Contenu du sommaire : Les cadres : places et destins

A partir de la parole des cadres, c'est-à-dire de la façon dont les cadres se pensent eux-mêmes, fauteur entreprend de faire comprendre l'articulation entre travail et mode de vie. Dans cette recherche sur les cadres supérieurs, portant sur un échantillon de cinquante cadres diplômés des grandes écoles, l'auteur conclut qu'il se trouve face à un groupe d'individus agissant comme des gestionnaires d'une entreprise, celle de leur vie transformée en projet. Cette gestion, aussi capacité de vivre la réalité comme une suite de problèmes à résoudre, se traduit par une recherche ininterrompue visant à optimiser carrière, mobilité et logement, à équilibrer travail et famille, à évaluer les résultats par rapport aux investissements entrepris.

Les auteurs de cet article se proposent d'analyser l'articulation entre les projets de carrière des cadres et les réponses apportées par les organisations économiques pour «gérer» ces «aspirations» individuelles. Après avoir analysé les dispositifs qui organisent le déroulement de la carrière et qui assurent du même coup l'emprise de l'organisation sur ceux qui la font fonctionner, les auteurs s'attachent à démontrer, à partir d'une recherche réalisée dans une entreprise multinationale, le mode de pouvoir fondé sur l'adhésion, sur l'idéologie de la réussite venant donner du sens à l'existence des cadres en quête de faire résonner leur idéal du moi avec les exigences de leur entreprise.

Dans cet article, les auteurs se proposent de mettre en relation le système éducatif (écoles d'ingénieurs) et l'appareil de production (les entreprises industrielles) pour essayer de saisir comment se constitue un espace de qualification pour les cadres. Cet espace associe dans des postes voisins des individus à carrière lente ayant le «sens industriel» à des individus à carrière rapide. Cette combinaison de cadres adaptatifs et de cadres adaptés renvoie, en fait, à l'organisation de l'appareil éducatif. En même temps, l'entreprise ne se laisse pas enfermer dans une correspondance mécanique entre titre et poste. La dénomination du poste objectivise la relation entre entreprise et école en surdifférentiant les cadres, non par rapport à ce qu'ils font, mais par rapport à leur origine scolaire.

Dans cet article, l'auteur date la naissance d'un nouveau type d'acteur social, le cadre commercial, avec la création, par la bourgeoisie d'affaires d'une École (1881) en réponses aux nouveaux besoins de l'économie. L'âpreté du débat sur la finalité de l'Ecole (transmission d'un savoir technique ou échange d'expérience) renvoie en fait au moment historique où une fraction de la bourgeoisie se trouve être écartée du pouvoir économique.

Dans un article précédent les auteurs ont établi que les ingénieurs et cadres (I.C.) d'un groupe industriel ne participent pas à l'élaboration des choix stratégiques du groupe et qu'ils ne pèsent même que d'un poids second dans la définition des politiques partielles qu'ils mettent en œuvre. Mais comment comprendre que dans un univers industriel de plus en plus complexe, les détenteurs de savoir que sont les I.C. ne puissent tirer parti de leur compétence pour combler le fossé qui les sépare des dirigeants ? Par l'analyse des situations professionnelles des I.C. les auteurs apportent ici des éléments de réponse à cette question : ils montrent que de nouveaux ingénieurs capitalisent dans une organisation savante les différentes compétences à mobiliser et déqualifient ce faisant l'immense majorité des I.C. qu'ils transforment en serviteurs d'appareils. Ils peuvent alors éprouver la fécondité de cette conceptualisation en présentant les réactions contrastées des dirigeants, ingénieurs et serviteurs d'appareils aux lois de nationalisation et de démocratisation.