Contenu du sommaire : Travail et cognition.

Le diagnostic médical , généralement considéré comme une tâche conceptuelle élaborée, apparaît également comme le produit d'une activité sociale complexe. Cette complexité sociale se manifeste dans la variation qui affecte les statuts du personnel soignant mais également dans les aptitudes cognitives attribuées. Or la crédibilité de l'information clinique est directement affectée par le statut ou les attributions de compétences prêtées au patient et aux divers membres du personnel soignant. L'auteur propose une analyse socio-cognitive des interactions sociales dans un hôpital qui prend en compte l'aspect distribué de la connaissance. Il souligne que les systèmes experts d'aide au diagnostic devraient intégrer les composants sociaux de la transmission et de l'évaluation des informations cliniques.

Cet article analyse les différents supports informationnels utilisés par les pilotes d'avion dans la cabine de pilotage. Il souligne la faiblesse des modèles d'analyse des changements technologiques qui affectent le pilotage aérien due, selon l'auteur, à l'absence de prise en compte du caractère distribué des représentations. Prenant l'exemple des différents formats d'accès à l'information sur la vitesse, l'auteur montre que les pilotes utilisent deux types de représentations : celles qui parviennent des supports techniques externes ou de la parole et les représentations mentales internes. L'étude du pilotage devient un cas exemplaire pour comprendre que l'activité cognitive ne réside pas seulement dans le cerveau individuel mais dans le système qui inclut des humains, des artefacts et des objets.

A partir d'une synthèse de la littérature cet article présente deux interprétations de la notion d'action située en montrant comment chacune définit des programmes de recherche distincts. La première met l'accent sur la compréhension de l'action et la communication sociale. Elle oriente les recherches sur les machines «interactives» et la coopération assistée par ordinateur. La deuxième met l'accent sur la perception et l'organisation spatiale et oriente les travaux sur la cognition ordinaire et les automates situés. En indiquant les limites de ces deux interprétations, les auteurs soulignent le rôle informationnel joué par la technologie et les artefacts dans la construction de l'environnement.

A partir d'une expérience personnelle originale d'enseignante en mathématique au Mali, l'auteur s'attaque à un projet ambitieux : le réexamen des dichotomies classiques entre savoir formel et informel, pensée concrète et abstraite, connaissances déclaratives et procédurales, raisonnement scientifique et de sens commun. La complexité cognitive du calcul mental, de cette arithmétique du quotidien dont se servent si bien les populations analphabètes ou peu scolarisées sert ici de matière à la démonstration. Les recherches citées -sur des paysans bambaras, des ouvriers et des ménagères américaines, des vendeurs de rue au Brésil -jettent le doute sur la pertinence des modèles cognitifs classiques en matière de résolution de problèmes, de transfert de connaissances et d'apprentissage, qui font l'impasse sur les questions du sens, de la motivation et du contexte.

Il existe encore peu de recherches sur les activités de coopération dans des environnements technologiques complexes. Or l'une des raisons des échecs technologiques actuels est l'absence de prise en compte du contexte dans l'analyse des activités de travail et des interactions. Les auteurs préconisent une méthodologie «naturaliste » d'observation, utilisant l'enregistrement audio-vidéo pour décrire les processus de coopération. Ils montrent, dans une perspective ethnométhodologique, comment les agents chargés de la régulation du trafic dans un poste de commande du métro de Londres s'échangent systématiquement les informations dont ils disposent -notamment en rendant celles-ci accessibles pour autrui- et coordonnent un ensemble disparate de tâches et d'activités, dans cet environnement multimédia.

Comment est géré un incident banal de régulation du trafic sur la ligne A du RER ? L'analyse empirique de l'activité collective proposée ici par deux ergonomes repose sur un paradigme constructiviste, un concept clé, celui de cours d'action et une méthodologie qui mêle l'observation, l'enregistrement et l'auto-confrontation. Elle aboutit à des recommandations concrètes susceptibles d'orienter la conception des installations de contrôle du trafic en termes d'aide à la coordination des acteurs, présentées comme une alternative à la conception actuellement dominante de «prothèses cognitives».

Mais qu'est-ce, au juste, qu'un travail d'équipe ? Pour répondre à la question, l'auteur procède à une analyse méticuleuse d'inspiration goffmanienne des formes repérables de l'engagement au sein d'une activité en collaboration : la régulation du trafic dans un poste de commande du RER. Des quatre figures identifiées -«être au courant», «monter au créneau», «se délester», «reprendre en mains» -se dégage, au fil des situations observées, la dynamique de l'intelligence distribuée. Ce copilotage où chacun est tantôt activiste et réserviste de l'action suppose des processus d'ajustement et de couplage qui soulignent la part des obligations implicites qui font «tenir» le collectif.

L'ensemble des réflexions que livre ici Bruno Latour sont provocantes à plus d'un titre et pourront donner lieu à débat, aussi bien parmi les sociologues que parmi les spécialistes des sciences cognitives, voire parmi les primatologues. L'ambition de cet essai théorique est en effet de proposer un renversement de l'intersubjectivité à l'interobjectivité. Ce programme conduit l'auteur à remettre en cause les paradigmes les mieux établis aussi bien en sociologie qu 'en ethnométhodologie, ou en anthropologie. Il en découle une conception renouvelée de l'acteur et de l'action, prenant en compte les actants humains et non-humains qui donne aux objets un statut d'acteur social dans une «interaction cadrée », celle qui nous distingue des babouins. Texte à la fois décapant et novateur, qui tient par les questions qu'il soulève.