Contenu du sommaire : Dossier. Évaluation de la pandémie de Covid-19
Revue | Revue de l'OFCE (Observations et diagnostics économiques) |
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Numéro | no 166, juillet 2020 |
Titre du numéro | Dossier. Évaluation de la pandémie de Covid-19 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- La crise de la Covid-19 changera-t-elle notre façon de faire de l'économie ? : Analyses et prévisions économiques par temps de crise - Xavier Ragot p. 5-21 La COVID-19 a provoqué une crise sanitaire et économique sans précédent dans l'histoire récente. Le changement brutal du fonctionnement de l'économie a conduit les économistes à adapter rapidement leurs outils d'analyses et leurs prévisions économiques. Il a fallu d'abord comprendre l'état de l'économie dans un contexte de grande incertitude sur l'évolution épidémiologique ainsi que sur les comportements des ménages et des entreprises. Cette crise singulière conduit à repenser les concepts-clés de l'analyse économique. On identifie quatre nouvelles questions : quel sens donner à l'évolution des prix des services quand la notion même de qualité ne peut être mesurée ? Comment la crise est-elle socialement partagée ? De quelle façon l'économie est-elle financée ? Qu'est-ce qu'un choc d'offre et un choc de demande et quelles sont leurs implications sectorielles ?Covid-19 has caused a health and economic crisis that is unprecedented in recent history. The sudden change in the way the economy works has led economists to quickly adapt their analytical tools and their economic forecasts. It was necessary first of all to understand the state of the economy in a context of great uncertainty about both epidemiological developments as well as the behaviour of consumers and business. This unique crisis is leading to a reconsideration of the key concepts of economic analysis. Four new questions can be identified: what meaning should be given to changes in the prices of services when the very notion of quality cannot be measured? How is the crisis being shared socially? How is the economy being financed? What are supply shocks and demand shocks, and what are their sectoral implications?
- Mesurer l'activité durant la crise sanitaire : Premiers éléments de bilan - Didier Blanchet, Jean-Luc Tavernier p. 23-44 La crise sanitaire des derniers mois a été sans précédent et elle a conduit à des adaptations inédites pour l'appareil d'observation statistique. Quel premier bilan peut-on tirer de cette période ? On examine trois questions. La première porte sur les instruments de mesure : des sources de données non-conventionnelles ont été mobilisées, ceci doit-il marquer un tournant vers une nouvelle façon de suivre la conjoncture économique ? Répondre à cette question impose de remettre à plat les avantages et limites des différents types de sources, car aucune n'est universellement idéale pour tous les types de contexte. La deuxième question porte sur l'objet même de cette mesure. A-t-on bien mesuré ce qu'il fallait mesurer ? La crise n'a-t-elle pas révélé de nouvelles limites du PIB, rendant encore plus pressant le besoin d'indicateurs alternatifs ? Que la comptabilité nationale ne mesure qu'une partie de ce qui compte et que d'autres indicateurs soient nécessaires ne fait aucun doute. Qu'il y ait besoin de mieux expliquer ce qu'elle mesure également. Mais, face à une telle crise, ce n'est pas de moins de comptabilité nationale qu'on a besoin : ce qui s'est passé et ce qui nous attend rendent encore plus nécessaire qu'à l'ordinaire un suivi de la situation économique des différents agents, pour apprécier lesquels et à quelle hauteur ont besoin d'être soutenus. La troisième question est celle de la comparabilité internationale des chiffres : face à un tel choc, la réponse des instituts de statistique a été hétérogène. Déjà en temps ordinaire, la comparabilité des chiffres n'est pas aussi affirmée que ce qu'on serait en droit d'attendre. Le contexte de crise a encore accentué ce problème.The health crisis of recent months has been unprecedented and has led to unprecedented adaptations for the system of statistical observation. What initial assessments can we make for this period? We examine three questions. The first relates to our tools for measurement: as unconventional data sources are being mobilized, should this mark a turning point towards a new way of monitoring the economic situation? Answering this question requires reviewing the advantages and limitations of different types of sources, because none is universally suited to all types of context. The second question relates to the very purpose of measurement. Have we measured what needs to be measured? Has the crisis not revealed new limits to GDP, making the need for alternative indicators even more pressing? It is clear that the national accounts measure only part of what matters and that other indicators are needed. It is also necessary to give a better explanation of what GDP measures. Faced with such a crisis, however, it is not that the national accounts are needed less: what has happened and what awaits us make it even more necessary than usual to monitor the situation of the different agents and to appreciate which need support and at what level. The third question concerns the international comparability of the data: faced with a shock like this, the statistical institutes have given a heterogeneous response. In ordinary times, the comparability of the figures is already not as solid as we should be able to expect. The crisis has further aggravated this problem.
- Mesurer l'impact de la crise Covid-19 : L'expérience de la Banque de France - Vincent Bignon, Olivier Garnier p. 45-57 Dans un contexte de crise sanitaire inédite consécutive à la propagation de la COVID-19, la Banque de France a adapté son système d'information en temps réel. Les restrictions administratives ont eu un impact variable selon les secteurs. Tout d'abord, l'enquête mensuelle de conjoncture (EMC) a été mobilisée pour estimer les pertes d'activité et de PIB. Elle a inclus deux nouveaux types de questions pour évaluer respectivement le niveau d'activité du mois écoulé et du mois à venir ainsi que le pourcentage des effectifs en télétravail. La qualité du recueillement des données de l'enquête a été maintenue. En avril, dans l'industrie, le secteur automobile aurait été le secteur plus vulnérable (11 % du niveau normal d'activité contre 51 % en moyenne) tandis que dans les services marchands (50 % du niveau normal d'activité), les secteurs les plus impactés ont été ceux de l'hébergement (1 % du niveau normal), de la restauration (6 %) et de la réparation automobile (16 %). Cette adaptation de l'EMC a également permis d'évaluer la baisse du PIB à 32% pour la deuxième quinzaine de mars et à 27 % pour le mois d'avril. Avec le déconfinement, la perte de PIB se serait rapidement réduite pour atteindre 5 % du niveau normal en août. Ensuite, le suivi auprès des banques commerciales des principaux comptes financiers des ménages et des entreprises a été réalisé à une fréquence plus élevée (hebdomadaire). Cette collecte de données a permis de constater très rapidement entre mars et août : (i) pour les entreprises, une envolée simultanée de leur endettement (+178 milliards d'euros de leur dette brute) et de leur trésorerie (+174 milliards) ; (ii) pour les ménages, une forte hausse de leur épargne bancaire (+87 milliards).In the context of the unprecedented health crisis following the spread of Covid-19, the Banque de France has adapted its information system in real time. Administrative restrictions have had a varying impact depending on the sector. First of all, the monthly survey of business trends (the EMC) was used to estimate the losses in activity and GDP. It included two new types of questions to assess, respectively, the level of activity for the past month and the month to come as well as the percentage of the workforce working remotely. The quality of the collection of survey data was maintained. In April, in industry, the automotive sector was the most vulnerable sector (11% of the normal level of activity against 51% on average), while in market services (50% of the normal level of activity) the sectors hit hardest were hotels (1% of the normal level), catering (6%) and automotive repair (16%). The adaptation of the EMC also made it possible to assess the fall in GDP at 32% for the second half of March and at 27% for the month of April. After lockdown eased, the loss in GDP was rapidly reduced and was only 5% below the normal level in August. The main financial accounts of households and businesses at the commercial banks were also monitored at a higher frequency (weekly). This data collection made the following observations possible very quickly between March and August: (1) for companies, a simultaneous surge in their debt (+178 billion euros in gross debt) and their cash flow (+174 billion); and (2) for households, a sharp increase in their bank savings (+87 billion).
- Évaluation de la pandémie de Covid-19 sur l'économie mondiale - , Éric Heyer, Xavier Timbeau p. 59-110 Depuis la prise de conscience fin février dernier de la diffusion de l'épidémie de coronavirus, l'économie mondiale a subi un choc inédit bouleversant le paradigme conjoncturel. Comme le laissait pressentir l'évolution des indicateurs infra-trimestriels, les chiffres de croissance du PIB concrétisaient déjà, dans leur version provisoire, les effets économiques du confinement sur les deux dernières semaines du premier trimestre. Toutefois, au vu du degré de sévérité des fermetures, on pourrait s'attendre à des révisions importantes du PIB à la baisse comme à la hausse. Nous évaluons ensuite l'impact de choc sur l'économie mondiale en partant des tableaux entrées-sorties issus de la World Input-Output Database (WIOD). Les différentes mesures de mises en place pour le mois d'avril auraient un impact de -19 % sur la valeur ajoutée au niveau mondial. Tous les secteurs et tous les pays ne seraient pas impactés de la même manière. Au niveau sectoriel, la branche de l'hébergement-restauration enregistrerait une diminution de 47 % de sa valeur ajoutée au niveau mondial. Au niveau géographique, l'Europe serait la zone la plus touchée, notamment l'Espagne, l'Italie et la France avec des chutes de valeur ajoutée de plus de 30 points. Bien que l'Allemagne ait subi une baisse moins importante de l'activité, en lien avec des mesures de confinement moins restrictives dans l'ensemble, le pays souffre cependant de sa forte exposition à la demande étrangère. Cette modélisation permet ensuite de décrire l'incidence du choc d'activité sur la demande de travail pour le mois d'avril. Pourtant, si l'ajustement de la demande de travail au choc de production est très marqué, l'impact final sur l'emploi salarié apparaît in fine, au moins en Europe, faible au regard des pertes potentielles d'emplois, en raison de la mise en œuvre de dispositifs d'activité partielle similaire. En l'absence d'un tel mécanisme, les États-Unis connaissent de plus fortes destructions d'emplois salariés, qui atteignent 14,6 % de l'emploi salarié total.Since people became aware last February of the spread of the coronavirus epidemic, the world economy has suffered an unprecedented shock that has rattled the economic paradigm. As suggested by trends in the sub-quarterly indicators, the GDP growth figures already reflected, in their provisional version, the economic effects of lockdowns on the last two weeks of the first quarter. However, given the severity of the containment measures, significant downward and upward revisions to GDP could be expected. We then assess the impact of the shock on the global economy using input-output tables from the World Input-Output Database (WIOD). The various measures enacted for the month of April had an impact of -19% on added value at the global level. Not all sectors and countries were affected in the same way. At the sectoral level, the hotel and catering branch recorded a 47% fall in added value at the global level. Geographically, Europe was the area hit hardest, in particular Spain, Italy and France, with drops in added value of more than 30 points. Although Germany suffered a smaller fall in activity, in connection with less restrictive containment measures overall, the country is nevertheless suffering from its high exposure to foreign demand. Modelling then makes it possible to describe the impact of the activity shock on labour demand for the month of April. However, while the adjustment of labour demand to the production shock is very marked, the final impact on salaried employment ultimately appears, at least in Europe, to be weak compared to the potential job losses, due to the implementation of measures for short-time working. The United States, lacking such a mechanism,has experienceda greater destruction of salaried jobs, reaching 14.6% of total salaried employment.
- Évaluation au 26 juin 2020 de l'impact économique de la pandémie de la Covid-19 et des mesures du confinement et du déconfinement en France - Magali Dauvin, Bruno Ducoudré, Éric Heyer, Pierre Madec, Mathieu Plane, Raul Sampognaro, Xavier Timbeau p. 111-160 Nous analysons les effets de la pandémie de la Covid-19 et des mesures prophylactiques engagées sur l'activité économique, l'emploi et les revenus des agents économiques durant la période allant du 17 mars 2020 au 5 juillet 2020. Les huit semaines de confinement ont conduit à une contraction du produit intérieur brut (PIB) de 32 %. Pendant la période de déconfinement progressif du 11 mai au 5 juillet 2020, l'activité se serait réduite de -11 points de PIB par rapport à la situation prévalant avant la crise, signifiant un retour partiel à l'activité « normale ». L'impact de la crise sanitaire serait massif sur la croissance annuelle de l'activité économique française en 2020 : au cours de ces seize semaines, la perte de PIB représente 165 milliards d'euros et pèserait de 6,6 points sur la croissance du PIB de l'année 2020. Les stabilisateurs automatiques et les politiques engagées pendant la pandémie pour préserver le tissu économique conduisent les administrations publiques (APU) à absorber 58 % de la perte d'activité. Les ménages et les entrepreneurs individuels encaissent une perte de revenu de 14 milliards, soit près de 10 % du total, les entreprises devant donc absorber un tiers de la perte de revenu, plus de 50 milliards d'euros. Les pertes de revenu des ménages sont plus que compensées par la diminution de la consommation, engendrant une épargne « forcée » atteignant 75 milliards d'euros sur les seize semaines. Cette épargne est concentrée au sein des ménages les plus riches. Le dispositif d'activité partielle constitue un instrument majeur de l'absorption du choc. Il permet d'indemniser les entreprises effectivement touchées par les conséquences de la pandémie, tout en limitant les destructions d'emplois et la perte de revenu des salariés. Les motifs principaux de recours à l'activité partielle évoluent : baisse d'activité pendant le confinement, gardes d'enfant et vulnérabilité au virus pendant les premières phases du déconfinement. Si le recours au dispositif « vulnérable » reste limité, il pourrait être un facteur plus déterminant au cours des prochains mois dans le cas d'un éventuel rebond de la pandémie.We analyse the effects of the Covid-19 pandemic and the resulting containment measures on economic activity, employment and the income of economic agents during the period from 17 March 2020 to 5 July 2020. The eight weeks of lockdown led to a 32% contraction in gross domestic product (GDP). During the period of gradual easing from 11 May to 5 July 2020, activity was down by only ‑11 GDP points compared to the pre-crisis situation, signifying a partial return to “normal” activity. The impact of the health crisis has been massive on the annual growth of French economic activity in 2020: during these sixteen weeks, the loss of GDP came to 165 billion euros and has pulled GDP growth for the year 2020 down by 6.6%. The automatic stabilizers and the policies implemented during the pandemic to preserve the economic fabric have led government (“APU”) to absorb 58% of the loss of activity. Households and individual entrepreneurs have suffered a loss of income of 14 billion euros, or nearly 10% of the total;business must therefore absorb a third of the loss of income, more than 50 billion. The losses in household income have been more than offset by the fall in consumption, generating “forced” savings that reached 75 billion euros over the sixteen weeks. This savings is concentrated in the wealthiest households. Short-time working has been a major tool for shock absorption. It allows companies actually hit by the impact of the pandemic to be compensated, while limiting the destruction of jobs and the loss of employee income. The main reasons for resorting to short-time working are changing: decreased activity during lockdown, childcare and vulnerability to the virus during the first phases of lockdown. While the use of the "vulnerable" device remains limited, it could be a more decisive factor in the coming months in the event of a possible resurgence of the pandemic.
- Étude spéciale. Impact du choc de demande lié à la pandémie de la Covid-19 en avril 2020 sur l'activité économique mondiale - Magali Dauvin, Paul Malliet, Raul Sampognaro p. 161-193 Depuis la mi-mars, de nombreux pays ont mis en place des mesures de confinement incitant les populations à limiter les interactions physiques afin d'enrayer la crise sanitaire due à la pandémie de la Covid-19. Ces dernières se sont traduites par une baisse de la demande qui s'est ensuite diffusée à l'ensemble de l'économie à travers le tissu productif. Dans cette étude, nous étudions la transmission des mesures de confinement en vigueur en avril 2020 à l'économie mondiale en mobilisant les tableaux entrées-sorties issus de la World Input-Output Database (WIOD) publiés en 2016. Selon notre évaluation, les mesures de confinement et de distanciation sociale mises en place à leur niveau du mois d'avril conduiraient à une baisse de 19 % de la valeur ajoutée mondiale. La dépendance vis-à-vis de l'étranger, à travers les exportations nettes (tourisme compris), constitue une fragilité supplémentaire face à une crise de cette ampleur. Les pays les plus impactés par les mesures de confinement prises en avril sont les pays européens. En premier lieu ceux où le confinement a été le plus strict, en particulier la France, l'Espagne et l'Italie mais également ceux pour lesquels la contribution extérieure à la baisse de l'activité est plus importante, malgré des politiques de confinement moins sévères, l'Allemagne étant particulièrement affectée par ce canal.Since mid-March, many countries have enacted containment measures to encourage populations to limit their physical interactions in order to stem the health crisis caused by the Covid-19 pandemic. The crisis has resulted in a drop in demand, which then spread to the entire economy through the production system. In this study, we examine the transmission of the containment measures in force in April 2020 to the global economy by using the input-output tables from the World Input-Output Database (WIOD) published in 2016. According to our assessment, the lockdown measures and social distancing implemented at their April level led to a 19% drop in global value added. Dependence on foreign countries, through net exports (including tourism), constitutes an additional point of vulnerability in the face of a crisis of this magnitude. It is the European countries that were hit hardest by the containment measures taken in April. This means first, the countries where containment was the strictest, in particular France, Spain and Italy, but also those that have a greater external contribution to the decline in activity, even if the containment measures are less severe, with Germany being particularly affected through this channel.