Contenu du sommaire : L'écriture de la guerre au Moyen Âge
Revue | Le Moyen Age |
---|---|
Numéro | tome 125, no 1, 2019 |
Titre du numéro | L'écriture de la guerre au Moyen Âge |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Articles
- Préface - Catherine Croizy-Naquet, Michelle Szkilnik p. 11-20
- La guerre comme marqueur générique dans la littérature narrative des XIIe–XIIIe siècles - Patrick Moran p. 21-35 Parler de genres littéraires au Moyen Âge ne va pas de soi : senti comme trop aristotélicien et classicisant, le vocabulaire générique est souvent perçu avec méfiance par les médiévistes, qui insistent au contraire sur le caractère foncièrement hybride de la généricité médiévale. Prenant le contrepied de cette opinion critique répandue, cet article se fonde sur l'hypothèse qu'il est légitime de parler de genres littéraires médiévaux, et que les cas d'hybridité ou de contamination sont relativement circonscrits. L'exemple de l'écriture de la guerre, particulièrement le motif de l'assaut épique, développé dans les chansons de geste et repris par d'autres genres narratifs, notamment le roman, dévoile non pas une ignorance des questions génériques au Moyen Âge, mais au contraire une conscience précise de ce que tel ou tel genre fait mieux que les autres. L'analyse du « patron générique » offert par la chanson de geste ne relève pas de la contamination mais de l'emprunt délibéré et maîtrisé.Talking about literary genres in the medieval period is not a simple matter: the vocabulary of genres is often viewed with suspicion by medievalists, who consider it too Aristotelian or too closely modeled on Classical literature and instead emphasize the fundamentally hybrid nature of medieval genres. This article presents an alternative to this widespread critical opinion, hypothesizing that there are grounds for speaking of medieval literary genres and that cases of hybridity or contamination are relatively limited. The example of war writing, in particular the theme of epic combat, which is developed in chansons de geste and taken up by other narrative genres, especially prose romance, is not oblivious to questions of genre at this time; rather, it shows a sharp consciousness of what a given genre might do better than others. An analysis of the “generic pattern” offered by the chanson de geste does not show contamination, but rather a calculated and controlled borrowing.
- Les récits de bataille dans Le livre des haulx fais et vaillances de l'empereur Othovyen - Matthieu Marchal p. 37-51 Le livre des haulx fais et vaillances de l'empereur Othovyen a été achevé en 1454 à l'instigation de Jean V de Créquy : cette compilation combine sans rupture les remaniements en prose de Florent et Octavien et de Florence de Rome. Inédite à ce jour, la version en prose fait actuellement l'objet d'une édition. Cette contribution propose une interprétation d'Othovyen dans son contexte historique et sociologique et envisage la portée des récits de batailles à travers l'examen des procédés spécifiques de mise en prose. L'étude examine à nouveaux frais le motif du combat singulier et de la mêlée collective qui fleurissent alors dans le roman bourguignon : elle dégage des similitudes stylistiques dans la description des scènes de combat dans Othovyen et dans un corpus homogène de textes produits à la cour de Bourgogne sous le règne de Philippe le Bon, et plus spécifiquement dans l'entourage de Jean de Créquy et de Jean de Wavrin. L'article montre ainsi comment les scènes de batailles concourent à relayer dans la littérature narrative l'intérêt de Philippe le Bon et de sa cour pour les prouesses chevaleresques.Le livre des haulx fais et vaillances de l'empereur Othovyen was completed in 1454 at the instigation of Jean V de Créquy. This collection seamlessly combines the prose reworkings of Florent et Octavien and Florence de Rome. It has not yet been published, however, it is currently in production. This contribution offers an interpretation of Othovyen in its historical and sociological context and considers the significance of battle narratives through an examination of the specific methods by which it was put into prose. The study takes a fresh look at the theme of single combat and group mêlées, which abound in the Burgundian romance: stylistic similarities are revealed between the description of combat scenes in Othovyen and those in a homogeneous corpus of texts produced in the court of Burgundy under the reign of Philip the Good, and more specifically in the entourage of Jean V de Créquy and Jean de Wavrin. The article also shows how the battle scenes contribute to meeting the literary desires of Philip the Good and his court, with their interest in feats of chivalrous prowess.
- De la chanson de Roland à l'histoire de Charlemagne d'après le Pseudo-Turpin : chanter ou écrire la guerre - Christopher Lucken p. 53-73 Si elles racontent toutes deux la lutte des hommes de Charlemagne contre les Sarrasins, la Chanson de Roland et la Chronique du pseudo-Turpin apparaissent fort différentes : tandis que la première est une chanson – en vers – qui peut s'entendre comme cri de guerre poussant les soldats à imiter Roland et à poursuivre son combat héroïque, la Chronique du pseudo-Turpin se présente comme une histoire – en prose – rédigée par un clerc ayant participé aux expéditions de l'empereur Charlemagne pour libérer l'Espagne mais qui, contrairement à Roland, aurait survécu pour en transmettre le récit sur le modèle d'une histoire gouvernée par l'économie chrétienne du Salut. Tout en comparant la façon dont ces deux œuvres chantent ou écrivent la guerre, cette étude s'efforce d'en préciser les implications et les enjeux respectifs.Despite both telling the story of the struggles of Charlemagne's forces against the Saracens, The Song of Roland and the Historia Caroli Magni are very different works. Whereas the first is a song—in verse—that can be understood as a war cry urging soldiers to imitate Roland and continue his heroic struggle, the Historia Caroli Magni is presented as a history—in prose—written by a cleric who took part in Emperor Charlemagne's expeditions to liberate Spain but who, unlike Roland, survived to tell the tale. It is modeled as a historical account, dominated by the Christian economy of Salvation. While comparing the way in which these two works either sing or write war, this study aims to clarify the respective implications and stakes of these procedures.
- Entre couleur historial et oudeur de moralité : la réécriture de la guerre de Troie dans la Bouquechardière de Jean de Courcy (1416) - Delphine Burghgraeve p. 75-91 Du Roman de Troie de Benoît de sainte Maure à ses mises en prose en français en passant par l'Histoire ancienne jusqu'à César, le récit de la guerre de Troie constitue un laboratoire d'observation représentatif des choix esthétiques propres à chaque auteur. Cet article analyse la manière dont le chevalier normand Jean de Courcy, auteur d'une histoire universelle moralisée intitulée la Bouquechardière, se réapproprie à son tour le récit de la guerre de Troie à l'aube du XVe siècle. Réduisant le récit des batailles collectives ou individuelles à des résumés composés de formules-types empruntées au style épique, Jean de Courcy propose une version démystifiée de la guerre et des faits de gloire de ses héros. L'auteur moraliste déplace ainsi l'attention du lecteur sur les conséquences de l'affrontement, insistant davantage sur le spectacle de la mort et sur les émotions qu'il suscite. Cette écriture moralisante engendre une lecture eschatologique destinée à éduquer et édifier le lecteur : la guerre est mise sur le compte de l'ignorance de Dieu et de la vraie religion par les hommes antiques. À travers l'histoire des civilisations et des personnages antiques exemplaires, ce sont donc les valeurs chrétiennes atemporelles nécessaires à la stabilité d'un royaume qui sont réaffirmées.From Benoît de Sainte-Maure's Le Roman de Troie to its French prose reworkings, via the Histoire ancienne jusqu'à César, the story of the Trojan War offers a laboratory in which we can observe the aesthetic choices made by each of the authors in question. This article analyzes the way in which the Norman knight Jean de Courcy, author of a moralizing universal history entitled La Bouquechardière, appropriates the story of the Trojan War at the dawn of the fifteenth century. By reducing the account of collective or individual battles to summaries made up of stock formulae borrowed from the epic style, Jean de Courcy presents a demystified version of the war and the glorious feats of its heroes. As a moralist, he redirects the reader's attention toward the consequences of the conflict, emphasizing the spectacle of death and the emotions that it produces. This moralizing writing aims to educate and edify the reader and generates an eschatological reading: the war is explained by the ancients' ignorance of God and of true religion. It therefore reaffirms, by means of the history of exemplary ancient civilizations and characters, the timeless Christian values that are necessary for the stability of a kingdom.
- Aux sources d'une (ré)écriture. L'Arbre des batailles lu par Christine de Pizan - Hélène Biu p. 93-110 En 1405, Christine de Pizan a déjà lu L'Arbre des batailles d'Honorat Bovet, qu'elle utilise ici et là dans L'Advision Cristine ; cinq ans plus tard, elle en fait un usage extensif pour composer les livres iii et iv du Livre des faits d'armes et de chevalerie. Dans les deux cas, l'écrivaine avait sous les yeux un exemplaire de l'œuvre bovétienne. C'est la quête de ce modèle matériel qui est au cœur de la présente contribution. Rapportées aux contours textuels des différentes familles de L'Arbre identifiées à ce jour, les leçons de Christine de Pizan dans L'Advision et dans les Faits d'armes indiquent qu'elle a exploité un seul et même modèle, probablement issu du groupe 1A de la tradition manuscrite de L'Arbre. Toutefois, l'iconographie de l'un des deux manuscrits originaux des Faits d'armes (Paris, BnF, ms. fr. 603) laisse penser que l'écrivaine eut aussi accès à un autre exemplaire de L'Arbre des batailles, dont le rôle reste à préciser.In 1405, Christine de Pizan had already read Honorat Bovet's L'Arbre des batailles (The Tree of Battles), which she used now and then in L'Advision Cristine. Five years later, she made extensive use of it to write books III and IV of the Livre des faits d'armes et de chevalerie. In both cases, the writer had a copy of Bovet's work to hand. This contribution attempts to trace the influences and the material model used by Christine de Pizan. With regard to the textual variations of the different families of L'Arbre des batailles identified so far, Christine de Pizan's lessons in L'Advision and the Livre des faits d'armes indicate that she used a single model throughout, probably derived from group 1A of the manuscript tradition of L'Arbre des batailles. Nonetheless, the iconography of one of the two original manuscripts of the Livre des faits d'armes (Paris, BnF, ms. fr. 603) suggests that the writer also had access to another copy of L'Arbre des batailles, the role of which remains to be clarified.
- Perspectives sur la guerre : l'apport textuel et visuel des romans en prose bourguignons - Rosalind Brown-Grant p. 111-128 À la cour de Bourgogne au milieu du XVe siècle, la question de la légitimité des conflits militaires qui avait longtemps occupé les esprits des juristes et des théologiens était toujours d'actualité, surtout dans les traités de guerre tels que l'Arbre des batailles d'Honorat Bovet et le Livre des fais d'armes et de chevalerie de Christine de Pizan. S'inscrivant dans le courant de vulgarisation de ces idées en matière de guerre, les romans en prose bourguignons ne traitent pas celles-ci de manière systématique mais elles font néanmoins partie intégrante de la définition du héros romanesque tel qu'il est construit dans et par l'intrigue. Comment, alors, est-ce que les romans justifient les guerres auxquelles participent leurs héros et les conduites qu'ils y adoptent ? Comment cette justification au niveau du texte se traduit-elle en langage visuel dans les images qui accompagnent souvent le récit dans la tradition manuscrite de ces ouvrages ?At the court of Burgundy in the mid-fifteenth century, the question of the legitimacy of military conflicts that had long occupied the minds of legal scholars and theologians was still a pressing issue, especially in manuals of warfare such as Honorat Bovet's L'Arbre des batailles (The Tree of Battles) and Christine de Pizan's Le livre des faits d'armes et de chevalerie. In Burgundian prose romances that also played their part in the dissemination of just war theory for the benefit of a lay audience, these ideas are not presented in any systematic fashion but they are nonetheless integral to the definition of the romance hero as constructed both in and through the narrative. How, then, do these romances justify the wars fought by their heroes as well as the conduct that they adopt when performing their military deeds? How is this textual justification of war translated into visual terms in the images that so often accompanied the narrative in manuscripts containing these tales?
- « Godefroy et le mouvement des peuples ». Singulier et collectif dans l'écriture de la guerre (XIIe–XIIIe siècles) - Bénédicte Milland-Bove p. 129-148 Le modèle médiéval, épique ou romanesque, sert souvent de repoussoir aux écrivains modernes qui prétendent donner une vision moins idéalisée des conflits, en montrant les foules dans leur quotidien parfois terre-à-terre plutôt que l'individu héroïque. Dans sa Poétique du récit de guerre, Jean Kaempfer montre comment le récit de guerre moderne se construit en contraste avec l'ancien récit de bataille, mais le modèle qu'il envisage est avant tout le modèle antique du récit « à la César ». En faisant dialoguer images, récits et procédés de textes antiques, médiévaux et modernes voire contemporains, le présent article voudrait proposer des pistes pour intégrer les récits médiévaux des xiie-xiiie siècles à une poétique générale de la guerre. Celle-ci sera envisagée à travers une série de tensions (entre singulier et collectif, ordre et désordre, dicible et indicible, topique et invention) présentes à chaque époque plutôt que comme un mouvement vectorisé d'un type d'écriture à un autre. On fera ainsi l'hypothèse d'une écriture « continuée » ou « collective » de la guerre, avec une circulation intertextuelle et mémorielle des discours et motifs, entraînant une sorte de « guerre des récits », mais se nourrissant aussi de realia sans cesse réactivées.The medieval, epic or romance model often serves as a foil to modern writers who claim to present a less idealized view of conflict, focusing on the masses in their sometimes mundane daily lives, rather than on the heroic individual. In his Poétique du récit de guerre, Jean Kaempfer shows how the modern war narrative is constructed in opposition to older battle narratives, but the model that it envisions is above all that of the ancient war narrative in the style of Julius Caesar. By creating a dialog between images, narratives, and textual devices from ancient, medieval, and modern sources, this article aims to suggest ways of integrating medieval narratives from the twelfth and thirteenth centuries into a general poetics of war. This will be considered through a series of tensions (between the singular and collective, order and disorder, the speakable and unspeakable, the commonplace and invention), which are present in each era, rather than as a movement from one type of writing to another. We therefore offer the hypothesis of a “continuous” or “collective” writing of war, with an intertextual and memorial circulation of discourses and themes, leading to a sort of “war of narratives,” but also drawing on realia that are constantly being reactivated.
- Introduction - Bénédicte Milland-Bove, Maud Pérez-Simon p. 149-157
- Textes - p. 159-202
Bibliographie
- Bibliographie : La Loi salique, de l'Empire des Romains au royaume des Francs. À propos d'un ouvrage récent - Jean-Pierre Poly p. 203-211
Comptes rendus
- Comptes rendus - p. 213-291