Contenu du sommaire : L'Europe contre la guerre
Revue | Inflexions |
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Numéro | no 33, 2016/3 |
Titre du numéro | L'Europe contre la guerre |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Éditorial - François Scheer p. 7-10
Dossier
- L'Europe contre la guerre - Edgar Morin, Hervé Pierre p. 11-19 Comment penser l'Europe ? Comment la définir ? Edgar Morin alerte ici sur une Europe recroquevillée sur elle-même et qui a failli à sa mission : être un espace de paix ouvert au monde. Il existe pourtant une voie, un chemin étroit, mais qui ne s'emprunte qu'en acceptant d'affronter la difficulté.How to conceive of Europe ? How to define it ? Edgar Morin here warns of a Europe closed in on itself and which fails in its mission : being an area of peace open to the world. There is, however, a route, a narrow path, but can only be taken by agreeing to confront the difficulty.
- Le bonheur est dans la paix ou l'histoire d'une impuissance - François Scheer p. 21-30 Née de la guerre, l'Europe se trouve à l'issue de la Seconde Guerre mondiale contrainte à la paix et à l'unité, l'une ne pouvant aller sans l'autre. Et l'unité progressera à la faveur d'une paix, fruit de la guerre froide et de la protection américaine. Seule la France tentera de défendre le concept d'une défense européenne autonome, pour finir par rentrer dans le rang, au moment même où la guerre est à nouveau aux portes de l'Europe et qu'une prolifération terroriste sur son sol met au défi l'Union de donner enfin sens à une politique commune de sécurité et de défense.Born from war, Europe found itself at the end of the Second World War forced to accept peace and unity, one cannot exist without the other. And the unity will progress in favour of peace, the result of the cold war and American protection. France alone attempted to defend the concept of an autonomous European defence, ending by joining the ranks, at the very moment when war was again at the gates of Europe and when the proliferation of terrorists on its soil challenged the Union to finally make sense of a common policy of security and defence.
- Jean Monnet, « l'inspirateur » - Boris Hazoumé p. 31-38 Lorsque l'on évoque Jean Monnet, on pense spontanément au « père de l'Europe » qui fut notamment le premier président de la haute autorité de la ceca. On sait moins que les questions de défense tinrent une place primordiale dans sa carrière, dès l'âge de vingt-huit ans, et qu'il y joua un rôle éminent. Nourri du témoignage de Pascal Fontaine, ancien assistant de Jean Monnet, cet article éclaire la personnalité très atypique de celui que le général de Gaulle surnomma l'« inspirateur », ainsi que les interactions entre son expérience « militaire » et son engagement européen.When Jean Monnet is mentioned, one thinks immediately of “the father of Europe” who was notably the first president of the high authority of the ECSC. It is less known that issues of defence held a primordial place in his career, starting at the age of twenty-eight, and he played an eminent role in this. Based on the testimony of Pascal Fontaine, a former assistant of Jean Monnet, this article sheds light on the very unusual personality of this man whom General de Gaulle called the “inspirer” and the interactions between his “military” experience and his European commitment.
- Paix ou sécurité ? - André Brigot p. 39-59 Tandis que des entités politiques en Europe se sont efforcées à partir du XIVe siècle de se constituer en État au sens moderne, à chaque siècle des auteurs ont élaboré des projets de paix pour et par une Europe politique. Institutionnalisé après la Seconde Guerre mondiale, ce projet semble être parvenu à réaliser une paix interétatique durable dans le territoire de l'Union. Mais la progression dans les domaines de l'économie néo-libérale et l'espace du marché suscite aujourd'hui réticences et doutes. Le passage d'une Europe pour la paix à une Europe pour la sécurité humaine et globale est-il susceptible de renouveler et réenchanter le projet d'Union ?At the end of several centuries of projects and a politically dysfunctional institutionalisation, the elimination of a European political saga is arriving. No overall internal security project has succeeded the need for peace between states, which appears to be satisfactory. Nor is there a court and police system that is common to all or in the process of unification, nor in the sense of protective social standards. One looks today in vain for representations that are similar to the old projects. They may however be a condition for the progress from a “Europe against war” to a Europe of security for everyone, which is collective and overall and not imperial. Without such founding goals, Europe loses it future and its principal strength : its attractiveness.
- Le concert européen - Jacques-Alain de Sédouy p. 61-66 Après les terribles guerres de la Révolution et de l'Empire, les dirigeants européens allaient, à partir de 1813, sous l'influence d'une Grande-Bretagne qui seule en Europe avait une expérience de la vie parlementaire, utiliser une méthode diplomatique qui connaîtra de plus en plus de succès : la diplomatie de conférence. Ce « concert des nations » maintint une paix relative sur le continent, jusqu'au milieu du siècle, plus difficilement ensuite avec la montée du nationalisme. Une concertation entre grandes puissances européennes toujours active qui n'a cependant pas pu empêcher l'explosion de 1914.After the terrible wars of the Revolution and the Empire, the European leaders, starting in 1813, under the influence of Great Britain, which alone in Europe had experience of parliamentary rule, would use a diplomatic method that would have more and more success : the diplomacy of conferences. This “concert of nations” maintained relative peace on the continent, with success until the middle of the century, and then more difficultly with the rise of nationalism. A cooperation among the still active great European powers that still could not prevent the explosion of 1914.
- Autopsie de l'Europe de la défense - Christian Malis, Hugues Esquerre p. 67-73 En mai 2015, Christian Malis a publié dans la Revue des deux mondes un article intitulé « L'Europe de la défense, alibi du déclin », dans lequel il constate la vacuité de l'Europe de la défense tant d'un point de vue stratégique que d'un point de vue opérationnel. Face à cette situation qui a placé les États membres de l'Union européenne dans une situation de dépendance et de suivisme géopolitique vis-à-vis des États-Unis, il préconise le retour d'États individuellement forts choisissant librement de mettre en commun leur force au service d'un projet partagé qui fait aujourd'hui défaut. La rédaction d'Inflexions l'a rencontré afin qu'il puisse développer son point de vue.In May 2015, Christian Malis published in the Review of Two Worlds an article entitled “The Europe of Defence, the Alibi of the Decline”, in which he noted the vacuity of the Europe of defence both from a strategic point of view and an operational point of view. In the face of this situation which has placed the member states of the European Union in a situation of dependency and geopolitical tagging-along with regard to the United States, he recommends the return of strong individual states that are free to place their forces in the common service of a shared project that it now missing. The editors of Inflexions met with him to allow him to develop his point of view.
- La ligne du sang - Daniel Hermant, François Lagrange p. 75-83 Cet essai vise à montrer que la violence physique, dans sa manifestation concrète de pouvoir de tuer, a été progressivement proscrite en Europe, après 1945, alors qu'elle avait été jusqu'ici admise. Le rapport des Européens à la guerre et à la violence politique en a été fortement affecté, au point qu'à la fin de la guerre froide, un État ou une organisation franchissant en Europe la ligne du sang se trouve délégitimé. Cette tendance générale, qui n'exclut pas des résistances, pose aussi la délicate question de la validité de la ligne du sang hors de l'espace européen.This essay attempts to show that physical violence, in the concrete manifestation of the power to kill, was gradually proscribed in Europe after 1945, although it had been accepted up to then. The relationship of Europeans to war and political violence has been significantly affected, to the point that at the end of the cold war, a state or an organisation in Europe which crossed the line of blood lost its legitimacy. This general tendency, which does not exclude resistance, also raises the delicate question of the validity of the line of blood outside of the European area.
- Retour ou déclin de la guerre ? - Pierre Manent p. 85-94 L'Europe s'est construite par la guerre, mais alors que s'éloignait la guerre froide, nous avons cru observer le progrès irrésistible d'une pacification bientôt universelle. Sous ce camouflage s'avançaient d'autres formes de conflit, qui ont cette particularité de rendre largement caduque la distinction politique primordiale et fondatrice entre l'intérieur et l'extérieur tout en obscurcissant celle entre la guerre et la paix. Il est clair que nous sommes entrés dans un âge nouveau pour lequel nous manquons d'analogies ou de précédents éclairants.Europe was constructed by war, but as we left behind the cold war, we believed that we would see the irresistible progress of pacification that would soon become universal. Under this camouflage, other forms of conflict advanced that have the particularity of invalidating the primordial and founding political distinction between the domestic and the external, while at the same time obscuring the distinction between war and peace. It is clear that we have entered a new age for which we lack clarifying analogies or precedents.
- Comment l'OTAN pense la guerre aujourd'hui - Frédéric Gout, Olivier Kempf p. 95-103 Créée en 1949 dans le but de dissuader toute agression des pays d'Europe occidentale par le bloc soviétique, l'Alliance atlantique aurait dû disparaître avec la chute du Mur. Or elle s'est maintenue et s'est même élargie, assurant aujourd'hui sa mission première de défense collective du territoire européen et poursuivant efficacement celle plus récente de sécurité coopérative. Elle semble en revanche plus hésitante en ce qui concerne la gestion de crises, peinant à imaginer ce que pourrait être une stratégie militaire adaptée à ce type de situations. Pourtant, un nouveau concept d'engagement restreint, avec des objectifs clairs et limités, apparaît de plus en plus nécessaire si les membres de l'Alliance veulent réellement assurer une défense de l'avant du territoire européen.Created in 1949 with the goal of dissuading any aggression of the Western European countries by the Soviet Bloc, the Atlantic Alliance should have disappeared with the fall of the Wall. However, it was maintained and even expanded, today carrying out its primary mission of collective defence of the European territory and effectively continuing the more recent mission of cooperative security. It appears, however, to be more hesitant with regard to the management of crises, having difficulty to imagine what could be a military strategy adapted to this type of situations. However, a new concept of restricted engagement, with clear and limited objectives, appears to be more and more necessary if the members of the Alliance truly want to ensure defence of the frontline of the European territory.
- Moldavie-Transnistrie, le conflit gelé - Catherine Durandin p. 105-112 La République de Moldavie, ancienne république soviétique indépendante depuis 1991, se porte mal. Crise politique, crise économique, crise identitaire : faute de dynamique présente, les mémoires plurielles de passés russe, puis roumain, puis soviétique pèsent lourdement. Sans oublier l'existence, à l'est du Dniestr, d'une entité auto proclamée indépendante, la Transnistrie. Au cours de l'automne 2015 et de l'hiver 2015-2016, le pays a été le lieu de manifestations en cascade. La Moldavie est en fait déchirée entre une voie russe ou une voie européenne, tandis que la Roumanie demeure prudente, installée qu'elle est en cette zone grise de l'Est européen qui porte encore l'héritage de la guerre froide : Tiraspol, capitale de la Transnistrie, accueille les visiteurs avec une statue colossale de Lénine ! Et pourtant, les jeunes élites intellectuelles se battent avec l'espérance d'un décollage qui tarde.The Republic of Moldova, a former Soviet republic independent since 1991, is in trouble. Political crisis, economic crisis, identity crisis : because of the lack of dynamism, multiple memories of the Russian and then the Romanian past, and then the Soviet past, weigh heavily. Without forgetting, to the east of the Dniest, a self-proclaimed independent entity, Transnistria. During the Fall and the Winter of 2015–2016, the country was the site of ongoing demonstrations… Moldova was torn between the Russian and the European path, while Romania remained prudent, installed as it is in this grey zone of Eastern Europe which still bears the heritage of the cold war : Tiraspol, the capital of Transnistria greets visitors with a colossal statue of Lenin ! And yet the young intellectual elites are fighting hopefully for a delayed start.
- Quelle Europe ? L'enjeu constitutionnel - Armel Huet p. 113-126 Les enjeux de l'Union européenne ne cessent d'être rebattus. Ils nous sont rappelés, au quotidien, par les choix de ses instances dirigeantes, les événements qui la marquent, les politiques et les règles qu'elle impose, les agitations et les errements qui la troublent, les intérêts et les forces centrifuges de ses nations, la vie à la fois créatrice et conservatrice, apaisée et tumultueuse des sociétés, les passions de leurs solidarités comme de leurs égoïsmes. Ces enjeux nous emportent dans les opinions les plus diverses et les plus contradictoires, entre replis nationalistes et convictions unitaires, mais nous restons pourtant confiants que l'Europe a les moyens de préserver la paix sur ses territoires. Cependant, la construction de cette Europe unie, considérée comme indissociable de sa lutte pour la paix, a-t-elle jeté des bases pérennes ? La question est d'actualité et elle est cruciale.The stakes of the European Union continue to be argued. We are reminded of them every day, by the choices of its leading bodies, the events which mark it, the policies and the rules that that it imposes, the agitations and the erring ways, the interests and the centrifugal forces of its nations, the simultaneously creative and conservative life of its societies, the passions and their solidarity and their selfishness. These stakes take us into the most diverse and most contradictory of opinions, between nationalist protection and unifying convictions, but we remain nonetheless confident that Europe has the means to preserve peace on its territory. But the construction of this unified Europe, considered to be inseparable from the combat for peace, does it have solid foundations ? The question is topical and it is crucial.
- L'Europe contre la guerre - Edgar Morin, Hervé Pierre p. 11-19
Pour nourrir le débat
- Baïonnette au bâillon, messieurs de Bergerac ! - Brice Erbland p. 127-134 Avons-nous aujourd'hui une armée faite de soldats qui s'expriment avec une certaine indépendance, comme le ferait Cyrano de Bergerac, ou sommes-nous condamnés à nous taire comme « un beau mousquetaire qui passe » ? Une tirade sur « l'état de l'art » en matière de liberté d'expression, au travers des personnages et des alexandrins du classique d'Edmond Rostand.Do we now have an army of soldiers who can express themselves with a certain independence, as Cyrano de Bergerac would do, or are we condemned to remain silent like “a handsome musketeer who passes” ? A tirade on the “state of the art” as concerns freedom of expression, using the characters and the verses of Edmond Rostand.
- Armées et entreprises, même combat ? - Olivier Lajous p. 135-143 Dans un monde redevenu vuca (vulnérable, incertain, complexe et ambigu) et caractérisé par la mondialisation et la numérisation de tous les échanges, le risque de repli identitaire et de crises entre communautés est prégnant. Pour le combattre, il faut oser le futur sans regretter le passé, placer l'Homme au cœur des organisations (armées, administrations, entreprises, associations…) et développer les valeurs clés de toute communauté : la solidarité, l'engagement, la discipline, le courage, la confiance, l'agilité et l'humour. Faisons de la richesse humaine l'enjeu premier de nos organisations.In a world that has again become vulnerable, uncertain, complex and ambiguous with globalisation and digitalisation in all exchanges, the risk of turning in on one's identity and crises between communities is vivid. In order to combat this, we must dare the future without regretting the past, placing mankind at the heart of the organisations (armies, administrations, enterprises, associations, etc.) and developing the key values of all communities : solidarity, commitment, discipline, courage, confidence, agility and humour. Let us make the human richness the principal aspect of our organisations.
- Le militaire et le philosophe : penser l'action à la guerre - Audrey Hérisson p. 145-158 Concevoir le système militaire comme un « outil », c'est nier sa capacité à penser. Ce système démontre une vertu pratique, une sagesse politique et une habileté stratégique. Cette symbiose de la pensée et de l'action se traduit dans un pragmatisme qui unifie la théorie et la pratique, et irrigue l'ensemble du système complexe politico-militaire. L'agir militaire est collectif : il intègre une multitude d'agir locaux à différents niveaux d'exécution-décision. Et ces différents agir reposent tous sur le même compromis : l'intelligence d'action est d'abord celle forgée par les dispositions acquises grâce à la discipline et les initiatives que permet la subsidiarité, puis celle qui émerge face à l'adversité, qui est force de caractère et qui puise son sens dans l'honneur. Casser les idées préconçues sur le moyen militaire comme « outil », c'est aussi rompre avec les clivages entre théorie et pratique, entre stratégiste et stratège, entre décideur et exécutant, entre philosophe et militaire.Conceiving of the military system as a “tool” is to deny its capacity to think. This system shows a practical virtue, a political wisdom and a strategic skill. This symbiosis of thinking and action is seen in a pragmatism that unifies theory and practice and irrigates the entire complex political/military system. Military action is collective : it integrates a multitude of local actions at various levels of execution and decision. And these various actions all rely on the same compromise : the intelligence of action is initially that forged by the abilities acquired thanks to discipline and the initiatives that allow subsidiarity, then that which emerges in the face of adversity, which is the force of character and which finds meaning in honour. Breaking the preconceived ideas of the average soldier as a “tool” is also to break with the separation between theory and practice, between the strategist and strategy, between decision maker and executor, between philosopher and soldier.
- Baïonnette au bâillon, messieurs de Bergerac ! - Brice Erbland p. 127-134
Translation in English
- Happiness is in peace, or the history of impotence - François Scheer p. 159-169 Née de la guerre, l'Europe se trouve à l'issue de la Seconde Guerre mondiale contrainte à la paix et à l'unité, l'une ne pouvant aller sans l'autre. Et l'unité progressera à la faveur d'une paix, fruit de la guerre froide et de la protection américaine. Seule la France tentera de défendre le concept d'une défense européenne autonome, pour finir par rentrer dans le rang, au moment même où la guerre est à nouveau aux portes de l'Europe et qu'une prolifération terroriste sur son sol met au défi l'Union de donner enfin sens à une politique commune de sécurité et de défense.Born from war, Europe found itself at the end of the Second World War forced to accept peace and unity, one cannot exist without the other. And the unity will progress in favour of peace, the result of the cold war and American protection. France alone attempted to defend the concept of an autonomous European defence, ending by joining the ranks, at the very moment when war was again at the gates of Europe and when the proliferation of terrorists on its soil challenged the Union to finally make sense of a common policy of security and defence.
- Bayonet to the muzzle, Gentlemen of Bergerac! - Brice Erbland p. 171-175 Avons-nous aujourd'hui une armée faite de soldats qui s'expriment avec une certaine indépendance, comme le ferait Cyrano de Bergerac, ou sommes-nous condamnés à nous taire comme « un beau mousquetaire qui passe » ? Une tirade sur « l'état de l'art » en matière de liberté d'expression, au travers des personnages et des alexandrins du classique d'Edmond Rostand.Do we now have an army of soldiers who can express themselves with a certain independence, as Cyrano de Bergerac would do, or are we condemned to remain silent like “a handsome musketeer who passes”? A tirade on the “state of the art” as concerns freedom of expression, using the characters and the verses of Edmond Rostand.
- Happiness is in peace, or the history of impotence - François Scheer p. 159-169
Comptes rendus de lecture
- Comptes rendus de lecture - p. 177-182