Contenu du sommaire : L'enjeu de la rationalisation du travail

Les technologies sont couramment assimilées à des phénomènes naturels autonomes. En fait les technologies incorporent les contraintes sociales, à des degrés divers et notamment les effets de la résistance ouvrière aux normes de production. Mais en même temps qu'elle obéit aux contraintes sociales, la technologie produit une «culture», dont le déterminisme taylorien et le progrès technique sont des exemples. L'auteur en vient ainsi à développer l'idée d'une «fonction hiérarchique » de la technologie.

Cet article se propose de faire le point sur les tentatives actuelles engagées pour recomposer la ligne de montage sur une base nouvelle. La ligne de montage — sous sa forme première, fordienne, comme sous la forme «recomposée » sous laquelle elle cherche à se mettre en place — doit être examinée sous son double aspect de technologie de contrôle sur le travail vivant et de support pour la valorisation de la valeur. La nouvelle ligne de montage est à l'origine d'une nouvelle «économie » du temps et du contrôle qui permet de reproduire les mécanismes essentiels de la production en grande série de marchandises standardisées (support essentiel de la production de masse moderne) en les adaptant aux caractéristiques actuelles du marché du travail et de la résistance ouvrière.

Après un rappel du statut privilégié qu'occupaient les ouvriers professionnels dans les entreprises allemandes , l'auteur se demande comment les exigences de qualification évoluent avec le changement technique. Dans les branches étudiées, récemment rationalisées, la proportion des ouvriers qualifiés s'est effondrée en vingt ans dans les proportions considérables. L'auteur explique ce mouvement par les conditions économiques de la production capitaliste. Cette dégradation de leur qualification porte également atteinte aux capacités ouvrières de défense de leurs professions et de résistance à la rationalisation du travail.

Sur la base de plusieurs études monographiques d'entreprises de série l'auteur analyse les effets différenciateurs, sur la main-d'œuvre, des politiques de recrutement, des systèmes de mutations et des systèmes d'organisation du travail en «modules ». Selon l'auteur, le système modulaire est en réalité une unité d'affectation et de mutation. Les notions de différenciation de la force de travail et des conditions d'acquisition des capacités de travail sont proposées pour expliquer les faits observés.

L'auteur s'interroge sur la portée et la signification des différentes expériences dites «d'autonomie » ouvrière. Il en étudie le mode d'insertion dans le système hiérarchique, la délimitation des prérogatives, le degré d'accès aux décisions. Les formes d'intégration se différencient par le degré de risque qu'elles comportent pour la hiérarchie. Elles sont plus souvent considérées en France comme des solutions techniques à des problèmes d'efficacité productive que comme une recherche de nouveaux rapports sociaux. Rares sont les projets qui osent casser la structure hiérarchique de l'entreprise.

L'auteur décrit plusieurs formes de réappropriation du travail (espace de travail, temps de travail, technique, gestion). La signification donnée à ces comportements tourne le dos aux interprétations économiques ou stratégiques. Les comportements d'appropriation expriment le désir de s'identifier à son travail à travers l'outil, à travers le groupe de travail, de se créer des zones de sécurité et d'autonomie. C'est l'expression d'une conscience de soi à travers la fonction de production.