Contenu du sommaire : La fabrique européenne de la race (17e-20e siècles)

Revue Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique Mir@bel
Numéro no 146, 2020
Titre du numéro La fabrique européenne de la race (17e-20e siècles)
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Le mot de la rédaction - Anne Jollet p. 5-9 accès libre
  • DOSSIER

    • La fabrique européenne de la race (17e-20e siècles) : Introduction - David Hamelin, Sébastien Jahan p. 13-26 accès libre
    • Temps, progrès et races dans les Lumières écossaises - Silvia Sebastiani p. 27-46 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'historiographie récente a identifié un point important : c'est avec les philosophes écossais – de David Hume, Adam Smith ou Adam Ferguson à Lord Kames, William Robertson ou John Millar – que s'est développée une nouvelle méthode historique, fondée sur l'idée de progrès. Ce que je souhaite montrer dans cet article est que la « race » est mobilisée par les philosophes écossais comme l'une des réponses aux questions ouvertes par une conception progressive de l'histoire. Les Écossais expliquent les différences observables entre les peuples à l'intérieur d'un schéma de développement universel, depuis « l'état sauvage » jusqu'à « l'état civilisé ». La perspective comparative permet d'examiner le « sauvage » et le « civilisé » comme étant sur le chemin d'une même histoire, mais à des moments différents. Cela signifie que le « sauvage » est susceptible de se civiliser à travers le processus historique. Cependant, le principe même de la comparaison pose d'emblée deux problèmes : celui de la distance sociale et culturelle entre les sociétés ; celui de leur progrès inégal. Pourquoi les Amérindiens sont-ils restés à l'état « sauvage » de la chasse ? Pourquoi seuls les peuples de l'Europe du Nord ont-ils franchi toutes les étapes du parcours historique ? Pour faire face à la question centrale du progrès non homogène des sociétés humaines, les Lumières écossaises déploient une analyse qui les conduit à théoriser la « race ».
      Recent historiography has identified an important point : Scotland's Enlightenment literati – David Hume, Adam Smith, Adam Ferguson, Lord Kames, William Robertson, and John Millar – contributed to establish a new historical method based on the idea of progress. My aim here is to show that ‘race' was one of the answers that the Scots gave to the questions opened up by a progressive conception of history. Scottish literati explained the observable differences among peoples according to a universal pattern of development, from ‘savagery' to ‘civil society'. The comparative perspective enabled the ‘savage' and the ‘civil' to be examined as subjects of societies on the same historical path, though progressing along it at different rates and in different times. Although this historical method meant that the ‘savage' could become ‘civil' by means of progress, the very principle of comparison raised two other problems : first, the problem of the social and cultural distance between different societies; second, the question of the unequal progress. Why had Amerindians remained in the ‘savage' stage of hunting ? Why were the societies of Northern Europe considered the only ones to have completed all the stages of historic progress ? In seeking to explain the crucial question of non-homogeneous progress of human societies, Scotland's Enlightenment literati deployed an analysis that came to rely on the concept of ‘race'.
    • Le discours britannique sur la race - Michel Prum p. 47-60 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Alors que le terme « race » a disparu des documents officiels français depuis la Seconde Guerre mondiale, il s'est maintenu à la même époque en Grande-Bretagne. On peut citer entre autres les trois grandes lois sur les « relations raciales », la « question raciale » du recensement décennal ou l'autorisation d'enquêter sur l'appartenance ethnique des employés dans les entreprises. Cet article cherche à comprendre le contexte historique de l'Angleterre victorienne qui a conduit à cette opposition entre les deux rives de la Manche. Il définit le darwinisme comme l'une des principales influences du débat autour de la « race » et analyse la position de Darwin, exprimée dans La Filiation de l'homme (1871). Darwin conclut à l'impropriété du concept de races humaines sans pour autant abandonner l'emploi de ce terme, au nom de la commodité. Ce choix pragmatique a de fait ouvert la voie à un traitement essentialiste des « races ».
      Whereas the word « race » has been banned from French official documents since World War II, it has remained in use in Britain, as testified by the 3 Race Relations Acts, the ‘race question' in the decennial census or ethnic monitoring in enterprises. This article aims to show that the British historical context of the 19th century sheds light on the opposite stances displayed in Britain and in France. It identifies Darwinism as one of the main influences on the British race debate through an analysis of Darwin's position as expressed in The Descent of Man (1871). Darwin concluded that the concept of human races was irrelevant; however, out of convenience, he decided to keep using the term ‘race', thus unwittingly opening the way to essentialist approaches to the question.
    • Genèse de l'apartheid : histoire et « race » en Afrique du Sud - Gilles Teulié p. 61-78 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis l'arrivée des Blancs en 1652, l'Afrique du Sud est un pays où la notion de « race » a été prépondérante pour définir les relations entre les divers groupes qui la composent. C'est en 1685 que la Compagnie néerlandaise des Indes orientales a interdit les mariages mixtes au cap de Bonne Espérance. Tout au long de son histoire, cette inquiétude a renforcé la volonté des divers gouvernements, qu'ils soient néerlandophones ou anglophones, de ségréguer les composantes africaines, métisses ou asiatiques de cette société coloniale. Cet article se propose d'examiner les mécanismes qui ont conduit à l'élaboration d'une politique discriminatoire dans les années qui ont précédé la mise en place de l'apartheid. Il s'agira de comprendre les enjeux politiques et économiques, mais également idéologiques, qui ont conduit les dirigeants d'un groupe minoritaire, les Blancs, à essayer de définir la notion de « race » afin de justifier son projet.
      Since the landing in South Africa of Europeans in 1652, the country has based the relationship of the different groups that live on its soil on the notion of “race”. It is in 1685 that the Dutch East India Company forbade mixed marriages in its station in the Cape. All along their history, miscegenation has been a worry for White people in South African, whether they be Dutch or British settlers. It has thus induced the different White governments to segregate the various groups under its authority, Africans, Coloureds or “Asians”. This article aims at examining the mechanisms that led to the discrimination policies that have anticipated the Apartheid regime. The objective will be both to understand le political and economic issues at stake, but also the ideological one which led the leaders of a minority group, the Whites, to try to define the notion of “race” in order to justify their project.
    • Autour de la pensée raciale et raciste en Italie (1850-1945) - Aurélien Aramini, Elena Bovo p. 79-100 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'importance de la pensée de la race en Italie a longtemps été sous-estimée. Cet article se propose de la réévaluer et d'analyser les différents moments de sa formulation. Le premier moment correspond à l'introduction du « mythe aryen » dans la Péninsule à partir du deuxième tiers du 19e siècle par les philologues italiens, le comparatisme indo-européen fournissant alors les ressources scientifiques d'une campagne anticléricale, synonyme de progrès sur le plan culturel et littéraire. Le second moment est celui de la naissance de l'anthropologie criminelle, dans le dernier tiers du 19e siècle. C'est à partir de certaines catégories conceptuelles forgées par le fondateur de cette discipline, Cesare Lombroso, que se développe en Italie une pensée raciale singulière. L'anthropologie criminelle, en effet, traduit en termes physiques, biologiques, psychologiques, la fracture sociale et économique présente entre le nord et le sud de l'Italie récemment unifiée. Le dernier moment se constitue en rupture par rapport à l'anthropologie criminelle. Récusant la fracturation raciale de l'Italie entre nord et sud, l'« antiracisme » fasciste ne fait en réalité que détourner le vecteur de la stigmatisation raciste de l'intérieur vers l'extérieur, c'est-à-dire du « méridional » au « juif » ou au « colonisé ».
      This article identifies three key moments in the racial thought formulation in Italy from the mid-nineteenth century to the fascist double decade. The first moment corresponds to the introduction of the Aryan myth in the peninsula, when Indo-European philology provided the scientific grounds to buttress an anticlerical campaign, synonymous with cultural and literary progress. The second moment arrived with the birth of criminal anthropology in the last third of the nineteenth century. In the wake of Cesare Lombroso, a singular racial thought developed in Italy which reconceptualised the north-south social and economic divide of the recently unified Italy in physical, biological and psychological terms. The last moment constitutes a break with criminal anthropology. Fascism, which rejected the Italy's internal north-south racial fracture and redirected the vector of racist stigmatization from the inside out, namely from the "southern" to the "Jewish" or "colonized". 
  • CHANTIERS

    • Un cortège « hors des cadres » au devant de la manifestation des organisations syndicales - Hugo Melchior p. 103-120 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis le printemps 2016, les organisations syndicales, autant que les forces de police chargées du contrôle et de la surveillance des foules manifestantes et protestataires, se retrouvent confrontées régulièrement, que ce soit à Paris ou dans d'autres villes de France, à l'agrégation d'acteurs qui, par-delà leur hétérogénéité sociale et politique, forment ensemble au-devant de la manifestation ce qui a été désigné et popularisé par les fondateurs sous le nom de « cortège de tête ». L'enjeu de l'article est de rendre intelligible cet objet mal identifié qui intrigue, mais également de rendre compte de la façon dont des responsables syndicaux se positionnent par rapport à cet acteur collectif envahissant et turbulent qui bouleverse profondément l'ordre manifestant.
      Since spring 2016, union organizations, as much as police forces charged with the control and surveillance of the masses of protesters, are being confronted regularly, whether it is in Paris and in other cities around the country, to a congregation of actors which, beyond its social and political heterogeneity, forms in front of the protest what as been designated and popularized by its founders under the name of the “head of the cortège” (“cortège de tête”). The stakes of this article are to make intelligible this wrongly identified object which intrigues, but also to realize the way union officials position themselves in front of this invasive and unruly collective actor, which deeply disturbs the protest order.
  • MÉTIERS

    • Transmettre l'histoire
      • 1848, révolution majeure - Jérôme Lamy p. 123-144 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        La révolution de 1848 fait l'objet d'un renouvellement historiographique important. Si la dualité de l'événement (Février et l'affirmation d'une politique émancipatrice ; Juin et la reprise en main autoritaire de la République par la bourgeoisie) ne cesse de nourrir les problématiques, des formes inédites de questionnement rappellent l'importance historique d'une insurrection qui a fait surgir des possibles politiques encore incandescents. L'article analyse donc les apports des ouvrages de Dolf Oehler (Juin 1848 : Le spleen contre l'oubli. Baudelaire, Flaubert, Heine, Herzen, Marx), d'Olivier Ihl (Une histoire de la représentation. Louis Marie Bosredon et le Paris de 1848) et de Samuel Hayat (Quand la République était révolutionnaire : citoyenneté et représentation en 1848). Dolf Oehler repère dans la littérature post-1848 toutes les traces d'un refoulement de l'événement : quelque chose d'une culpabilité tue remonte à la surface des textes et dit l'abandon du peuple. Olivier Ihl interroge, à travers la figure du caricaturiste Louis Marie Bosredon, la place des arts graphiques dans le double mouvement d'une industrialisation de l'image et d'une espérance politique émancipatrice. La possibilité d'une reproduction infinie des représentations croise l'idéal d'universalité. Enfin, Samuel Hayat, en retraçant les prises de position sur la notion de république, de février à juin 1848, met au jour une fracture encore vive entre la République bourgeoise – finalement consacrée – et la République démocratique et sociale – encore disponible pour les luttes.
        The revolution of 1848 is the subject of an important historiographical renewal. If the duality of the event (February and the affirmation of an emancipatory policy; June and the authoritarian takeover of the Republic by the bourgeoisie) continues to feed the problems, new forms of questioning remind us of the historical importance of an insurrection that gave rise to political possibilities that are still incandescent. The article therefore analyzes the contributions of Dolf Oehler's works (Juin 1848 Le spleen contre l'oubli. Baudelaire, Flaubert, Heine, Herzen, Marx), Olivier Ihl (Une histoire de la représentation. Louis Marie Bosredon et le Paris de 1848) and Samuel Hayat (1848 Quand la République était révolutionnaire). In post-1848 literature, Dolf Oehler finds all the traces of a repression of the event: something of a silent guilt rises to the surface of the texts and says the abandonment of the people. Through the figure of the cartoonist Louis Marie Bosredon, Olivier Ihl questions the place of the graphic arts in the double movement of an industrialization of the image and an emancipatory political hope. The possibility of an infinite reproduction of representations crosses the ideal of universality. Finally, Samuel Hayat, in retracing the positions taken on the notion of the Republic from February to June 1848, reveals a still sharp divide between the bourgeois Republic - finally consecrated - and the Democratic and Social Republic - still available for struggles.
  • DÉBATS

    • Au-delà de la langue, les femmes invisibles - Héloïse Morel p. 147-148 accès libre
    • Langage égalitaire : vers une rationalisation des procédés et des approches - Éliane Viennot p. 149-160 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'écriture inclusive, vaste sujet de polémique de ces dernières années, « péril mortel » pour certaines personnes, relève d'enjeux historiques et sociaux de plusieurs siècles. À partir d'une histoire de la langue et des femmes, l'historienne Éliane Viennot a étudié le phénomène de masculinisation de la langue française, sous l'impulsion de l'Académie française, dès le 17e siècle. Le langage n'est pas immuable, il se construit socialement selon des codes et au fil des siècles, il participe à l'invisibilisation des femmes à travers un credo bien célèbre : « le masculin l'emporte sur le féminin. » Éliane Viennot propose des recommandations d'usage pour un langage égalitaire qui intègre les femmes et les hommes. Du point médian et des accords jusqu'à la féminisation des noms de métiers, ces usages interrogent les représentations de genre dans nos sociétés à travers l'écrit.
      Inclusive writing, a major subject of controversy in recent years, “mortal peril” for some people, is a matter of historical and social issues spanning centuries. Based on a history of language and women, historian Éliane Viennot studied the process of masculinization of the French language with the institution of the French Academy in the 19th century. Language is not immutable, it is built socially according to codes and over the centuries, it participates in the invisibility of women through a well-known creed: "the masculine prevails over the feminine." It proposes common recommendations for an egalitarian language that integrates women and men. From the middle point and the agreements to the feminization of the names of trades, these uses question the representations of gender in our societies through the written word.
  • LIVRES LUS

  • UN CERTAIN REGARD

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