delà de la communauté scientifique.
      With Project Maven, Google planned to collaborate with the American Department of Defense. The project's aim was to equip military drones with Google Artificial Intelligence (A.I.) and cloud solutions. The project was held secret and Google employees were at first not informed about its goals. When revealed, it sparked mass protest. This paper studies the motivations behind the employees' protest against Project Maven. There are several hypotheses: The first one is linked to the importance of activist values in specific professional categories, which are drivers for action. The second one has to do with A.I. technical progress within a context of increasing convergence between civilian and military spheres. In any case, such a huge mobilization brings to light the need for a much wider awareness of the ethical and societal challenges of A.I. as well as the need for debates far beyond just the scientific community.
    • La masculinité militaire à l'épreuve des drones dans le cinéma hollywoodien contemporain - Jules Sandeau p. 157-175 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article étudie les représentations des drones de combat dans le cinéma hollywoodien contemporain en analysant à la fois les films qui mettent en scène ces armes et leurs opérateurs, comme Oblivion (2013) ou Good Kill (2014), que ceux dont le sous-texte est hanté par ces « unmanned aerial vehicles », comme The Dark Knight Rises (2012) ou American Sniper (2014). Il met en lumière les différentes manières par lesquelles ces productions tentent d'exorciser la « crise dans l'éthos militaire » (Chamayou) provoquée par la généralisation des drones dans l'armée américaine, en réaffirmant (ou redéfinissant partiellement) les idéaux de masculinité militaire traditionnels.
      This article studies the representations of combat drones in contemporary Hollywood cinema by analyzing films that show these weapons and their operators, such as Oblivion (2013) or Good Kill (2014), as well as those films whose subtext is haunted by these “unmanned aerial vehicles”, such as The Dark Knight Rises (2012) or American Sniper (2014). It sheds light on the various ways these productions attempt to exorcise the “crisis in military ethos” (Chamayou) caused by the generalization of the use of drones in the US army, by reaffirming (or partially redefining) the ideals of traditional military masculinity.