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Revue | Gouvernement & action publique |
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Numéro | volume 8, no 4, octobre-décembre 2019 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- L'ordinaire de la sortie de guerre : Sociologie de l'action publique après la violence armée - Jacobo Grajales, Cécile Jouhanneau p. 7-23 Afin de rendre compte des processus politiques et sociaux à l'œuvre dans la sortie de guerre, ce dossier explore la production de l'action publique dans des secteurs fréquemment négligés par les spécialistes du « post-conflit ». Il se situe ainsi à rebours des approches exceptionnalistes du « post-conflit », focalisées sur les bouleversements induits par la guerre et sur des dispositifs singuliers visant la construction de la paix (peace-building). L'enjeu est donc de repérer empiriquement les articulations entre la guerre, les efforts visant à y mettre fin, et d'autres sphères d'action publique. L'article introductif relie cette posture à des travaux récents insistant sur l'ordinaire dans les situations de guerre, propose un bref état des lieux de la recherche et s'attarde sur les principaux objectifs du dossier : réfléchir aux usages multiples de la catégorie de « post-conflit » dans la fabrique de l'action publique et retracer les diverses manières dont un passé guerrier peut avoir une emprise sur les politiques publiques.This special issue aims to account for some of the political and social processes at work in the aftermath of armed conflicts ; by the same token, it explores the production of public policies in sectors frequently neglected by “post-conflict” specialists. As such, it stands in contrast to the exceptional approaches of “post-conflict”, which usually focus on the upheavals brought about by war and on the social and political engineering of peace-building. Our challenge is to empirically identify the links between war, endeavours to bring an end to it, and other spheres of policy action. The introductory article links this approach to recent scholarship emphasizing the “ordinary” during war situations, proposes a brief state of the literature and presents the main objectives of the special issue : to analyse the multiple uses of the “post-conflict” category in the production of public policy and to trace the various ways in which a violent past bears an influence upon policy-making.
- Les terres de la paix : Politiques foncières et sortie de conflit en Colombie - Jacobo Grajales p. 25-47 Cette contribution s'intéresse à l'inscription d'un secteur d'action publique dans le domaine de la sortie de conflit ; elle analyse les mécanismes de ce déplacement, ainsi que ses effets sur le cadrage des problèmes et les relations entre acteurs. Prenant le cas de la politique foncière rurale en Colombie, l'article montre comment l'association entre terre et post-conflit est politiquement et socialement construite, dans des interactions qui engagent à la fois des institutions étatiques et des acteurs de l'aide publique au développement. Il décrit la transformation de la relation entre les acteurs, marquée notamment par l'internationalisation du problème du foncier rural. Enfin, l'article analyse la façon dont se nouent des concurrences pour apparaître comme un acteur central de la transition de la guerre vers la paix.This contribution focuses on the inclusion of a policy sector in the field of post-conflict peace-making ; it analyses the mechanisms of this displacement, as well as its effects on the framing of public problems and the relations between various policy actors. In analyzing the case of rural land policy in Colombia, the article demonstrates that the association between land and post-conflict is politically and socially constructed, in interactions that involve both state institutions and official development assistance actors. It describes the transformation of the relationship between the actors, marked in particular by the internationalization of the rural land problem. Finally, the article analyses the way in which competitions arise within and between various Colombian state agencies to become a central actor in the transition from war to peace.
- Trouble dans le « post-conflit » : Vie politique et production de l'action publique sur le genre au Burundi (1993-2015) - Marie Saiget p. 49-72 Cet article vise à étudier les enjeux de définition et les luttes autour de la « transition post-conflit » dans la production de l'action publique sur le genre au Burundi (1993-2015). Comment la « transition post-conflit » a-t-elle été négociée, interprétée et débattue dans le cas du Burundi ? Quelles ont été les opportunités d'action et de concurrence ouvertes par le flou de cette catégorie pour les acteurs mobilisés sur la thématique du genre ? Avec quels effets sur la production de l'action publique ? En examinant le rôle de l'UNIFEM/ONU Femmes et ses relations avec les organismes onusiens, les ONG, les acteurs associatifs et étatiques mobilisés sur la thématique du genre, nous montrons que les usages de la catégorie « transition post-conflit » ont certes habilité des acteurs externes et non étatiques à investir ce secteur de l'action publique au milieu des années 1990. Mais ils ont surtout favorisé une division du travail au profit de l'État central, à partir de 2005, quand le parti CNDD-FDD arrive au pouvoir, et de manière plus affirmée après sa victoire aux élections de 2010. L'article s'appuie sur un travail de recherche doctorale rassemblant trois terrains d'enquête réalisés au Burundi entre 2012 et 2014 et l'examen des documents produits par les organisations qui participent à l'action publique sur le genre au Burundi.This article aims to study issues of definition and the struggles around the “post-conflict transition” in the production of public action on gender in Burundi (1993-2015). How has the “post-conflict transition” been negotiated, interpreted and debated in the case of Burundi ? What opportunities for action and competition have been opened up by the vagueness of this category for actors involved in the field of gender ? With what effects on the production of public action ? By examining the role of UNIFEM/UN Women and its relations with UN agencies, NGOs, Burundian associations and the state, we show that the uses of the category “post-conflict transition” have certainly empowered external and non-state actors to work in this field since the mid-1990s. But above all, since 2005 they have favoured a division of labour that has benefited the central state, i.e. ever since the CNDD-FDD party came to power, and more assertively so since its victory in the 2010 elections. The article is based on three sets of fieldwork carried out in Burundi between 2012 and 2014, as well as on analysis of data produced by the organizations that participate in public action on gender in Burundi.
- Au cœur du gouvernement internationalisé de la sortie de guerre : Enquête sur le service public de l'emploi en Bosnie-Herzégovine - Cécile Jouhanneau p. 73-96 La guerre transforme-t-elle la fabrique de l'action publique et si oui, comment ? En prenant pour objet un segment négligé de l'action publique en Bosnie-Herzégovine, le service public de l'emploi, on met en évidence les continuités relatives du gouvernement de l'emploi avant, pendant et après la guerre de 1992-1995. L'enquête conduite à différents niveaux de la fabrique de l'action publique, des institutions financières internationales aux échelons entitaires, cantonaux et municipaux suggère que les relations entre les agents de l'intervention de paix et leurs interlocuteurs politiques bosniens sont faites de dépendance mutuelle et de pratiques d'externalisation du travail bureaucratique. De façon similaire à la Yougoslavie socialiste, les partis de gouvernement pèsent de façon discrète sur la fabrique de ces politiques. Apparaissent ainsi certaines modalités contemporaines de gouvernement internationalisé.Does war transform policy-making, and if so, how ? By scrutinizing an oft-neglected public policy in Bosnia – public employment services – this article highlights the relative continuities of employment policies before, during and after the 1992-1995 war. A multi-level investigation conducted with international financial institutions as well as local, cantonal and municipal actors reveals that the relations between peace-builders and their Bosnian interlocutors feature mutual dependence and the externalisation of bureaucratic labour. Like in socialist Yugoslavia, local ruling parties discreetly weigh on policy-making, and this despite the emergence today of some internationalised governance modalities.
- Sortie(s) de guerre et conservation de la nature : Trajectoire d'un parc national au Mozambique - Rozenn Nakanabo Diallo p. 97-118 Depuis l'époque coloniale, le parc national de Gorongosa est le fleuron des politiques publiques de conservation au Mozambique. Or, il est aussi au cœur des sorties et reprises de confrontations armées, dont les logiques et les configurations ne cessent de changer : guerre de libération nationale des années 1960 à 1975, conflit civil entre Frelimo et Renamo de la fin des années 1970 à 1992, puis résurgences depuis les années 2010 des tensions entre Frelimo et Renamo. Une bonne part des affrontements se localise précisément autour de Gorongosa, alimentant un vieil imaginaire collectif autour de la symbolique d'un espace naturel dont le contrôle (ou du moins la prévention des attaques) est synonyme de victoire militaire et de domination politique à l'échelle nationale.Alors même que le pays est officiellement dans une situation de post-conflit, que le mandat de maintien de la paix des troupes des Nations unies au Mozambique a pris fin en 1995, que le Mozambique est depuis lors considéré comme un « chouchou des bailleurs », que le parc national de Gorongosa est géré dans le cadre d'un partenariat public-privé largement financé par une fondation philanthropique, c'est bien le conflit, ou la possibilité du conflit, qui innerve le quotidien en général, et l'action publique de la conservation en particulier. Cet article interroge ainsi sur la longue durée le caractère profondément indéterminé de la notion de « sortie de guerre », en analysant la relation élastique entre politiques publiques de conservation et permanence de la guerre.Since colonial times, Gorongosa national park has been the jewel of conservation public policies in Mozambique. It has also been at the centre of multiple armed confrontations, whose logics and configurations have constantly changed : a national liberation struggle from the 1960s to 1975, a civil conflict from the end of the 1970s until 1975, and the resurgence of tensions between Frelimo and Renamo ever since the 2010s. Most of these confrontations are localized around Gorongosa, and this feeds an old collective imaginary regarding the symbolics of a natural space whose control (or at least the prevention from attacks) is synonymous with military victory and of political domination on the national scale.Even if the country is officially in a post-conflict situation, and if the United Nations peace-keeping mission ended in 1995 and Mozambique is considered to be “a donor darling”, if Gorongosa national park is managed within the framework of a public-private partnership largely funded by a philanthropic foundation, it is conflict, or the possibility of a conflict, that underlies everyday life in general, and conservation policymaking in particular. This article thus questions the historicity of the undetermined dimension of the notion of “the end of the war”, by analysing the flexible relationship between conservation public policies and war's permanence.
- De racketteur à fonctionnaire : Capital social, mobilisations et reconversions post-conflit dans les régies financières de Côte d'Ivoire - Camille Popineau p. 119-143 Cet article analyse le profil et les trajectoires des acteurs intégrant les régies financières de Côte d'Ivoire à la suite des accords de paix mettant fin au conflit armé (2002-2011), en réinterrogeant le débat sur les continuités et les ruptures introduites par la guerre sur l'État. Je montre que les personnes qui intègrent l'État sont d'anciens syndicalistes étudiants ayant fait leurs armes à la fois dans les luttes estudiantines violentes des années 1990, puis dans la rébellion des Forces nouvelles. Si le capital social tiré de ces deux périodes leur ouvre les portes de l'État, la capacité à reconvertir ensuite ce capital en capital symbolique légitimant la mobilisation politique sur le plan local et national n'est pas également partagée. La reconversion est fonction d'un certain volume de capital social accumulé pendant la période de la rébellion, volume qui est lui-même fonction de l'appartenance à certaines générations d'étudiants avant le conflit. Le syndicalisme étudiant apparaît comme une nouvelle filière d'accès au champ politico-administratif ivoirien dans la période post-conflit, mais l'entrée en politique et l'ascension sociale qui en découle ne concernent qu'une partie d'entre eux, à savoir les plus dotés, reproduisant ainsi des hiérarchies sociales déjà en place au sein des syndicats étudiants puis de la rébellion. L'article met ainsi l'accent sur les trajectoires longues des acteurs pour comprendre finement dans quelle mesure les processus d'intégration des rebelles à l'État impactent ce dernier et le modifient, en termes de composition des agents étatiques, de profils des fonctionnaires et de hiérarchies sociales.This article analyses the profiles and the trajectories of actors who integrated into the financial authorities after the Peace Agreements that put an end to the war in Côte d'Ivoire (2002-2011). It explores the vivid debate about continuities and ruptures that characterize the State in the aftermath of war. In this perspective, this article demonstrates that people who integrated into the State apparatus after the war were actually former student unionists who first began their careers during the violent students' struggles in the 1990s before joining the rebellion of the Forces Nouvelles in the 2000s. All these actors gained significant social capital during these periods, which paved the way for their integration into the State administration. Yet, all do not have the same capacity to convert this social capital into symbolic capital in order to durably legitimize their political mobilization at the local and national levels. This process of reconversion indeed depends on the volume of accumulated social capital during the rebellion, which itself depends on their belonging to specific student generations before the conflict. In this context, students' unions' involvement undoubtedly appears to be a new way to access the politico-administrative field during the post-conflict period, but only the best endowed managed to enter politics and experience social mobility. Such a finding illustrates that pre-war social hierarchies, which already existed within student unions then during the rebellion, are reproduced after the conflict. This article thus highlights the importance of analyzing actors' trajectories from a long-term perspective to understand to what extent the integration of former rebels into the administration impacts and transforms State public services, not only in terms of its composition and agent's profiles but also in terms of social hierarchies.
- Une république des martyrs ? : La guerre comme répertoire d'action publique dans la République islamique d'Iran - Sahar Aurore Saeidnia p. 145-167 L'expérience de la guerre entre l'Iran et l'Irak est l'un des prismes principaux mobilisés pour analyser les dynamiques politiques et sociales dans l'Iran contemporain. Or, malgré leur richesse, ces travaux restent souvent centrés sur la figure du martyr de la Guerre de la défense sacrée ou de la Révolution, voire du corps qui a donné le plus de martyrs dans ce conflit armé, les basidjs. Cet article analyse la prégnance de la guerre dans les politiques de loisirs dans les quartiers de Téhéran à partir d'une perspective de sociologie de l'action publique. En explorant comment le répertoire de la guerre contribue à cadrer l'action publique légitime, à guider les pratiques et les représentations de soi des agents publics, à habiliter et à contraindre au travers de divers instruments et normes certaines conceptions des loisirs légitimes, il s'agit d'éclairer en retour les modalités du gouvernement contemporain de l'État iranien et leurs renégociations quotidiennes.The experience of the Iran-Irak war is one of the principal prismes used to analyse political and social dynamics in contemporary Iran. However, despite the strengths of this approach, it is often over-focused upon the figure of the martyr of “the sacred defence of the Revolution”, or upon the part of the army that lost most lives in defending this cause : the basidjs. Instead, this article analyses the effects of that war upon leisure policies in Teheran neighborhoods from the angle of the sociology of public action. By exploring how the repertoire linked to this war has contributed to framing what constitutes legitimate public action, to guiding the practices and self-representations of public agents, and to both empowering and constraining via a variety of instruments and norms as regards legitimate leisure pursuits, the aim is to shed light upon the modalities of government in contemporary Iran and its daily renegociation.
- Comptes rendus - p. 169-185