Contenu du sommaire : Subjectivités et rapports sociaux
Revue | Cahiers du genre |
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Numéro | no 53, 2012 |
Titre du numéro | Subjectivités et rapports sociaux |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- Du sujet collectif au sujet individuel, et retour : Introduction - Maxime Cervulle, Armelle Testenoire p. 5-17
- Quand les femmes ne cèdent plus... L'accès des femmes kanak à la formation continue - Armelle Testenoire p. 19-36 Cet article a pour objet d'analyser le processus de subjectivation impulsé par une politique de discrimination positive en Nouvelle-Calédonie. Il est centré sur les parcours de femmes kanak de plus de 30 ans qui sont engagées dans des formations au métier de conductrice d'engin minier. La politique de formation continue crée des conditions matérielles qui permettent aux femmes de prendre conscience que les rapports de domination ne sont pas inéluctables. Elles s'appuient sur leurs rêves d'enfance pour oser postuler à des formations qui subvertissent la division sexuelle du travail à laquelle elles ont jusqu'alors été assujetties. Dans un second temps, l'activité de travail, parce qu'elle est socialement valorisée, entraîne une transformation du rapport à soi et aux autres dans l'action.This article analyzes the process of subjectivization initiatied through a policy of positive discrimination in New Caledonia. It focuses on the training of Kanak women who are 30 years old and older, and who learn to become drivers of mining machines. This policy of adult education creates material conditions that make the women realize that it is not impossible to transform relations of domination. Inspired by their childhood dreams, this women dare to request training courses that change the traditional sexual division of labor. Then, the very activity of working, because it is socially valued, brings about changes in their relationships to themselves and to the others.
- La conscience dominante. Rapports sociaux de race et subjectivation - Maxime Cervulle p. 37-54 À partir des travaux britanniques et états-uniens conduits depuis la fin des années 1980 autour de la construction sociale et historique des identités blanches et de leur articulation avec le racisme systémique, cet article propose d'ouvrir quelques pistes de réflexions théoriques relatives à ce que le concept de ‘blanchité' permet de penser. Il s'agit, en particulier, de saisir les formes et modalités de la conscience des dominants, afin de détisser les trames de subjectivation raciales qui, malgré la contestation scientifique des théories racialistes, semblent perdurer, ainsi que de considérer le racisme en tant que « champ d'action positive », c'est-à-dire générant des sujets. L'enjeu est donc d'appréhender les pratiques de soi par lesquelles se constitue un sujet blanc, afin de saisir les formes de consentement tacite à la domination que manifestent ceux et celles qui en seraient les bénéficiaires.Starting from British and American studies on the social and historical construction of white identities and their articulation with systemic racism since the end of the 1980s, this article proposes to explore some of the theoretical venues that the concept of “whiteness” open for research. In particular, it proposes to focus on the forms and modalities of the consciousness of the dominant groups, in order to unravel the processes of racial subjectivization. Indeed, in spite of the scientific evidence contradicting racialist theories, race continues to play an important role in shaping subjectivities. Racism can thus be explored as “field for positive action”, that is actively shaping and generating subjects. The challenge thus is to determine which practices of the self contribute to shape a white subject, in order to capture the forms of tacit assent to domination shown by those who benefit from it.
- Des lesbiennes en devenir : Coming-out, loyauté filiale et hétéronormativité chez des descendantes d'immigrant·e·s maghrébin·e·s - Salima Amari p. 55-75 À partir du cas de lesbiennes d'ascendance maghrébine, de leurs rapports avec leurs familles et de leur éventuel sentiment d'appartenance à la communauté gay et lesbienne en France, cet article traite de l'émergence du sujet dans la configuration complexe que forment les rapports sociaux de sexe, de race, de classe et de sexualité. Il s'appuie sur huit entretiens menés auprès de femmes âgées de 25 à 38 ans. Confrontées aux injonctions paradoxales des normes de coming-out, de loyauté filiale et d'hétéronormativité, ces femmes évoluent dans une ambivalence permanente. Une situation qui permet la construction de sujets tacites, ambivalents et incertains : des lesbiennes en devenir.This article explores the situation of lesbians of North African descent, their relationships with their families and their possible feeling of membership of the gay and lesbian community in France. It analyzes the emergence of a lesbian subject through the complex configuration formed by the social relations of sex, race, class and sexuality. This article is based on eight interviews with women between 25 to 38 years old who are confronted with paradoxical injunctions with respect to the what are considered the social standards of coming-out, family loyalty and heteronormativity. These women live in a state of permanent ambivalence. A situation which allows the construction of tacit, ambivalent and uncertain subjects.
- Les rabat-joie féministes (et autres sujets obstinés) - Sara Ahmed, Oristelle Bonis p. 77-98 Interrogeant la figure de la « féministe rabat-joie », cet article propose d'en explorer la négativité, aussi bien que la capacité d'agir dont elle est la promesse. Il s'agit ainsi, en repositionnant la pensée féministe comme critique de l'injonction au bonheur, de comprendre le sujet féministe en tant que sujet obstiné. L'obstination féministe est alors appréhendée comme le socle incertain d'une politique collective traduisant les émotions individuelles, la douleur ou la colère ressentie face aux injustices. Au-delà, la figure du sujet obstiné permet de saisir la façon dont, au sein des espaces féministes, les femmes noires ont pu être réduites à leur colère et désignées comme cause des divisions engendrées par le racisme. La position de sujet obstiné constituerait ainsi autant un lieu de tensions que de revendications politiques.Questioning the figure of the “feminist killjoy”, this essay explores its negativity, as well as its promise of agency. By framing feminist thought as a critique of happiness, it suggests that the feminist subject should be understood as a “willful subject”. The feminist willfulness is thus understood as the uncertain ground for a collective politics translating individual emotions, the pain or anger felt in the face of injustices. Furthermore, the figure of the willful feminist subject may help understand the ways by which, within feminist spaces, black women have been reduced to their anger and designated as the cause of divisions produced by racism. The position of willfulness is therefore as much a place of political tensions as a place for political claims.
- Subjectivité et connaissance : réflexions sur les épistémologies du ‘point de vue' - Artemisa Flores Espínola p. 99-120 La reconnaissance du rôle de la subjectivité dans la production de connaissance a suscité nombre de travaux féministes dont l'objet était de repenser les standards de l'objectivité tout en évitant le relativisme radical. Ces travaux relèvent des ‘épistémologies féministes' qui, quoique recouvrant des approches très hétérogènes, remettent toutes en question une théorie de la connaissance ignorant le contexte du sujet épistémologique. Dans ce cadre, cet article vise à saisir dans quelle mesure les diverses postures épistémologiques du ‘point de vue' concilient l'engagement politique féministe et certains critères d'objectivité. Il analyse les conditions qui permettent que la subjectivité soit considérée, non comme un obstacle, mais comme une ressource pour la production de la connaissance scientifique.The recognition of the role of subjectivity in the production of knowledge has encouraged a number of feminists to reconsider the standards of objectivity while avoiding radical relativism. These studies pertain to “feminist epistemologies” which, although encompassing heterogeneous approaches, all challenge a theory of knowledge that ignores the context of the knowing subject. This article aims, within this framework, to understand how various “standpoint” epistemological postures try to reconcile a feminist political commitment with some criteria of objectivity. In particular, it analyzes the conditions under which subjectivity can be regarded as a resource, and not as an obstacle, for the production of scientific knowledge.
Hors-champ
- Citoyenneté, ethnicité et dialecticité du pouvoir dans les relations de genre : Discours et pratiques dans une communauté tsigane du Portugal - Maria José Casa-Nova, Hélène Le Doaré p. 121-144 Cet article se propose de discuter et de problématiser la façon dont se manifestent, sur un plan général et particulier, les relations de genre dans une communauté tsigane vivant dans un quartier hlm de la périphérie de Porto, au Nord du Portugal. L'analyse des données recueillies, selon une approche ethnologique, au cours de deux années de travail de terrain, permet de dévoiler les rapports de pouvoir entre les sexes et l'exercice sexué de la citoyenneté qui se vivent dans des contextes socio-géographico-culturels spécifiques : celui de la famille et celui de la communauté. Dans chacun de ces contextes, les relations de genre intègrent une subordination subordonnante et une domination subordonnée. L'analyse les saisit non seulement à travers des déterminants structurels, mais aussi à travers l'agir et les subjectivités des divers sujets-acteurs en présence qui s'affrontent dans leur double statut de citoyens et citoyennes d'un État et de membres d'une communauté relevant d'un groupe socioculturel donné.This article proposes to discuss and to problematize the formation of gender relations, in a Gypsy community living in a low-income housing neighborhood on the outskirts of Oporto, in the north of Portugal. The data collected using an ethnological approach in the course of a two-years fieldwork, reveal the power relationships between the sexes and the gendered exercise of citizenship that are experienced in specific socio-geographic-cultural contexts, i.e. in the family and in the community. In each of these contexts, gender relations combine a form of subordinating subordination with of form of subordinate domination. These forms of domination are captured through their structural determinants, as well as through the actions and the subjectivities of the various agents who hold a dual status of citizens and of members of a specific socio-cultural group.
- Les couples transfuges des territoires gitans et la scolarisation de leurs enfants - Lamia Missaoui p. 145-164 À partir d'une enquête sur la scolarisation des enfants tsiganes, cet article interroge la notion même d'intégration. Une approche socio-anthropologique a permis à l'auteure de mettre en évidence que la déscolarisation est, plus qu'un état, un processus dépendant des interactions entre institutions scolaire et familiale. Dans ce processus, les stratégies des femmes, des mères, tiennent une place centrale, fondée sur des expériences d'interactions multiples qui transforment les institutions elles-mêmes, notamment lorsqu'elles font le choix d'appartenir à des couples mixtes (gitan·e-français·e ou maghrébin·e d'origine), éventuellement transfuges des territoires gitans. La mixité met donc ici en scène des rapports d'altérité à même d'instaurer, tant à l'école que dans la famille, des normativités et des constructions identitaires nouvelles.This article investigates the schooling of Rom children in order to question the concept of integration. Using a socio-anthropological approach, the author highlights that dropping-out is a social process produced by the interactions between educational institutions and families. In this process, the strategies of women and mothers play a central role. They make decisions based on multiple experiments of interactions with institutions which transform the institutions themselves, in particular when they make the choice to belong to mixed couples (Romani/French or of North African origin), and to possibly move out from the Romani community. Mixed couples embody a form of otherness and contribute to create new norms and to forge new identities, both at school and in the family.
- Le sens de l'aiguille. Travaux domestiques, genre et citoyenneté (1789-1799) - Caroline Fayolle p. 165-187 Pendant la Révolution française, l'éducation est conçue comme un instrument pour redéfinir les rôles sociaux attribués aux deux sexes. En prenant l'exemple de la formation des filles aux travaux domestiques de couture, cet article se propose d'interroger les enjeux politiques de la division sexuée des travaux organisée par l'école. Justifiée par la nature, la prise en charge par les femmes des travaux domestiques est considérée comme une condition de possibilité concrète de l'exercice de la citoyenneté par les hommes. Cependant, des révolutionnaires minoritaires, contestant l'importance de l'enseignement de la couture, revendiquent le droit des femmes à s'instruire pour agir dans la Cité.During the French Revolution, education was conceived as an instrument to redefine gender roles. By taking the example of the training of girls to learn sewing, this article questions the political role of schools in the production of a gendered labor division. Women's responsibility for domestic care, justified by “Nature”, was also considered as an enabling condition for men's exercise of active citizenship. However, a minority of revolutionaries, contested the importance of teaching sewing in order to assert women's right to education and to be active in public life.
- Citoyenneté, ethnicité et dialecticité du pouvoir dans les relations de genre : Discours et pratiques dans une communauté tsigane du Portugal - Maria José Casa-Nova, Hélène Le Doaré p. 121-144
Hommage
- Françoise Collin. Philosophe et féministe, philosophe féministe (1928-2012) - Eleni Varikas p. 189-192
Document
- Donner par ‘nature', est-ce donner ? - Françoise Collin, Philippe Chanial, Sylvie Duverger p. 193-209