Contenu du sommaire : La représentation des origines
Revue | Revue française d'histoire des idées politiques |
---|---|
Numéro | no 52, 2ème semestre 2020 |
Titre du numéro | La représentation des origines |
Texte intégral en ligne | Accès réservé |
Études
- La représentation des origines. Introduction - Béatrice Guion p. 9-30
- Discours des origines et pensée politique dans la littérature des XIIe et XIIIe siècles - Dominique Boutet p. 31-59 Il y a au Moyen Âge plusieurs temps qui font, selon les textes, fonction de temps des origines : origine du monde (référence biblique, mais quelquefois utilisation des mythes gréco-romains de Saturne et de Jupiter, par exemple chez Jean de Meun), origine des trois ordres de la société médiévale et de la relation féodo-vassalique, origine troyenne de plusieurs peuples occidentaux (les Bretons, les Francs, les Danois…), enfin le Christ pris comme point d'origine, en particulier dans les romans du Graal dès la fin du XIIe siècle. Il faut ajouter la référence à Charlemagne, point d'origine glorieux de la stirps Caroli vers lequel Philippe Auguste doit assurer le retour. Cette contribution les examine, dans leurs rapports avec la pensée politique, au travers d'un grand nombre de textes de toute nature, en vers ou en prose, en français ou en latin, textes théoriques, historiographie, romans du Graal et chansons de geste.Several times, in the French Middle Ages, can be considered as a time of the Origins : the biblical origin of the world (and sometimes through the myths of Saturne and Jupiter such as in the Roman de la Rose of Jean de Meun), the origins of the three orders of the medieval society and of the rules of the feudalism, the so-called Trojan origin of several occidental nations (such as Bretons, Franks or Danes…), and Christus becomes the true Origin at the end of the 12th century, peculiarly in the Grail Romances. There is also the myth of Charlemagne, considered as the glorious origin (and model) of the stirps Caroli that will be renewed in the king Philippe August. This paper investigates all these origins, in their relation with the political thought, through a lot of different texts, prose and poetry, in french or in latin, theoretical, historical texts, and also the Grail Romances and the chansons de geste.
- Beatus Rhenanus (1485-1547) commentateur de la "Germanie" de Tacite :Litteris et Patriae ? - James Hirstein p. 61-136 La contribution scientifique du grand philologue et historien Beatus Rhenanus de Sélestat (1485-1547) est examinée du point de vue de l'impartialité et du patriotisme. Ses démonstrations complexes et nuancées privilégient une interprétation fondée sur la lettre du texte et sur le pouvoir de la culture sur les influences du climat ou les traits nationaux. Dans ses interprétations le patriotisme ne joue pas le premier rôle.The contribution of the great philologist and historian Beatus Rhenanus of Sélestat (1485–1547) is examined from the standpoint of impartiality and patriotism. His complex and subtle arguments are founded upon the letter of the text and the power of culture over climatic influences or national characteristics. Patriotism does not hold first place in his interpretations.
- Origine et délégation du pouvoir dans quelques tragédies de la première modernité (1540-1640) - Enrica Zanin p. 137-152 Cet article approfondit l'analyse de la figure topique du « tyran » dans la tragédie de la première modernité, en interrogeant l'origine de son pouvoir, à partir de la notion juridique de dominium. Cette notion vient définir, dès la fin du Moyen Âge, la légitimité du pouvoir royal, la relation du roi à Dieu, et l'usage qu'il fait des biens qu'il administre. Des pièces de Shakespeare, de Giraldi Cinzio, de Juan de la Cueva, de Jacques de la Taille, d'Alexandre Hardy, mais aussi d'auteurs moins connus comme Ville-Toustain ou Claude Roillet, montrent que le tyran est le roi qui fait un mauvais usage du dominium et esquissent des stratégies pour restaurer la relation entre le roi (et plus largement l'homme), la création et son Créateur.This article aims at better understanding the topical figure of the “tyrant” in the early modern tragedy, by questioning the origin of his power, tackling the legal notion of dominium. The dominium defines, at the same time, the legitimacy of royal power, the king's relationship to God, and the use he makes of the goods he administers. Several plays by Shakespeare, Giraldi Cinzio, Juan de la Cueva, Jacques de la Taille, Alexandre Hardy, but also lesser-known authors such as Ville-Toustain or Claude Roillet, show that the tyrant is the king who misuses the dominium, while others attempt to outline strategies to restore the relationship between the king (as well as any human being), the world and its Creator.
- Figures du souverain dans les tragédies de Hardy "Panthée" et "Mariamne" - Sandrine Berregard p. 153-173 L'analyse des deux tragédies de Hardy Panthée et Mariamne conduit à la mise au jour d'une tragédie du pouvoir, dans laquelle se développe une réflexion à la fois morale et politique. Selon qu'ils incarnent la vertu ou le vice, les débordements de la passion ou la maîtrise de soi à laquelle en appelle par exemple le stoïcisme, les personnages se répartissent en deux grandes catégories. La vocation édifiante du genre tragique tel que le pratique le dramaturge se trouve dès lors pleinement illustrée. Mais, peut-être plus qu'aucun autre poète de son temps, Hardy associe étroitement le docere et le movere. La conduite admirable par laquelle se distingue Cirus ou, dans la sphère domestique, Mariamne est rendue aussi séduisante par les ornements du discours qui accompagnent en particulier les propos sentencieux.The analysis of the two tragedies of Hardy, Panthée and Mariamne, reveals a tragedy of power in which there develops a reflection that is both moral and political. Whether they incarnate virtue or vice, the excesses of passion or the self-control inspired by stoicism, the characters divide into two large categories. The edifying vocation of the tragic genre, such as the dramatist practises it, is thus abundantly illustrated. But, possibly more than any other poet of his time, Hardy associates docere and movere very closely. The admirable conduct by which Cirus distinguishes himself, or, similarly, Mariamne in the domestic sphere, is rendered all the more seductive by the figurative language which accompanies particularly the sententious statements.
- La représentation des origines dans "L'Astrée" d'Honoré d'Urfé - Bruno Méniel p. 175-197 Honoré d'Urfé situe l'action de L'Astrée au Ve siècle, précisément à l'époque de la dernière invasion significative pour la constitution de la nation française, celle des Francs. Il rappelle que chacun est libre de reconnaître les ancêtres dont il se sent l'héritier. À la lumière de son expérience politique et amoureuse, il réinvente la naissance de sa petite patrie. La rêverie sur les origines est une interrogation sur les vertus de génération en génération.Honoré d'Urfé sets the action of L'Astrée in the 5th century, precisely when the last significant invasion took place and constituted the French nation, that of the Franks. He reminds us that everyone is free to acknowledge the ancestors of whom he feels himself heir. In the light of his political and love experience, he reinvents the birth of his small homeland. Daydream on the origins is a thinking about the virtues that passed down from generation to generation.
- Comment écrire une histoire sans origines : Voltaire - Myrtille Méricam-Bourdet p. 199-220 L'étude s'intéresse à la question des origines à partir de l'histoire universelle rédigée par Voltaire, qui se veut en rupture avec la tradition historiographique chrétienne. En refusant des généalogies sujettes à caution, Voltaire cherche plutôt à reconstituer le cheminement possible des faits sociaux et culturels. La démarche, qui n'est pas sans présenter elle aussi des partis pris, lui permet de prendre position dans un certain nombre de débats politiques contemporains.The study examines the question of origins in the universal history written by Voltaire, which breaks with the Christian historiographic tradition. By refusing genealogies, Voltaire seeks to reconstitute the possible path of social and cultural facts. The approach, which is also not without its biases, allows him to take a position in a number of contemporary political debates.
- Origines des fables et fables des origines dans l'"Histoire des deux Indes". Diderot dialoguant avec Fontenelle et Voltaire - Muriel Brot p. 221-251 Histoire de la colonisation depuis le XVe siècle jusqu'aux années 1760-1770, inspirée par le rationalisme historique de Fontenelle et de Voltaire, l'Histoire des deux Indes de l'abbé Raynal s'intéresse doublement aux origines des nations : sur le plan historiographique, pour dénoncer les fables et les impostures qui dénaturent l'histoire ; sur le plan politique, pour mettre au jour, et tenter d'infléchir, les processus économiques et philosophiques qui bloquent l'évolution des sociétés.A history of colonisation from the 15th century to the years 1760–1770, inspired by Fontenelle's and Voltaire's historical rationalism, Abbé Raynal's Histoire des deux Indes is doubly interested in the origins of nations : historiographically, in order to denounce the fables and impostures that distort history ; politically, so as to bring to light, and attempt to influence, the moral, economic and philosophical processes that block the evolution of societies.
- Désordres dans la lignée : le motif du prince monstrueux au XVIIIe siècle, entre science, merveille et politique - Emmanuelle Sempère p. 253-274 La figure du prince monstrueux (ou de la princesse monstrueuse), récurrente dans les contes, est particulièrement exploitée par les conteurs français de la fin du règne de Louis XIV, et jusqu'à la mort de Louis XVI. Cet article envisage l'hypothèse selon laquelle ces « fictions pensantes » font résonner les questionnements savants qui se sont cristallisés au moment de la querelle des monstres dans les années 1730. À partir de quelques contes d'Aulnoy, de Lubert, de Crébillon et de Tiphaigne de La Roche, il montre comment s'est forgé et a circulé un imaginaire du monstre comme corruption de l'origine aux fortes implications politiques.The figure of the monstrous prince (or monstrous princess), recurrent in fairy tales, is particularly developed in the literary french tales in the period from the end of the reign of Louis XIV to the death of Louis XVI. This article explores the hypothesis that these “thinking fictions” resonate with the scholarly questions that crystallised at the time of the monster feud in the 1730's. Using a few tales by Aulnoy, Lubert, Crébillon and Tiphaigne de La Roche, it shows how the imaginary of the monster as a corruption of origin with strong political implications was forged and circulated.
Variétés
- L'État dans la réflexion d'Angelo Tasca : l'État fort (1940-1945) : Partie II - Catherine Rancon p. 275-307
- Un transnationalisme prolétarien ? Marx et les immigrés irlandais - Martin Deleixhe p. 309-338 Quelle place faut-il accorder aux travailleurs immigrés au sein des mouvements ouvriers et syndicats ? Un épisode dans l'histoire de cette problématique est particulièrement riche d'enseignements, en raison tant de ses protagonistes que de ses enjeux conceptuels. Karl Marx, en sa qualité de secrétaire général de la Première Internationale, s'est intéressé au sort des travailleurs immigrés irlandais qui résidaient en Angleterre, en raison notamment de leur intense activisme politique. Au cours du débat sur l'indépendance irlandaise, l'Internationale a couru le risque d'une division interne de ses membres le long de lignes de fracture nationales. Cet article retrace l'évolution de la pensée de Marx sur le sujet. Il met en évidence, tout d'abord, le fait que Marx a opéré un net revirement théorique au sujet de la situation politico-économique de l'Irlande et de son importance stratégique dans la lutte internationale des classes après 1867. Il avance ensuite que cette révision s'explique par les démarches que Marx avait entreprises au sein de l'Internationale pour empêcher cette dernière de se déchirer sur le sujet. Dans un troisième temps, il souligne que l'analyse par Marx de la question irlandaise se préoccupe exclusivement de la dimension internationale des luttes de classe et qu'elle passe dès lors à côté de ses enjeux transnationaux. Ce qui a pour conséquence de minimiser le rôle des travailleurs immigrés irlandais en Angleterre dans la lutte contre le développement de rapports d'oppression et d'exploitation sur la scène internationale.What role should the immigrant workers play in workers' movements and unions ? An historical event is particularly relevant to that question, given its theoretical stakes and its illustrious protagonists. Karl Marx, in his capacity as the general secretary of the First International, took an interest in the fate of Irish migrant workers living in England, partly due to their intense political activism. Amid a fierce debate regarding Irish independence, the International ran the risk of being divided along national lines. This article contends that Marx made a theoretical U-turn after 1867 regarding the economic and political situation of Ireland and its strategic importance in the international class warfare. It further claims that this revision was prompted by some contextual motives, namely Marx's manœuvres to prevent an internal rift within the International. Eventually, it concludes that Marx's analysis of the Irish situation focuses exclusively on international class struggles, overlooking its transnational stakes. Consequently, it pays little attention to the role Irish migrant workers could play in the struggle against oppressive and exploitative international relations.