Contenu du sommaire : La distinction entre sexe et genre

Revue Cahiers du genre Mir@bel
Numéro no 34, 2003
Titre du numéro La distinction entre sexe et genre
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Dossier

    • Genèse et développement du genre : les sciences et les origines de la distinction entre sexe et genre - Ilana Löwy, Hélène Rouch p. 5-16 accès libre
    • La sexologie et la définition du « normal » entre 1860 et 1900 - Ivan Crozier, Oristelle Bonis p. 17-37 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article décrit dans ses grandes lignes le développement de la sexologie, en en résumant les contributions essentielles. Il montre que le souci de définir l'instinct sexuel dit « normal », et de cataloguer les variations par rapport à cette norme est au cœur des textes de sexologie. Ce n'est pas toujours la lecture qui en a été faite, toutefois. Beaucoup d'individus « pervers » les ont lus pour façonner autrement leurs propres vies et leurs propres pratiques, en recourant au discours de la science afin d'essayer d'établir une nouvelle caractérisation du « normal ». En ce sens, le développement de la sexologie a permis de redéfinir la sexualité normale de deux façons.
      This paper paints a broad picture of the development of the field of sexology, summarizing many of the important contributions. It shows that the central concern of sexological writing was to establish the so-called normal sexual impulse, as well as to catalogue variance from this norm. Not all sexological texts were read in this way, however. Many « perverse » individuals read sexological texts in such a way as to reshape their own lives and their own practices, and utilised the rhetoric of science in an attempt to establish a new specification of « normal ». In this sense, the development of sexology redefined normal sexuality in two ways.
    • Le sexe des hormones : l'ambivalence fondatrice des hormones sexuelles - Christiane Sinding p. 39-56 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les hormones sexuelles ont été inventées à la fin du XIXe siècle comme un élixir de vie d'origine masculine. Mais ce sont les effets thérapeutiques d'autres hormones qui validèrent aux yeux de la communauté scientifique l'existence de ces nouvelles molécules. Obéissant au modèle culturel dominant de l'existence de deux sexes bien distincts, les biologistes affirmèrent qu'il existait des hormones « masculines » agissant sur les organes considérés comme masculins, et des hormones « féminines » agissant sur les caractères « féminins ». Quand on s'aperçut que les hormones masculines pouvaient avoir des effets « féminisants » sur certains organes féminins et réciproquement, on préféra mettre en doute le sexe des sujets testés plutôt que de remettre en cause le modèle binaire des sexes. Ce n'est que vers les années 1980 que certaines féministes et minorités sexuelles remirent en question le modèle biologique binaire des sexes. La pilule contraceptive fut inventée comme un outil de « libération des femmes », mais aussi de régulation des taux de naissance destiné aux pays surpeuplés et pauvres. Des hormones sexuelles sont utilisées chez des sujets sains, comme les sportifs, pour améliorer leurs performances physiques. Les hormones furent donc inventées comme agents doubles, destinés à soigner des malades, mais aussi à transformer des sujets sains.
      Sexual hormones were founded at the end of the 19th century as a masculine elixir of life. But it was the therapeutic effects of other hormones that validated the existence of these new molecules in the eyes of the scientific community. Following the dominant cultural model of two quite distinct sexes, biologists stated that there were « masculine » hormones acting on the so-called masculine organs, and « feminine » hormones acting on feminine characteristics. When it was noted that masculine hormones could have « feminizing » effects on certain feminine organs and the inverse, there was a tendency to question the sex of the subjects tested rather than the binary model of the sexes. The contraceptive pill was invented as a tool for « women's liberation » but also for the regulation of the birth rate in over-populated and poor countries. Sexual hormones are used in healthy subjects, such as sportsmen and women, to improve their physical performance. Hormones were thus invented as double agents, to cure the sick but also to change the healthy.
    • La fabrique moléculaire du genre : hormones sexuelles, industrie et médecine avant la pilule - Jean-Paul Gaudillière p. 57-80 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'histoire des hormones sexuelles est le plus souvent discutée en référence à l'invention de la pilule dans les années d'après-guerre. La molécularisation des sexes a toutefois été beaucoup plus précoce, plus complexe et plus contradictoire que cette vision ne le laisse penser. Parce qu'elle a fait intervenir tout à la fois une recherche biomédicale de haut niveau, une industrie pharmaceutique puissante et la biopolitique du régime nazi, la configuration allemande offre un terrain privilégié pour interroger les dynamiques de cette fabrique moléculaire du genre. Centré sur les rapports entre biologistes, industriels producteurs d'hormones et médecins spécialistes de la reproduction, cet article aborde trois aspects différents de l'histoire des stéroïdes sexuels avant la pilule : l'idée d'un continuum des sexes biologiques et les discussions qu'elle a suscitées, la médicalisation de la stérilité féminine et de la ménopause, et les multiples usages de la testostérone.
      The history of sexual hormones is usually discussed with reference to the invention of the pill in the postwar years. The molecularization of the sexes in fact was much earlier, more complex and more contradictory that this vision implies. The German experience, which brings into play the action of high-level biomedical research, a powerful pharmaceutical industry and the biopolitics of the Nazi regime is particularly interesting for this study of molecular gender building. Focused on the relations between biologists, industrial producers of hormones and doctors specialized in reproduction, this article deals with three different aspects of this history of sexual steroids before the pill: the idea of a continuum of biological sexes and the discussions that this provoked; the medicalization of female sterility and the menopause, and the multiple uses of testosterone.
    • Intersexe et transsexualités : Les technologies de la médecine et la séparation du sexe biologique du sexe social - Ilana Löwy p. 81-104 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le sexe social est construit sur un mode binaire. Par contre, le sexe biologique se présente comme un continuum, avec, aux deux extrêmes, les « sexes biologiques » clairement définis et, au milieu, une large gamme de situations intermédiaires — des individus « intersexe ». De tels individus remettent en cause nos certitudes sur la stabilité des catégories « homme » et « femme ». Cet article trace l'histoire des interventions médicales ayant pour but de corriger l'anomalie de l'intersexe et de produire des êtres humains dont le corps ne remet pas en cause la bipolarité du féminin et du masculin. Il suit les débats sur les liens supposés entre intersexualité et homosexualité puis expose la transition du traitement de l'intersexualité à celui de la transsexualité. Il étudie enfin le rôle des nouvelles techniques de la médecine dans la séparation entre le « sexe » et le « genre ». La possibilité de moduler les paramètres du « sexe biologique » permet alors une réflexion sur le « sexe social » comme variable indépendante des structures biologiques.
      Intersex and transexualities. Medical technologies and the separation of biological sex from social sex`/titrebSocial sex is constructed on a binary model. Biological sex on the other hand appears as a continuum, with the clearly defined « biological sexes » at each end and in the middle a broad range of intermediate situation — of « intersex » individuals. Such individual challenge our certitudes on the stability of the categories « women » and « men ». This article sketches the history of medical interventions intended to correct intersexual anomalies and produce human beings whose bodies did not challenge masculine/feminine bipolarity. It follows the discussions on the supposed link between intersexuality and homosexuality and then describes the shift in treatment from intersexuality to transexuality. Then it looks at the role of new medical technology in the separation between « sex » and « gender ». The possibility of shaping the parameters of the « biological sex » makes it possible to consider the « social sex » as an independent variable from the biological structures.
    • La différence des sexes chez Adrienne Sahuqué et Simone de Beauvoir : leur lecture des discours biologiques et médicaux - Hélène Rouch p. 105-125 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le début du XXe siècle voit l'apparition de nouvelles disciplines telles l'endocrinologie, la génétique, la biochimie, dont les apports, conjugués à ceux de la zoologie, de l'anatomie, de l'embryologie, vont conduire à l'émergence d'une véritable science de la reproduction. On peut suivre cette évolution, en France, en particulier dans ses rapports avec le contexte sociohistorique, au travers des lectures que font des écrits scientifiques deux auteures aux convictions féministes, Adrienne Sahuqué (Les Dogmes sexuels, 1932) et Simone de Beauvoir (Le Deuxième sexe, 1949). Bien qu'elles n'utilisent pas les mêmes sources et que leur examen de la littérature scientifique sur la différence des sexes ne leur inspire pas toujours les mêmes analyses, toutes deux s'accordent sur la nécessaire distinction entre le sexe et le genre. La confrontation de leurs positions montre qu'elles anticipent les débats actuels sur les contenus et les rapports de ces deux notions.
      The difference of the sexes in Adrienne Sahuqué and Simone de Beauvoir: their reading of biological and medical work`/titrebThe beginning of the 20th century saw the emergence of new disciplines such a endocrinology, genetics and bio-chemistry, whose contribution along with those of zoology, anatomy and embryology, created the conditions for the development of a real science of reproduction. We can follow this evolution, in France, particularly in its relationship to the socio-historical context, by the readings of scientific works by two feminist authors Adrienne Sahuqué (Les Dogmes sexuels 1932) and Simone de Beauvoir (The Second Sex, 1949). Although they do not use the same sources and their study of scientific literature on sexual difference does not always lead to the same analysis, they agree on the necessary distinction between sex and gender. Comparing their positions show that they were precursors to the current debates on the content and relationship of these two notions.
    • Sexe, genre et historiographie féministe contemporaine : l'exemple de l'Inde coloniale - Maneesha Lal p. 149-169 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Quand les études postcoloniales commencèrent à atteindre une certaine visibilité dans le monde universitaire anglophone, la distinction entre « sexe » et « genre » était déjà assez bien établie dans la pensée féministe anglophone. Toutefois, les chercheurs — particulièrement ceux qui travaillaient sur l'Inde coloniale —, qui essayaient d'intégrer les apports des études postcoloniales et des études féministes, se sont montrés peu intéressés à aborder les questions du « sexe ». Ils ont plutôt contesté la notion de « sororité universelle », fondée sur les similarités biologiques présumées parmi les femmes. Influencées par les politiques multiculturalistes et identitaires dans des pays comme les États-Unis et la Grande-Bretagne, ainsi que par le mouvement féministe en Inde, les chercheuses féministes ont souligné que les femmes — et, dans les travaux plus récents, les hommes — se positionnent différemment selon des critères comme ceux de la race, la classe, la caste, la religion, la sexualité, la langue, la nation et la région. Cet essai historiographique commence par résumer brièvement la genèse des études postcoloniales et leurs relations avec les études de genre, d'une part, et la pratique historique, de l'autre. Il présente, ensuite, quelques travaux récents traitant de la maternité et de la masculinité en Inde coloniale. Cet article vise à montrer comment ces travaux ont contribué à l'élaboration du concept de genre, en l'articulant avec d'autres relations de pouvoir ainsi qu'à la déconstruction des oppositions ancestrales entre colonie et métropole, Orient et Occident, tradition et modernité.
      Sex, gender and contemporary feminist historiography: the example of colonial India When postcolonial studies began to achieve a certain visibility in the anglophone academy, the distinction between « sex » and « gender » was fairly well established in anglophone feminist thought. Scholars, particularly those working on colonial India, who sought to integrate the insights of postcolonial and feminist studies proved little interested in pursuing questions concerning « sex ». Indeed they challenged notions of « universal sisterhood » based on presumed biological similarities of sex among women. Influenced by the politics of multiculturalism and identity in countries such as the United States and Great Britain as well as by the feminist movement in India, feminist scholars emphasized instead the numerous ways in which women — and, in more recent scholarship, men — were positioned differently in colonial India according to such criteria as race, class, caste, religion, sexuality, language, nation, and region. This historiographical essay presents a brief overview of the genesis of postcolonial studies and its relations to gender scholarship and historical practice before turning to a presentation of some recent works focusing on the topics of maternity and masculinity in colonial India. It aims at showing how these works have contributed to the elaboration of the concept of gender in articulating it with other relations of power as well as to the dismantling of long-standing oppositions between colony and metropole, Orient and Occident, and tradition and modernity.
    • Corps reproducteur et techniques procréatives : images, brouillages, montages et remue-ménage - Laurence Tain p. 171-192 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      C'est la fabrication du corps reproducteur dans le contexte actuel des techniques médicales de procréation qui est l'objet de cette contribution. Trois dimensions de cette production du corps, envisagée comme un processus à la fois biologique et social en constant réaménagement, sont abordées successivement ici : l'image dessinée par la recherche scientifique ; l'ancrage dans la standardisation hospitalière ; le montage social découlant des réglementations. L'observation de différents indicateurs du système de genre dans chacun de ces registres — les attributs masculins et féminins, le siège de la reproduction, le système de sexualité — incite à conclure à une reproduction des rapports de genre. Néanmoins, on assiste simultanément à une plasticité corporelle, à un brouillage des catégories impliquant de nouvelles tensions : rien ne paraît donc définitivement joué dans les combinaisons potentielles des rapports sociaux entre hommes, femmes, chercheurs et médecins.
      The subject of this contribution is the fabrication of the reproductive body in the current context of medical reproductive technologies. Three dimensions of this production of the body, seen as a constantly changing both biological and social process, are dealt with here: the image created by scientific research, the anchoring of this in hospital standardization, and the social construction flowing from the regulations in force. The observation of the different indicators of gender in each of these fields — the masculine and feminine attributes, the location of reproduction, the systems of sexuality — leads us to conclude a reproduction of gender relations. Nevertheless we see at the same time a plasticity of the body, a blurring of categories implying new tensions: nothing therefore seems to be conclusively fixed in the potential combination of social relations between men, women, scientists and doctors.
  • Hors-champ

    • Mesures politiques et division sociale du travail entre femmes : la garde des enfants par les assistantes maternelles - Françoise Bloch, Monique Buisson p. 193-216 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis le début des années quatre-vingt-dix, certaines mesures politiques concernant les modes de garde de la petite enfance ont favorisé le développement de l'accueil individuel au détriment de l'accueil collectif, plus coûteux pour les collectivités publiques. Cet article analyse, en termes de division sociale du travail entre femmes, les effets induits par les aides financières attribuées aux parents utilisant les services d'une assistante maternelle agréée. Ces aides facilitent la « conciliation » entre activité professionnelle et vie familiale de certaines femmes, les mieux insérées sur le marché de l'emploi mais surtout les plus solvables. A contrario, elles ne permettent pas à celles qui sont les moins solvables et les plus soumises à la flexibilité et à la précarité de l'emploi d'avoir recours à un tel mode de garde. De plus, les assistantes maternelles se trouvent confinées dans une des activités les plus féminisées et les plus précaires, qui relève de la catégorie des emplois aidés et qui inscrit ces femmes dans un rapport individuel à leur employeur. L'institution d'un tel rapport social n'est pas sans effet sur la conception de cette relation de service.
      Political measures and social division of labor between women: childcare by childminders`/titrebSince the beginning of the 1990s, government policy concerning forms of childcare has encouraged the growth of individual rather than collective forms of care, which is more expensive for the public authorities. This article analyses, in terms of social division of labor between women, the effects created by the financial help given to parents using the services of a registered childminder. These helpers make the « conciliation » between professional and domestic responsibilities easier for certain women, those who are better integrated into the labor market, but above all those who are better off. On the other hand they do not help the less well-off and those who are most subject to flexibility and casualization of the job market to use this form of childcare. In addition childminders find themselves confined to one of the most feminized and casualized forms of employment, which are in the category of assisted job creation, installing these women in an individual relationship with their employer. The creation of such social relations is not neutral for the conception of this service relation.